La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2022 | FRANCE | N°20/002331

France | France, Cour d'appel de nîmes, 4p, 13 décembre 2022, 20/002331


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT No

No RG 20/00233 - No Portalis DBVH-V-B7E-HTY4

MS/EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
19 décembre 2019 RG :F19/00339

[C]
[C]
[C]
[C]

C/

Syndicat SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES EAUXDE [Localité 13]

Grosse délivrée
le
à

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 13 DECEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIM

ES en date du 19 Décembre 2019, NoF19/00339

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT No

No RG 20/00233 - No Portalis DBVH-V-B7E-HTY4

MS/EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
19 décembre 2019 RG :F19/00339

[C]
[C]
[C]
[C]

C/

Syndicat SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES EAUXDE [Localité 13]

Grosse délivrée
le
à

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 13 DECEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 19 Décembre 2019, NoF19/00339

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 29 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Décembre 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

Madame [H] [C] Veuve de Monsieur [U] [C]
née le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 11] ESPAGNE
[Adresse 2]
[Localité 7]

Représentée par Me Pierre-henry BLANC de la SELARL BLANC-TARDIVEL-BOCOGNANO, avocat au barreau de NIMES substitué par Me Armance BOCOGNANO, avocate au barreau de NIMES

Madame [Z] [C] Fille de Monsieur [U] [C]
née le [Date naissance 4] 1977 à [Localité 15]
[Adresse 14]
[Localité 7]

Représentée par Me Pierre-henry BLANC de la SELARL BLANC-TARDIVEL-BOCOGNANO, avocat au barreau de NIMES substitué par Me Armance BOCOGNANO, avocate au barreau de NIMES

Madame [N] [C] Fille de Monsieur [U] [C]
née le [Date naissance 8] 1982 à [Localité 15]
[Adresse 10]
[Localité 6]

Représentée par Me Pierre-henry BLANC de la SELARL BLANC-TARDIVEL-BOCOGNANO, avocat au barreau de NIMES substitué par Me Armance BOCOGNANO, avocate au barreau de NIMES

Monsieur [V] [C] Fils de Monsieur [U] [C]
né le [Date naissance 3] 1989 à [Localité 15]
[Adresse 9]
[Localité 7]

Représenté par Me Pierre-henry BLANC de la SELARL BLANC-TARDIVEL-BOCOGNANO, avocat au barreau de NIMES substitué par Me Armance BOCOGNANO, avocate au barreau de NIMES

INTIMÉE :

SYNDICAT INTERCOMMUNAL DES EAUXDE [Localité 13]
[Adresse 16]
[Localité 13]

Représentée par Me Gilles MARGALL de la SCP TERRITOIRES AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 15 Septembre 2022

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 13 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Feu [U] [C] décédé le [Date décès 5] 2018 a été nommé par arrêté du Syndicat Intercommunal des Eaux de [Localité 13] (le syndicat) à compter du 1er janvier 1984 au poste de surveillant du réseau d'eau avec pour mission la relève des compteurs.

Par courrier du 12 avril 2019, les ayants droit de feu [U] [C] réclamaient au Syndicat des Eaux de [Localité 13] la réparation des préjudices qu'aurait subis Feu [U] [C] lors de l'exécution de son contrat de travail.

Par courrier en réponse du 26 avril 2019, le Syndicat des Eaux de [Localité 13] refusait de faire droit à cette demande.

Par requête du 13 juin 2019, les ayants droit de feu [U] [C] ont saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes afin qu'il constate la faute commise par l'employeur dans l'exécution du contrat de travail de Feu [U] [C] et requalifie le contrat de travail de ce dernier en contrat de travail à durée indéterminée.

Par jugement contradictoire du 19 décembre 2019, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :

- dit que les demandes des consorts [C] sont irrecevables ;
- débouté les consorts [C] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
- débouté le défendeur de sa demande reconventionnelle ;
- condamné les consorts [C] aux entiers dépens.

