RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/01216 - N°Portalis DBVH-V-B7F-H7WC
MPF-AB
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D'AVIGNON
16 février 2021 RG:11-20-0824
S.A.S. CBA INFORMATIQUE LIBERALE
C/
[G]
Grosse délivrée
le 15/12/2022
à Me Emmanuelle VAJOU
à Me Florent ESCOFFIER
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'Avignon en date du 16 Février 2021, N°11-20-0824
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère
Mme Séverine LEGER, Conseillère
GREFFIER :
Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats, et Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 27 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 Décembre 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
S.A.S. CBA INFORMATIQUE LIBERALE
poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité en son siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Christine GATEAU du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame [L] [G]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Thibaud VIDAL de AARPI CHOLEY&VIDAL AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Florent ESCOFFIER, Postulant, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 15 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DU LITIGE:
Par bon de commande du 10 décembre 2014, [L] [G], infirmière libérale, a souscrit auprès de la SAS CBA Informatique Libérale, société de services en ingénierie informatique adaptée aux professionnels de santé, un abonnement au logiciel « My Agathe Connect » et la location d'un lecteur moyennant la somme de 58 euros par mois, et ce pour une durée de quatre ans.
Le logiciel « My Agathe Connect » permet de télétransmettre, en passant par la société OVH en qualité d'hébergeur, des feuilles de soins aux caisses d'assurance maladie et aux mutuelles de santé.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juillet 2018, [L] [G] a mis en demeure la SAS CBA Informatique Libérale de lui restituer toutes les mensualités versées au titre de l'abonnement au logiciel « My Agathe Connect » et de réparer l'ensemble des préjudices subis à la suite des dysfonctionnements du logiciel comme des insuffisances des services de maintenance et d'assistance.
Par acte en date du 6 août 2018, [L] [G] a assigné la SAS CBA Informatique Libérale devant le tribunal judiciaire d'Avignon aux fins d'annulation du bon de commande.
Par jugement contradictoire du 16 février 2021, le tribunal judiciaire d'Avignon a :
- prononcé la nullité du contrat du 10 décembre 2014 souscrit par Mme [G] auprès de la SAS CBA Informatique Libérale concernant l'abonnement au logiciel « My Agathe Connect »,
- condamné la SAS CBA Informatique Libérale à payer à Mme [G] la somme de 1912 euros en remboursement des mensualités versées en exécution du contrat précité,
- condamné la SAS CBA Informatique Libérale à payer à Mme [G] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS CBA Informatique Libérale aux entiers dépens,
- rejeté toutes les autres demandes.
Par acte en date du 25 mars 2021, la SAS CBA Informatique Libérale a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions d'appel notifiées par voie électronique le 11 janvier 2022, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a jugé qu'aucune inexécution contractuelle n'est imputable à la société CBA Informatique Libérale, et, statuant à nouveau, de :
à titre principal,
- constater que le contrat d'abonnement au logiciel My Agathe Connect conclu entre la société CBA Informatique Libérale et Madame [G] le 10 décembre 2014 a un objet licite et est valable,
- condamner Mme [G] au paiement d'une somme de 153,12 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société CBA du fait du manque à gagner causé par la résiliation fautive du contrat,
à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la nullité du contrat serait confirmée par la cour :
- dire que Madame [G] devra verser à la société CBA Informatique Libérale une somme de 1.854 euros à titre d'indemnité d'utilisation du logiciel My Agathe Connect et du lecteur de carte Vitale entre le 14 décembre 2014 et le 3 janvier 2018,
En tout état de cause,
- débouter Mme [G] de toutes ses demandes,
- condamner Mme [G] à lui verser une somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'appelante soutient qu'aucune nullité ne peut être encourue pour objet illicite au regard de la législation applicable à l'hébergement des données de santé et du fait que le contrat n'a pas pour objet l'hébergement de données de santé. Elle conteste par ailleurs aucune inexécution contractuelle de sa part.
Dans ses dernières conclusions d'intimée notifiées par voie électronique le 12 octobre 2022, [L] [G] demande à la cour de :
-confirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de réparation de ses préjudices
Statuant de nouveau sur ce ponit,
- condamner la SAS CBA Informatique Libérale à payer à Mme [G] la somme de 3500€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de désorganisation
- condamner la SAS CBA Informatique Libérale à payer à Mme [G] la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de trouble d'activité ;
- condamner la SAS CBA Informatique Libérale à payer à Mme [G] la somme de 2000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral
Subsidiairement,
- prononcer la résolution du contrat pour dysfonctionnements et inexécutions graves.
En tout état de cause,
- condamner la SAS CBA Informatique Libérale à payer à Mme [G] une somme de 5 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'intimée soutient que le contrat est nul parce que son objet est illicite. En effet, dans le cadre du contrat, la société CBA assure une fonction d'hébergeur alors qu'elle ne disposait pas de l'agrément nécessaire à cette activité à la date à laquelle le contrat a été conclu. Si la nullité du bon de commande n'était pas prononcée, elle demande à la cour de constater sa résolution en raison des inexécutions graves et renouvelées de la société CBA depuis le jour de sa conclusion. Corrélativement à ces demandes, elle sollicite l'indemnisation des préjudices dont elle a été victime.
