ARRÊT N°
N° RG 21/01328 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H76J
CG
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D'AVIGNON
02 mars 2021 RG :19/03540
[J]
[A]
C/
[S]
Grosse délivrée
le
à Me Debuiche
Selarl Mazarian
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section A
ARRÊT DU 30 juin 2022
APPELANTS :
Monsieur [O] [J]
né le 17 Août 1961 à DJIBOUTI
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Grégoire LADOUARI de l'AARPI MCL AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
Représenté par Me Jodie DEBUICHE, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [D], [Z] [A] épouse [J]
née le 24 Août 1963 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Grégoire LADOUARI de l'AARPI MCL AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
Représentée par Me Jodie DEBUICHE, Plaidant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉ :
Monsieur [P] [S]
né le 30 Avril 1948 à Teboursouk (Tunisie)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Christian MAZARIAN de la SELARL MAZARIAN-ROURA-PAOLINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'AVIGNON
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 24 Février 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Catherine Ginoux, conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Agnès Michel, présidente de chambre
Mme Catherine Ginoux, conseillère
Madame Laure Mallet, conseillère
GREFFIER :
Mme Véronique Laurent-Vical, greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l'audience publique du 14 mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 mai 2022 prorogé à ce jour
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Agnès Michel, présidente de chambre, et Mme Véronique Laurent-Vical, greffière, le 30 juin 2022, par mise à disposition au greffe de la cour
Expose du litige
M. [P] [S] est propriétaire depuis le 8 décembre 2017 d'une maison d'habitation avec cour située à [Localité 7] (Vaucluse), [Adresse 8], contigüe à celle de M. [O] [J] et Mme [D] [A] épouse [J] (les époux [J]), que ces derniers ont acquise suivant acte notarié en date du 2 septembre 1998.
Se plaignant de ce que les époux [J] avaient transformé en vue l'ouverture à jour dormant de leur maison donnant sur sa cour, par acte d'huissier en date du 7 décembre 2019 M. [P] [S] a fait assigner les époux [J] aux fins de remise en état du jour de souffrance et paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.
Suivant jugement rendu le 2 mars 2021, le tribunal judiciaire d'Avignon a :
- condamné les époux [J] solidairement :
* à remettre dans son état ante l'ouverture créée c'est à dire sous forme de : « Jour de souffrance avec châssis fixes, verre translucide et maillage en treillis de fer » et ce sous astreinte de 50 euros/jour de retard passé le délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision pendant une durée de deux mois,
* à payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- débouté, les époux [J] de leurs demandes, fins et conclusions,
- les a condamnés à payer à M. [S] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration enregistrée le 1er avril 2021, M. et Mme [J] ont interjeté appel.
Suivant conclusions notifiées le 16 février 2022, les époux [J] demandent à la cour :
à titre principal,
- d'infirmer le jugement du 2 mars 2021 dans tous ses chefs
- condamner M. [S] à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 1241 du code civil au motif du caractère abusif de la procédure,
- condamner M. [S] à payer une somme de 2 000 euros à M. [O] [J] au titre des frais irrépétibles
- condamner M. [S] aux entiers dépens de l'instance ce compris les frais d'expertise engagés par les époux [J] à hauteur de 508,10 euros.
Les appelants soutiennent que M. [S] est dépourvu d'intérêt pour agir, subsidiairement qu'il est infondé en ses demandes. Se prévalant des témoignages des personnes ayant occupé leur immeuble, ils prétendent que l'ouverture litigieuse présente les mêmes caractéristiques depuis plus de trente ans et qu'ainsi, ils doivent bénéficier de la prescription acquisitive.
Suivant conclusions notifiées le 18 février 2022, M. [S] demande à la cour de :
à titre principal,
- dire et arrêter que les époux [J] n'ont pas de droit à agir en cause d'appel
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 2 mars 2021,
y ajoutant,
- porter l'astreinte à 100 euros/jour,
- condamner les époux [J] à l'indemniser par l'allocation de la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- les condamner aux entiers dépens et à payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
L'intimé soutient que du fait de la vente de leur bien à Mme [U], les époux [J] sont dépourvus du droit d'agir, s'agissant d'une procédure ayant pour objet la reconnaissance d'un droit réel sur un bien : une servitude de vue qui ne leur appartient plus. Il prétend qu'au moment de son acquisition, la fenêtre litigieuse était équipée de grillages et de verre dormant et qu'en la transformant en fenêtre ouvrante en verre clair et ce pendant son absence, les époux [J] ont violé les règles de distance quant à la création de vues sur le fonds d'autrui.
La clôture de la procédure a été fixée au 24 février 2022.
Motifs de la décision
Sur le droit d'agir des époux [J]
Les époux [J] entendent soumettre à la cour les chefs du jugement déféré qu'ils critiquent, les ayant notamment condamnés à équiper de verre dormant l'ouverture de leur maison donnant sur la cour du fonds de M. [S] et à payer des dommages et intérêts.
Les époux [J] ont été condamnés à une obligation de faire, qui revêt un caractère personnel.
Ils ont donc le droit d'agir en appel pour contester le jugement à cet égard, et de développer à l'appui de leur contestation, tous les arguments et moyens dont ils disposent.
Il y a donc lieu par voie de conséquence d'écarter le moyen soulevé par l'intimé déniant aux appelants le droit d'agir en cause d'appel.
