ARRÊT No
R. G : 11/ 00198
PS/ AI
CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE NIMES
20 décembre 2010
Section : INDUSTRIE
X...
C/
Y...
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 JUILLET 2012
APPELANT :
Monsieur Bernard X...... 30470 AIMARGUES
représenté par la SELARL LAMY CLOTILDE, avocats au barreau de NIMES
INTIMÉ :
Monsieur Alain Y...... 30470 AIMARGUES
comparant en personne, assisté de la SCP TOURNIER et Associés, avocats au barreau de NIMES, plaidant par Maître Sophie TURMEL, avocat au même barreau.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Régis TOURNIER, Président Madame Sylvie COLLIERE, Conseiller Monsieur Philippe SOUBEYRAN, Conseiller
GREFFIER :
Monsieur Yves PETIT, Greffier, lors des débats, et Madame Stéphanie RODRIGUEZ, Greffier, lors du prononcé,
DÉBATS :
à l'audience publique du 02 Mai 2012, où l'affaire a été mise en délibéré au 26 juin 2012, prorogé au 10 Juillet 2012 puis au 24 juillet 2012.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé et signé par Monsieur Régis TOURNIER, Président, publiquement, le 24 Juillet 2012.
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Ayant demandé un relevé de carrière à la CARSAT Languedoc Roussillon et constaté que les années 1973 à 1975 n'étaient pas validées, Monsieur Alain Y... saisissait le Conseil de prud'hommes de Nîmes le 26 janvier 2009 aux fins d'entendre constater le manquement de Monsieur Bernard X... à son obligation de payer les cotisations retraite et de la condamner en conséquence au paiement de diverses indemnités.
Par jugement contradictoire en date du 20 décembre 2010, le Conseil de Prud'hommes :
- jugeait que Monsieur Bernard X... était bien l'employeur de Monsieur Alain Y... pour la période du 01/ 01/ 1973 au 31/ 12/ 1975 et n'avait pas rempli son obligation de payer les cotisations de retraite de Monsieur Alain Y...,
- jugeait que celui-ci n'avait été informé de ce manquement que le 17 mars 2008 et qu'il n'y avait pas lieu à faire application de la prescription,
- condamnait Monsieur Bernard X... à lui payer les sommes de :
-9921, 62 euros à titre d'indemnité pour perte de ses droits avec intérêts de droit à compter de la date de l'introduction de l'instance,
-1. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi,
-1. 000 euros au titre de l'article au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par acte du 12 janvier 2011, Monsieur Bernard X... a régulièrement interjeté appel.
Par conclusions développées à l'audience, Monsieur Bernard X... demande de réformer la décision déférée et de :
- à titre principal, le mettre hors de cause en constatant qu'il n'avait pas la qualité d'employeur de Monsieur Y... ;
- à titre subsidiaire, débouter Monsieur Y... de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 1. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que :
Son père, Alfred X..., inscrit au répertoire des métiers depuis 1946 en qualité d'artisan a fait l'objet d'une procédure de règlement judiciaire courant 1965, Me Z... étant désigné syndic ; si lui même a aidé son père, l'activité était gérée par le syndic qui encaissait les recettes et procédait au règlement des dettes. Au décès de son père, Me Z... lui a indiqué qu'il pouvait poursuivre l'activité de ce dernier pour permettre l'apurement du passif et éviter la vente du patrimoine familial. C'est ainsi que Monsieur Alain Y... a été engagé par Monsieur Alfred X... représenté par Maître Z... à la demande de Bernard X.... Les salaires de Monsieur Y... était payés par Me Z... qui lui remettait des espèces à destination des salariés et le syndic réglait également les cotisations sociales.
Il ne s'est pour sa part inscrit au répertoire des métiers qu'en 1976 et c'est alors qu'il a embauché Monsieur Y... pour poursuivre son activité jusqu'en 1981.
Alors que Monsieur Y... indique avoir été embauché le 1er novembre 1972, il ne réclame aucune cotisation pour les deux derniers mois de 1972 ; les cotisations sociales versées pour ces mois l'ont été au nom de Alfred X.... C'est avec mauvaise foi que Monsieur Y... n'a pas sollicité de la CARSAT le nom de celui qui a alors versé les cotisations.
Sur les bulletins de salaire versés aux débats, apparaît le numéro d'immatriculation de Monsieur Alfred X... ; s'il a apposé sa signature au bas des bulletins de paie dressés pour le compte de son père, c'est afin de notifier au syndic le montant du salaire dû au salarié pour la période concernée.
