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14/06/2022 | FRANCE | N°21/01153

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 2ème chambre section b, 14 juin 2022, 21/01153


ARRÊT N°



R.G : N° RG 21/01153 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H7RP



CJP



TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX DE PERTUIS

18 février 2021

RG :51-19-0006



SNC LA COSTA



C/



[C]

[C]

S.A.S. CHATEAU ISOLETTE



















COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B



ARRÊT DU 14 JUIN 2022





APPELANTE :



SNC LA COSTA

immatriculée

au RCS de PARIS sous le N° 512 632 001

prise en la personne de son gérant, domicilié en eette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 14]



Représentée par Me Carine REDARES de la SELARL RS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau d'AVIGNON, substituée par Me Sarah GIGANTE, ...

ARRÊT N°

R.G : N° RG 21/01153 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H7RP

CJP

TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX DE PERTUIS

18 février 2021

RG :51-19-0006

SNC LA COSTA

C/

[C]

[C]

S.A.S. CHATEAU ISOLETTE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B

ARRÊT DU 14 JUIN 2022

APPELANTE :

SNC LA COSTA

immatriculée au RCS de PARIS sous le N° 512 632 001

prise en la personne de son gérant, domicilié en eette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 14]

Représentée par Me Carine REDARES de la SELARL RS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau d'AVIGNON, substituée par Me Sarah GIGANTE, avocat au barreau d'AVIGNON

Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉS :

Monsieur [L] [A] [P] [Z] [C], décédé le 8 décembre 2020 à [Localité 15]

né le 24 Mai 1932 à [Localité 15] (84)

[Adresse 18]

[Localité 15]

Madame [X] [E] [I]

prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de M. [L] [C], décédé le 8 décembre 2020

assignée en intervention forcée le 24 septembre 2021 à Etude d'huissier

INTERVENANTE FORCEE

née le 22 Septembre 1966 à [Localité 25]

[Adresse 21]

[Adresse 21]

[Localité 16]

Représentée par Me Julien DUMOLIE de la SELARL DEBEAURAIN & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

S.A.S. CHATEAU ISOLETTE

immatriculée au RCS d'AVIGNON sous le n° 348 376 278

prise en la personne de son Président en exercice domicilié audit siège

[Adresse 20]

[Localité 15]

Représentée par Me Julien DUMOLIE de la SCP CABINET DEBEAURAIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTERVENANTES

Madame [S] [G] [V] veuve [C]

prise en qualité de conjoint survivant de M. [L] [C] et en sa qualité d'héritière

assignée en intervention forcée le 21 septembre 2021 à personne

INTERVENANTE FORCEE

née le 26 Septembre 1938 à [Localité 26]

[Adresse 18]

[Localité 15]

Représentée par Me Julien DUMOLIE de la SELARL DEBEAURAIN & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Madame [K] [R] [U] [C] épouse [M]

prise en sa qualité d'héritière de M. [L] [C], décédé le 8 décembre 2020

assignée en intervention forcée le 21 septembre 2021 à Etude d'huissier

INTERVENANTE FORCEE

née le 29 Septembre 1970 à [Localité 25]

[Adresse 2]

[Localité 15]

Représentée par Me Julien DUMOLIE de la SELARL DEBEAURAIN & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Statuant en matière de baux ruraux après convocations des parties par lettres simples et lettres recommandées avec avis de réception du 14 février 2022.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre

Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère

Mme Elisabeth GRANIER, Conseillère

GREFFIER :

Mme Véronique LAURENT-VICAL, Greffière, lors des débats et Mme Véronique PELLISSIER, Greffière, lors du prononcé de la décision

DÉBATS :

à l'audience publique du 12 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.

Par acte notarié en date du 14 mars 1985, les époux [T] ont consenti un bail dénommé « bail emphytéotique » à M. [L] [C] portant sur des parcelles sises à [Localité 23] (84), section G n° [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12] et [Cadastre 13] pour une durée de 21 années.