Par ordonnance du 22 juin 2022, la procédure a été clôturée le 13 octobre 2022 et l'examen de l'affaire a été renvoyé à l'audience du 27 octobre 2022. Par ordonnance du 13 octobre 2022, l'ordonnance de clôture a été révoquée et la clôture fixée au 21 octobre 2022.
MOTIFS:
La société CBA Informatique Libérale est un éditeur français de logiciels médicaux pour les professionnels de santé en exercice libéral. Le 10 décembre 2014, elle a conclu un contrat à durée déterminée avec [L] [G], qui exerce la profession d'infirmière libérale. Ce contrat portait sur la mise à disposition par CBA Informatique Libérale d'un logiciel appelé 'My Agathe Connect' permettant, à l'aide d'un lecteur de carte Vitale donné en location, de procéder à la télétransmission des feuilles de soins aux caisses d'assurance maladie et aux mutuelles.
Sur la preuve du contrat:
[L] [G] soutient qu'aucun contrat en bonne et due forme n'a été signé par les parties, le seul bon de commande ne permettant pas d'établir le consentement des parties et l'étendue de leurs engagements.
Il est versé aux débats le bon de commande du 10 décembre 2015 lequel précise les obligations respectives des parties, s'agissant pour l'éditeur du logiciel de télétransmission « My Agathe -connect » de le mettre à disposition de sa contractante moyennant le prix d'une redevance mensuelle de 39 euros par mois ainsi que la location d'un lecteur de carte vitale au prix de 19 euros par mois pour une durée de 48 mois.
Le contrat est formé par l'accord des parties sur ses éléments essentiels: le bon de commande qui décrit de manière détaillée les prestations du fournisseur, le prix et ses modalités de paiement ainsi que la durée du contrat matérialise sans ambiguïté l'accord de la société CBA et d'[L] [G] sur les éléments essentiels du contrat dont l'existence est donc établie.
Sur la nullité du contrat du 20 mai 2015 pour violation de l'article L 1111-8 du code de la santé publique:
L'article L 1111-8 dans sa rédaction applicable au présent litige dispose: « toute personne qui héberge des données de santé à caractère personnel recueillies à l'occasion d'activités de prévention, de diagnostic, de soins...pour le compte de personnes physiques ou morales à l'origine de la production ou du recueil de ces données ou pour le compte du patient lui-même, doit être agréée à cet effet... ».
Le tribunal a fait droit à la demande d'annulation du contrat fondée sur l'illécéïté de son objet aux motifs que faute pour le fournisseur de rapporter la preuve que le 10 décembre 2014, date de la signature du contrat, la société OVH à laquelle il sous-traitait l'hébergement des données de santé à caractère personnel recueillies à l'occasion de l'utilisation du logiciel « My Agathe Connect » disposait de l'agrément requis par la loi.
La société CBA soutient que les dispositions de l'article L 1111-8 du code de la santé publique ne lui sont pas applicables, l'objet principal de son obligation ne portant que sur la télétransmission des feuilles de soins électroniques de sorte que l'hébergement des données n'est qu'un simple moyen d'exécution sans incidence sur la formation du contrat. Elle en déduit que sa cocontractante ne peut pas se prévaloir de l'absence d'agrément de l'hébergeur pour soutenir que l'objet du contrat d'abonnement au logiciel serait illicite.
[L] [G] estime que les contrats signés par la société CBA sont nuls pour objet illicite parce que cette société, au mépris des dispositions d'ordre public de l'article L 1111-8 du code de la santé publique, ne dispose d'aucun agrément, qu'elle n'a signé aucun contrat en vue de cette prestation d'hébergement, n'a pas recueilli le consentement des patients concernés et a retenu illégalement des données de santé à caractère personnel lorsqu'il a été mis fin au contrat. L'intimée fait valoir que la société CBA a commencé son activité sans respecter le cadre réglementaire, ce dont sa dirigeante a convenu dans une interview disponible sur la plateforme Youtube, et que la société OVH n'a obtenu son agrément que le 14 octobre 2016, soit postérieurement au contrat litigieux.
Les données de santé sont des données sensibles dont le traitement est soumis à des conditions particulières. Leur accès est encadré par la loi pour protéger les droits des personnes.
L'éditeur du logiciel « My Agathe-connect» met à disposition du professionnel de santé son logiciel afin de lui permettre de télétransmettre les feuilles de soins concernant ses patients aux caisses et aux mutuelles. Il assure par son logiciel de télétransmission l'acheminement des données vers un serveur qui en assure le stockage physique pour les rendre accessibles à leurs destinataires, les caisses et les mutuelles.