Sur la suppression de la vue créée par l'ouverture
Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, l'ouverture en cause dans sa configuration actuelle donne directement sur la propriété de M. [S], qu'elle surplombe, de sorte qu'elle ne respecte pas la distance légale de 1,90 mètres séparant la vue de la propriété de M. [S].
La vue créée est donc illégale, sauf à démontrer que cette situation existe depuis plus de trente ans.
Il appartient aux époux [J] qui invoquent la prescription trentenaire d'établir, conformément aux exigences de l'article 2261 du code civil, l'existence d'une possession continue, paisible, publique, non équivoque pendant plus de trente années.
Ils produisent les témoignages des époux [W], dont les parents étaient les anciens propriétaires du bien acquis en 1980, et qui ont eux-mêmes occupé les lieux depuis 1988 dans le cadre de leur activité professsionnelle et qui attestent avoir occupé à l'instar de leurs parents l'immeuble comme bureaux, éclairés par une fenêtre à simple vantail, vitre claire avec barreaudage extérieur métallique ouvrant sur la cour aborée de nos voisins du [Adresse 3] ..jusqu'en 1998, date à laquelle mes parents ont vendu ce bien immobilier à M. et Mme [J]..., nous n'avons également pas réalisé de remplacements de menuiseries ni de vitrage.
L'état de l'ouverture dans ses caractéristiques actuelles de fenêtre ouvrante à vitrage clair est confirmé par les locataires successifs de l'immeuble depuis 2004, (Mme [E], Mme[M] et les époux [N]).
Par ailleurs, il résulte de l'expertise réalisée le 8 avril 2021 à l'initiative des époux [J] par Mme [B] [G] expert judiciaire :
- que la menuiserie de la fenêtre litigieuse à un vantail date des années 1970 et que l'on ne trouve plus sur le marché ce type de menuiserie depuis de nombreuses années
- que les tableaux de la menuiserie ne portent pas de trace de rénovation récente.
Ces constatations corroborent les témoignages concordants des personnes qui ont connu et habité les lieux au cours des trente dernières années et qui attestent de l'existence ancienne et non modifiée d'une fenêtre ouvrante à un vantail donnant sur la cour du fonds appartenant aujourd'hui à M. [S].
L'ensemble de ces éléments ne peut être contredit ni par les photos qui ne révèlent pas une quelconque modification de l'ouverture, ni par les témoignages de deux personnes ayant visité le fonds de M. [S], M. [I], voisin mentionnant que l'ouverture litigieuse possédait un vitrage opaque recouvert d'un grillage en fil de fer, l'agent immobilier (M. [V], de l'agence Janssens) ayant prêté son concours à la transaction évoquant 'un jour de souffrance'.
En effet, la perception des lieux par ces personnes qui ont vu la fenêtre litigieuse à partir de la propriété de M. [S], ce qui implique une certaine distance, a pu être altérée par la présence d'une ancienne grille de défense, d'un garde corps à mailles relativement serrées plongeant en dessous de l'ouverture de la fenêtre équipant l'ouverture et de la moustiquaire mise en place par la dernière locataire des lieux, ces détails étant susceptibles de créer l'illusion optique d'un jour de souffrance.
Mme [M] ayant occupé l'immeuble [J] en qualité de locataire de juillet 2015 à août 2017 soit juste avant que M. [S] procède à l'acquisition de son immeuble, atteste la pièce principale située au premier étage était éclairée par deux fenêtres : une grande fenêtre deux vantaux, vitres claire donnant sur la placette et une fenêtre plus petite, un vantail vitre claire ouvrant sur la cour de la maison située au [Adresse 3]. Afin de pouvoir laisser ouverte cette petite fenêtre, j'avais fixé une toile moustiquaire sur la grille et le garde-corps métallique avec des liens. Cette simple protection empêchait mon chat de sauter dans l'arbre et de descendre dans la cour du 3 bis. Lors de la restitution de l'appartement, je n'ai pas retiré la toile moustiquaire.
Ainsi, les époux [J] rapportent la preuve que l'ouverture dans son état actuel existe depuis plus de trente ans, de sorte que la demande de M. [S] se heurte à la prescription acquisitive.
Il y a donc lieu de débouter M. [S] de sa demande visant à supprimer la vue de la fenêtre de l'immeuble donnant sur sa cour et d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné les époux [J] à remettre dans son état ante l'ouverture créée c'est à dire sous forme de : « Jour de souffrance avec châssis fixes, verre translucide et maillage en treillis de fer » et ce sous astreinte de 50 euros/jour de retard passé le délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision pendant une durée de deux mois.
Sur les dommages et intérêts
M. [S] qui succombe dans ses prétentions, n'est pas fondé à obtenir des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par ailleurs, l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière de droit.
Or, les époux [J] ne démontrent pas que les conditions sont remplies en l'espèce, de sorte qu'il y a lieu de débouter les époux [J] de leur demande de ce chef.
Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
M. [S] qui succombe sera condamné à verser aux époux [J] la somme de 3.500€ pour l'ensemble de la procédure (1ère instance et appel) et aux dépens de l'instance (1ère instance et appel).
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau
Ecartant le moyen tiré de l'absence du droit d'agir des appelants
Déboute M. [P] [S] de l'ensemble de ses demandes
Déboute M. [O] [J] et Mme [D] [A] épouse [J] de leur demande de dommages et intérêts
Condamne M. [P] [S] à payer à M. [O] [J] et Mme [D] [A] épouse [J], la somme de 3.500€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne M. [P] [S] aux dépens de l'instance.
Arrêt signé par la présidente de chambre et par la greffière,
la greffière, la présidente,