Par acte sous-seing privé en date du 17 octobre 1988, la durée du bail consenti le 14 mars 1985 a été porté à 80 années, sauf s'agissant de la parcelle cadastrée section G n° [Cadastre 13]. Cet acte sous-seing privé a également porté dation à bail dit « emphytéotique » de diverses parcelles sises à [Localité 22] (section AO n° [Cadastre 17], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9], section AP n° [Cadastre 3] et section E n° [Cadastre 19] et [Cadastre 1]).

Le 30 janvier 1996, le bail du 17 octobre 1988 a été déposé à la demande conjointe de M. [L] [C] et de Mme [J] [T] en l'étude de Me [B], notaire.

Suivant acte sous seing privé en date du 1er septembre 1988, enregistré le 25 septembre 1988 a été constituée entre M. [L] [C], Mme [S] [V] ép. [C] et Mme [X] [C] une EARL dénommée « [L] [C] ». Cette société avait pour objet l'exercice d'activités réputées agricoles et la gestion de biens agricoles, en particulier l'exploitation viticole du château de l'Isolette à [Localité 15] et celle du château du Marquis de Sade à [Localité 24].

Suivant acte sous seing privé en date du 25 janvier 2018, la totalité des parts sociales de l'EARL « [L] [C] » a été cédée à la SAS « Pont Ouest ». Par le même acte l'EARL « [L] [C] » a poursuivi l'exploitation de ces parcelles sous la dénomination sociale « château Isolette ».

Suivant acte notarié en date du 7 novembre 2018, M. [L] [C] a cédé à l'EARL « château Isolette » le bail emphytéotique en date du 14 mars 1985, modifié le 17 octobre 1988. Suivant procès-verbal de délibération de l'associé unique en date du 3 décembre 2018, la SAS « Pont Ouest » propriétaire de la totalité des parts de l'EARL « château Isolette » a acté le principe de la transformation de l'EARL en SAS.

Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 26 septembre 2019 au tribunal d'instance de Pertuis, la société civile La Costa, prise en la personne de son gérant, M. [W] [N], a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Pertuis, aux fins de voir, en substance, prononcer la résiliation des baux en date des 14 mars 1988 et 17 octobre 1988 et prononcer l'expulsion du preneur et de tout occupant de son chef.

Par jugement contradictoire en date du 18 février 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux de Pertuis a :

-dit n'y avoir lieu à requalification des baux en date des 14 mars 1985 et 17 octobre 1988,

-débouté, en conséquence, la société civile La Costa de l'ensemble de ses demandes,

-condamné la société civile La Costa à payer à la SAS château Isolette la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la même à payer à M. [L] [C] ou ses ayants droits la somme de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société civile La Costa aux entiers dépens.

Suivant déclaration en date du 22 mars 2021, la SNC La Costa a interjeté appel du jugement rendu en toutes ses dispositions.

M. [L] [C] étant décédé le 8 décembre 2020, la société civile La Costa a, par acte du huissier en date du 28 septembre 2021, a fait assigner en intervention forcée Mme [X] [C], Mme [S] [V] veuve [C] et Mme [K] [C] ép. [M].

L'affaire a été appelée à l'audience du 12 avril 2022.

A cette audience, la SNC La Costa, en sa qualité d'appelante, représentée par son conseil, expose ses prétentions et moyens et s'en rapporte à ses conclusions en date du 6 avril 2022 pour le surplus.

L'appelante souhaite voir la cour rejeter les fins de non-recevoir développées par les intimés, condamner ces derniers au paiement de la somme de 2 000 € à titre indemnitaire, pour évocation dilatoire de fins de non recevoir en cause d'appel, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, au visa des articles L451-1, L411-35 et L411-30 et suivants du code rural, de :

-prononcer la résiliation du bail signé le 14 mars 1985, modifié le 17 octobre 1988, déposé le 30 janvier 1996, entre les époux [T], aux droits desquelles vient la société civile La Costa, et M. [L] [C], aux droits duquel viendrait l'EARL château de l'Isolette, dont le nouveau gérant est M. [O] [F],

-ordonner l'expulsion du preneur et de tout occupant de son chef, en invitant ce dernier à quitter les lieux, au besoin avec le concours de la force publique, dans le respect des cycles naturels de culture, après signification de l'arrêt à intervenir,

-débouter les intimés de toutes leurs demandes contraires,

-condamner les intimés, in solidum, au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance comme de l'appel, et les condamner, également, in solidum, au paiement des entiers dépens des deux instances.

