RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/02537 -
N° Portalis DBVH-V-B7G-IQO5
SL -AB
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PRIVAS (JME)
02 juin 2022
RG:21/02058
[T]
[T]
[T]
C/
[J]
S.A. ALLIANZ IARD
Grosse délivrée
le 09/02/2023
à Me Georges POMIES RICHAUD,
à Me Gaële GUENOUN
à Me Philippe RECHE
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 09 FEVRIER 2023
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PRIVAS (JME) en date du 02 Juin 2022, N°21/02058
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,
Mme Séverine LEGER, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Décembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Février 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTS :
Madame [X] [T]
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de son frère [I] [T] décédé
née le [Date naissance 1] 2000 à [Localité 10]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Madame [E] [T]
agissant en sa qualité d'ayant droit de son frère [I] [T] décédé
née le [Date naissance 4] 2022 à [Localité 10]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Monsieur [K] [D] [T],
agissant es qualité d'ayant droit de son frère [I] [T] décédé
né le [Date naissance 3] 2003 à [Localité 10]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Représentés par Me Georges POMIES RICHAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentés par Me Anne POMARÈDE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [L] [J]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
Représenté par Me Gaële GUENOUN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON
S.A. ALLIANZ IARD
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Philippe RECHE de la SELARL CHABANNES-RECHE-BANULS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Olivier THEVENOT de la SELARL THEVENOT MAYS BOSSON, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 09 Février 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 17 février 2000, [P] [C] épouse [T] et ses deux enfants, [I] alors âgé de 2 ans et [X] de 12 jours, ont été victimes d'une intoxication au monoxyde de carbone dans l'appartement qu'ils louaient. L'accident a entraîné le décès de la mère de famille et les enfants ont été grièvement blessés.
M. [B] [T], agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal d'[X], [R] et [A] [T], a conclu le 30 juillet 2003 une convention d'honoraires avec Maître [L] [J], avocat au barreau d'Avignon et s'est constitué partie civile dans le cadre de la procédure engagée devant le tribunal correctionnel de Nîmes contre le bailleur de l'appartement.
La chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Nîmes, a par arrêt du 24 mars 2006 statuant sur l'action pénale, reconnu la culpabilité du bailleur de l'appartement sinistré et par arrêt du 15 mars 2007 statuant sur les intérêts civils l'a condamné à payer :
- à [I] [T] représenté par M. [B] [T], la somme en principal de 1 053 894,80 euros au titre du préjudice subi poste par poste après déduction des débours de la CPAM, ainsi que la somme de 270 000 euros au titre de son préjudice personnel, outre une rente annuelle de 12 773,01 euros ;
- à [X] [T] représentée par M. [B] [T], la somme en principal de 53 000 euros au titre de ses préjudices ;
- à [B] [T], titre personnel, la somme de 79 288 euros déduction faite d'une provision de 15 000 euros ;
- à M. [T] et aux enfants [I] et [X] représentés par M.[T], la somme de 50 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 27 mars 2007, M. [B] [T], au nom de ses enfants mineurs, et Maître [J] ont signé deux conventions d'honoraires portant sur les sommes de 355 462,66 euros concernant [I] et de 3 898,96 euros concernant [X].
Des autorisations de prélèvement d'honoraires d'avocats sur les fonds revenant à [I] et [X], portant sur ces sommes, ont été signées par M. [B] [T] le 26 avril 2017 au profit de Maître [J].
Par jugement du 15 janvier 2014, M. [B] [T] a été déclaré coupable de détournement de fonds au préjudice de ses enfants.
Le 19 juin 2015, [I] [T] est décédé.
Par actes des 27 et 30 juillet 2021, Mme [X] [T], agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de son frère [I], Mme [E] [T] et M. [K] [T], représentés par Mme [M] [O], agissant en qualité d'ayants droit de leur frère [I], ont assigné la société Allianz Iard et Maître [J] devant le tribunal judiciaire de Privas.
Par conclusions d'incident du 15 décembre 2021,la SA Allianz a saisi le juge de la mise en état d'une exception d'incompétence de la juridiction saisie.
Par ordonnance contradictoire du 2 juin 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Privas a :
- constaté l'intervention volontaire de M. [K] [T] en sa qualité d'ayant droit de son frère, [I] [T] ;
- déclaré le tribunal judiciaire de Privas incompétent pour connaître des demandes formulées par Mme [X] [T], agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de son frère [I] [T], Mme [E] [T] et M. [K] [T], agissant en qualité d'ayant droit de leur frère [I] [T] ;
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
- rejeté toute autre demande ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [X] [T], Mme [E] [T] et M. [K] [T] aux dépens de l'incident.