Par acte du 20 janvier 2020, les consorts [C] ont régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 28 septembre 2020, les ayants droit de feu [U] [C] demandent à la cour de :

- annuler ou réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nîmes le 19 décembre 2019 ;

En conséquence :
- déclarer recevable leur demande ;
- rejeter en conséquence toutes irrecevabilités présentées par le Syndicat des Eaux de [Localité 13] et tout moyen tiré de l'incompétence de la juridiction saisie au profit du tribunal administratif de Nîmes ;
- constater la faute commise par l'employeur dans l'exécution du contrat de travail d'[U] [C] ;
- constater la faute commise par l'employeur dans la gestion de la situation d'[U] [C]
- requalifier le contrat de travail d'[U] [C] en contrat à durée indéterminée ;
- condamner en conséquence le Syndicat des Eaux de [Localité 13] à leur payer les sommes de 68.281,64 euros, réparties comme suit :
* 644,15 euros en paiement du quatrième trimestre 2018
* 10.889,08 euros en paiement des heures supplémentaires effectuées depuis 2015
* 2.393,75 euros en paiement des heures supplémentaires effectuées au regard de
l'augmentation de la population
* 1.591,50 euros en paiement de l'indemnité compensatrice de congés payés
* 2.380 euros en remboursement des frais kilométriques jamais remboursés depuis 2015
* 1.383,20 euros en paiement de l'indemnité de requalification du contrat de travail
* 19.000 euros en indemnisation du préjudice financier dû à l'absence de revalorisation du salaire de feu [U] [C] au regard de ses compétences acquises avec l'expérience
* 34.000 euros en indemnisation du trouble dans les conditions d'existence subi du fait de la situation précaire et insécurisée dans laquelle le Syndicat a placé feu [U] [C]
* 15.000 euros au titre du préjudice moral.
- assortir cette condamnation des intérêts légaux, portant capitalisation, au jour du paiement effectif ;
- condamner le Syndicat des Eaux de [Localité 13] à leur verser la somme de 2.400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le Syndicat des Eaux de [Localité 13] aux entiers dépens ;
- "assortir le jugement à venir de l'exécution provisoire".

Ils soutiennent que :
Sur le jugement :
- l'appréciation du conseil de prud'hommes, qui a retenu que leur action était irrecevable au motif que feu [U] [C] ne l'aurait pas introduite de son vivant, est erronée au regard de la jurisprudence.
- la Cour de cassation considère que les ayants droit peuvent parfaitement créer un litige avec l'ancien employeur même si aucun litige n'est né du vivant du salarié.
- leur action est recevable du fait de la naissance de ce droit dans le patrimoine du salarié défunt qui leur a été transmis, et ce peu importe qu'aucune action n'ait été introduite du vivant de feu [U] [C].

Sur la qualification du contrat et la compétence du conseil de prud'hommes :

- en application de la jurisprudence, le Syndicat intercommunal des Eaux de [Localité 13] est un établissement public industriel et commercial (EPIC) ; dès lors, le contrat qui liait cette dernière et feu [U] [C] est un contrat de droit privé.
- la demande d'incompétence du conseil soulevée par le Syndicat doit être rejetée. Ils exposent que le conseil de prud'hommes n'a certes pas statué explicitement sur la demande d'incompétence, néanmoins, en statuant sur la recevabilité de leur demande, il a de fait écarté son incompétence.
- le conseil de prud'hommes est parfaitement compétent pour connaître du litige car :
* l'employeur ne démontre pas en quoi la mission confiée à feu [C] relève d'une prérogative de puissance publique,
* feu [C] était dans une situation contractuelle de droit privé avec le Syndicat, il était titulaire d'un contrat de travail dont les éléments essentiels étaient définis par le Syndicat de manière unilatérale,
* feu [C] n'avait aucun pouvoir de direction dans cette mission et était placé dans un lien de subordination vis-à-vis du Syndicat.

