RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/03226 -
N° Portalis DBVH-V-B7E-H34T
MPF - NR
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PRIVAS
01 décembre 2020
RG :19/02370
[P]
C/
S.A.S. ETABLISSEMENTS SEGUY
Grosse délivrée
le 02/03/2023
à Me Emilie GUILLON
à Me Philippe PERICCHI
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 02 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PRIVAS en date du 01 Décembre 2020, N°19/02370
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère
Mme Séverine LEGER, Conseillère
GREFFIER :
Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Mars 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [T] [P]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Emilie GUILLON de la SELARL BANCEL GUILLON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'ARDECHE
INTIMÉE :
S.A.S. ETABLISSEMENTS SEGUY
Société par actions simplifiée, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualit siège social sis
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Laurent BURGY de la SELARL LINK ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de LYON
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 02 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Par contrat du 4 juin 2007, la Sas Etablissements Seguy a confié à [T] [P] l'élevage de poulettes que celui-ci devait lui restituer lorsqu'elles seraient devenues des poules pondeuses.
L'avenant du 23 mars 2011 a fixé la durée du contrat à six années à compter du 1er mars 2011, renouvelable par tacite reconduction par période de trois années, et imposé un préavis d'un an pour mettre un terme au contrat.
Par lettre du 22 décembre 2017, les Etablissements Seguy ont proposé à leur cocontractant un accord par lequel ils acceptaient de rattraper l'écart entre le nombre de places de poussins et le nombre de poussins livrés sur les deux derniers lots, mais sur la base d'un taux de remplissage de 94%, soit 65 000 poules et d'une valorisation à la poulette de 0,65 euros.
Par lettre recommandée du 22 mars 2019, la société Etablissements Seguy a informé son cocontractant de sa volonté de ne pas renouveler le contrat « au delà de la bande en cours », en invoquant notamment les difficultés du marché des oeufs de poules élevées en cage.
Par acte du 19 septembre 2019, [T] [P] a assigné la Sas Etablissements Seguy sur le fondement de la responsabilité contractuelle en réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive du contrat et des manquements commis durant l'exécution du contrat.
Par jugement rendu le 1er juin 2020 le juge des contentieux de la protection de Privas a dit que la rupture notifiée le 22 mars 2019 était fautive mais débouté [T] [P] de toutes ses demandes.
S'il a reconnu le caractère fautif de la rupture prononcée par la société Etablissements Séguy, le tribunal a néanmoins débouté [T] [P] de ses demandes indemnitaires, faute pour lui de rapporter la preuve de l'existence de son préjudice et de son quantum.
Par déclaration du 9 décembre 2020 M.[T] [P] a interjeté appel du jugement rendu par le juge des contentieux de la protection de Privas.
Par arrêt du 10 novembre 2022, la cour a confirmé le jugement sauf en ce qu'il a débouté [T] [P] de sa demande d'indemnisation du préjudice résultant de la rupture fautive du contrat et, statuant à nouveau sur ce point, ordonné la réouverture des débats à l'audience du 12 janvier 2023 et invité les parties à soumettre toutes informations utiles sur les critères retenus pour la fixation du prix de la poulette de 18 semaines révolues et sur le taux de marge bénéficiaire pris en compte pour garantir la rentabilité de l'opération par [T] [P].
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS:
Par conclusions notifiées par voie électronique, l'appelant demande à la cour :
- condamner les Ets Seguy à lui payer la somme de 256 753,50 euros à titre de dommages-intérêts pour résiliation fautive du contrat,
- condamner les Ets Seguy à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
[T] [P] rappelle que depuis mai 2019, date de la résiliation abusive du contrat, il n'a plus du tout d'activité avicole, les Ets SEGUY étant son client exclusif pour cette activité. Il fait valoir qu'il ne tire plus de bénéfice de cette activité depuis mai 2019 alors que le contrat avait été renouvelé automatiquement le 1er mars 2019 pour une durée de trois ans. Il estime qu'il a donc perdu un bénéfice annuel de 69 782,75 euros durant trois ans, cette somme correspondant à la moyenne du bénéfice d'exploitation procuré par l'activité avicole durant les trois années qui précédent la résiliation. Il maintient qu'il n'occupait aucun salarié pour la partie avicole de son activité, la totalité de son personnel étant affecté à l'activité d'arboriculture de son exploitation. Les diverses tâches requises par l'activité avicole étaient à ses dires exclusivement confiées à des prestataires extérieurs.
