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12/12/2022 | FRANCE | N°22/01560

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 2ème chambre section b, 12 décembre 2022, 22/01560


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 22/01560 - N° Portalis DBVH-V-B7G-INTU



CS



PRESIDENT DU TJ DE CARPENTRAS

06 avril 2022

RG :21/00258



S.C.I. AR GARGAMIANE



C/



[E]

[V]





Grosse délivrée

le

à











COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B



ARRÊT DU 12 DEC

EMBRE 2022





Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TJ de CARPENTRAS en date du 06 Avril 2022, N°21/00258



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Mme Corinne STRUNK, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, s...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/01560 - N° Portalis DBVH-V-B7G-INTU

CS

PRESIDENT DU TJ DE CARPENTRAS

06 avril 2022

RG :21/00258

S.C.I. AR GARGAMIANE

C/

[E]

[V]

Grosse délivrée

le

à

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B

ARRÊT DU 12 DECEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TJ de CARPENTRAS en date du 06 Avril 2022, N°21/00258

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Corinne STRUNK, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

M. André LIEGEON, Conseiller

GREFFIER :

Madame Véronique PELLISSIER, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Décembre 2022.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.C.I. AR GARGAMIANE

immatriculée au RCS sous le n° 833 220 999

représentée par son gérant statutaire en exercice domicilié es qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentée par Me Aurélien KNOEPFLI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS

INTIMÉS :

Monsieur [H] [O] [L] [E]

né le 10 Décembre 1957 à IXELLES (BELGIQUE)

[Adresse 34]

[Localité 21] (BELGIQUE)

Représenté par Me Jacques TARTANSON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON, substitué par Me Sandrine MOIROUD-BESSE, avocat au barreau d'AVIGNON

Madame [U] [J] [L] [V] épouse [E]

née le 24 Août 1958 à SCHAARBEEK (BELGIQUE)

[Adresse 34]

[Localité 21] (BELGIQUE)

Représentée par Me Jacques TARTANSON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON, substitué par Me Sandrine MOIROUD-BESSE, avocat au barreau d'AVIGNON

Statuant sur appel d'une ordonnance de référé

Ordonnance de clôture rendue le 31 octobre 2022

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 12 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte du 5 décembre 2017 reçu par Me [T] [G], Notaire à Beaumes de Venise (84), la SCI AR Gargamiane, ayant pour gérant M. [D] [K], s'est portée acquéreur de la parcelle cadastrée [Cadastre 16] sur le territoire de la commune d'Aubignan, qui résulte de la division de la parcelle [Cadastre 20], qui a donné naissance à deux nouvelles parcelles cadastrées section [Cadastre 16] et section [Cadastre 18] restant la propriété du vendeur.

Pour accéder à cette parcelle, il n'est nécessaire d'emprunter l'[Adresse 23], qui est une voie privée desservant plusieurs propriétés.

L'assiette de la voie est constituée, d'une part, par la parcelle [Cadastre 15], propriété indivise des riverains et, d'autre part, par une partie de la parcelle [Cadastre 12] appartenant à M. [H] [E] et son épouse, Mme [U] [E], qui est grevée d'une servitude de passage accordant à chaque fonds dominant un droit de passage et de réseaux ainsi que le droit de pose d'un compteur d'eau potable avec regard.

M. [K], que ce soit à titre personnel et en qualité de gérant de la SCI AR Gargamiane, est bénéficiaire d'un permis de construire définitif daté du 16 novembre 2021 sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 16] l'autorisant à procéder à l'édification de deux habitations, avec garage, piscine et terrasse.

Contestant l'existence d'une servitude de passage dimensionnée à la création de deux habitations au profit de la parcelle [Cadastre 20], les époux [GT], propriétaires d'une parcelle voisine cadastrée [Cadastre 17], ont reproché à M. [D] [K] d'empiéter sur leur fonds par le passage d'engins de chantier utilisés pour construire un lotissement sur la parcelle [Cadastre 16].

Considérant ce passage comme une atteinte à leur droit de propriété constitutive d'un trouble manifestement illicite, les époux [GT] et, par ailleurs, les époux [E], ont fait assigner M. [D] [K], puis la SCI Gargamiane, devant le juge des référés afin de faire défense au propriétaire de la parcelle [Cadastre 16], sous astreinte, d'utiliser le passage pour accéder à son terrain, les époux [GT] lui reprochant un empiétement sur leur fond et les époux [E] une aggravation de la servitude grevant leur parcelle du fait du passage d'engins de chantier.