Au soutien de son appel, la SNC La Costa fait valoir :

-que s'agissant de la fin de non-recevoir résultant de son droit à agir, question non soulevée en première instance, elle démontre que, par acte du 21 juillet 2009, M. [W] [N] lui a vendu les parcelles données à bail, les ayant lui-même reçu de feue Mme [J] [T] ;

-qu'aucune prescription de sa demande en résiliation ne peut être constatée dès lors que le point de départ de l'action en résiliation du bail court à compter du départ des lieux du cessionnaire illégitime ; que la demande de requalification du contrat est un des fondements de son action en résiliation et non une demande ; qu'en outre, elle n'a pu connaître son droit à requalification qu'à compter du moment où la stipulation prévoyant une incessibilité partielle a été annulée dans un acte notarié, sur demande des cédants, les consorts [C], et qu'à compter de la réalisation de la cession prohibée par le bail ; qu'elle n'a, ainsi, appris les dites sessions que dans le courant de l'année 2018, n'ayant pas été appelée à concourir à aucun desdits actes ;

-que les baux souscrits faisaient interdiction formelle au preneur de céder son droit au bail, la seule cession autorisée étant au profit de Mme [X] [C], la fille de M. [L] [C], elle-même exploitante agricole ; qu'il s'agit des stipulations claires, acceptées par le preneur et qui imposaient au locataire de recueillir l'accord écrit du bailleur ou de ses ayants droits pour toute cession du bail ; que cette clause démontrait le lien d'attachement à la famille [C] et l'intuitu personea y attaché lequel est poursuivi par la SNC La Costa et son gérant M. [W] [N] ; qu'au mépris de cette stipulation claire, M. [L] [C] se permettait de céder le droit au bail, le 7 novembre 2018, qu'il détenait au profit de la SAS Château de l'Isolette ; que ce manquement ne pourra que conduire à prononcer la résiliation du bail ;

-qu'à titre subsidiaire si la présente juridiction estime, comme l'ont fait les premiers juges, que la clause contenue dans le bail, portant restriction de la libre session, peut-être nulle et de nulle effet dans son principe, elle devra préalablement envisager la requalification de la convention, afin dans le respect des textes légaux, de donner tout son sens à l'entier bail ; que la Cour de cassation admet depuis 1861 que la libre cession est une des caractéristiques majeures essentielles du bail emphytéotique ; qu'il convient donc de se poser la question de l'intention des parties à l'époque ; que la juridiction de première instance a estimé que pareille clause devait être réputée non écrite, et ce faisant à dénaturer le contrat ; que le bail aurait dû être requalifié en bail à long terme, ce qui aurait permis de ne pas annuler ces clauses ; que cette requalification se justifiait du fait de la durée du bail souscrit en 1985 (21 ans), des conditions d'exploitation des parcelles identiques en bail emphytéotique en bail rural, de l'absence d'obligation d'investir particulière, de l'absence de fermages pendant deux années pour permettre la rénovation de l'encépagement, de l'existence d'une clause prévoyant de façon encadrée la destination des biens loués, de l'interdiction faite au preneur d'hypothéquer son droit et du paiement par le preneur de « fermages » et non de « redevances » calculées sur la base des cotations des côtes du Lubéron et des côtes du Ventoux ; que la cour ne peut cantonner temporellement la demande de requalification, ainsi que font les intimés, en ce que le manquement est intervenu au moment de l'acte de cession et qu'aucun fondement juridique n'est invoqué pour fonder cette requalification pour l'avenir, si ce n'est d'échapper aux conséquences liées à l'absence d'agrément.

La SAS château de l'Isolette, Mme [X] [C], Mme [S] [V] veuve [C] et Mme [K] [C] ép. [M], en leurs qualités d'intimées, représentées par leur conseil, exposent leurs prétentions et moyens et s'en rapportent à leurs conclusions en date du 8 avril 2022 pour le surplus.