Sur leurs demandes :

- le Syndicat a commis une faute en refusant de verser à la veuve du salarié défunt, Mme [H] [C], le dernier trimestre 2018 alors que le salarié défunt avait accompli l'ensemble des prestations du deuxième trimestre 2018;
- feu [U] [C] a effectué des heures supplémentaires non réglées depuis 2007. Ils exposent que :
* il a été mandaté par le Syndicat pour 320 heures par an, avec comme exigence qu'il effectue ces heures de relève de compteurs sur un mois ;
* il travaillait donc 80 heures par semaine dépassant ainsi le nombre d'heures légalement prescrit ;
* il effectuait chaque semaine 45 heures supplémentaires qui ne lui ont pas été réglées.
- durant l'intégralité de son travail effectif, le Syndicat n'a payé aucun congé à feu [C] comme le démontrent ses bulletins de paie. Ils sont en droit de solliciter une indemnité compensatrice de congés payés sur les trois années antérieures, soit de 2015 à 2018.
- le salarié défunt avait le droit d'être défrayé de ses frais kilométriques dans la mesure où il utilisait son véhicule personnel pour réaliser les déplacements professionnels que lui demandait sa tournée de relevé de compteurs.

Sur la relation contractuelle :

- les contrats à durée déterminée de feu [C] doivent être requalifiés en contrat à durée indéterminée dans la mesure où :
* feu [C] a travaillé pour le Syndicat, sans discontinuité, depuis 1984,
* il a été nommé par arrêté par le Syndicat,
* sa nomination a fait l'objet de plusieurs renouvellements jusqu'à 2018,
* il a donc effectué durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, ici le Syndicat.
- durant 34 ans, aucune évolution salariale, aucun avantage, aucune prime n'ont été accordés à feu [C] malgré son ancienneté et son assiduité au travail.
- le Syndicat n'a cessé d'augmenter les missions du salarié défunt eu égard à l'évolution de la population et ce sans faire nullement évoluer ses revenus en conséquence.
- aucun véhicule n'a été mis à sa disposition afin qu'il puisse exécuter sa mission de relevé de compteurs.
- à partir de 2007, le Syndicat a fait travailler feu [C] sans aucun fondement légal puisqu'il n'a pris aucun arrêté, ni établi aucun contrat de travail à durée déterminée alors qu'il avait été pourtant alerté par le Trésor Public.

- les manquements du Syndicat à ses obligations leur ont causé un grave préjudice de trésorerie et ont affecté les conditions d'existence de feu [U] [C].

Sur l'irrecevabilité des conclusions au fond de l'intimé :

- conformément à l'article 909 du code de procédure civile, toutes conclusions au fond du Syndicat seraient irrecevables dans la mesure où celui-ci n'a présenté que des conclusions en irrecevabilité.

En l'état de ses dernières écritures en date du 29 juin 2022, contenant appel incident, le Syndicat Intercommunal des Eaux de [Localité 13] demande à la cour de :

Au principal,
- le recevoir en son appel incident,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nîmes en date du 19 décembre 2019,
- l'accueillir en son exception d'incompétence,
- se déclarer incompétente pour connaitre de la situation de feu [U] [C] « préposé-vacataire » de la fonction publique territoriale et renvoyer les consorts [C] à mieux se pourvoir en saisissant le tribunal administratif de Nîmes pour qu'il soit statué ce que de droit sur leurs demandes et prétentions.
- se déclarer incompétente pour connaître d'une action extra contractuelle en responsabilité de l'établissement public et renvoyer les consorts [C], tiers par rapport à l'établissement public, à mieux se pourvoir en saisissant le tribunal administratif de Nîmes pour qu'il soit statué ce que de droit sur leurs demandes et prétentions tendant à voir constater la faute commise par l'établissement public au préjudice de leur auteur et d'en ordonner la réparation sur le fondement de la responsabilité extra contractuelle des établissements publics.