Par ordonnance contradictoire du 6 avril 2022 , le juge des référés du tribunal judiciaire de Carpentras a :

- mis hors de cause M. [D] [K],

- fait défense à la SCI Gargamiane et à toute entreprise mandatée par cette dernière de traverser la parcelle [Cadastre 12] en vue d'accéder au chantier pour la construction de maisons d'habitation située sur la parcelle [Cadastre 16], sous astreinte de 200 € par infraction constatée,

- condamné M. [L] [GT] et Mme [P] [VJ] épouse [GT] et M. [H] [E] et Mme [U] [V] épouse [E] aux dépens exposés par M. [D] [K],

- condamné la SCI Gargamiane aux dépens exposés par M. [L] [GT] et Mme [P] [VJ] épouse [GT] et M. [H] [E] et Mme [U] [V] épouse [E],

- débouté les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 3 mai 2022, la SCI AR Gargamiane a interjeté appel de cette ordonnance, sauf en ce qu'elle a condamné M. [L] [GT], Mme [P] [VJ] épouse [GT], M. [H] [E] et Mme [U] [V] épouse [E] aux dépens exposés par M. [D] [K]. Elle n'a intimé que les époux [E].

Aux termes de ses conclusions notifiées le 29 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, la SCI AR Gargamiane, appelante, demande à la cour, de :

-infirmer la décision querellée en de qu'elle a :

« Fait défense à la SCI Gargamiane ou à toute entreprise mandatée par cette dernière de traverser la parcelle [Cadastre 12] en vue d'accéder au chantier pour la construction de maisons d'habitation situé sur la parcelle [Cadastre 16] sous astreinte de 200 € par infraction constatée,

« Condamné la SCI Gargamiane aux dépens exposés par M. [H] [E] et Mme [U] [V] épouse [E] »

« Débouté les parties de leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. »

-dire et juger que la SCI AR Gargamiane justifie d'un titre administratif autorisant l'édification de son projet de construction de deux maisons,

-dire et juger que la SCI AR Gargamiane justifie d'une servitude conventionnelle de passage sans restriction particulière,

-dire et juger qu'il n'existe pas de trouble manifestement illicite,

-condamner M. [H] [E] et Mme [U] [E] à payer à M. [D] [K] la somme de 1 440 euros en réparation des frais irrépétibles exposés,

- condamner M. [H] [E] et Mme [U] [E] aux entiers dépens,

Au soutien de son appel, la SCI AR Gargamiane affirme que le juge des référés s'est fondé sur 'la mauvaise servitude' tirée de l'acte des époux [E] qui consacre l'existence d'un droit réel et perpétuel repris dans l'acte de propriété de la SCI Gargamiane.

Elle indique en effet bénéficier d'une servitude de passage de 4 mètres sur la parcelle des intimés et affirme qu'il n'existe pas d'usage familial s'agissant d'un droit réel et perpétuel sur la parcelle [Cadastre 12].

Elle fait valoir que les intimés doivent caractériser d'abord une aggravation illicite au regard des stipulations conventionnelles, puis justifier en référé d'éléments tels que l'aggravation des conditions d'usage de la servitude.

Elle soutient que la création de deux logements sur une parcelle n'occasionne pas une aggravation de la servitude s'il n'est pas rapporté la preuve que la servitude était limitée au seul bénéfice des propriétaires des fonds dominants sans possibilité pour eux de diviser leur bien.

L'appelante affirme également que la création de deux maisons sur la parcelle [Cadastre 16] comme la création de places de stationnement sur l'assiette ne sont en rien des changements qui aggravent les conditions prévues d'exercice du droit de passage.

Elle soulève également que lorsque le juge du fond constate une aggravation illicite au regard de la clause portant la servitude, il apprécie souverainement les modalités de réparation du dommage résultant de l'aggravation d'une servitude, et peut ordonner au propriétaire du fonds dominant de faire cesser l'aggravation ou estimer qu'il doit seulement compenser les conséquences de l'aggravation momentanée moyennant une indemnité. Or, cela ne relève pas de la compétence du juge de l'évidence sauf l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Elle rappelle, à ce titre, que ce trouble manifestement illicite doit être suffisamment caractérisé par des éléments de fait.

