La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2023 | FRANCE | N°22/00024

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 1ère chambre, 19 janvier 2023, 22/00024


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS































ARRÊT N°



N° RG 22/00024 - N°Portalis DBVH-V-B7F-IJQD



MPF - NR



TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES

28 octobre 2021

RG:15/01138



[L]

[L]



C/



[L]


































r>Grosse délivrée

le 19/01/2023

à Me Sylvie SERGENT

à Me Nicolas JONQUET











COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

1ère chambre





ARRÊT DU 19 JANVIER 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIMES en date du 28 Octobre 2021, N°15/01138



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/00024 - N°Portalis DBVH-V-B7F-IJQD

MPF - NR

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES

28 octobre 2021

RG:15/01138

[L]

[L]

C/

[L]

Grosse délivrée

le 19/01/2023

à Me Sylvie SERGENT

à Me Nicolas JONQUET

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

1ère chambre

ARRÊT DU 19 JANVIER 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIMES en date du 28 Octobre 2021, N°15/01138

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,

Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,

Mme Séverine LEGER, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats, et Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 Janvier 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

INTIMÉS à titre incident :

Madame [T], [K], [J] [L]

née le 18 Février 1974 à [Localité 9]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Monsieur [F] [L]

né le 18 Janvier 1978 à [Localité 9]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentés par Me Sylvie SERGENT de la SCP DELRAN-BARGETON DYENS-SERGENT- ALCALDE, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentés par Me Sophie DEBERNARD JULIEN de la SCP PALIES - DEBERNARD-JULIEN - MARTIN-VELEINE - CLAISE - PJDA, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉE :

APPELANTE à titre incident :

Madame [D] [L]

née le 18 Août 1949 à [Localité 8]

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicolas JONQUET de la SCP SVA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère, en l'absence du Président légitimement empêché, le 19 Janvier 2023, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

De l'union de [P] [L] et de [Z] [A] sont nés deux enfants, [T] et [F].

Les époux [L]-[A] ont divorcé en 1980 et le 10 septembre 2010, [P] [L] a épousé en secondes noces [D] [H] sous le régime de la séparation de biens pure et simple aux termes d'un contrat de mariage reçu par Maître [M] [U], notaire, le 29 août 2010.

Par acte du 8 avril 2011, [P] [L] a fait donation à son épouse de la moitié de la maison dont il était propriétaire à [Localité 3]), cette maison étant évaluée lors de l'acte à la somme d'un million d'euros.

[P] [L] est décédé le 4 août 2014, laissant pour recueillir sa succession [D] [H] son épouse ainsi que ses deux enfants.

Estimant que les liquidités revenant à la succession étaient inférieures aux revenus perçus par leur père, ils ont obtenu, par ordonnance du 23 décembre 2014, l'autorisation du juge de l'exécution de pratiquer une saisie conservatoire et ce, en garantie de la somme de 1 500 000 euros entre les mains de :

- la Société Générale, agence [Localité 9] Comédie, de la totalité des avoirs présents sur le compte Livret Epargne Plus n°[XXXXXXXXXX02],

- la société Axa France Vie pour le contrat d'assurance-vie n°0000025153311,

- la banque Neuflize OBC pour le contrat d'assurance-vie n°10007389 et contrat d'assurance-vie n°20102589.

[P] [L] ayant souffert d'une dégénérescence neuropsychiatrique dans les années précédant son décès, [T] et [F] [L] ont obtenu par la voie des référés l'instauration d'une expertise médicale ainsi que d'une expertise comptable.

Par acte du 12 février 2015, ils ont assigné [D] [H] devant le tribunal judiciaire de Nîmes aux fins de partage de la succession.

