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14/06/2022 | FRANCE | N°20/03214

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 2ème chambre section b, 14 juin 2022, 20/03214


ARRÊT N°



R.G : N° RG 20/03214 - N° Portalis DBVH-V-B7E-H33M



CJP



TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX D'ALES

09 novembre 2020

RG :51-20-0001



[K]



C/



[K]

[K]

[K]

[K]



















COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B



ARRÊT DU 14 JUIN 2022





APPELANTE :



Madame [E] [K]

née le 11 Avril 1953 à [Localité

6] (30170)

[Localité 10]

30170 [Localité 6]



Comparante en personne,

assistée de Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

assistée de Me Philippe GRAS de la SCP COULOMBIE - GRAS - CRETIN - BECQUEVORT - ROSIER, Plaidant, avocat au ba...

ARRÊT N°

R.G : N° RG 20/03214 - N° Portalis DBVH-V-B7E-H33M

CJP

TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX D'ALES

09 novembre 2020

RG :51-20-0001

[K]

C/

[K]

[K]

[K]

[K]

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B

ARRÊT DU 14 JUIN 2022

APPELANTE :

Madame [E] [K]

née le 11 Avril 1953 à [Localité 6] (30170)

[Localité 10]

30170 [Localité 6]

Comparante en personne,

assistée de Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

assistée de Me Philippe GRAS de la SCP COULOMBIE - GRAS - CRETIN - BECQUEVORT - ROSIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Monsieur [N] [D] [K]

né le 08 Juin 1949 à [Localité 6] (30170)

La Coste

30170 CONQUEYRAC

Représenté par Me Périne FLOUTIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Monsieur [X] [A] [K]

né le 19 Juin 1957 à [Localité 6] (30170)

[Adresse 7]

30170 [Localité 6]

Représenté par Me Périne FLOUTIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Madame [F] [C] [K] épouse [B]

née le 07 Janvier 1948 à [Localité 6] (30170)

[Adresse 8]

30170 [Localité 6]

Représentée par Me Périne FLOUTIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Madame [H] [I] [K] épouse [G]

née le 17 Décembre 1966 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Périne FLOUTIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Statuant en matière de baux ruraux après convocations des parties par lettres simples et lettres recommandées avec avis de réception du

14 février 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre

Mme Chantal JACQUOT-PERRIN, Conseillère

Mme Elisabeth GRANIER, Conseillère

GREFFIER :

Mme Véronique LAURENT-VICAL, Greffière, lors des débats et Mme Véronique PELLISSIER, Greffière, lors du prononcé de la décision

DÉBATS :

à l'audience publique du 12 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.

Par acte sous-seing privé en date du 24 février 1999, M. [D] [K] a donné à bail à ferme à Mme [E] [K], sa fille, diverses parcelles sises sur la commune de [Localité 6] (30). Le bail s'est renouvelé par périodes de 9 ans et suite au décès du bailleur et de son épouse, leurs enfants, MM. [N] et [X] [K], Mmes [F] et [H] [K] (ci-après nommés les consorts [K]), ainsi que Mme [E] [K], es qualité d'héritiers, sont devenus propriétaires co-indivisaires des parcelles données à bail.

Mme [E] [K] a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 31 décembre 2018.

Par requête reçue au greffe du tribunal judiciaire d'Alès, le 30 janvier 2020, les consorts [K] ont sollicité la convocation de leur s'ur, Mme [E] [K], devant le tribunal paritaire des baux ruraux d'Alès afin de voir résilier le bail à ferme, obtenir de cette dernière la remise en état des parcelles, ainsi que sa condamnation à des dommages-intérêts.

Par jugement contradictoire en date du 9 novembre 2020, le tribunal paritaire des baux ruraux a :

-dit et jugé que l'action engagée par les consorts [K] recevable,

-dit et jugé n'y avoir lieu à écarter des débats le constat d'huissier dressé le 19 décembre 2019 par Maître [J], huissier de justice,

-prononcé la résiliation du bail à ferme conclu le 25 février 1999 entre M. [D] [K] et Mme [E] [K] à compter de la date du jugement,

-ordonné à Mme [E] [K] de restituer les lieux loués en l'état prévu par le bail,

-condamné Mme [E] [K] à supprimer l'installation de forage réalisé par ses soins sous astreinte de 150 € par jour de retard, commençant à courir un mois après la signification du jugement et ce pendant un délai de 2 mois,

-débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif,

-condamné Mme [E] [K] à payer aux consorts [K] la somme totale de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Suivant déclaration en date du 8 décembre 2020, Mme [E] [K] a interjeté appel du jugement rendu en toutes ses dispositions.