Les époux [E], en leur qualité d'intimés, par conclusions en date du 12 juillet 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, demandent à la cour, de :

-confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 6 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Carpentras,

-débouter la SCI AR Gargamiane de l'ensemble de ses conclusions, fins et demandes injustement dirigées à leur encontre,

-condamner la SCI AR Gargamiane à verser aux concluants la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ils entendent rappeler, tout d'abord, que les permis de construire sont délivrés sous réserve du droit des tiers et ne peuvent légitimer l'aggravation d'une servitude découlant de la construction de plusieurs habitations ; tel est manifestement le cas en l'espèce sous réserve de la portée de la servitude conventionnelle et, notamment, d'une aggravation manifeste découlant de la construction de deux habitations et de places de parking envisagées par l'appelante, constituant un trouble manifestement illicite.

Ils rappellent également que la convention de servitude telle qu'elle est définie concerne bien un usage familial du passage et non la desserte d' un groupement d'habitations, ainsi qu'une servitude de réseaux limitée là aussi à un usage familial.

Ils expliquent enfin qu'il y a obligation pour chacune des constructions de poser un compteur autonome avec une canalisation autonome ce qui ne peut être fait qu'en bordure de la voie publique sur un domaine privé, et dans le cas d'espèce il n'est autorisé qu'un seul compteur et non pas deux compteurs.

Affirmant que la construction de ces deux habitations entraîne une aggravation de la servitude consentie et méconnaît les termes de la servitude conventionnelle de passage et de réseaux mentionnée dans leur titre de propriété, les intimés sollicitent la confirmation de l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.

La clôture de la procédure est intervenue le 31 octobre 2022 et l'affaire a été appelée à l'audience du 07 novembre 2022 pour être mise en délibéré, par mise à disposition au greffe, au 12 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il y a lieu de préciser que la cour ne statuera pas sur les 'dire et juger' figurant au dispositif des conclusions de l'appelant dans la mesure où ces mentions ne constituent pas des prétentions saisissant la cour.

Aux termes du premier alinéa de l'article 835 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Relevant que la division de la parcelle destinée à la création de deux maisons constitue une atteinte à la définition restrictive de la servitude de passage conventionnelle, le premier juge a retenu l'existence d'une aggravation de cette servitude et a fait défense à la SCI AR Gargamiane de traverser la parcelle [Cadastre 12] pour se rendre sur le chantier entrepris sur la parcelle [Cadastre 16].

Le trouble manifestement illicite peut se définir comme « toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ». L'illicéité résulte de la méconnaissance d'une norme juridique obligatoire dont l'origine est délictuelle ou contractuelle.

Le juge des référés ne dispose pas du pouvoir de statuer sur le fond du droit. Toutefois, le juge des référés peut prendre des dispositions conservatoires ou des mesures de remise en état, si l'une des conditions prévues par l'article 835 du code de procédure civile susvisé est remplie.

Il s'ensuit que, pour qu'il soit fait droit à la demande initiale des intimés, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, la méconnaissance d'un droit ou d'une obligation par la SCI AR Gargamiane qui affecte la servitude de passage d'une aggravation par l'usage qui en ait fait.

En l'espèce, l'existence de la servitude conventionnelle n'est pas contestée par les parties.

La SCI AR Gargamiane se réfère à la définition de la servitude telle qu'elle résulte de l'acte authentique reçu le 5 décembre 2017 par Me [G] aux termes duquel elle a acquis auprès de M [A] [B] un terrain à bâtir non viabilisé cadastré section [Cadastre 16] détaché d'une parcelle de plus grande importance cadastrée section [Cadastre 20].

Cet acte de vente rappelle les termes d'un acte reçu par Me [MH], notaire à [Localité 22], le 12 avril 1988 contenant constitution de servitude littéralement retranscrite :

« M. et Mme [X], comparants de première part, confèrent solidairement entre eux, à Mme [R], comparante de deuxième part, à Mme [Z] comparante de troisième part, et à M. et Mme [B], comparants de quatrième part, qui acceptent respectivement à titre de servitude réelle et perpétuelle , un droit de passage d'une largeur de 4 mètres qui s'exercera tout au long de la limite Est de la parcelle [Cadastre 29] appartenant à M et Mme [X]'et profitera'aux parcelles [Cadastre 25], [Cadastre 5], [Cadastre 13] et [Cadastre 6] appartenant à M et Mme [B].