Il conteste que son activité avicole était déficitaire lors de la résiliation du contrat.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 janvier 2023, la société Etablissements Seguy demande à la cour de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement et de condamner [T] [P] au paiement d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée estime que l'appelant échoue à rapporter la preuve de la réalité du préjudice allégué et de son quantum.
MOTIFS:
La réalité du préjudice subi par [T] [P] n'est pas sérieusement discutable: en l'absence de résiliation fautive du contrat, il aurait continué pendant trois ans à dégager des recettes de son activité avicole, lesquelles représentait près d'un tiers du chiffre d'affaires total de son exploitation agricole. Il a d'ailleurs déjà été statué sur la réalité du préjudice par arrêt du 10 novembre 2022.
Ne se posait plus que la question de l'évaluation du préjudice financier découlant de la privation des bénéfices que lui aurait procurés l'activité avicole si elle avait été poursuivie durant trois ans.
Les éléments recueillis dans le cadre de la réouverture des débats ne permettent pas à la cour de se référer à la rentabilité moyenne des exploitatons avicoles pour le comparer au préjudice allégué par l'appelant.
[T] [P], exploitant agricole, menait conjointement une activité avicole (élevage de poulettes exclusivement pour le compte de la société Etablissements Seguy) et une activité arboricole ( exploitation de vergers d'abricotiers, de cerisiers, arbres fruitiers à noyaux...).
L'appelant soutient que son activité avicole lui a rapporté entre 2016 et 2018 un bénéfice d'exploitation annuel moyen de 69 782,75 euros et que depuis mai 2019, il ne retire plus aucun bénéfice de l'activité avicole qu'il a cessée d'exercer, la société Seguy étant sa seule cliente. Il expose qu'il assumait seul les tâches nécessaires à l'exploitation de l'activité avicole ou les confiait à des prestataires extérieurs, les salariés de l'entreprise étant tous affectés à l'activité arboricole. Il estime son préjudice à la somme de 256753,50 euros correspondant à la différence entre la moyenne des bénéfices d'exploitation annuels de l'activité avicole qu'il aurait dû percevoir de 2019 à 2023 ( 284 946 euros) et le bénéfice de l'activité avicole obtenu (28 192 euros pour l'année 2019 et aucun bénéfice ultérieur).
L'intimée fait observer à la cour que [T] [P] n'a pas apporté dans le cadre de la réouverture des débats d'élément nouveau de nature à éclairer la cour. La société Seguy estime que pour la période 2019-2022, compte-tenu de la réduction massive de la production d'oeufs par des poulettes élevées en cage et du refus de [T] [P] de s'adapter à l'évolution de la demande des consommateurs, elle lui aurait livré un nombre de poussins bien moindre de sorte que l'évaluation du préjudice doit tenir compte des circonstances sectorielles. Elle met en doute la fiabilité de l'évaluation de la perte de bénéfice de l'activité avicole dès lors que la situation analytique versée aux débats affecte la totalité des charges de personnel à l'activité arboricole. L'intimée ajoute qu'après s'être rendue compte qu'elle avait notifié sa volonté de rompre le contrat alors que le délai de préavis était déjà écoulé, elle a proposé à son cocontractant de poursuivre le contrat en continuant à lui livrer des poulettes ce qu'il a refusé et en déduit qu'il a concouru à la réalisation de son préjudice.