L'affaire a été appelée à l'audience du 12 avril 2022.

A cette audience, Mme [E] [K], en sa qualité d'appelante, assistée de son conseil, expose ses prétentions et moyens et s'en rapporte à ses conclusions en date du 5 avril 2022 pour le surplus.

L'appelante souhaite voir la cour infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions lui faisant grief et statuant à nouveau :

-écarter des débats le procès-verbal de constat dressé le 19 décembre 2019 par Maître [J], huissier de justice,

A titre principal, vu les articles 815'3 et 815'5 du code civil,

-dire et juger irrecevables les demandes des consorts [K] tendant à la résiliation du bail à ferme du 24 février 1999 et à sa condamnation au paiement de dommages-intérêts, ainsi qu'à l'enlèvement d'une installation de forage

-les renvoyer à mieux se pourvoir,

À titre subsidiaire,

-dire et juger que son admission à la retraite ne justifie pas la résiliation du bail,

-dire et juger qu'elle n'avait pas l'obligation de garnir les biens loués de bétail, alors qu'au demeurant, la bonne exploitation n'étant pas compromise, aucune faute ne peut lui être reprochée,

-dire et juger qu'elle n'a pas méconnu l'article L411-35 alinéa 2 du code rural puisqu'elle n'a pas cédé le bail,

-dire et juger que la preuve du défaut d'entretien des biens loués n'est pas rapportée, alors qu'au demeurant la bonne exploitation n'étant pas compromise, aucune faute ne peut lui être reprochée,

-en conséquence, débouter les consorts [K] de leurs demandes,

À titre plus encore subsidiaire,

-si par impossible, la cour prononçait la résiliation en raison de son admission à la retraite, condamner les consorts [K] à lui payer chacun la somme de

1 400 €,

Sur l'appel incident, vu l'article 564 du code de procédure civile,

-dire et juger irrecevables les prétentions nouvelles des consorts [K] tendant à la condamner à supprimer l'installation de forage réalisé sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 3],

-dire et juger irrecevables les prétentions nouvelles des consorts [K] tendant à la condamner à porter et à payer à l'indivision la somme de 220 € au titre du fermage pour l'année 2020, outre intérêts au taux légal à compter du 10 août 2021,

-les débouter de toutes leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de leur appel incident,

En tout état de cause,

-condamner les consorts [K] à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article du 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais du procès-verbal de constat dressé le 31 mars 2020 par Maître [L].

Mme [E] [K] fait valoir :

-que, sauf unanimité des indivisaires, l'action en résiliation du bail ne peut être engagée que si les indivisaires qui entendent l'obtenir ont été préalablement autorisés judiciairement ; que le consentement de tous les indivisaires était donc requis pour effectuer un acte tendant à la résiliation du bail rural ; qu'en l'espèce, l'acte de saisine du tribunal paritaire des baux n'a été formulé que par quatre des cinq co-indivisaires et est donc irrecevable ;

-que, sauf autorisation judiciaire, le bailleur ne peut pénétrer avec un tiers dans les biens loués, aux fins d'établir les manquements du preneur du bail rural ; qu'en l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat du 19 décembre 2019 que l'huissier instrumentaire a pénétré à l'intérieur des parcelles sans autorisation ;

-que le seul fait que le preneur soit admis à la retraite ne constitue pas une cause de résiliation à la demande du bailleur, seul le preneur pouvant s'en prévaloir ; que, c'est en conséquence, à tort, que le premier juge s'est appuyé sur la date de départ à la retraite pour justifier la résiliation ;

-que le bail n'oblige pas le preneur à garnir les biens d'un troupeau de chèvres, aucune destination et aucune activité particulière n'étant stipulée dans le bail ; que la bergerie est située sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 5], qui lui appartient, et qu'il ne peut donc se déduire des clauses du bail l'obligation de garnir d'un troupeau ; que le bail est constitué à 92 % de bois, de taillis et de landes ; que le statut du fermage n'interdit pas au fermier de consommer sa production et qu'aucune clause du bail n'interdit l'installation d'un potager ou d'un verger ;