Le juge de la mise en état a considéré que l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la société Axa au visa de l'article 174 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 afférent aux contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats relevant de la compétence exclusive du bâtonnier était fondée au regard de l'assignation des consorts [T] demandant au principal de déclarer nulles et de nul effet les deux conventions d'honoraires après résultat signées le 22 mars 2007 et sollicitant le remboursement des sommes encaissées à titre d'honoraires d'avocat.
Par déclaration du 25 juillet 2022, les consorts [T] ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 5 août 2022, les appelants ont été autorisés, sur le fondement des dispositions des article 81 et suivants du code de procédure civile, à assigner à jour fixe l'intimé à l'audience du 13 décembre 2022, date à laquelle l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision le 9 février 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2022, les consorts [T] demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de:
- déclarer la juridiction de droit commun compétente pour statuer sur ce litige portant sur la nullité d'acte de disposition passés au nom d'enfants mineurs sous administration légale sous contrôle judiciaire sans autorisation ni information préalable du juge des tutelles,
- déclarer la juridiction de droit commun compétente pour statuer sur la responsabilité professionnelle de Maître [J] pour faute tenant à la méconnaissance de l'obligation de soumettre à l'autorisation du juge des tutelles en raison de leur caractère d'actes de disposition, des conventions d'honoraires qui amputaient de manière significative le capital accordé à des enfants mineurs sous administration légale sous contrôle judiciaire aux fins de réparer leurs préjudices résultant d'un accident,
- déclarer le tribunal judiciaire compétent pour connaître des demandes formulées,
En tout état de cause,
- débouter Maître [J] et la société Allianz de leurs demandes,
- condamner Maître [J] et la société Allianz à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Pomies Richaud, avocat.
Ils font essentiellement valoir que leur action ne porte pas sur la fixation d'honoraires, pour laquelle le Bâtonnier d'[Localité 9] serait compétent, mais vise l'annulation des contrats d'honoraires et la mise en cause de la responsabilité professionnelle de l'avocat ainsi qu'en atteste l'assignation introductive d'instance.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 décembre 2022, Maître [J], intimé, demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,
- juger le tribunal judiciaire de Privas incompétent pour connaître des demandes des consorts [T], et renvoyer la cause devant le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats d'Avignon seul compétent pour en connaître en premier ressort en application des articles 174 et suivants du Décret 91-1197 du 27 novembre 1991réglementant la profession d'avocat,
Subsidiairement,
- juger l'action et les demandes formulées par les consorts [T] à son encontre irrecevables comme prescrites en application de l'article 2224 du code civil,
En tout état de cause,
- débouter les consorts [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- les condamner à lui payer la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il considère l'exception d'incompétence matérielle de la juridiction pleinement fondée au regard de l'action introduite à son encontre tendant au remboursement des honoraires encaissés par ses soins, ajoute que les conventions d'honoraires de résultat n'étaient pas soumises à l'autorisation du juge des tutelles au regard de la loi applicable antérieurement au 1er janvier 2009 et excipe de la prescription de l'action sur le fondement des dispositions de l'article 2224 du code civil.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2022, la SA Allianz demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,
- déclarer le tribunal judiciaire de Privas incompétent pour connaître des demandes des consorts [T], et les renvoyer à mieux se pourvoir,
- condamner les consorts [T], au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient que l'action des consorts [T] qui tend d'abord à l'annulation des deux conventions d'honoraires après résultat et ensuite au remboursement des honoraires perçus par Maître [J] constitue une contestation relative au montant des honoraires de l'avocat au sens de l'article 174 susvisé et relève en conséquence de la compétence exclusive de la juridiction du Bâtonnier de l'Ordre des Avocats, en l'espèce celui d'[Localité 9] auprès duquel Maître [J] est inscrit.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur l'exception d'incompétence :
Il résulte des dispositions des articles 174 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 réglementant la profession d'avocat que toutes les contestations relatives au montant des honoraires des avocats ne peuvent être réglées qu'en recourant à une procédure spécifique relevant en première instance de la compétence du bâtonnier et en appel du premier président de la cour.
Mais il n'entre pas dans les attributions du juge de l'honoraire de se prononcer sur une demande tendant à la réparation d'une faute professionnelle éventuelle de l'avocat par voie d'allocation de dommages-intérêts ou de réduction du montant de ses honoraires.
Les parties s'opposent en l'espèce sur l'objet de l'action introduite à l'encontre de l'avocat et de son assureur.
Les appelants soutiennent que l'action tend à obtenir l'annulation des conventions d'honoraires après résultat signées et à la mise en oeuvre de la responsabilité civile professionnelle de l'avocat et excipent ainsi de la compétence de la juridiction de droit commun pour en connaître.