Subsidiairement,
- rejeter les conclusions des consorts [C] ayant conclu à l'irrecevabilité de ses conclusions en défense
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Nîmes en date du 19 décembre 2019,

En tout état de cause,
- mettre à la charge des consorts [C] pris ensemble et solidairement, à son bénéfice une somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que :
- in limine litis, le conseil de prud'hommes n'a pas statué sur la question relative à son incompétence au profit du tribunal administratif de Nîmes.
- le conseil de prud'hommes est incompétent pour connaîte du présent litige ; seul le juge administratif est compétent aux motifs que :
* le lien entre les parties était un lien de droit public comme l'attestent les bulletins de salaire trimestriel du défunt
* la mission confiée à feu [C], la relève de compteurs d'eau, est une activité purement administrative, rattachée à une mission de réglementation, police ou contrôle de l'établissement public mettant ainsi en jeu une prérogative de puissance publique ;
* feu [C] lui facturait son temps de travail ainsi que les fournitures;
* feu [C] était dans une situation de vacataire de la fonction publique ;
* aucune relation contractuelle n'existait entre feu [C] et le syndicat puisqu'il n'y avait aucun lien de subordination. Le salarié gérait son emploi de temps à sa guise. Il n'a jamais donné au salarié défunt des ordres ou instructions ou des directives ni déterminé unilatéralement les conditions d'exécution du travail de relevé des compteurs

- les demandes des consorts [C] sont irrecevables puisque la fin du "contrat de travail" du salarié, par la voie automatique à l'issue de son décès, n'a pas ouvert de droit à la succession. Le "contrat de travail" de ce dernier n'a pas été intégré dans le patrimoine successoral.

- du fait de la rupture immédiate du "contrat de travail" de feu [C], les ayants droit de ce dernier ne peuvent exercer à son encontre qu'une action personnelle, de caractère patrimonial, tendant au paiement de dommages-intérêts.

- l'irrecevabilité de ses conclusions ne peut être évoquée devant le juge du fond.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 22 juin 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 15 septembre 2022. L'affaire a été fixée à l'audience du 29 septembre 2022.

MOTIFS

Sur l'incompétence du conseil de prud'hommes au profit du tribunal administratif

L'intimé considère que seul le tribunal administratif de Nîmes serait compétent pour statuer sur le présent litige, ajoutant que le conseil de prud'hommes n'a pas statué sur cette demande.

Cette exception d'incompétence est soulevée avant toute défense au fond.

Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti (C. trav., art. L. 1411-1 du code du travail).

Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges des personnels des services publics, lorsqu'ils sont employés dans les conditions du droit privé (C. trav., art. L.1411-2 du code du travail).
Dans cette hypothèse, le contrat de travail, à l'origine du différend porté devant le conseil de prud'hommes, doit être un contrat de droit privé.

Sur les missions confiées à feu [U] [C]

La Cour de cassation estime que le service de distribution d'eau est un service public industriel et commercial alors même qu'il est assuré par une collectivité territoriale (Cass. 1re civ., 26 mai 1994, no 92-21.601, no 842, Ville de [Localité 12] c/ Sté Fauglas et autres, Bull. civ. I, no 190).

Ainsi, qu'il soit géré par une personne publique (collectivité locale ou établissement public qui dépend d'elle) ou par une personne privée, le service public qui revêt un caractère industriel ou commercial soumet, en raison de sa nature, à un statut de droit privé le personnel qui lui est affecté ; les tribunaux de l'ordre judiciaire sont alors seuls compétents pour connaître des litiges individuels concernant ces agents (CE, 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Rec. CE 1957, p. 158).

Par ailleurs, le fait que les agents d'un établissement public à caractère industriel et commercial soient régis par un statut réglementaire comportant certaines dispositions reprises du statut des personnels administratifs ne modifie pas la nature de droit privé des contrats de travail et la compétence prud'homale qui en découle en application de l'article L. 1411-1 du Code du travail

Le critère déterminant la compétence du conseil de prud'hommes réside bien dans les conditions d'emploi des personnels de services publics.