-que le code rural n'impose pas l'agrément du bailleur avant d'envisager la cession du bail, mais impose cet agrément avant la cession du bail en elle-même ; que si elle a envisagé une cession en préparant celle-ci pour qu'elle se passe au mieux, le bail n'a aucunement été cédé, tenant l'hostilité de sa fratrie, ce qui l'a conduit à renoncer à ce projet ; que c'est à tort que le premier juge a considéré qu'elle avait commis une faute sur ce fondement, le bail n'ayant jamais été cédé ;

-que le bailleur qui se fonde sur l'article 1766 du Code civil doit démontrer que les manquements allégués sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ; que le premier juge a rappelé ce principe ne l'a pas appliqué au fait de l'espèce ; qu'aucun défaut d'entretien n'est établi par les consorts [K] ;

-que s'agissant des prétentions relatives au forage, étant seule propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 5], laquelle n'est pas comprise dans l'assiette du bail du 24 février 1999, le jugement entrepris doit être réformé dès lors qu'il a condamné à remettre en état cette parcelle ; que la demande nouvelle formulée en appel concernant le forage situé sur la parcelle cadastrée [Cadastre 3] est irrecevable, faute d'avoir été formulée préalablement devant le tribunal paritaire des baux ruraux ; qu'en tout état de cause les intimés énoncent de fausses allégations en prétendant qu'elle a détourné une installation de forage située sur la parcelle [Cadastre 3] alors qu'elle a réalisé et financé l'acquisition de la pompe et les travaux d'installation du forage, que ces travaux ont été réalisés en vertu d'une servitude de puisage, et que les intimés ne démontrent pas que ce forage a, par le passé, desservi la parcelle [Cadastre 4] ;

-que l'indemnité qu'elle réclame, en application de l'article L411-69 du code rural, est due quelle que soit la cause qui a mis fin au bail ; que parmi les améliorations figurent les clôtures mais également les investissements réalisés pour l'irrigation et l'alimentation en eau et les chemins de desserte des parcelles ;

-que s'agissant de l'appel incident, les consorts [K] ne peuvent être que déboutés de leur demande de condamnation à des dommages et intérêts dès lors qu'ils ne justifient d'aucun préjudice susceptible d'être réparé et ce d'autant plus qu'ils ne représentent qu'une fraction de l'indivision alors qu'un éventuel préjudice serait dû par la totalité de l'indivision, propriétaire des biens donnés à bail ; qu'enfin la demande de condamnation au titre du fermage ne peut qu'être écartée, cette demande étant en contradiction avec leur demande de résiliation du bail.

Les consorts [K], en leurs qualités d'intimés et d'appelants sur incident, représentés par leur conseil, exposent leurs prétentions et moyens et s'en rapportent à leurs conclusions en date du 19 mars 2022 pour le surplus.

Les intimés demandent à la cour, au visa des articles 815'3, 1764 et 1766 du code civil et L411-1, L411-31 et L411-73 du code rural et de la pêche maritime, de :

-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté leur demande indemnitaire et, statuant à nouveau, de :

-in limine litis, déclarer leur action de résiliation du bail à ferme recevable puisqu'elle a été intentée à la majorité des deux tiers des droits indivis,

-déclarer n'y avoir lieu à écarter des débats le procès-verbal de constat en date du 19 décembre 2019 établi par Maître [J],

-au fond, débouter Mme [E] [K] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

-dire et juger que Mme [E] [K], à la retraite depuis le 31 décembre 2018, n'exerce plus d'activité agricole sur les parcelles données à bail,

-dire et juger que les parcelles prises à bail ne sont plus exploitées,

-dire et juger que Mme [E] [K] n'entretient plus les parcelles prises à bail rural,

-dire et juger que Mme [E] [K] n'a pas payé la somme de 220 € dus à l'indivision au titre du fermage pour l'année 2020,

-prononcer la résiliation du bail à ferme aux torts exclusifs de Mme [E] [K],

-condamner Mme [E] [K] à leur payer la somme de 220 € au titre du fermage pour l'année 2020, outre intérêts au taux légal à compter du 10 août 2021,

-ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,

-condamner Mme [E] [K] à leur payer la somme de 5 000 € à chacun d'entre à titre de dommages-intérêts,

-condamner la même à supprimer l'installation de forage réalisée par ses soins au moyen des installations qui permettaient d'alimenter en eau l'immeuble bâti indivis (sis sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 4]) et à remettre en état les lieux sans délai, et ce sous astreinte de 150 € par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir,

-condamner l'appelante à leur porter et payer la somme globale de 4 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les honoraires de Me [J], huissier de justice.

