ARRÊT N°
N° RG 21/01673 -
N° Portalis DBVH-V-B7F-IA2V
MPF - NR
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES
26 mars 2021
RG :19/01488
S.A. LEROY MERLIN FRANCE
C/
[P]
Grosse délivrée
le 16/06/2022
à Me Séverine MOULIS
à Me Charles FONTAINE
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 16 JUIN 2022
APPELANTE :
INTIMÉE à titre incident:
S.A. LEROY MERLIN FRANCE
La S.A. LEROY MERLIN France, S.A. à Conseil d'Administration, inscrite au R.C.S. DE LILLE METROPOLE sous le n°B 384 560 942, dont le siège social est [Adresse 4], prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration en exercice domicilié es-qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe SIMONEAU de la SELARL ADEKWA - SOCIÉTÉ D'AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LILLE
Représentée par Me Séverine MOULIS, Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉ :
APPELANT à titre incident :
Monsieur [E] [P]
né le 09 Février 1957 à COPENHAGUE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Charles FONTAINE de la SCP FONTAINE ET FLOUTIER ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère
Mme Séverine LEGER, Conseillère
GREFFIER :
Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
À l'audience publique du 05 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 Juin 2022,
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 16 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DU LITIGE :
Le 3 avril 2018, [E] [P] a commandé auprès de la société Leroy Merlin deux baies vitrées coulissantes sur mesure selon bon de commande N°644113 avec une date de livraison prévue au 19 juin 2018.
Par courrier du 21 juin 2018, l'acheteur a mis en demeure le vendeur de procéder à la livraison du bien. La société l'a informé de l'impossibilité de fabriquer les baies vitrées commandées et le client a alors accepté la livraison de deux baies coulissantes de substitution à la date du 28 septembre 2018.
Par acte du 27 mars 2019, [E] [P] a assigné la société Leroy Merlin devant le tribunal de grande instance de Nîmes en indemnisation du préjudice financier subi à la suite du défaut de livraison des marchandises initialement commandées, lequel lui avait imposé de réaliser des travaux urgents et l'avait empêché de louer le bien pour la période estivale de 2018.
Par jugement contradictoire du 26 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nîmes a déclaré la SA Leroy Merlin France responsable des préjudices occasionnés à M. [P] et l'a condamnée à payer :
- 3 955 euros au titre des frais de fermeture provisoire et de mise en sécurité du logement,
- 1 480 euros au titre des frais d'arrêt du chantier,
- 9 000 euros en réparation du préjudice de jouissance,
Par déclaration du 27 avril 2021, la société Leroy Merlin a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 28 octobre 2021, l'appelante demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement et, statuant à nouveau :
- déclarer le contrat de vente n° 644113 nul pour cause d'erreur ou à défaut caduc compte tenu de la disparition d'une condition essentielle du contrat,
- débouter en conséquence M. [P] de l'intégralité de ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de la procédure abusive et vexatoire,
- condamner M. [P] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de première instance outre les entiers frais et dépens,
Y ajoutant,
- le condamner à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel.
L'appelante fait valoir que le premier contrat de vente n° 644113 est nul pour cause d'erreur ayant vicié son consentement ou, à défaut, caduc, compte tenu de l'impossibilité d'obtenir de la part de ses fournisseurs des baies coulissantes dans les dimensions sollicitées par le client lequel a commis une erreur à l'origine de la commande en raison du caractère hors norme des dimensions souhaitées lesquelles étaient une caractéristique essentielle du contrat. N'étant intervenue qu'en tant que vendeur intermédiaire, la société Leroy Merlin conteste avoir commis la moindre faute dès lors qu'au regard de la nullité ou de la caducité du contrat, elle n'était pas tenue par le délai de raison des menuiseries et qu'elle a réalisé toutes le dilligences utiles et exécuté le nouveau contrat de vente n° 658582 dans les délais. Elle considère par ailleurs que M. [P] est irrecevable et mal fondé à solliciter la réparation de préjudices non prévisibles pour sa contractante en application des dispositions de l'article 1231-3 du code civil et qu'il est de surcroît défaillant dans la démonstration de la preuve de l'existence de ses préjudices, ni même d'un lien de causalité entre ses préjudices et le prétendu retard de livraison.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 4 août 2021, l'intimé demande à la cour de confirmer le jugement sauf sur son préjudice de jouissance : il sollicite à ce titre :
- 12 600 euros à titre de compensation financière liée à l'impossibilité de location saisonnière du 1er juillet au 18 août 2018 soit 7 semaines ;
- 3 710 euros à titre de compensation financière liée à l'impossibilité de location saisonnière sur la période hors location saisonnière (53 jours x 70 euros), somme à parfaire au jour du prononcé de la décision,
Il réclame en outre la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
[E] [P] estime que le vendeur a manqué à ses obligations telles que prévues à l'article L.11-1 et L.216-1 du code de la consommation et que sa responsabilité contractuelle est engagée : conformément à l'article 1611 du code civil, la société doit être condamnée à l'indemniser des préjudices subis en raison du défaut de livraison aux termes convenus sans que la livraison de baies vitrées de substitution ne soit de nature à entrainer la nullité ou la caducité du contrat litigieux. La société devra être selon lui condamnée à indemniser son préjudice matériel né de la désorganisation du chantier et s'élevant à la somme de 1 480 euros mais aussi de son préjudice de jouissance lié à l'impossibilité de louer le bien lors de la période saisonnière soit la somme de 12 600 euros ainsi que sur la période hors saisonnière soit la somme de 3 710 euros.
Par ordonnance du 28 février 2022, la procédure a été clôturée le 21 avril 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 5 mai 2022.