M et Mme [X] autorisent expressément les propriétaires des parcelles bénéficiaires de la servitude' à poser un compteur d'eau potable avec regard dans le sous-sol de l'assiette du droit passage'

En conséquence, ce droit de passage pourra être exercé en tout temps et à toute heure par Mme [R], Mme [Z], et M. Mme [B], les membres de leur famille, leurs domestiques et employés, puis ultérieurement dans les mêmes conditions par les propriétaires successifs desdites parcelles bénéficiant de ce droit de passage' pour se rendre à celles-ci et en revenir, avec tous véhicules, instruments, machines ou autres choses nécessaires à l'utilisation desdits fonds.

En outre, le droit de passage ci-dessus conféré est également accordé pour toutes canalisations d'eau potable, d'assainissement, lignes aériennes ou souterraines d'électricité et de téléphone et ce dans l'assiette dudit droit de passage ».

Au visa de cet acte, la SCI AR Gargamiane affirme être bénéficiaire d'une servitude réelle et perpétuelle qui n'est nullement limitée dans son usage.

Les intimés opposent quant à eux l'acte reçu le 18 mai 2009 par Me [N], notaire à [Localité 33], aux termes duquel ils ont acquis auprès de M. [I] [X] une maison d'habitation avec terrain attenant le tout étant cadastré section [Cadastre 19].

Cet acte de vente rappelle notamment la servitude grevant le fonds telle qu'elle résulte d'un acte reçu par Me [MH], notaire à [Localité 22], le 23 août 1983, qui a été reprise textuellement par le juge des référés :

« pour permettre à M et Mme [Y] d'accéder à la parcelle de terrain cadastrée [Cadastre 11] et [Cadastre 7] dont ils sont propriétaires ,

Mme [R], M et Mme [W] et M et Mme [X], comparants de première, deuxième et troisième parts, leur concèdent à titre de servitude réelle et perpétuelle le droit de passer sur leurs fonds afin de pouvoir rejoindre la voie publique existant à proximité '

Sur une bande de 4 mètres de largeur 'le long de la limite est de la parcelle [Cadastre 10] et de la limite nord est du n° [Cadastre 29] appartenant à M et Mme [X]'

Le droit de passage ainsi concédé pourra être exercé en tout temps et à toute heure par M et Mme [Y], les membres de leur famille, leurs domestiques et employés, puis ultérieurement dans les mêmes conditions par les propriétaires successifs du fonds dominant'

Mme [R], M et Mme [W] et M et Mme [X] concèdent également à M et Mme [Y] le droit de faire passer sous l'assiette du droit de passage ci-dessus concédé, toutes canalisations d'eau potable, d'assainissement conformes aux normes alors en vigueur et à une profondeur suffisante pour ne pas gêner l'utilisation normale et avec tous véhicules dudit chemin'

Toutefois,  il est ici expressément convenu qu'elle est consentie au profit d'un fonds dominant constituant une unité foncière appartenant à un même propriétaire et que si par suite de la division de cette unité foncière, le fonds dominant ainsi morcelé recevait plusieurs constructions, il en résulterait pour les fonds servants une aggravation de la servitude présentement constitué et celle-ci ne pourrait avoir lieu qu'avec l'accord écrit et préalable des propriétaires desdits fonds servants, lesquels se réservent le droit de réclamer une indemnité aux propriétaires des fonds dominants pour le préjudice qu'ils subiraient par suite de cette aggravation de servitude. Cette indemnité sera fixée à l'amiable, ou à défaut, à dire d'expert choisi d'un commun accord entre les parties ou à défaut encore par les voies judiciaires ».  

La lecture de l'acte de vente opérée par le premier juge s'avère néanmoins partielle puisqu'elle reste taisante sur l'existence d'autres servitudes grevant le fonds servant et consacrés par des actes notariés.

En effet, l'acte de vente, dont se prévalent les époux [E], se réfère également à l'acte reçu par Me [MH], notaire à Beaumes de Venise, le 12 avril 1988 contenant constitution de servitude telle qu'elle est reprise par la SCI AR Gargamiane dans ses écritures.