Les intimées demandent à la cour au visa des articles L451-1 et suivants du code rural, 1179, 1181 et 2224 du code civil, 72 et 32 du code de procédure civile, de :

-déclarer irrecevable la SNC La Costa de l'ensemble de ses demandes au visa des articles 2224 et 32 du code de procédure civile,

-sur le fond, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SNC La Costa de sa demande de résiliation et de sa demande de requalification du bail emphytéotique en bail à ferme à long terme et en ce qu'il a condamné la SNC La Costa à leur payer des indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de :

-déclarer nul et non avenu la clause du bail du 17 octobre 1988 reprise par l'acte de Me [B] du 30 janvier 1996 intitulé « article 2e : session » et « article 3e : droits réels »,

-à titre subsidiaire, en cas de requalification des baux des 14 mars 1985 et 17 octobre 1988 en baux à long terme, débouter la SNC La Costa de ses demandes et déclarer l'EARL château de l'Isolette devenue la SAS château de l'Isolette titulaire d'un bail à long terme portant sur les mêmes parcelles,

-condamner la SNC La Costa aux entiers dépens, ainsi qu'à la somme de

3 500 € au profit de chacun d'eux, la SAS château de l'Isolette, Mme [X] [C], Mme [S] [V] veuve [C] et Mme [K] [C] ép. [M].

La SAS château de l'Isolette et les consorts [C] exposent :

-que la fin de non-recevoir tirée de la qualité à agir de la SNC La Costa résultait du défaut de production de son titre de propriété, lequel ne vient d'être produit que très récemment ;

-que la demande résiliation du bail soutenue par la SNC La Costa n'est autre qu'une action de requalification du bail emphytéotique en bail rural ; que le point de départ de la prescription tendant à la requalification d'une convention court à compter de la date de la conclusion du contrat ; qu'en application des dispositions transitoires, le bailleur disposait d'un délai au 30 mai 2013 pour engager son action ; que cette action est donc prescrite et qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner la résiliation du bail pour cession ;

-que l'appelante développe deux arguments, le premier consistant en une demande de résiliation du bail au visa de l'article 1224 du code civil pour non-respect de la clause litigieuse de non cessibilité ou de sous-location ; que ce moyen est curieux puisque la SNC La Costa reconnaît par la même qu'elle est bien liée par un bail emphytéotique régi par les articles L451'1 et suivants du code rural et de la pêche maritime et que dès lors aucune clause d'incessibilité ne peut être retenue ; que la SCI La Costa ne peut, dès lors, revendiquer l'application de la clause incessibilité ;

-qu'en second lieu, la SNC La Costa sollicite la requalification du bail en bail à long terme non sans faire une réécriture du bail emphytéotique ; que les concluants n'ont eu de cesse de rappeler tout au long de ces contrats le cadre juridique dans lequel ils entendaient placer leur relation, soit un bail emphytéotique ; qu'ainsi il était prévu initialement une durée de 21 ans, aucune indemnité n'était stipulée pour les améliorations, les taxes foncières étaient à la charge du preneur, le preneur était tenu d'assurer les biens contre l'incendie, qu'il était tenu de payer une redevance, et non un fermage, laquelle a été établie sur le prix de vente mercuriale des vins des côtes de Lubéron, ce qui ne correspond absolument pas aux dispositions applicables aux baux ruraux ; qu'enfin, alors que, dans le cadre d'un bail rural, la charge d'assurer la permanence et la qualité des plantations repose exclusivement sur le bailleur (l'article 1719-4 du code civil), en l'espèce l'emphytéote a réalisé des plantations de vignes sur les parcelles louées sans aucune possibilité d'indemnité en retour et sans avoir à solliciter l'autorisation du bailleur ; que ce n'est certainement pas la gratuité de la redevance pendant les deux premières années qui changera les choses au regard de l'investissement réalisé pour planter les vignes ; qu'on peut légitimement penser que c'est en raison du caractère d'ordre public des dispositions de l'article 1719-4 du code civil, que M. et/ou Mme [T] se sont volontairement placés dans le cadre d'un bail emphytéotique aux fins d'échapper à cette charge financière ; que c'est donc de façon parfaitement logique que le notaire ayant établi la cession du bail entre M. [L] [C] et l'EARL château Isolette, le 17 novembre 2018, mentionnait dans son acte que le droit réel conféré au preneur d'un bail emphytéotique peut être cédé ;