Les consorts [K] font valoir :

-que leur action est recevable dès lors que l'article 815'3 du Code civil limite l'application de la règle de l'unanimité aux actes de disposition et aux actes qui ne ressortissent pas à l'exploitation normale des biens indivis ; que l'action en résiliation d'un bail rural, qui constitue un acte d'administration, peut-être intentée à la majorité des 2/3 des droits indivis ;

-qu'afin de contrer l'évidence du défaut d'exploitation et du défaut d'entretien, Mme [E] [K] tente de discréditer le procès-verbal de constat d'huissier de justice, et ce alors que toutes les constatations ont été réalisées depuis un chemin qui serpente entre les parcelles pour mener au lieu-dit « [Localité 10] » ; que les photographies annexées au procès-verbal de constat en témoignent ;

-que depuis le 31 décembre 2018, Mme [E] [K] dispose du statut de retraité et que, par la force des choses, le bail à ferme se trouve vidé de sa substance, dès lors que cette dernière n'exploite plus les parcelles affermées et qu'elle ne les garnit plus ; que cette absence d'exploitation résulte du procès-verbal de constat du huissier ; que de surcroît, il ressort des pièces adverses que Mme [E] [K] utilise un lopin de terre à des fins personnelles, et donc pour un usage autre que celui auquel il est destiné puisqu'il semblerait qu'elle cultive fruits et légumes pour sa consommation propre ;

-que, contrairement à ce que soutient l'appelante, ce sont les conséquences de son départ à la retraite, et non son départ à la retraite en lui-même, qui constituent les causes de la demande de résiliation du bail ; qu'il est également erroné de soutenir qu'ils ne démontrent pas que les agissements du preneur sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, dès lors qu'il est établi un défaut d'exploitation des lieux, une absence de garnissement des parcelles et un défaut d'entretien du fonds ; que si le bail à ferme ne prévoit pas de destination contractuelle, il n'en demeure pas moins que, par définition, la propriété a été mise à disposition de Mme [E] [K] « en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole » ; que, le défaut de garnissement des parcelles par un cheptel est la preuve qu'elle n'exploite plus les parcelles, de sorte que le bail rural n'a plus d'objet ;

-que les parcelles litigieuses sont un état d'abandon, contrairement à ce que soutient Mme [E] [K] ; que dans le procès-verbal de constat du 31 mars 2020, Mme [E] [K] se garde de faire constater les parcelles sur lesquels les clôtures sont en état d'abandon ; qu'en outre, les constatations faites par l'huissier de justice mandatée par l'appelante, résultent des travaux d'entretien déployés par cette dernière pour les besoins de sa défense ; qu'également, postérieurement à la saisine du tribunal, de fin janvier 2020 à avril 2020, Mme [E] [K] a mis à disposition les parcelles en litige à une éleveuse d'ovins et de caprins, et ce sans information, ni autorisation préalable des indivisaires'bailleurs ;

-que depuis le jugement rendu le 9 novembre 2020 par le tribunal paritaire des baux ruraux d'Alès, Mme [E] [K] a cru bon de ne plus payer les fermages dus à l'indivision, et ce en dépit de l'effet suspensif de l'appel ; qu'une mise en demeure lui a été adressée par lettre recommandée avec accusé de réception le 6 août 2021, puis le 7 décembre 2021 ; que le fermage dû au titre de l'année 2021 n'a pas davantage été payé ; qu'ils sont donc fondés à demander la résiliation du bail à ferme pour non-paiement de la dette au titre du fermage ;

-que Mme [E] [K] s'est permise de détourner, sans autorisation préalable du bailleur, une installation de forage (sise sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 3]) qui alimentait un immeuble bâti indivis (sis sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 4]) pour les besoins d'un bâtiment dont elle est propriétaire ; que pour ce faire, elle a utilisé la pompe, la cuvée et les tuyaux qui permettaient d'alimenter en eau l'immeuble bâti indivis ; que ces travaux, entrepris illicitement, ont participé à la perte de la valeur de la propriété puisqu'un immeuble bâti indivis n'a plus d'accès direct à l'eau ; qu'il ne s'agit nullement d'une demande nouvelle ; qu'en dépit de la servitude de puisage sur le forage situé sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 3], elle n'était pas en droit de s'accaparer de l'installation raccordant l'immeuble indivis au forage pour alimenter en eau son propre bien ;

-qu'au vu des multiples fautes contractuelles commises par Mme [E] [K], ils sont bien fondés à solliciter des dommages et intérêts ;

-qu'enfin s'agissant de la demande subsidiaire reconventionnelle de l'appelante, les intimés rappellent que les procédures légales codifiées à l'article L411-73 du code rural n'ont pas été observées puisque les installations ont été faites sans autorisation préalable et au détriment de la propriété.