Plus précisément, il résulte de l'acte de vente daté du 18 mai 2009 que le fonds acquis par les époux [E] cadastré [Cadastre 9] auprès de M [X] (parcelle originairement cadastrée section [Cadastre 14] laquelle a été divisée en deux nouvelles parcelles cadastrées section [Cadastre 9] et [Cadastre 3]), supporte diverses servitudes :

- au profit de la parcelle [Cadastre 11] et [Cadastre 7] (M et Mme [Y]) : un droit de passage de 4 mètres de large le long de la limite est de la parcelle [Cadastre 14] ;

- au profit des parcelles [Cadastre 30] (Mme [R]), [Cadastre 28] et [Cadastre 1] ( Mme [Z]), [Cadastre 31], [Cadastre 5], [Cadastre 13] et [Cadastre 6] (M et Mme [B]) : un droit de passage d'une largeur de 4 mètres le long de la limite est de la parcelle [Cadastre 24] ;

- au profit des parcelles [Cadastre 27] et [Cadastre 2] (M et Mme [M]/[S]) : droit de passage d'une largeur de 4 mètres tout le long de la limite Est de la parcelle [Cadastre 24] ;

- au profit de la parcelle [Cadastre 26] (M et Mme [C]) : droit de passage d'une largeur de 4 mètres tout le long de la limite Est de la parcelle [Cadastre 24] ;

- au profit de la parcelle [Cadastre 32] (Mme [F]) : droit de passage d'une largeur de 4 mètres tout le long de la limite Est de la parcelle [Cadastre 24].

Il est enfin précisé dans l'acte de vente reçu le 18 mai 2009 que, par suite de la division constatée du fonds servant cadastré [Cadastre 29], seul le numéro [Cadastre 9] attribué à M [X] est grevé des servitudes susvisées. Il s'ensuit que ces dernières affectent aujourd'hui le fonds acquis par M et Mme [E].

Dans le cadre du présent litige, la SCI AR Gargamiane est propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 16] issue de la division de la parcelle cadastrée section [Cadastre 20], qui elle-même était anciennement cadastrée section [Cadastre 13].

Dès lors, la parcelle cadastrée [Cadastre 16] bénéfice sur le fonds servant cadastré [Cadastre 12], propriété des époux [E], d'une servitude réelle et perpétuelle reconnue par l'acte notarié reçu par Me [MH], notaire à [Localité 22], le 12 avril 1988.

Il s'ensuit que le juge des référés a commis une confusion en faisant application dans l'ordonnance déférée de l'acte reçu par Me [MH], notaire à [Localité 22], le 23 août 1983 contenant constitution de servitude au profit des époux [Y] et des parcelles cadastrées [Cadastre 11] et [Cadastre 7].

Il en résulte que le juge des référés ne pouvait constater une aggravation de la servitude consentie en se référant à une définition restrictive de la servitude de passage par l'acte reçu par Me [MH], notaire à [Localité 22], le 23 août 1983, ainsi rédigée :

«Il est ici expressément convenu qu'elle est consentie au profit d'un fonds dominant constituant une unité foncière appartenant à un même propriétaire et que si par suite de la division de cette unité foncière, le fonds dominant ainsi morcelé recevait plusieurs constructions, il en résulterait pour les fonds servants une aggravation de la servitude présentement constituée et celle-ci ne pourrait avoir lieu qu'avec l'accord écrit et préalable des propriétaires desdits fonds servants, lesquels se réservent le droit de réclamer une indemnité aux propriétaires des fonds dominants pour le préjudice qu'ils subiraient par suite de cette aggravation de servitude. Cette indemnité sera fixée à l'amiable, ou à défaut, à dire d'expert choisi d'un commun accord entre les parties ou à défaut encore par les voies judiciaires ».

Il convient dès lors d'examiner l'étendue des droits de la SCI AR Gargamiane au visa de l'acte notarié reçu par Me [MH], notaire à Beaumes de Venise, le 12 avril 1988.

L'article 700 du code civil dispose que si l'héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti ne soit aggravée. Ainsi, par exemple, s'il s'agit d'un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l'exercer par le même endroit.

L'article 700 consacre le principe de l'indivisibilité lequel a pour effet de permettre à chaque parcelle issue de la division d'un fonds dominant de bénéficier du droit de passage sur le fonds servant dès lors que la servitude revendiquée n'aboutit pas à une aggravation de la servitude grevant le fonds servant.