-que la SNC La Costa n'a jamais ignoré l'existence de l'EARL, celle-ci ayant noué des relations d'affaires et de confiance rapprochées et anciennes avec cette société ; que les courriers relatifs aux relations d'affaires entre l'emphytéote et M. [W] [N] comportent toujours l'en-tête de l'EARL [L] [C] ; que la SNC La Costa connaissait la réalité sans jamais ne rien avoir eu à critiquer durant toutes ces années ;

-qu'ayant toujours été en défense, ils peuvent soulever à titre de défense la nullité de la clause d'incessibilité prévue au bail emphytéotique ; qu'à juste titre les premiers juges ont considéré que les clauses limitatives des prérogatives du preneur comme non écrites en ce qu'elles sont contraires, d'une part, à la volonté des parties et, d'autre part, à la nature même du contrat ;

-qu'enfin, si la cour estimait devoir requalifier les baux emphytéotiques en baux ruraux à long terme, il y a lieu de juger que cette qualification étant postérieure aux actes de cession susvisés, conclus de bonne foi, elle ne saurait priver de ses droits le preneur en place actuelle.

Il est expressément renvoyé aux conclusions déposées par les parties pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

Aux termes de l'article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article L451-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel susceptible d'hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière.

Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction.

Au visa de ces dispositions et au regard des pièces et des débats, le tribunal paritaire des baux ruraux a considéré qu'était mis en évidence la volonté des parties lors de la conclusion des baux de conférer une nature emphytéotique aux baux conclus les 14 mars 1985 et 17 octobre 1988, que ces baux présentaient toutes les caractéristiques du bail emphytéotique et que les parties, pendant plus de 30 ans, ont acquiescé au transfert de droit au bénéfice de l'EARL et ont donc entendu conformément à la lettre des contrats privilégier la nature emphytéotique à leur relation contractuelle. Tenant ces éléments, les premiers juges ont retenu que les clauses relatives à la cession du bail devaient être donc réputées non écrites et ont écarté la demande de résiliation formée par la société bailleresse à défaut pour cette dernière de démontrer une faute du preneur.

En cause d'appel, les intimés soulèvent une première fin de non recevoir tenant à la qualité à agir de la société civile La Costa. Cette fin de non recevoir sera écartée, dès lors, que les intimés reconnaissent, qu'en cours de procédure, l'appelante a produit son titre de propriété justifiant ainsi de sa qualité à agir.

En second lieu, les consorts [C] et la SAS Château de L'Isolette soutiennent un second moyen d'irrecevabilité tenant à la prescription de l'action en requalification de l'appelante.

La société civile La Costa a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande de résiliation du bail. Elle n'a aucunement sollicité dans sa requête la requalification du bail conclu entre M. [L] [C] et les consorts [T].

Il est acquis que le point de départ de la prescription d'une action en requalification d'un contrat est la conclusion dudit contrat et que le délai de prescription, en application de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, est de 5 ans.

Cependant, en l'espèce, l'action intentée par la société civile La Costa n'est pas une action en requalification du contrat, mais une action en résiliation du bail. Si cette action en résiliation implique nécessairement pour la juridiction qui statue un examen de la qualification du contrat et de la légalité des clauses insérées par les parties dans le contrat, il ne s'agit que pas pour autant d'une action en requalification. L'éventuelle requalification du contrat ne constitue qu'un moyen à l'appui de la demande de résiliation, à l'encontre de laquelle aucune prescription ne peut être opposée.

Il s'en déduit que la fin de non recevoir résultant de la prescription ne peut qu'être écartée et aucune prescription de l'action en résiliation du bail ne peut être retenue.