L'avocat et son assureur soutiennent que l'action ne tend pas à l'engagement de la responsabilité civile de l'avocat mais au remboursement des honoraires réglés et non à l'allocation de dommages-intérêts et se prévalent ainsi d'une action en contestation des honoraires relevant de la compétence exclusive du bâtonnier en première instance et du premier président en cause d'appel.
Le dispositif de l'assignation délivrée le 27 juillet 2021 à l'encontre de Maître [J] est libellé comme suit :
'- déclarer nulles et de nul effet les deux conventions d'honoraires après résultat signées le 22 mars 2007 par Maître [L] [J] et M. [B] [T] ès qualités d'administrateur légal sous contrôle judiciaire de ses enfants mineurs [I] et [X] [T] sans information ni autorisation du juge des tutelles ;
- condamner in solidum Maître [J], avocat et la compagnie Allianz Iard à rembourser aux demandeurs la somme de 409 361,62 euros encaissée à titre d'honoraires d'avocat sur le patrimoine revenant aux enfants [I] et [X] [T] ;
- déclarer que le montant de 50 000 euros alloué aux enfants [T] et leur père par la cour d'appel de Nîmes à titre de frais irrépétibles et encaissé en totalité par Maître [J] constitue un montant d'honoraires très largement suffisant pour les diligences faites par cet avocat dans cette affaire'.
Il ressort du dispositif de l'assignation délivrée par les consorts [T] que la demande de remboursement des honoraires perçus par l'avocat n'est que la conséquence de la prétention principale aux fins de nullité des conventions litigieuses fondée sur la violation des articles 389-2 et 389-6 du code civil.
Si le bâtonnier et le premier président, saisis d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, sont compétents pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires, en l'espèce, le juge de l'honoraire n'a précisément pas été saisi par les appelants qui ont introduit une action contre l'avocat aux fins de nullité des conventions litigieuses devant le juge de droit commun.
C'est ainsi vainement que l'assureur se prévaut de l'analyse combinée des deux demandes présentées par les appelants pour soutenir qu'elles caractérisent une contestation des honoraires de l'avocat alors que l'objet de l'action tend à obtenir la nullité des conventions litigieuses fondée sur le non-respect des dispositions légales applicables au régime juridique de l'administration légale sous contrôle judiciaire.
L'exception d'incompétence matérielle du tribunal judiciaire de Privas sera par conséquent rejetée par voie d'infirmation de l'ordonnance déférée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en contestation d'honoraires:
Maître [J] excipe subsidiairement de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en contestation des honoraires de l'avocat sur le fondement des dispositions de l'article 2224 du code civil.
Il se prévaut du délai quinquennal de prescription ayant commencé à courir à la date du décès de [I] soit le 19 juin 2015, date à laquelle ses ayants droit ont été subrogés dans les droits de ce dernier alors que l'action n'a été engagée à son encontre que par assignation du 30 juillet 2021.
Le moyen est cependant inopérant puisque l'objet de l'action introduite à l'encontre de l'avocat ne porte pas sur une contestation d'honoraires mais sur la nullité des conventions d'honoraires après résultat signées en violation des règles applicables au régime de l'administration légale sous contrôle judiciaire.
La fin de non-recevoir sera par conséquent rejetée.
Sur les autres demandes :
Succombant à l'instance, Maître [J] et la société Allianz Iard seront condamnés in solidum à en régler les entiers dépens, de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et seront déboutés de leur prétention respective au titre des frais irrépétibles.
Il sera fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Pomies Richaud, avocat qui en a fait la demande, sur son affirmation.
L'équité commande par ailleurs de condamner in solidum les intimés à payer la somme de 3 000 euros aux consorts [T] au titre des frais irrépétibles exposés par ces derniers sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance déférée dans l'intégralité de ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau,
Rejette l'exception d'incompétence matérielle soulevée ;
Déclare le tribunal judiciaire de Privas compétent pour connaître de l'action introduite par les consorts [T] à l'encontre de Maître [L] [J] et de la SA Allianz Iard ;
Déboute Maître [L] [J] de sa demande au titre de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en contestation d'honoraires;
Condamne in solidum Maître [L] [J] et la SA Allianz Iard à régler les entiers dépens, de première instance et d'appel et autorise Maître Pomies Richaud, avocat, à obtenir le remboursement des sommes dont il aura fait l'avance sans avoir reçu provision ;
Condamne in solidum Maître [L] [J] et la SA Allianz Iard à payer à Mme [X] [T], agissant en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de son frère [I] [T] décédé, à Mme [E] [T] agissant en qualité d'ayant droit de son frère [I] [T] décédé et à M. [K] [T] agissant en qualité d'ayant droit de son frère [I] [T] décédé la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,