Par jugement contradictoire du 28 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nîmes a :

- déclaré irrecevable la demande de Mme [T] [L] et de M. [F] [L] tendant à ordonner le partage de l'indivision successorale existante entre Mme [T] [L], M. [F] [L] et Mme [D] [H] suite au décès de [P] [L] ;

- déclaré irrecevable la demande de Mme [T] [L] et de M. [F] [L] tendant à ordonner le placement des liquidités bancaires ;

- ordonné la mainlevée de la saisie-conservatoire pratiquée en exécution de l'ordonnance du 23 décembre 2014 ;

- débouté Mme [D] [H] veuve [L] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- débouté toutes les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

Le tribunal a estimé qu'en vertu de la donation entre époux du 8 avril 2011, [D] [H], bénéficiaire de l'usufruit sur la totalité de la succession, n'était pas en indivision avec les enfants [L], héritiers en nue-propriété. Il a considéré par ailleurs que la demande tendant au placement des liquidités bancaires était irrecevable dès lors que l'acte de donation stipulait que la donataire n'était pas tenue de fournir caution de sorte que l'article 602 du code civil n'était pas applicable. Les premiers juges ont écarté tout recel successoral, [D] [H] étant usufruitière de l'intégralité de la succession et ils ont en conséquence ordonné la mainlevée de la saisie-conservatoire pratiquée. Les premiers juges ont enfin rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de [D] [H] au motif qu'elle n'était nullement étayée.

Par déclaration du 28 décembre 2021, [T] [L] et [F] [L] ont interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 28 juin 2022, la procédure a été clôturée le 8 novembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 22 novembre 2022.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS :

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 novembre 2022, [T] et [F] [L] demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de Mme [H] au titre des dommages-intérêts pour procédure abusive et de l'article 700 du code de procédure civile, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de :

- ordonner le partage de l'indivision successorale,

Sur la liquidation du régime matrimonial des époux :

- juger que la succession de [P] [L] détient une créance contre Mme [H] au titre de la créance entre époux,

- fixer le montant de cette créance à la somme de 816 895,07 euros,

- condamner Mme [H] au paiement de la somme de 816 895,07 euros,

Sur la succession de [P] [L] :

- fixer le patrimoine successoral au regard des biens suivants :

- La moitié du bien immobilier sis à [Adresse 7]. Le bien est évalué par les demandeurs à la somme de 1 000 000 euros pour la totalité en pleine propriété, soit 500 000 euros pour la moitié dépendant de la succession de [P] [L].

- Un appartement sis à [Localité 10], évalué à la somme de 140 000 euros,

- Les comptes bancaires du défunt, à savoir :

' un compte bancaire à la Banque NEUFLIZE OBC ainsi qu'un compte-titre,

' un compte sur livret ouvert au Crédit Agricole ainsi qu'un compte-courant.

' un compte sur livret Epargne Plus ouvert à la Société Générale et un compte courant pour des soldes respectifs de 150 000 et 63 570 euros.

' la créance détenue par la succession sur Mme [H] d'un montant de 816 895,07 euros,

- Un véhicule acheté en 2012 pour la somme de 32 000 euros,

- Deux véhicules achetés en 2013 pour les sommes de 21 332 et 24 000 euros,

- Des meubles chez RBC pour une somme 23 200 euros,

- De la décoration chez Maisons et Jardins pour 2 659 euros,

- Du matériel agricole pour 2 900 euros,

- Du matériel électronique pour 2 390 euros,

- Des tableaux achetés pour 1 400 et 2 200 euros,

- Des bijoux achetés pour la somme totale de 7 123 euros

Sur les contrats d'assurance-vie :

- prononcer la nullité de la modification des clauses bénéficiaires,

Sur le quasi-usufruit et la créance des nus-propriétaires :

- juger qu'ils détiennent une créance de quasi-usufruit sur les liquidités bancaires d'un montant de 292 584,75 euros,

- juger que cette créance de quasi-usufruit sera inscrite au passif de la succession, par anticipation, de Mme [H],

- ordonner le placement des sommes d'argent dépendant de l'usufruit de Mme [H].