Bien que la fin de recevoir tirée de la prescription n'ait été soulevée qu'en cause d'appel, il n'est aucunement établi d'intention dilatoire pour les intimés ni de préjudice pour l'appelante, autre que la nécessité de se défendre sur ce point, préjudice le cas échéant indemnisé par l'octroi d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La société civile La Costa sera, en conséquence, déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

La demande en résiliation formulée par la société civile La Costa repose sur le non-respect par le preneur des clauses mentionnées page 3 in fine dans le contrat du 14 mars 1985 et page 4, article 2ème du contrat du 17 octobre 1988. Aux termes de la première clause, le preneur ne peut, sans l'accord écrit du bailleur, céder son droit au bail ni sous-louer en totalité ou en partie. La seconde clause dispose que le preneur ne pourra, en cours de bail, céder son droit au bail qu'à sa fille, Mademoiselle [X] [E] [C], et aucune autre cession ne pourra se faire sans l'accord écrit du bailleur ou de ses ayants droits. Il est, également, rappelé dans cette seconde clause que toute sous-location, sous quelque forme que ce soit, notamment sous forme de gérance libre ou de gérance salariée, est rigoureusement interdite.

L'article L451-1 du code rural et de la pêche maritime rappelle que le bail emphytéotique confère à l'emphytéote un droit réel susceptible d'hypothèque, lequel peut être cédé.

Il est de jurisprudence constante que la faculté de libre cession constitue l'une des caractéristiques majeures et essentielles du bail emphytéotique (Cour de cassation, chambre des requêtes, 6 mars 1861 ; Cour de cassation, 3e chambre civile, 7 avr. 2004) et que le contrat qui interdit de céder le bail ou qui subordonne le droit de cession à l'autorisation du propriétaire ne peut revêtir la qualification de bail emphytéotique. (Cour de cassation, 3e civ., 15 mars 1983 et 10 avr. 1991).

En l'espèce, les deux contrats ont certes été qualifiés de bail emphytéotique et les dispositions du code rural visées sont celles relatives au bail emphytéotique, pour autant il apparaît clairement une absence de volonté du bailleur de conférer au preneur un véritable droit réel, cessible, saisissable et susceptible d'hypothèque. En effet les dispositions du contrat, bien que reprenant les dispositions type d'un bail emphytéotique, portent mention de clauses spécifiques, lesquelles ne peuvent être considérées comme des clauses types insérées dans le contrat, excluant toute possibilité pour le preneur de disposer librement du droit au bail et prévoyant uniquement une possibilité de cession à la fille de M. [L] [C], laquelle est nommément désignée, ou à défaut imposant pour tout autre cession l'accord écrit du bailleur ou de ses ayants droits. L'intuitu personea donné à cette clause démontre la volonté claire et explicite des consorts [T], alors propriétaires des terres données à bail, de maintenir le bail dans la famille de M. [L] [C] et de ne pas lui permettre de disposer librement de son droit au bail. Il s'agit de clauses claires et explicites et qui sont le reflet de la volonté des parties. Au surplus, il est également prévu que le preneur renonce formellement à hypothéquer son droit au bail, ce qui constitue également une disposition totalement en opposition avec les prérogatives du bail emphytéotique.

Fort de ces éléments, et en dépit de la qualification donnée par les parties aux baux signés, l'insertion de ces deux clauses limitant le droit de cession du bail et limitant donc manifestement le droit réel qu'un bail emphytéotique confère au preneur empêche toute possibilité de qualification de ses baux en baux emphytéotiques, au profit d'une qualification de bail à ferme à long terme.

Il n'y a pas lieu, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, de considérer que les clauses litigieuses « comme non écrites en ce qu'elles sont contraires à la volonté des parties et à la nature même du contrat ». En effet, il ne peut être soutenu que la volonté des parties n'était pas de limiter le droit de cession du preneur, tenant le caractère particulièrement clair, précis et explicite de ces clauses. Il n'y a également pas lieu de déclarer lesdites clauses nulles, ces clauses insérées dans un bail à ferme ne sont, en effet, en aucune manière irrégulières.