Il est expressément renvoyé aux conclusions déposées par les parties pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

Sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel :

Il résulte de l'application combinée des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, sauf si ces dernières tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ou si ces prétentions étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.

Pour la première fois en appel, les consorts [K] sollicitent la condamnation de Mme [E] [K] au paiement du fermage pour l'année 2020 et la résiliation du bail pour défaut de paiement du fermage.

Les consorts [K] ont initialement saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande résiliation du bail pour absence d'exploitation agricole et de garnissement et d'entretien des parcelles. Il n'était aucunement fait état devant le tribunal paritaire des baux ruraux d'un défaut de paiement de fermage.

Si le fermage de 2020 n'était effectivement dû qu'en fin d'année, tel que cela résulte du contrat de bail, et n'était donc pas exigible lors de la procédure en première instance, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une demande nouvelle sans lien avec les prétentions formulées devant le tribunal paritaire des baux ruraux et qui ne peut en constituer le complément, l'accessoire ou la conséquence. Il en est nécessairement de même pour la demande de résiliation du bail pour défaut de paiement du fermage.

Force est, dès lors, de constater qu'il s'agit de demandes nouvelles irrecevables en cause d'appel.

S'agissant de la demande relative au forage, les éléments du dossier permettent de constater qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle, les consorts [K] ayant uniquement précisé les références cadastrales de la parcelle concernée par le forage qu'ils estiment détourné et dont ils demandaient la remise en état. L'imprécision de leurs demandes en première instance a, en effet, conduit le premier juge à faire état de la parcelle [Cadastre 5], et ce, alors que cette parcelle appartient à Mme [E] [K]. Les détails apportés dans leurs demandes en appel ont uniquement complété les demandes initiales et sont donc recevables en ce qu'elles ne constituent pas des demandes nouvelles au sens des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile.

Sur la recevabilité de l'action intentée par les co-indivisaires :

Aux termes de l'article 815- 3 du code civil, le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :

1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ;

2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ;

3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ;

4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. A défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers.

Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°.

Comme très justement relevé par les premiers juges, une action en justice aux fins de résiliation de bail constitue un acte d'administration ressortissant de l'exploitation normale de biens indivis et peut être réalisée par le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis, conformément à l'article susvisé (Cour de cassation, civ 3ème 29 juin 2011). L'unanimité n'est en effet requise que pour les actes de disposition (autres que celui du 3° de l'article 815-3 du code civil) ou pour tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le 4° de l'article 815-3 du code civil ne visent que la conclusion et le renouvellement des baux et aucunement l'action en résiliation du bail.

L'action intentée par les consorts [K] est donc recevable et la décision entreprise doit être confirmée de ce chef.

Sur la demande tendant à voir écarter le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 décembre 2019 par Me [J] :

Par une juste motivation qu'il convient de retenir, le premier juge a relevé qu'aucun élément ne permettait de déduire de la lecture du procès-verbal de constat d'huissier de justice litigieux que ce dernier a pénétré dans les lieux loués par Mme [E] [K], et ce, alors qu'il était parfaitement possible pour celui-ci de procéder aux constatations depuis un chemin comme cela résulte du texte descriptif et des photographies.

Il n'y a, en conséquence, pas lieu à infirmation.

Sur la demande de résiliation du bail signé le 24 février 1999 :

Il résulte de l'article L411-31 2° du code rural et de la pêche maritime que le bailleur ne peut demander la résiliation du bail s'il justifie notamment d'agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu'il ne dispose pas de la main-d''uvre nécessaire aux besoins de l'exploitation.

Par ailleurs, l'article 1766 alinéa 1 du code civil dispose que si le preneur d'un héritage rural ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s'il abandonne la culture, s'il ne cultive pas raisonnablement, s'il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou, en général, s'il n'exécute pas les clauses du bail, et qu'il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.