Il importe peu que Alfred X... ait travaillé ailleurs jusqu'à son décès.
Un autre salarié, Monsieur Daniel Z..., placé dans une situation comparable, a obtenu de la CARSAT la validation des années 1973 à 1975, la caisse considérant que Alfred X... était l'employeur.
Les demandes font double emploi et sont irrecevables au regard de la prescription quinquennale puisque, produisant des bulletins de salaire ne mentionnant pas de détail des cotisations versées, il aurait dû se rapprocher de Me Z... pour obtenir leur rectification.
Par conclusions développées à l'audience, Monsieur Alain Y... demande de :
- à titre principal, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a notamment condamné Monsieur X... à lui payer la somme de 9. 921, 62 euros à titre d'indemnité pour perte de ses droits avec intérêts de droit à compter de la date de l'introduction de l'instance
-à titre subsidiaire, condamner Monsieur X... à lui payer la somme de 9. 524 euros à titre d'indemnité pour perte de ses droits, à parfaire ou compléter, avec intérêts de droit à compter de la date d'introduction de la demande,
- en toutes hypothèses, réformer le jugement et condamner Monsieur X... à lui payer les sommes de :
-2000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
-10. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudices subis,
-1. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que :
Il a été embauché par Monsieur Bernard X... du 1er novembre 1972 au 30 juin 1982.
Lorsqu'il a interrogé la CRAM Languedoc Roussillon pour obtenir un relevé de carrière le 17 mars 2008, il a constaté que l'employeur n'avait pas payé les cotisations retraite pour les trois années 1973 à 1975 ; l'URSSAF lui a proposé de racheter les cotisations arriérées s'élevant à la somme de 9. 921, 62 euros, ce qu'il ne pouvait assumer ; Monsieur X... a alors nié avoir été son employeur ;
Son action n'est pas prescrite puisqu'il n'a été informé de la difficulté qu'à la délivrance de son relevé de carrière par la CRAM le 17 mars 2008.
Il rapporte la preuve de l'existence d'un contrat de travail par les bulletins de salaire signés de Monsieur Bernard X..., les attestations de personnes chez lesquelles il a travaillé pour le compte de Monsieur X..., les propres attestations de Monsieur X... se désignant auprès des organismes de sécurité sociale comme son employeur et il importe peu que Bernard X... ait omis de s'inscrire immédiatement au répertoire des métiers en qualité d'entrepreneur individuel, ne le faisant qu'en 1976 ;
Monsieur X... ne peut pas plus se réfugier derrière Maître Z..., syndic du règlement judiciaire de la société Albert X... et fils, indiquant que celui-ci procédait au règlement des salaires et des cotisations sociales. Ce régime conduisait au maintien du débiteur à la tête de l'entreprise, qui devait procéder au règlement des cotisations. En outre, les salaires étaient payés en espèces comme mentionné sur les bulletins de paie et non par le syndic dont les salariés ignoraient l'existence.
Il justifie avoir exercé tous les recours pour obtenir la révision de son dossier auprès de l CARSAT qui a accepté de valider ces années mais de manière incomplète tant sur le montant du salaire que sur le nombre de trimestres en rachetant deux trimestres pour 9. 524 euros.
Son préjudice est important puisqu'il n'a pas pu prendre sa retraite depuis plusieurs mois alors qu'avant la réforme du régime des retraites, il aurait pu bénéficier d'une retraite pour carrière longue. S'il avait pu prendre sa retraite le 20 octobre 2008, il aurait perçu 1. 164 euros mensuels alors qu'avec la complémentaire, il ne percevra que 1093, 39 euros en ayant travaillé 3 ans de plus ; il est moralement affecté par cette situation restant incertain quant à l'opportunité de prendre sa retraite.
MOTIFS
Sur la qualité d'employeur de Monsieur Bernard X...
Monsieur Y... produit aux débats un ensemble de bulletins de salaire (janvier à octobre 1973, décembre 1973, janvier à avril 1974, août septembre et décembre 1974, janvier et février 1975) ayant pour particularité d'être signés par Monsieur Bernard X... à l'emplacement réservé à l'employeur, lequel ne le conteste pas, tout en portant un numéro matricule 533 301 890 145 dont Monsieur Y... ne conteste pas qu'il s'agisse de celui de Monsieur Alfred X... : il s'agit en effet du même numéro que celui figurant sur les bulletins de salaire d'un second salarié, Monsieur Daniel Z... qui, pour la même période, a vu valider ses trimestres par la CARSAT, laquelle mentionnait Alfred X... en qualité d'employeur.