Il est également erroné de dire que les consorts [T], puis la société civile la Costa ont acquiescé, pendant plus de 30 ans, au transfert des droits de M. [L] [C] à l'EARL [L] [C], dès lors que la dénomination de cette EARL pouvait parfaitement laisser penser au bailleur que le droit au bail était demeuré au sein de la famille [C], étant précisé que l'EARL est constituée des membres de la famille [C], dont [X] [C], la fille du preneur. Cet élément ne saurait suffire à écarter les clauses explicites du contrat et a considéré que le droit au bail était parfaitement cessible et que les parties ont entendu privilégier la nature emphytéotique à leur relation contractuelle comme les premiers juges ont retenu.

Ainsi, en cédant le 7 novembre 2018 à l'EARL Château de L'Isolette le droit au bail dont il bénéficie en application des contrats du 14 mars 1985 et du 17 octobre 1988, M. [L] [C] a enfreint les dispositions contractuelles. Ce manquement aux dispositions contractuelles constitue une cause de résiliation du bail aux torts du preneur.

La décision entreprise sera, en conséquence, réformée en ce qu'elle a rejeté la demande de résiliation de la société civile La Costa. Statuant à nouveau, il sera prononcé la résiliation du bail signé le 14 mars 1985, modifié le 17 octobre 1988 entre les consorts [T], aux droits desquelles vient la société civile la Costa, et M. [L] [C], aux droits duquel vient la SAS Château de L'Isolette, et ordonné l'expulsion de cette dernière et de tout occupant de son chef, au terme de l'année culturale en cours, suite à la signification de la présente décision.

Contrairement à ce qui était réclamé, en première instance, à titre subsidiaire, par les consorts [C] et la SAS Château de L'Isolette, il n'est formulé, en cause d'appel, aucune demande au titre de l'indemnité de sortie et de désignation d'un expert aux fins d'évaluer celle-ci. Il n'y a donc pas lieu de se prononcer sur ses demandes subsidiaires. Le bail étant résilié, il n'y a pas davantage lieu de statuer sur les demandes subsidiaires formulées par les intimés en appel.

*

Les consorts [C] et la SAS Château de L'Isolette succombant dans l'intégralité de leurs demandes, seront condamnés aux dépens tant de première instance que d'appel.

L'équité commande, en outre, de réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société civile La Costa à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner les consorts [C] et la SAS Château de L'Isolette à payer à la société civile La Costa la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel. Une condamnation in solidum n'est pas justifiée.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,

Déclare recevable l'action de la société La Costa,

Rejette les fins de non-recevoir développées par les consorts [C] et la SAS Château de l'Isolette,

Déboute la SAS la Costa de sa demande de condamnation à des dommages et intérêts pour évocation dilatoire de fins de non recevoir en cause d'appel,

Infirme le jugement rendu le 18 février 2021 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Pertuis en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

Prononce la résiliation du bail signé le 14 mars 1985, modifié le 17 octobre 1988 et déposé le 30 janvier 1996, entre les époux [T], aux droits desquels vient la société civile La Costa, et M. [L] [C], aux droits duquel vient la SAS Château de l'Isolette, dont le gérant est M. [O] [F],

Dit que la SAS Château de L'Isolette doit quitter les lieux,

Ordonne l'expulsion de la SAS Château de L'Isolette et de tout occupant de son chef, au besoin, avec le concours de la force publique, dans le respect des cycles naturels de culture, au terme de l'année culturale en cours, suivant la signification du présent arrêt,

Déboute les consorts [C] et la SAS Château de L'Isolette de leur demande de nullité des clauses « article 2ème  : cession » et article 3 «  droit réél » mentionnées dans le contrat du 17 octobre 1988 et de ses demandes subsidiaires,

Déboute les consorts [C] et la société civile La Costa de leur demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Château de L'Isolette, Mme [X] [C], Mme [S] [V] veuve [C] et Mme [K] [C] ép. [M] à payer à la société civile La Costa la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétible de première instance et d'appel,

Condamne la SAS Château de L'Isolette, Mme [X] [C], Mme [S] [V] veuve [C] et Mme [K] [C] ép. [M] aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt signé par Madame GIRONA, Présidente et par Madame PELLISSIER, Greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 2ème chambre section b
Numéro d'arrêt : 21/01153
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;21.01153 ?
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