ARRÊT N°
N° RG 19/01685 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HKTD
CG
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PRIVAS
24 janvier 2019 RG :17/02980
S.C.I. TERRA AGREA
C/
S.A. CNP ASSURANCES
Grosse délivrée
le
à SCP Delran Sergent
Me Darnoux
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section A
ARRÊT DU 25 AOUT 2022
APPELANTE :
SCI TERRA AGREA immatriculée au RCS d'Aubenas sous le n° 537 672 016, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés ès qualités audit siège social
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SCP DELRAN-BARGETON DYENS-SERGENT- ALCALDE, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Gilles RIGOULOT de la SELARL HELIOS, Plaidant, avocat au barreau de VALENCE
INTIMÉE :
S.A. CNP ASSURANCES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Roland DARNOUX de la SELAFA AVOCAJURIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'ARDECHE
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 28 Avril 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Catherine Ginoux, conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Agnès Michel, présidente de chambre
Mme Catherine Ginoux, conseillère
Madame Laure Mallet, conseillère
GREFFIER :
Mme Véronique Laurent-Vical, greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l'audience publique du 09 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Juillet 2022 prorogé à ce jour
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Agnès Michel, présidente de chambre, et Mme Véronique Laurent-Vical, greffière, le 25 août 2022, par mise à disposition au greffe de la cour
Exposé du litige :
La SCI Terra Agrea, dont l'objet social est la location de terrains et de biens immobiliers, a sollicité un concours bancaire auprès du Crédit Agricole Sud Rhone-Alpes (la banque) afin de financer un projet de promotion immobilière. Suivant acte authentique reçu le 16 juin 2014, la banque lui a consenti une ouverture de crédit de 1.400.000 €, moyennant une garantie hypothécaire et le cautionnement des co-gérants - M. [S] [D] et M. [G] [V]-.
Le 3 décembre 2014, M. [S] [D] a souscrit une assurance groupe proposée par la banque auprès de CNP Assurances, couvrant notamment les risques liés au déces.
Le 3 juillet 2016, M. [D] s'est suicidé.
Le 7 mars 2017, le groupe CNP assurances a indiqué que sa garantie ne pouvait jouer que pour les seules sommes libérées et utilisées, soit 277.843,19 € .
Par acte d'huissier signifié le 1er décembre 2017, la SCI Terra Agrea et M. [V] contestant ce refus, ont fait assigner l'assureur et la banque.
Par jugement rendu le 24 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Privas a :
- déclaré irrecevables les demandes dirigées à l'encontre du Crédit Agricole Sud Rhone Alpes
- débouté la SCI Terra Agrea et M. [V] de leurs demandes
- les a condamnés aux dépens.
Par déclaration enregistrée le 24 avril 2019, la SCI Terra Agrea a interjeté appel.
Par arrêts rendus les 21 janvier et 14 octobre 2021, la cour de céans a successivement ordonné la réouverture des débats pour d'une part production de tous les relevés bancaires du compte concerné par l'ouverture de crédit, couvrant la période de mai 2014 à juillet 2016 et d'autre part pour permettre à la SCI Agrea de justifier de sa qualité à agir.
Suivant conclusions notifiées le 28 avril 2022, la SCI Terra Agrea demande à la cour de :
- réformer le jugement
-, condamner le groupe CNP assurances à lui verser :
à titre principal la somme de 1.122.156,78 €, outre la somme de 34.234,12 € représentant les intérêts échus au 3 juillet 2016
- les intérêts postérieurs : pm
- subsidiairement la somme de 1.027.702,70€ représentant le solde débiteur à la date du décés
- en toutes hypothèses, la somme de 325.198,34€, au titre du manque à gagner sur les ventes réalisées en 2016 et 2017 ainsi que celle de 5.000€ au titre des frais irrépétibles
L'appelante soutient que le groupe CNP assurances devait sa garantie à hauteur de 1.027.702,70€, correspondant au montant du débit porté au compte à la date du décès de M. [D]. Elle prétend que la somme garantie au titre du risque décès est l'encours au jour de l'adhésion, soit la somme prêtée. Elle fait valoir que le montant des primes est calculé sur la somme de 1.400.000€. Elle affirme que le refus de prise en charge du solde du prêt lui a causé un préjudice dans la mesure où à la date du décès, le projet n'était pas terminé et qu'elle a dû faire face avec le gérant au réglement des échéances de prêt, ce qui l'a conduit à vendre les derniers appartements à un prix en dessous du marché afin de se procurer de la trésorerie.