S'il assure lui-même l'hébergement des données télétransmises, l'éditeur du logiciel doit lui-même être agréé. Si l'éditeur sous-traite l'hébergement des données de santé télétransmises à un tiers, un contrat doit les lier et l'hébergeur doit être agréé.
Comme l'a justement relevé le tribunal, la télétransmission de données de santé à caractère personnel et leur hébergement sont donc indissociables : le contrat de mise à disposition d'un logiciel permettant la télétransmission des feuilles de soins aux caisses et aux mutuelles implique nécessairement leur hébergement dans un support physique de stockage de données. La société CBA était donc tenue de fournir à ses contractants une prestation d'hébergement conforme aux dispositions d'ordre public protégeant les données de santé à caractère personnel. L'objet du contrat est donc illicite si la société CBA ne justifie pas que le stockage des données télétransmises par les abonnés via le logiciel mis à leur disposition n'est pas assuré par un hébergeur agréé.
Le tribunal a donc à bon droit annulé le contrat, la société CBA ne justifiant pas qu'à la date de sa signature la prestation d'hébergement des données de santé à caractère personnel était assurée par une personne disposant de l'agrément requis.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné la restitution de la somme de 1912 euros correspondant au montant des mensualités payées par [L] [G].
Sur l'indemnité d'utilisation réclamée par le fournisseur:
Le tribunal a estimé que, ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, la société CBA était mal-fondée à solliciter une indemnité d'utilisation évaluée au montant des mensualités dues pendant la durée d'utilisation d'un logiciel dont le contrat d'abonnement est frappé de nullité à ses torts exclusifs, ce qui reviendrait à annihiler les effets de la nullité du contrat.
La société CBA fait grief au tribunal d'avoir rejeté sa demande et considère qu'ayant mis à disposition le logiciel « My Agathe-connect » durant trois ans, sa cliente en a eu la jouissance de sorte qu'au titre de la remise des parties dans leur état antérieur à la conclusion du contrat, elle lui est redevable d'une indemnité d'utilisation d'un montant de 1854 euros déduction faite de la mise à disposition gratuite du logiciel durant les six premiers mois.
Selon [L] [G], la nullité pour objet illicite intervenant en raison des manquements de la société CBA, cette dernière ne saurait être fondée à demander des restitutions.
A la suite de l'annulation, le contrat, rétroactivement anéanti, est censé ne jamais avoir existé: ses effets passés sont effacés et les parties remises dans l'état dans lequel elle se trouvait avant de conclure le contrat.
Aux termes du bon de commande, la société CBA met à la disposition de ses clients le logiciel « My Agathe-connect » en vue de la réalisation de prestations de services et moyennant le règlement d'une redevance mensuelle et lui donne en location un lecteur de carte Vitale.
Le contrat informatique conclu par les parties s'analyse donc en un contrat de location, le logiciel comme le lecteur restant la propriété de la société CBA.
Le bénéficiaire de la mise à disposition du logiciel de télétransmission ne peut donc pas restituer en nature la jouissance du logiciel et du lecteur dont il a bénéficié: il ne peut donc y avoir restitution que par un équivalent monétaire, autrement dit une indemnité d'utilisation laquelle constitue la restitution en valeur de la prestation obtenue.
Le fait que l'annulation du contrat lui soit imputable ne prive pas le contractant de son droit d'obtenir la restitution en valeur de la prestation qu'il a fournie.
La valeur locative du logiciel « My Agathe-Connect » étant de 58 euros par mois et celle du lecteur de 19 euros par moi, l'indemnité d'utilisation sera arbitrée à la somme de 1854 euros après déduction de la mise à disposition gratuite du logiciel durant les six premiers mois.
Sur l'indemnisation du préjudice découlant de l'annulation du contrat pour objet illicite:
Si l'annulation du contrat cause un préjudice à l'un des contractants, il peut en demander réparation en engageant la responsabilité délictuelle de l'autre partie au contrat annulé.
Aucun des préjudices dont [L] [G] demande réparation ' préjudice moral, préjudice de désorganisation, préjudice de trouble d'activité - ne sont la conséquence directe de l'annulation du contrat pour objet illicite. En effet, les préjudices dont elle se plaint ont tous à ses dires pour origine les graves dysfonctionnements du logiciel lui-même, sa lenteur et ses anomalies de connexion. Elle n'a évoqué dans ses écritures aucun préjudice découlant de l'annulation du contrat lui-même.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation de ses préjudices.
Sur l'article 700 du code de procédure civile:
L'équité justifie de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. Chaque partie succombant dans ses prétentions, les dépens seront répartis par moitié entre elles.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement , contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Infirme partiellement le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la société CBA Informatique Libérale de sa demande tendant au paiement d'une indemnité d'utilisation,
Statuant à nouveau,
Condamne [L] [G] à payer à la société CBA Informatique Libérale une indemnité d'utilisation de 1854 euros,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens seront répartis par moitié entre elles.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,