L'étendue des droits résultant de l'existence d'une servitude au profit d'un fonds est fonction du fait générateur de celle-ci. Ainsi, lorsqu'elle résulte d'un titre, c'est celui-ci qui en trace les limites.

Les époux [E] considèrent que l'aggravation de la servitude résulte de la division parcellaire du fonds dominant et de la construction sur ledit fonds de deux maisons ainsi que 12 places de parking.

En l'espèce, l'appelante est bénéficiaire d'un permis de construire accordé le 16 novembre 2021 prévoyant la construction de deux maisons individuelles avec garages, terrasses et piscines d'une surface de plancher de 299 m². Il n'est nullement fait mention de la création de 12 places de parking comme indiqué par les intimés, chaque habitation disposant d'un double stationnement avec plusieurs options.

La servitude revendiquée par la SCI Gargamiane qui résulte de l'acte reçu par Me [MH], notaire à Beaumes de Venise, le 12 avril 1988, est définie de la manière suivante :

«  M. et Mme [X], comparants de première part, confèrent solidairement entre eux, à Mme [R], comparante de deuxième part, à Mme [Z] comparante de troisième part, et à M. et Mme [B], comparants de quatrième part, qui acceptent respectivement à titre de servitude réelle et perpétuelle , un droit de passage d'une largeur de 4 mètres qui s'exercera tout au long de la limite Est de la parcelle [Cadastre 29] appartenant à M et Mme [X]'

M et Mme [X] autorisent expressément les propriétaires des parcelles bénéficiaires de la servitude' à poser un compteur d'eau potable avec regard dans le sous-sol de l'assiette du droit passage'

En conséquence, ce droit de passage pourra être exercé en tout temps et à toute heure par Mme [R], Mme [Z], et M.Mme [B], les membres de leur famille, leurs domestiques et employés, puis ultérieurement dans les mêmes conditions par les propriétaires successifs desdites parcelles bénéficiant de ce droit de passage' pour se rendre à celles-ci et en revenir, avec tous véhicules, instruments, machines ou autres choses nécessaires à l'utilisation desdits fonds ».

Il est donc fait état d'une servitude réelle et perpétuelle sans précision de restrictions particulières. Il n'est fait ainsi aucune mention quant à un usage familial du passage ou à une division future des parcelles bénéficiaires du droit de passage, contrairement à la servitude bénéficiant aux fonds cadastrés [Cadastre 11] et [Cadastre 7].

La servitude est rattachée à un fonds et n'est pas conditionnée à l'existence d'une seule habitation. La circulation de machines ou autres engins nécessaires à l'utilisation du fonds dominant a également été prévue à l'acte.

Enfin, il n'est pas justifié d'une modification de l'assiette de ladite servitude.

Il convient, en conséquence, de constater, avec l'évidence que requiert la procédure de référé, que la caractérisation d'un trouble manifestement illicite n'est pas rapportée par les époux [E].

Dès lors, faute pour les intimés de démontrer l'existence d'un trouble manifestement illicite, la décision déférée sera infirmée de ce chef. Il sera dit n'y avoir lieu à référé.

Les époux [E] succombent dans le soutien de leurs prétentions. Ils seront donc condamnés aux dépens de première instance et d'appel. Il sera mis à leur charge le paiement d'une somme de 1 440 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en référés et en dernier ressort,

Dans la limite de la saisine de la cour,

Infirme l'ordonnance de référé rendue le 6 avril 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Carpentras en ce qu'elle :

-a fait défense à la SCI Gargamiane et à toute entreprise mandatée par cette dernière de traverser la parcelle [Cadastre 12] en vue d'accéder au chantier pour la construction de maisons d'habitation située sur la parcelle [Cadastre 16], sous astreinte de 200 € par infraction constatée, et

-condamné la SCI Gargamiane aux dépens exposés par M. [H] [E] et Mme [U] [V] épouse [E],

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à référé,

Condamne M. [H] [E] et Mme [U] [V] épouse [E] à payer à la SCI AR Gargamiane la somme de 1 440 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [H] [E] et Mme [U] [V] épouse [E] aux dépens supportés par la SCI Gargamiane en première instance ainsi qu'aux dépens d'appel.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 2ème chambre section b
Numéro d'arrêt : 22/01560
Date de la décision : 12/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-12;22.01560 ?
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