Suivant conclusions notifiées le 26 avril 2022, le groupe CNP assurances demande à la cour de :
- confirmer le jugement
- débouter la SCI Terra Agrea et M. [V] de leurs demandes
- les condamner à lui verser la somme de 2.500€ au titre des frais irrépétibles
L'intimée soutient qu'elle ne peut être tenue de prendre en charge les concours bancaires dont le fait générateur est antérieur à la prise d'effet des garanties, de sorte qu'elle était en droit d'indemniser le Crédit Agricole seulement pour les fonds utilisés entre le 3 décembre 2014 , date d'effet de la garantie et le 4 juillet 2016, date du dénouement par le décès de M. [D], soit la somme de 277.843,29 € qu'elle a déjà versée.
S'agissant du préjudice économique invoqué, elle estime que la baisse du prix de vente des appartements n'est pas lié à la nécessité d'obtenir des fonds suite à l'absence d'indemnisation par l'assurance, mais au contexte du marché immobilier.
La clôture de la procédure a été fixée au 28 avril 2022
Motifs de la décision :
Sur la garantie de la SA CNP Assurances :
Selon l'acte authentique reçu le 16 juin 2014 par Me [U] [Z] notaire à [Localité 5], la banque a consenti à la SCI 'Terra Agrea', représentée par ses deux gérants - M. [D] et M. [V]-, une ouverture de crédit d'un montant de 1.400.000€ , remboursable en deux ans ce délai de remboursement ayant été prorogé à deux reprises , de sorte qu'à la date du décès de M. [D], le prêt était toujours en cours.
En outre, l'acte authentique mentionne l'existence de la caution solidaire des deux gérants.
Le 3 décembre 2014, la CNP informée par la banque du déblocage des fonds du prêt (dont les références sont celles de l'ouverture de crédit) , a fait parvenir à M. [D] les conditions particulières d'assurances, puis le 19 décembre 2014 un bulletin d'adhésion prévoyant une prime mensuelle de 1.236,67 € garantissant le risque décès du contrat de prêt consenti par le Crédit Agricole .
Dans ce contexte et compte tenu de cette chronologie des faits, même si ces documents n'indiquent pas le nom de l'emprunteur principal , la SCI Agrea, il importe de relever que sur ces deux documents sont à nouveau portées les références du prêt de la SCI Terra Agrea, de sorte qu'il est évident que la garantie d'assurance souscrite par M. [D] d'un montant de 1.400.000€, identique au quantum de l'ouverture de crédit consenti par la banque à la SCI Terra Agrea, couvrait le dit prêt.
Dès lors que d'une part , le dècés de M. [D] par suicide est survenu plus d'un an après la souscription de l'assurance et que d'autre part le prêt garanti était toujours en cours au moment du décès de M. [D] du fait des prorogations accordées par la banque , la CNP Assurances doit sa garantie.
Sur le montant de la garantie due par la SA CNP Assurances :
Les conditions générales du contrat groupe souscrit par M. [D] prévoient en page 4 qu'en cas de décès de l'assuré avant son 80ème anniversaire , l'assureur verse en fonction de la quotité assurée, la prestation suivante ...
le capital restant dû figurant au tableau d'amortissement, après l'échéance précédant immédiatement la date du décès et les intérêts courus depuis cette dernière échéance et jusqu'au jour du décès.
Ainsi, les conditions générales n'envisagent pas l'hypothèse où le prêt consenti est une ouverture de crédit .
Or, l'ouverture de crédit qui constitue une promesse de prêt, donne naissance à un prêt à concurrence des fonds utilisés par le client.
Il s'en déduit que la compagnie d'assurances doit sa garantie à hauteur de la totalité du capital utilisé lors du décès de M. [D] .
Le contrat d'assurance ayant pris effet le 3 décembre 2014, il convient de déterminer mois par mois, les fonds utilisés par la SCI Agréa , à compter de cette date et jusqu'au 4 juillet 2016, date de dénouement du contrat, par la survenance du décès de M. [D].
Pour y parvenir, il sera pris en compte le total des opérations apparaissant chaque mois au débit des relevés bancaires produits dans le cadre de la réouverture des débats, après avoir déduit les éventuelles recettes enregistrées au crédit.