Ces règles reçoivent cependant exception lorsque le législateur en dispose autrement (CE, 15 déc. 1967, Level, Rec. CE 1967, p. 501), et lorsque, conformément à la jurisprudence Jalenques de Labeau, il s'agit « de celui desdits agents qui est chargé de l'ensemble des services de l'établissement (poste de direction), ainsi que du chef de la comptabilité, lorsque ce dernier possède la qualité de comptable public » (CE, 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, précité ; CE, 26 oct. 1988, Jeanmaire, Rec. CE 1988, p. 379).

L'intimé estime pour autant que, "nonobstant la qualité d'établissement public industriel et commercial, il faut rechercher si le litige se rattache à celle des activités de l'EPIC qui, telle la réglementation, la police ou le contrôle ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique de l'établissement."

Lorsqu'un établissement public tient de la loi la qualité d'établissement public industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l'exception des litiges relatifs à celles de ses activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique (cass, 10/04/2013 pourvoi 12-13.902).

Le critère tiré de la mise en oeuvre, par l'établissement public concerné, de prérogatives
de puissance publique paraît donc, désormais, prépondérant, voire exclusif de tout autre
critère (extrait du rapport, cass, 01/03/2017, pourvoi no15-28.664).

Les prérogatives de puissance publique constituent essentiellement des moyens juridiques exorbitants du droit commun qui placent l'Administration dans une situation privilégiée par rapport aux administrés. La plupart de ces prérogatives sont des prérogatives d'action dont la principale est la possibilité d'édicter unilatéralement des prescriptions obligatoires pour leurs destinataires.

Sont aussi considérées comme prérogatives de puissance publique : l'obligation d'adhérer et de verser des contributions à un organisme public ou privé, l'action ou le refus de cartes professionnelles conditionnant l'exercice d'une activité, le droit d'exproprier, de réquisitionner, de préempter les immeubles ou les oeuvres d'art, la possibilité d'infliger des sanctions etc.

Enfin, le contentieux des redevances pour consommation d'eau est judiciaire.

En l'espèce, feu M. [C] était chargé d'assureur la surveillance du forage d'eau et de relever les compteurs afin que l'EPIC établisse les factures correspondant à la consommation d'eau de sorte qu'il ne s'agit en aucune manière d'une fonction relevant des prérogatives de puissance publique de l'EPIC intimé.

Sur la qualité de préposé-vacataire de feu [U] [C]

Le vacataire est un agent recruté pour accomplir une tâche précise, ponctuelle et limitée à l'exécution d'actes déterminés et rémunéré à la vacation, c'est-à-dire à la tâche.
À la différence de l'agent contractuel, le vacataire n'est pas recruté pour assurer un besoin permanent de l'administration.

Le vacataire n'est pas recruté sur un emploi. Il est recruté pour accomplir une tâche précise et ponctuelle.

Un vacataire sera recruté par contrat ou par arrêté.

Certains sont des fonctionnaires. D'autres sont issus du secteur privé.
Lorsqu'ils ne sont pas déjà fonctionnaires, ils seront ainsi des collaborateurs de l'Administration à la situation très précaire, même si parfois ils occupent des emplois permanents.

Il a ainsi été jugé que l''agent responsable du suivi des chantiers et de la surveillance du réseau d'eau potable, lequel est géré par un syndicat intercommunal présentant le caractère d'un service public industriel et commercial, est un agent de droit privé (CE, 31 janv. 1996, no 129749, Helbing).

Ce faisant, le statut de vacataire ne faisant pas dépendre automatiquement celui-ci du droit public et de la compétence des juridictions administratives, il résulte des éléments développées supra, au regard notamment de ses prestations, que feu [U] [C] a été engagé à ce titre sous un statut de droit privé.