Sur la donation réductible :

- ordonner la réduction de la libéralité,

- condamner Mme [H] à la somme de 393 975,05 euros au titre de l'indemnité de réduction à leur profit,

En tout état de cause,

- débouter Mme [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- la condamner au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les appelants font valoir qu'au regard de la situation de blocage créée par l'intimée, ils sont fondés, en application des articles 815 et 840 du Code civil ainsi que 1360 et 1361 du code de procédure civile, à obtenir le partage judiciaire de l'indivision existante entre eux. Leur demande visant à reconnaître l'existence d'une créance entre époux ne constitue pas une demande nouvelle car elle s'inscrit dans leur demande initiale visant à déterminer la masse des droits de chacun des héritiers dans la succession. Elle ne serait pas selon eux prescrite puisqu'ils n'ont eu connaissance d'une telle créance qu'après le dépôt du rapport d'expertise le 3 juillet 2018.

Ils rappellent que [P] [L] a perçu la somme totale de 816 895,07 euros en capital entre 2010 et 2014 et considèrent que cette somme a servi à régler les dépenses du couple outre le paiement des charges courantes et des impôts. En application de l'article 214 du code civil et 1479 du même code et de la jurisprudence, ces dépenses constituent un excès de contribution aux charges du mariage et justifient l'existence de la créance de la succession à l'encontre de Mme [H]. Les appelants demandent à la cour de tenir compte dans l'actif dépendant de la succession de [P] [L] des biens immobiliers déjà estimés, des comptes bancaires dont les montants ont été fixés suite à l'expertise et d'inscrire la créance de la succession d'un montant de 816 895,07 euros exposée précédemment.

Les appelants s'estiment aussi fondés en application des articles 414-1 et 414-2 du code civil, à voir ordonner l'annulation de la modification des clauses désignant les bénéficiaires des contrats d'assurance-vie compte-tenu de l'état de leur père qui était manifestement incapable d'exprimer son consentement. Les donations effectuées par leur père à son épouse portant atteinte à sa réserve héréditaire et doivent être réduites à la somme de 393 975.05 euros.

Ils estiment enfin qu'aux termes de l'article 587 du code civil, ils détiennent une créance de quasi-usufruit devant être inscrite au passif de la succession pour un montant valorisé au jour de décès de 292 584,75 euros et, qu'eu égard au comportement de l'intimée dans la gestion des comptes de son époux, il convient de la condamner à faire emploi des fonds de la succession et à les placer pour garantir leur créance au titre du quasi-usufruit en application des articles 600 et suivants du code civil et de l'article 1094-3 du code civil.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 juin 2022, [D] [H], intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle,

Statuant à nouveau uniquement sur ce point,

- condamner solidairement les consorts [L] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens en ce compris les frais des deux expertises judiciaires,

A titre subsidiaire,

- juger les demandes nouvelles des consorts [L] purement et simplement irrecevables.

Plus subsidiairement,

- juger la demande de des consorts [L] au titre de la nullité de la modification de la clause bénéficiaire irrecevable comme prescrite,

A titre infiniment subsidiaire,

- juger que les demandes nouvelles des consorts [L] sont infondées.

- les débouter de l'intégralité de leurs demandes.

- confirmer la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée.

- infirmer le jugement dont appel uniquement en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle,

Statuant à nouveau uniquement sur ce point :

- condamner les consorts [L] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens en ce compris les frais des deux expertises judiciaires,

L'intimée réplique que l'indivision partielle sur le seul bien immobilier de [Localité 3] n'est absolument pas de nature à rendre l'action en partage de la succession de [P] [L] recevable. De surcroît, les appelants de rapportent pas la preuve des diligences entreprises en application de l'article 1360 du code civil. Elle considère que les prétentions des consorts [L] visant à voir reconnaître l'existence d'une créance entre époux et à obtenir l'annulation de la modification des clauses bénéficiaires des contrats d'assurance-vie sont irrecevables car nouvelles en cause d'appel au sens des dispositions de l'article 564 et 565 du code civil. La demande tendant à l'annulation des clauses bénéficiaires est aussi irrecevable car prescrite. Au demeurant, les appelants ne rapportent pas la preuve que l'état de santé de leur père le rendait inapte à réaliser les actes litigieux et sont défaillants à démontrer que les conditions d'applications de l'article 414-1 et suivants du code civil sont réunies.