MOTIFS :
Sur le manquement à l'obligation de délivrance :
Selon le contrat n°644113 du 3 avril 2018, [E] [P] a commandé à la société Leroy Merlin deux baies coulissantes d'une hauteur de 2606 mm au prix de 2 848,93 euros chacune. Le délai de mise à disponibilité mentionné dans le contrat était le 19 juin 2018.
Selon le contrat n°644115, le client a commandé un volet roulant de la même hauteur que les baies coulissantes ' 2606 mm ' au prix de 1 984,98 euros. Le délai de mise à disponibilité mentionné dans le contrat était le 28 avril 2018.
Les marchandises ont été intégralement payées par carte bancaire le jour même de la commande.
Si le volet roulant a été livré à la date prévue, les baies coulissantes commandées n'ont jamais été livrées, la société Leroy Merlin invoquant dans une lettre recommandée adressée le 21 juin 2018 à son client « l'impossibilité de fabrication à une hauteur de 2606 mm ».
L'obligation de délivrance par le vendeur de la chose vendue est une obligation de résultat et son inexécution engage la responsabilité du vendeur si elle a causé un préjudice à l'acheteur, le vendeur ne pouvant s'exonérer de sa responsabilité qu'en démontrant que l'exécution a été empêchée par la force majeure conformément aux dispositions de l'article 1231-1 du code civil.
Pour s'exonérer de sa responsabilité, la société Leroy Merlin invoque la nullité du contrat pour erreur ou la caducité du contrat et l'anéantissement consécutif de son obligation de délivrance des baies coulissantes commandées le 3 avril 2018.
Selon elle, en s'engageant à fournir à son client des baies coulissantes d'une hauteur de 2606 mm lesquelles ne pouvaient pas être fabriquées par son fournisseur, elle a été induite en erreur sur la faisabilité de la fabrication des baies coulissantes par les dimensions hors norme spécifiées par son client. Son erreur portant sur la faisabilité de la fabrication des marchandises commandées, caractéristique essentielle du contrat, elle a vicié son consentement et justifie l'annulation du contrat, l'erreur de conception initiale commise par l'acheteur ne pouvant lui être reprochée.
La cour observe cependant que l'acheteur a commandé des baies coulissantes aux dimensions adaptées à l'emplacement auquel il projetait de les installer et a d'ailleurs acheté des volets roulants de même dimension pour les protéger. Il n'a donc commis aucune erreur de conception initiale contrairement à ce que lui reproche le vendeur. En outre, le bon de commande mentionne expressément la dimension « H 2606 » des baies coulissantes achetées, cette spécification contractuelle requise par l'acheteur ayant été acceptée par le vendeur qui a signé le bon de commande et encaissé le prix de la marchandise. La seule erreur commise par le vendeur est de s'être engagé à fournir des baies coulissantes d'une hauteur de 2606 mm alors qu'à ses dires et sans qu'il le démontre d'ailleurs la fabrication de baies coulissantes de cette dimension était impossible pour le fournisseur.
L'appelante soutient par ailleurs que la faisabilité du projet ayant disparu en cours d'exécution du contrat, ce dernier est devenu caduc en application de l'article 1186 du code civil de sorte qu'elle n'était plus tenue de livrer les baies coulissantes commandées dans le délai convenu. La caducité est la sanction judiciaire de la disparition d'un élément essentiel du contrat, à l'origine valablement formé, sans que cette disparition soit imputable aux parties. Le vendeur ne rapporte cependant pas la preuve de la disparition d'un élément essentiel du contrat : il n'a fourni aucun élément de nature à démontrer que la fabrication de baies coulissantes d'une hauteur de 2606 mm était devenue matériellement impossible en cours d'exécution du contrat, les échanges avec son fournisseur Caïb établissant au contraire que si le vendeur avait pris attache avec son fournisseur avant que son client passe sa commande pour s'assurer qu'elle était réalisable, il aurait obtenu une réponse négative.
Le tribunal a donc à juste titre écarté la nullité du contrat pour erreur et sa caducité.
Sur le préjudice :
Les préjudices dont l'intimé demande réparation sont les conséquences dommageables directes et prévisibles lors de la conclusion du bon de commande de l'inexécution de l'obligation de délivrance. En effet, le bon de commande porte sur des baies vitrées coulissantes de sorte que le dommage résultant des travaux de sécurisation de la maison (rebouchage des ouvertures sous linteau et pose d'une porte vitrée temporaire premier prix), d'un montant de 3 955 euros, sont la conséquence directe du défaut de livraison des baies vitrées. Les dépenses de 1 480 euros exposées par l'entrepreneur à cause de l'arrêt du chantier de rénovation en l'absence des baies vitrées commandées est par ailleurs établi.
Le manque à gagner résultant du retard des travaux de rénovation de la maison et de l'impossibilité de la louer durant l'été 2018 n'est pas caractérisé. En effet, les photographies représentant la maison en cours de rénovation comportent les dates du 2 mai 2018 et du 4 juin 2018 tandis que celles représentant la maison terminée ne comportent pas de date de sorte qu'il n'est pas établi que la maison n'était pas en état d'être louée ou occupée de début juillet à fin septembre 2018. Il n'a été produit aucune facture ou document émanant de l'entrepreneur et attestant de la fin des travaux de rénovation.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la SA Leroy Merlin à payer à [E] [P] la somme de 9 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance.
Il est équitable de condamner la SA Leoy Merlin à payer à [E] [P] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la SA Leroy Merlin à payer à [E] [P] la somme de 9 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance,
Infirme sur ce point le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
Déboute [E] [P] de sa demande tendant à la réparation d'un préjudice de jouissance,
Y ajoutant,
Condamne la SA Leoy Merlin à payer à [E] [P] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens.
Arrêt signé par Mme FOURNIER, Présidente de chambre et par Mme RODRIGUES, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,