En définitive, la compétence du conseil de prud'hommes en tant que juridiction de l'ordre judiciaire sera retenue.

Sur l'incompétence du conseil de prud'hommes pour statuer sur les demandes présentées par les consorts [C]

Le Syndicat Intercommunal des Eaux de [Localité 13] soutient que la juridiction prud'homale est incompétente pour connaître du litige élevé par des tiers par rapport à l'établissement public.

Il estime que suite au décès de feu [U] [C], le contrat de travail qui l'aurait lié au syndicat a été rompu ; il n'est pas rentré dans le patrimoine successoral.

Selon l'article 724, alinéa 1er, du code civil, "les héritiers désignés par la loi sont saisis
de plein droit des biens, droits et actions du défunt."

Selon la jurisprudence, il conviendra de distinguer suivant que l'action exercée par
l'ayant droit du salarié est de caractère personnel ou patrimonial.

La Cour de cassation considère, dans un arrêt rendu le 29 octobre 2002, Bull. no 323 que :
"La cour d'appel, ayant relevé que la prestation de travail effectuée par M. M. avait fait
naître à son profit un certain nombre de droits et que ces droits s'étaient réalisés au fur et à mesure du déroulement de la prestation de travail, a exactement décidé (...) que ces droits étaient entrés dans le patrimoine du salarié avant son décès et que les héritiers et le conjoint survivant en étaient saisis de plein droit, peu important que le salarié n'ait pas intenté d'action avant son décès pour réclamer les sommes dues."

Il en résulte que c'est à tort que le syndicat intimé soutient que, pour que l'action des héritiers de feu [U] [C], il eût fallu que leur auteur ait engagé de son vivant une action aux fins d'indemnisation.

Les ayants droit sont ainsi fondés à introduire postérieurement au décès du salarié une action en défense des droits de ce dernier, ce droit étant entré dans le patrimoine du défunt, peu important qu'il n'ait pas intenté cette action de son vivant et que cette action porte sur les accessoires du contrat.

Alors substitués dans les droits du salarié décédé, les héritiers ne peuvent cependant bénéficier de plus de droit que ce dernier. En ce sens, seul le préjudice subi du salarié décédé est indemnisable, non celui des ayants droit.

Les demandes présentées par les consorts [C] sont toutes liées à la relation de travail ayant existé entre leur auteur et le syndicat, de sorte que le conseil de prud'hommes est compétent pour en connaître, justifiant la réformation du jugement critiqué.

Sur le fond

Les appelants estiment que les conclusions sur le fond déposées par l'intimé sont irrecevables au motif qu'elles ont été déposées postérieurement au délai prévu par l'article 909 pour ce faire, seules des conclusions d'irrecevabilité ayant été déposées dans ledit délai.

L'article 910-4 du code de procédure civile prévoit en son alinéa 1 que « A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès leurs conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. »

L'intimé a déposé ses conclusions le 30 juin 2020, dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile, en limitant son argumentation et ses moyens à l'incompétence du conseil de prud'hommes pour connaître du litige.

Par la suite, il déposera de nouvelles conclusions les 7 octobre 2020 et 29 juin 2022 en présentant des moyens sur le fond du litige.

La recevabilité de ces dernières écritures peut être soulevée en tout état de cause et notamment devant la cour, s'agissant de statuer sur l'étendue de sa saisine.

Ainsi, eu égard aux dispositions visées supra, les conclusions déposées par le syndicat les
7 octobre 2020 et 29 juin 2022 sont irrecevables.