Les dépenses effectuées par [P] [L] avant son décès et les dépenses du couple à partir des années 2010 ne suffisent pas à caractériser l'existence d'une créance entre époux, les appelants étant défaillants dans la charge de la preuve qui leur incombe à ce titre conformément aux dispositions de l'article 1353 du code civil,

La demande de réduction de la libéralité qui lui a été consentie ne saurait prospérer à défaut de demande de liquidation et partage et en l'absence de détermination des masses actives et passives de la succession, les seuls calculs produits par les appelants étant erronés. De plus, il résulte de l'article 758-6 du code civil que la donation au dernier vivant s'impute sur l'usufruit légal et non sur la valeur des biens en pleine propriété.

L'intimée considère enfin qu'il résulte des dispositions de l'article 601 du code civil que l'usufruitier n'est tenu de délivrer caution que s'il n'en est disposé autrement et que l'acte de donation entre époux exclut expressément cette obligation. En outre, l'inventaire des biens meubles résultant du rapport d'expertise judiciaire de Mme [V], l'article 1094-3 du code civil, dont les appelants font une interprétation erronée, n'a pas non plus vocation à s'appliquer de sorte que la demande de placement des liquidités des consorts [L] devra être rejetée.

MOTIFS :

Sur les omissions de statuer :

L'examen du jugement révèle que le premier juge n'a pas statué sur les demandes concernant la créance de quasi-usufruit et la réduction des libéralités consenties à [D] [H] par son mari.

Sur la recevabilité de la demande en partage de la succession de [P] [L] :

Les premiers juges ont déclaré irrecevable la demande en partage au motif que le conjoint survivant, bénéficiaire de l'usufruit de la totalité de la succession, n'étant pas en indivision avec les héritiers du défunt, nu-propriétaires, il n'y avait pas lieu à partage entre eux.

Les appelants font grief aux premiers juges d'avoir déclaré leur demande en partage irrecevable alors que [D] [H] et eux-mêmes sont propriétaires indivis de la maison sise à [Localité 3] laquelle était l'ancien domicile conjugal. Ils rappellent à la cour qu'ils sont nu-propriétaires de la moitié de ce bien immobilier et que [D] [H] est pleinement propriétaire de l'autre moitié en vertu de la donation consentie par le défunt. Ils en concluent que le partage peut être provoqué judiciairement dès lors qu'ils ont des droits de propriété de même nature et concurrents sur le bien immobilier de [Localité 3], la pleine propriété de Mme [H] se décomposant entre son droit en usufruit et son droit en nue-propriété.

L'intimée considère qu'elle n'est pas en indivision avec les appelants car elle bénéficie de l'usufruit de la totalité des biens de la succession. Selon elle, l'indivision partielle portant sur un seul bien composant la succession de [P] [L] n'est pas de nature à rendre recevable la demande en partage de la succession.

Les droits respectifs des parties compte-tenu des deux donations du 8 avril 2011 sont les suivants :

- droits de [D] [H] :

- la pleine propriété de la moitié de la maison de [Localité 3] en vertu de la donation entre époux,

- l'usufruit de la totalité des biens dépendant de la succession, dont la moitié de la maison de [Localité 3].

- droits de [T] et [F] [L] :

- la nue-propriété des biens dépendant de la succession dont la moitié de la maison de [Localité 3].

Le tribunal à bon droit a déclaré irrecevable la demande en partage de la succession de [P] [L], [D] [H] n'étant pas propriétaire indivis avec les enfants du défunt des biens dépendant de la succession sauf la maison de Caveirac. Le tribunal a précisé que [T] et [F] [L] auraient été uniquement recevables à solliciter le partage de ce bien indivis.

Il existe en effet deux indivisions, la première composée des biens dépendant de la succession de [P] [L], et la deuxième composée de la maison de [Localité 3], laquelle appartient pour moitié en pleine propriété à [D] [H] et pour moitié en nue-propriété à [T] et [F] [L], héritiers de [P] [L].

Dans le dispositif de leurs écritures, les appelants sollicitent à titre principal le partage de la succession de [P] [L] et, à titre subsidiaire, le partage de l'indivision existant entre [D] [H] et eux-mêmes sur la maison de [Localité 3].