Le premier juge, au visa de ces dispositions, a retenu qu'en ne garnissant pas les terres louées, alors même qu'elle ne nie pas avoir eu un cheptel, en n'ayant pas la main d''uvre nécessaire et en n'entretenant pas de manière continue les terres, Mme [E] [K] a commis des manquements qui compromettent nécessairement la bonne exploitation du fonds, notamment en le dévalorisant.

Mme [E] [K] reproche aux premiers juges de s'être à tort appuyer sur son départ à la retraite pour justifier sa décision et d'avoir à tort commis une faute en envisageant, sans autorisation, une cession du bail.

Cependant, il n'est pas contesté que Mme [E] [K] a fait valoir ses droits à la retraite le 31 décembre 2018. Si ce nouveau statut n'est pas susceptible d'entraîner la résiliation du bail à la demande des bailleurs, ces conséquences, à savoir la cessation de toute activité agricole est, en revanche, susceptible d'avoir des effets sur les parcelles louées et la bonne exploitation du fonds, comme le soutiennent les consorts [K]. De la même manière, il n'est, en l'espèce, aucunement reproché à l'appelante une cession non autorisée du bail; en revanche, les démarches entreprises en vue d'une cession, qui n'ont certes pas abouties, constituent un élément supplémentaire venant démontrer la volonté du preneur de cesser son activité agricole.

C'est dès lors de manière justifiée que la décision entreprise a évoqué ces éléments, non pas comme des motifs de résiliation du bail, mais comme des éléments de fait venant appuyer la demande des consorts [K]. Ce moyen de réformation soulevé par l'appelante ne peut, en conséquence, qu'être écarté.

Ainsi, la volonté de cesser son activité, puis la cessation de toute activité agricole le 31 décembre 2018, apparaît en l'espèce démontrée, et au demeurant non contestée. Il en est de même de l'absence de cheptel sur les parcelles louées, et ce alors qu'avant son départ à la retraite Mme [E] [K] exerçait une activité d'élevage de caprins et d'ovins. Le contrat de bail ne prévoit effectivement aucune disposition spécifique obligeant le preneur à disposer d'un cheptel, pour autant il ne peut être contesté que la présence de ces animaux contribuait à assurer un entretien régulier des parcelles loués. L'absence de tout élevage ou de toute exploitation, d'une manière générale, sur les parcelles louées vide le bail à ferme de toute sa substance, le bail se définissant comme une « mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole ».

Le procès-verbal de constat d'huissier établi le 19 décembre 2019 confirme que les parcelles ne sont plus exploitées et qu'elles ne sont pas entretenues, que la végétation de type fougères, ronces ou herbes hautes, est omniprésente et que les clôtures sont en mauvais état. Le procès-verbal établi postérieurement à la demande de Mme [E] [K], et alors que les consorts [K] avaient déjà introduit la présente procédure, soit le 31 mars 2020, s'il vient démontrer que Mme [E] [K] a procédé au débroussaillage, ne permet, en revanche, aucunement d'établir que l'entretien réalisé est régulier et non fait uniquement pour les besoins de la cause. Au surplus, aucune des constatations faites par l'huissier de justice ne permet de connaître l'état des clôtures. Quant à la présence d'arbres fruitiers, d'un jardin potager et d'un petit poulailler, servant manifestement les besoins personnels de Mme [E] [K], ce qui ne peut lui être reproché, ils ne peuvent en aucun cas permettre de considérer que cette dernière exerce une activité agricole sur l'ensemble des parcelles louées.

Fort de ces éléments, c'est à raison que le tribunal paritaire des baux ruraux a retenu que Mme [E] [K] en ne garnissant pas les terres louées, en ne disposant pas de la main-d''uvre nécessaire et en n'entretenant pas les terres de manière continue a commis des manquements qui compromettent la bonne exploitation du fonds. En effet, le défaut d'exploitation et l'absence de démonstration d'un entretien régulier entraîne indubitablement un appauvrissement des terres par l'envahissement des mauvaises herbes et par la dégradation progressive des clôtures et installation. Il apparaît, en conséquence, démontré au cas d'espèce que les manquements du preneur compromettent la bonne exploitation du fonds et justifient la demande en résiliation formulée par les consorts [K].

La décision entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a prononcé la résiliation du bail rural.