Dans la situation analytique, les charges d'exploitation de l'activité avicole sont d'un montant total de 57 042 euros en 2016, 44 278,42 euros en 2017 et 42 030,23 euros en 2018.
Comme le relève à juste titre l'intimée, le montant des charges d'exploitation propres à l'activité avicole tel qu'il a été mentionné dans la situation analytique établie par l'expert-comptable n'est absolument pas vérifiable. Alors que les chiffres d'affaires respectifs de l'activité avicole et de l'activité arboricole sont distinguées dans les comptes annuels versés aux débats, les charges d'exploitation pesant sur les deux activités respectives ne sont pas distinguées dans les comptes annuels de sorte que la part exacte des charges d'exploitation grevant les recettes produites par l'activité avicole ne repose que sur les seules affirmations non vérifiables de l'appelant. Or, le fait que toutes les charges de personnel lesquelles sont particulièrement élevées soient affectées uniquement à l'activité arboricole laisse sceptique compte-tenu des soins à apporter à 65 000 poulettes installées dans un bâtiment d'une superficie de 1500 m² et des stipulations du contrat prévoyant que l'éleveur assumait tous les frais relatifs à l'élevage, notamment l'eau, l'électricité; la litière, la désinfection, la dératisation, tous les frais accessoires et surtout tous les frais de main d'oeuvre indispensables aux diverses interventions sur le cheptel de la société.
L'affirmation de [T] [P] qui maintient qu'il n'avait affecté aucun des salariés de son exploitation à l'activité avicole mais ne produit aucune attestation de ses salariés ni aucun autre élément probant pour le démontrer n'est pas crédible, d'autant qu'à compter de la rupture du contrat, les charges de personnel de l'exploitation agricole ont sensiblement diminué. Les épisodes de gel ne suffisent pas à expliquer cette diminution dès lors que les recettes procurées par l'activité arboricole n'ont pas diminué dans les mêmes proportions. L'affectation de l'intégralité des charges de personnel à l'activité arboricole n'est donc pas crédible.
La cour retient que 20 % des charges de personnel supportées par l'exploitation agricole de 2016 à 2018 étaient dédiées à l'activité avicole, cette part étant fixée en tenant compte de la diminution sensible des charges de personnel dans l'année suivant la résiliation du contrat ( - 107 269 euros) que les conditions météorologiques défavorables n'expliquent que partiellement.
Les charges de personnel de 2016 à 2018 s'élevaient à une moyenne mensuelle de 233 008 euros: il y a lieu de soustraire du bénéfice moyen allégué ( 69 782,75 euros) la somme de 46 601,60 euros ( 233 008x20%). Le préjudice subi par [T] [P] sera donc évalué à la somme de ( 23 181,05 X 3 ans) 69 543,15 euros.
Il convient de déduire la somme de 9 658,76 euros
( 23 181, 05 X 5 ),
12
représentant le bénéfice réalisé de janvier à mai 2019, la résiliation fautive du contrat étant intervenue en mai 2019.
Il sera donc alloué à [T] [P] une indemnité de 59 884,39 euros.
L'intimée ne peut faire grief à son cocontractant de ne pas avoir accepté sa proposition de poursuivre le contrat faite postérieurement à sa résiliation fautive. Le contrat ayant été résilié par la société Seguy, [T] [P] était libre d'accepter ou de refuser la proposition de la société Seguy et l'exercice de son choix ne peut être considéré comme fautif. En l'absence de faute commise par [T] [P] ayant contribué à la réalisation de son préjudice, il a droit à l'indemnisation intégrale de ce dernier.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
IL est équitable de condamner la société Etablissements Séguy à payer à [T] [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Condamne la société Etablissements Séguy à payer à [T] [P] la somme de 59 884,39 euros en indemnisation de son préjudice.
La condamne à payer à [T] [P] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La condamne aux dépens.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,