La demande tendant au partage de la succession est irrecevable, les droits de [D] [H], usufruitière de la totalité des biens dépendant de la succession, et des enfants [L], nus-propriétaires, étant différents.

La demande tendant au partage de l'indivision en nue-propriété existant entre [D] [H] et la succession de [P] [L] est en revanche recevable.

Elle est toutefois mal fondée. En effet, l'article 840 dispose que le partage est fait en justice quand l'un des indivisaires refuse de consentir au partage amiable ou s'il s'élève des contestations sur la manière d'y procéder ou de le terminer.

En ce qui concerne le partage de l'indivision en nue-propriété existant entre [D] [H], [T] et [F] [L], les appelants ne justifient pas des points de désaccord opposant les coindivisaires. [D] [H] étant par ailleurs usufruitière de la moitié de cette maison, la vente ne pourra être ordonnée en vertu de l'article 815-5 alinéa 2 du code civil sans son accord de sorte que la possibilité de sortir de cette indivision tant que l'usufruit ne sera pas éteint est inexistante.

Sur la recevabilité des demandes relatives à la créance entre époux et à l'annulation des clauses bénéficiaires des contrats d'assurances-vie :

Les appelants demandent à la cour de condamner [D] [H] à payer à la succession d'une somme de 816 895 euros représentant la somme dont elle est redevable au titre de l'excès de contribution aux charges du mariage supporté par [P] [L], sa contribution ayant excédé ses facultés contributives dès lors qu'il a puisé dans le captal qui lui appartenait personnellement pour financer les dépenses du couple.

Ils demandent aussi à la cour de prononcer la nullité des clauses bénéficiaires des contrats d'assurance-vie. Ils font valoir que lors de la souscription de ces contrats, ils avaient été désignés comme bénéficiaires et que dix-huit ans plus tard, après s'être marié avec [D] [H], il a désigné sa nouvelle épouse comme bénéficiaire par lettre du 24 septembre 2012, soit trois jours avant la consultation d'un neurologue, le Dr [E], lequel a constaté un fonctionnement cognitif pathologique (atteinte hippocampique de type maladie d'Alzeihmer). Ils mettent en doute la capacité de leur père à consentir à la modification de la clause bénéficiaire.

Ces deux demandes sont présentées pour la première fois en cause d'appel, elles n'ont pas été soumises aux premiers juges.

L'intimée soulève leur irrecevabilité au visa des articles 564 et 565 du code de procédure civile,

Les appelants répliquent que ces demandes ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges. Ils considèrent en effet qu'ayant demandé au tribunal de déterminer les droits de chaque héritier dans la succession de [P] [L], il était nécessaire de liquider préalablement les intérêts pécuniaires des époux dont le régime matrimonial avait été dissous par le décès de [P] [L].

L'irrecevabilité des demandes nouvelles en appel est fondée sur l'atteinte qu'elles portent au principe du double degré de juridiction.

Les appelants plaident que les demandes susvisées ne sont pas irrecevables dès lors qu'elles se rattachent à leur demande initiale en partage de la succession et tendent à la même fin, laquelle est d'établir l'actif et le passif de l'indivision successorale. Ils considèrent en effet que pour établir l'actif et le passif de la succession, il faut préalablement liquider le régime matrimonial ayant existé entre les époux [P] [L] et [D] [H]. Ils estiment que leurs demandes ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles ont vocation à déterminer la masse des droits à partager.

Qu'on les considère comme nouvelles au sens de l'article au sens de l'article 564 du code de procédure civile ou, au contraire, tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, les deux demandes litigieuses sont en tout état de cause irrecevables.

En effet, si la cour suivait les appelants dans leur argumentation et considérait que les demandes litigieuses poursuivaient le même résultat que la demande initiale, soit la détermination de la consistance de la masse active et passive à partager, elle en déduirait qu'elles ne sont pas des demandes nouvelles et ce d'autant plus qu'en matière de partage tendant à établir l'actif et le passif d'une succession, toute demande, considérée comme une défense au fond à la prétention adverse, est recevable, qu'elle soit présentée dès la première instance ou seulement en cause d'appel.