Sur la demande relative au forage :

Au visa de l'article L411-73 du code rural et de la pêche maritime duquel il résulte que les travaux d'amélioration doivent être effectués qu'après autorisa-tion du bailleur et qu'à défaut, une remise en état peut être exigée par le bailleur,raison pour laquelle le tribunal paritaire des baux ruraux a condamné Mme [E] [K] à supprimer l'installation de forage réalisée par ses soins, sous astreinte.

Les consorts [K] soutiennent que Mme [E] [K] a détourné, sans autorisation préalable du bailleur, une installation de forage (sise sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 3]) qui alimentait un immeuble bâti indivis (sis sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 4]) pour les besoins d'un bâtiment dont elle est propriétaire (parcelle section A n° [Cadastre 5]).

Il n'est pas contesté que Mme [E] [K] dispose d'une servitude de puisage sur le forage situé sur la parcelle cadastrée section A n° [Cadastre 3]. Il est, également, admis par les parties que l'appelante est propriétaire de la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 5].

Les premiers juges ont, quant à eux, justifié leur condamnation en se fondant sur le procès-verbal de constat d'huissier établi par Me [L], à la demande de Mme [E] [K]. Toutefois, la lecture de ce procès-verbal ne permet pas de comprendre avec précision les faits reprochés à l'appelante. En effet, il est mentionné dans ce procès-verbal que l'huissier de justice se rend sur la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 3], puisqu'il constate la présence de deux forages. Il indique ensuite que le premier forage est installé dans la bergerie sur la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 5] (appartenant à Mme [E] [K]) et que le second, qui est hors service mais qui dispose du matériel nécessaire, se trouve sur la parcelle section A n°[Cadastre 3]. Aucun des éléments figurant dans ce procès-verbal ne permet d'établir que Mme [E] [K] a détourné l'installation de forage se trouvant sur la parcelle louée. Le fait qu'un second forage soit installé sur la parcelle lui appartenant ne permet pas de démontrer le détournement invoqué par les intimés.

Or, aucune autre pièce n'est versé aux débats pour justifier les prétentions des consorts [K]. Il en résulte que, conformément à l'article 9 du code de procédure civile aux termes duquel il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, à défaut de justifier ou de démontrer que Mme [E] [K] a effectivement réalisé sur les parcelles louées des aménagements sans autorisation, les consorts [K] seront déboutés de leur demande et la décision déférée sera réformée de ce chef.

Sur la demande en condamnation à des dommages et intérêts formulées par les consorts [K] :

Par une juste motivation, que la cour adopte, tenant à l'absence de preuve du préjudice invoqué, les premiers juges ont rejeté la demande de condamnation à des dommages et intérêts formulée par les consorts [K]. La décision de rejet sera confirmée.

Sur la demande en condamnation à des dommages et intérêts formulées par Mme [E] [K] :

De la même manière, par des propos pertinents, le tribunal paritaire des baux ruraux a constaté que Mme [E] [K] étant défaillante dans la démonstration des améliorations qu'elle prétend avoir apporté sur le fonds loué et dans la justification de l'autorisation préalable des bailleurs pour la réalisation desdits travaux.

Fort de ces éléments, la décision dont appel sera, également, confirmée de ce chef.

Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sort des dépens et des frais irrépétibles a été exactement réglé par le premier juge.

En cause d'appel, il convient d'accorder aux consorts [K], contraints d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [E] [K], qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance d'appel et ne saurait bénéficier d'une somme au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,

Déclare irrecevables les demandes formulées pour la première fois en appel relatives au paiement du fermage et à la résiliation du bail pour défaut de paiement du fermage,

Déclare recevable la demande relative au forage,

Confirme le jugement rendu 9 novembre 2020 par le tribunal paritaire des baux ruraux d'Alès, en toutes ses dispositions, à l'exception de celle ayant condamné Mme [E] [K] à supprimer l'installation de forage réalisée par ses soins, sous astreinte de 150 € par jour de retard, commençant à courir un mois après la signification du présent jugement et ce pendant un délai d'un mois,

Infirme la décision de ce chef et, statuant à nouveau,

Déboute MM. [N] et [X] [K], Mmes [F] et [H] [K] de leur demande relative au forage,

Déboute Mme [E] [K] de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [E] [K] à payer à MM. [N] et [X] [K], Mmes [F] et [H] [K], ensemble, la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

Condamne Mme [E] [K] aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par Madame GIRONA, Présidente et par Madame PELLISSIER, Greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 2ème chambre section b
Numéro d'arrêt : 20/03214
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;20.03214 ?
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