Ce faisant, aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés, les premiers juges n'ayant pas statué sur le fond.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ;

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;

S'il la partie qui invoque l'existence d'une relation salariale doit certes administrer la preuve du contrat de travail, en présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui son caractère fictif d'en rapporter la preuve ;

En l'espèce, il existe plusieurs actes d'engagement de feu [U] [C], à savoir :
- arrêté du syndicat du 27 décembre 1983 pour assurer la surveillance des moteurs de la station de [Localité 13] du 1er janvier au 31 décembre 1984, avec une rémunération forfaitaire de 4400 francs
- arrêté du syndicat du 8 mars 1986 nommant feu [U] [C] comme préposé vacataire pour le relevé des compteurs dans la période du 1er avril au 30 avril de chaque année, avec un "salaire" de 4500 francs, "charges sociales à déduire"
- extrait du registre des arrêtés du président du 22 novembre 2007, ainsi libellé:
"Vu la nécessité d'employer une personne pour effectuer la surveillance du forage d'eau et la relève annuelle des compteurs d'eau,
Vu que l'appel d'offre de mars/avril a été déclaré infructueux (prestations trop chère)
Vu l'accord du Conseil Syndical
ARRETE
Article 1 Monsieur [U] [C], né ...., exercera la surveillance du forage et la relève annuelle des compteurs d'eau jusqu'au 31 décembre 2007
Article 2 Monsieur [U] [C] sera rémunéré au SMIC pour une durée de 80 h par trimestre
..."

Il n'est pas contestable que feu [U] [C] exerçait une activité indépendante d'artisan électricité générale-plomberie et qu'il établissait des factures auprès du syndicat pour ses interventions, notamment pour les années 2012 et 2013, et ce au titre des travaux de réparation réalisés, comportant le détail des prestations, les pièces et la main d'oeuvre, lesdites factures ne comportant jamais le même montant (pièces no2 du syndicat communiquées avec ses premières écritures).

Cet élément est par nature incompatible avec le statut de travailleur salarié et s'inscrit dans le prolongement de l'activité d'artisan de feu [U] [C].

Il n'est par ailleurs pas contestable que les établissements publics peuvent faire appel à des artisans dans le cadre d'un appel d'offre, sans que cela puisse constituer une relation salariale.

Par ailleurs, le dossier des appelants ne comporte aucune pièce susceptible de démontrer l'existence d'un lien de subordination entre les parties, la seule contrainte de feu [U] [C] étant de procéder à la relève des compteurs chaque année, ce dernier étant libre d'organiser son emploi du temps.

En outre, aucun élément ne vient pas plus démontrer l'existence d'ordres ou directives données par le syndicat dans l'exécution de cette tâche.

Ce lien de subordination fait d'autant plus défaut que feu [U] [C] effectuait les prestations avec son propre matériel, selon les horaires qu'il fixait lui-même, en toute autonomie et liberté dans son organisation et les moyens utilisés.

Les pièces ainsi produites par les appelants ne permettent nullement d'établir l'existence d'une relation salariale avec le syndicat intimé puisqu'il n'en ressort d'aucune manière l'exécution d'un travail s'inscrivant dans un rapport de subordination, feu [U] [C] intervenant en tant que travailleur indépendant pour le compte de celui-là.

Il convient donc, par ces motifs substitués, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes présentées par les consorts [C] et les a déboutés à ce titre.

Sur les demandes accessoires

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens d'appel seront laissés à la charge des appelants.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,

Rejette l'exception d'incompétence au profit du tribunal administratif soulevée par le Syndicat Intercommunal des Eaux de [Localité 13],

Réforme le jugement rendu le 19 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Nîmes en ce qu'il a déclaré les demandes des consorts [C] irrecevables faute d'intérêt à agir,

et statuant à nouveau,

Dit que les consorts [C] sont recevables à agir à l'encontre du Syndicat Intercommunal des Eaux de [Localité 13],

Confirme le jugement rendu en ce qu'il a déclaré les demandes des consorts [C] irrecevables et les en déboute,

Les renvoie à mieux se pourvoir,

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge des consort [C],

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de nîmes
Formation : 4p
Numéro d'arrêt : 20/002331
Date de la décision : 13/12/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Nîmes, 19 décembre 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.nimes;arret;2022-12-13;20.002331 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award