Cependant, la cour ayant confirmé l'irrecevabilité de la demande initiale en partage de la succession formée contre [D] [H] en l'absence d'indivision entre cette dernière et les enfants de son mari, les opérations de partage de la succession n'auront pas lieu de sorte que les demandes relatives à la créance entre époux et à l'annulation des clauses bénéficiaires des assurance-vie, présentées comme tendant à la détermination de la masse active et passive à partager, doivent être pareillement déclarées irrecevables.

Sur la réduction des libéralités consenties par [P] [L] à son épouse, [D] [H] :

Les appelants estiment que cette demande est indépendante des opérations de partage de l'indivision successorale, que la réduction des libéralités se distingue en effet du rapport des donations dès lors qu'elle ne tend pas à garantir l'égalité entre les héritiers mais à préserver la réserve héréditaire et peut donc être exercée contre le bénéficiaire de la libéralité même s'il n'est pas un coindivisaire. Ils estiment que [D] [H], bénéficiaire de la donation de la moitié de la maison de [Localité 3] et de l'usufruit sur la totalité des biens dépendant de la succession, est redevable d'une indemnité de réduction égale à la somme de 395 975,05 euros.

L'intimée conclut au rejet de la demande de réduction. Elle considère que le montant de l'actif successoral calculé par les enfants de [P] [L] est erroné faute d'y avoir réintégré les donations de sommes d'argent dont leur père les a gratifiés ainsi que la valeur des meubles et objets d'art d'un montant de 42 000 euros. Elle considère qu'ils ne justifient pas que la donation de la moitié de la maison de [Localité 3], d'une valeur de 500 000 euros, excède la quotité disponible. Quant à la donation au dernier vivant de l'usufruit sur la totalité de la succession, elle rappelle qu'elle s'impute sur l'usufruit légal et non sur la valeur en pleine propriété des biens dépendant de la succession.

Aux termes de l'article 757 du code civil, si l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille la propriété du quart en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux.

L'article 1094-1, alinéa 1er, du code civil dispose : « Pour le cas où l'époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l'autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d'un étranger, soit d'un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement ».

Le conjoint survivant bénéficie donc d'une quotité disponible spéciale qui permet au disposant de lui donner :

- soit la quotité disponible ordinaire,

- soit un quart en pleine propriété de la succession et les trois autres quarts en usufruit,

- soit l'usufruit de la totalité de la succession.

L'imputation des libéralités consenties au conjoint survivant sont régies par l'article 758-6 du code civil, lequel dispose:

« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s'imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l'article 1094-1 ».

Le conjoint survivant bénéficie donc de sa vocation légale (¿ en pleine propriété) augmentée des libéralités excédant cette vocation (donation de la pleine propriété de la moitié d'un bien immobilier et donation de la totalité en usufruit) dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux (quotité disponible ordinaire ou usufruit de la totalité de la succession ou ¿ en pleine propriété et ¿ en usufruit).

Sur l'évaluation de l'actif successoral :

Selon les appelants, l'actif dépendant de la succession, après intégration fictive de la donation de la moitié de la maison de [Localité 3] (500 000), s'élève à la somme de 1 409 625,75 euros, comprenant l'autre moitié du bien immobilier sis à [Localité 3] (500 000), l'appartement de Palavas (140 000), les comptes bancaires du défunt dont les montants ont été déterminés par expertise (total : 269 625).

L'intimée conteste cette évaluation aux motifs que les dons d'argent à leur profit n'ont pas été réintégrés, d'une part, et que la valeur des meubles et objets d'art figurant dans l'inventaire pour une somme totale de 42 000 euros n'a pas été retenue.

Si l'intimée ne rapporte pas la preuve des dons d'argent allégués, il sera tenu compte en revanche de sa contestation relative à l'omission, dans l'évaluation de l'actif successoral, de la somme de 42 000 euros représentant la valeur des meubles et des objets d'art ayant appartenu au défunt et figurant dans l'inventaire de sa succession.

L'actif successoral sera donc évalué à la somme de 1 451 625 euros. (valeur des biens de la succession : 951 625 + donation : 500 000).