Mois
Débit
Crédit
Fonds utilisés
4 au 31 Décembre 2014
109.493,16
230.000
0
Janvier 2015
189.038,84
0
189.038,84
février 2015
82.356,05
0
82.356,05
mars 2015
263.254,67
0
263.254,67
avril 2015
162.942,78
118.500
44.442,78
mai 2015
79.523,96
60.750
18.773,96
juin 2015
185.819,35
311.200
0
juillet 2015
223.320,03
19.700
203.620,03
août 2015
15.304,08
152.250
0
septembre 2015
38.307,51
10.200
28.107,50
octobre 2015
43.338,01
0
43.338,01
novembre 2015
15843,07
156.200
0
Décembre 2015
20.762,07
0
20.762,07
Janvier 2016
6.774,13
0
6.774,13
février 2016
11.347,11
0
11.347,11
mars 2016
76.636,78
8.000
68.636,78
avril 2016
38.949,46
250.000
0
mai 2016
25.770,37
0
25.770,37
juin 2016
1.761,67
0
1.761,67
du 1er au 4 juillet 2016
1.236,67
0
1.236,67
total
997.873,53
La CNP assurance garantissant M. [D] dans la quotité de 100 % des fonds utilisés entre la date de souscription de l'assurance et la date de son décès, est redevable d'une indemnité de 997.873,53 €, en application des stipulations contractuelles.
Or, elle n'a versé que la somme de 277.843,29 € , de sorte qu'elle doit être condamnée à verser la somme de 720.030,24 € (997.873,53 € - 277.843,29 € ).
Le bénéficiaire désigné dans les conditions particulières du contrat d'assurance est le crédit Agricole, 'en cas de sinistre, le prêteur sera bénéficiaire des prestations versées'.
Toutefois, les dispositions de l'article 1251, 3° du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, prévoient que la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt à l'acquitter.
Ainsi, celui qui acquitte une dette qui lui est personnelle peut prétendre bénéficier de la subrogation s'il a, par son paiement, libéré, ceux sur qui doit peser la charge définitive de la dette.
La sci Terra Agrae qui était débitrice à l'égard de la banque Crédit Agricole du remboursement de l'ouverture de crédit, justifie, par la production d'une attestation de la banque, indiquant qu'elle 'n'a plus de dette à l'égard du Crédit Agricole' qu'elle a acquitté sa dette à l'égard du Crédit Agricole, ce paiement ayant libéré la CNP Assurances qui devait en exécution de la garantie du contrat d'assurance déces, prendre en charge les remboursements du prêt.
Il y a donc lieu de condamner la CNP Assurances à payer à la SCI Terra Agrae la somme de 720.030,24 € au titre du solde de l'assurance décès.
Il n'y a pas lieu de majorer cette somme des intérêts débiteurs payés par la SCI Terra Agrae, aucune clause contractuelle ne le prévoyant.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a débouté la SCI Agréa de sa demande de complément d'indemnité.
Sur les dommages et intérêts pour manque à gagner
La SCI Terra Agrea prétend qu'en raison du refus partiel de l'assurance de prendre en charge l'indemnité d'assurance lui revenant, elle a été contrainte de céder les appartements disponibles à un prix du mètre carré bien inférieur à la valeur marchande des biens et ce afin de faire face aux difficultés de trésorerie.
Toutefois, la décision prise par une société de promotion de procéder à la baisse des prix de vente des appartements peut être due à la conjoncture immobilière ou à des stratégies de gestion .
Or, la sci Terra Agrea ne démontre pas que la baisse de prix des appartements vendus postérieurement au déces de M. [D] trouve son origine dans des difficultés de trésorie liées à l'insuffisance de l'indemnité versée par la CNP Assurances
Ainsi, en l'absence de lien de causalité établi entre d'une part la position de refus partiel de prise en charge par la CNP Assurances et d'autre part la baisse des prix des lots vendus, la SCI Terra Agréa sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts
Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La CNP Assurances sera condamnée à payer à la sci Terra Agrea la somme de 3.000€ à titre de dommages et intérêts au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'instance (1ère instance et appel)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Statuant dans les limites de sa saisine
Infirme le jugement déféré
Statuant à nouveau
Condamne la SA Le Groupe CNP Assurances à payer à la sci Terra Agrea la somme de 720.030,24 € au titre du solde de l'indemnité d'assurance
Déboute la SCI Terra Agrea de ses autres demandes
Condamne la SA Le Groupe CNP Assurances à payer à la sci Terra Agrea la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la SA le Groupe CNP Assurances aux dépens de première instance et d'appel
Arrêt signé par la présidente de chambre et par la greffière.
La greffière, La présidente,