Sur l'imputation des donations :

Aux termes de l'article 923 du code civil, l'imputation des donations s'effectue de manière chronologique, en commençant par les plus anciennes de sorte que les dernières libéralités seront les premières à être réduites.

La donation du 8 avril 2011 portant sur la pleine propriété de la maison de [Localité 3] évaluée par les parties à 500 000 euros sera imputée la première sur la quotité disponible ordinaire, égale à un tiers de la succession en présence de deux enfants.

La quotité disponible ordinaire étant de 483 875 euros (1 451 625 euros : 3), la donation du 8 avril 2011 excède la quotité disponible ordinaire à hauteur de 16 125 euros (500 000 - 483 875).

La donation de la moitié de la maison de [Localité 3] ayant épuisé la totalité de la quotité disponible ordinaire, la donation en usufruit de la totalité des biens de la succession excède les limites des libéralités qu'en vertu de l'article 1094-1 du code civil, [P] [L] pouvait consentir à son épouse.

Les appelants sollicitent la réduction de l'intégralité de la donation portant sur l'usufruit sur la totalité des biens dépendant de la succession, qu'ils évaluent à la somme de 363 850,30 euros compte-tenu de l'âge de [D] [H] au jour du décès de [P] [L] ( 65 ans).

En l'absence d'indivision entre le bénéficiaire de la libéralité et l'héritier réservataire et, par conséquent, en l'absence de partage, le montant de l'indemnité de réduction se calcule d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque de sa liquidation (arrêt cour de cassation 1ère chambre 22 juin 2022 n°21-10570). Née en 1949, [D] [H] est âgée de 74 ans au jour de la liquidation de l'indemnité de réduction. La valeur de son usufruit aux termes de l'article 669 du code général des impôts est de 30 %. L'indemnité de réduction sera donc fixée à la somme de 286 387 euros ( 951 625 x 30%).

[D] [H] sera donc condamnée à payer la somme de 302 512 euros ( 286 387 + 16 125) à la succession de [P] [L].

Dès lors que les appelants ont obtenu une indemnité au titre de la réduction de la totalité de la libéralité consentie le 8 avril 2011 portant sur la totalité de l'usufruit des biens dépendant de la succession, le préjudice qu'ils ont subi en leur qualité d'héritier réservataire a été intégralement réparé. Cette indemnité a en effet vocation à réparer l'atteinte portée à leur part réservataire laquelle était en pleine propriété. Leurs droits de propriétaires des biens de la succession ayant été rétablis par le versement de l'indemnité de réduction intégrale de l'usufruit, ils ne sont donc plus fondés à invoquer une atteinte à leurs droits de nus-propriétaires et réclamer une créance au titre du quasi-usufruit et la condamnation de l'intimée à placer les liquidités dépendant de la succession.

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive, sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. En effet, l'intimée ne démontre pas que les appelants ont commis une faute ayant fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice. Les appelants ayant obtenu partiellement gain de cause, ils n'ont pu commettre la faute alléguée par l'intimée.

Il est équitable de laisser aux parties la charge de leurs frais irrépétibles et de répartir les dépens par moitié entre elles, chacune ayant succombé pour partie dans ses prétentions.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Constatant que le premier juge n'a pas statué sur les demandes concernant la créance de quasi-usufruit et la réduction des libéralités consenties à [D] [H] par son mari ;

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes relatives à la créance entre époux et à l'annulation des clauses bénéficiaires des assurances-vie,

Condamne [D] [H] à payer la somme de 302 512 euros à la succession de [P] [L] au titre de la réduction des libéralités consenties par actes du 8 avril 2011,

Déboute [T] et [F] [L] de leurs demandes relatives au partage de l'indivision existant entre [D] [H] et eux-mêmes et à la créance de quasi-usufruit des nus-propriétaires,

Déboute les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Fait masse des dépens et les répartit par moitié entre les parties.

Arrêt signé par Mme TOULOUSE, Conseillère, par suite d'un empêchement du Président et par Mme RODRIGUES, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/00024
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;22.00024 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award