La date d'embauche invoquée par Monsieur Y... n'est pas plus contestée et il doit être considéré qu'il a commencé à travailler le 1er novembre 1972.
A cette date, il est acquis que Monsieur Alfred X... n'exploitait plus son activité de menuiserie puisqu'il travaillait depuis le 2 septembre 1969 en qualité de salarié de Monsieur A... jusqu'à la date de son décès survenu le 21 mars 1971, selon l'attestation de ce dernier.
Il est donc impossible que le défunt Alfred X..., ait embauché Monsieur Alain Y... qui n'a pu l'être que par Monsieur Bernard X... qui d'ailleurs le payait en espèces et signait les bulletins de salaire.
Monsieur Y... produit également plusieurs attestations dont il résulte que pour les clients de Monsieur Bernard X..., il avait bien la qualité d'ouvrier menuisier travaillant pour le compte de celui-ci.
Pour échapper aux conséquences qui en découlent au regard de sa qualité d'employeur, Monsieur Bernard X... invoque l'existence d'une procédure de règlement judiciaire ouverte à l'encontre de son père, Alfred et soutient que Maître Z..., en qualité d'administrateur, lui remettait les espèces pour payer les salariés.
Or, d'une part, si une telle procédure a existé comme le confirment plusieurs documents à l'entête de Maître Z... ainsi qu'un dépôt de l'état des créances au greffe du tribunal de commerce daté du 2 mars 1967, cette procédure ne peut avoir la moindre incidence à la date d'embauche de Monsieur Y..., date à laquelle le décès d'Alfred X... avait mis nécessairement mis fin à la période de continuation d'exploitation peut être initialement autorisée par jugement du tribunal de commerce pourtant démentie dans les faits puisque Monsieur X... travaillait pour le compte d'autrui. Si Monsieur Bernard X... a poursuivi en la reprenant l'ancienne activité de son père, ce ne peut être qu'en son nom et pour son compte, non pour le compte du règlement judiciaire dont l'objet était de mettre en place un concordat aboutssant au règlement des créanciers ;
D'autre part, le " relevé des dépenses et des recettes du jugement déclaratif à ce jour ", daté du 31 mars 1983, document revêtu du tampon de Me Z... fait état de dépenses réalisées pendant la continuation d'exploitation courant nécessairement jusqu'au décès ;
Aucun des cinq postes de dépenses afférentes à la continuation d'exploitation ne fait état d'un versement à Monsieur Alfred X... pour le paiement en espèces de salaires, alors qu'y figurent des versements d'espèces pour acheter des fournitures.
Un tel document contredit expressément les allégations de Monsieur Bernard X... selon lesquelles les salaires étaient payés en espèces par lui pour le compte de Me Z..., agissant en qualité d'administrateur au règlement judiciaire de son père.
Dès lors que Monsieur Y... a été embauché par lui, qu'il a procédé au règlement de ses salaires en espèces sans pouvoir justifier de son allégation selon lesquelles elles lui étaient remises par Maître Z... dans le cadre du règlement judiciaire alors que la poursuite de l'exploitation par son père avait cessé au décès de celui-ci, qu'il l'a fait travailler sur des chantiers où il ne faisait aucun doute pour les clients qu'il était son ouvrier, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que Monsieur Bernard X... était l'employeur de Monsieur Alain Y....
Sur la prescription
Monsieur Y... était en possession de bulletins de salaire qui faisaient état de retenues pour cotisations sociales sans préciser leur ventilation. Monsieur X... considère qu'il aurait dû le constater alors à la remise de chaque bulletin de salaire et qu'en conséquence, l'action est prescrite.
Or, la prescription de 5 ans qui s'attache au paiement des salaires ne s'applique pas lorsque, comme en l'espèce, la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du créancier et qui doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire. A défaut pour Monsieur Bernard X... de rapporter la preuve du versement des cotisations URSSAF qu'il était tenu de réaliser, et alors que Monsieur Y... n'a appris la difficulté qu'à la suite de sa demande de relevé de carrière daté du 17 mars 2008, l'action introduite le 26 janvier 2009 n'es pas prescrite.
Sur le préjudice
Le manquement de Monsieur Bernard X... à son obligation de payer les cotisations retraite de Monsieur Y... a causé à ce dernier un préjudice né et actuel résultant de la perte de ses droits aux prestations correspondant aux cotisations non versées, se traduisant par une expression financière et morale.
Sur le plan financier, il convient de retenir la nécessité de régulariser les cotisations selon les décomptes URSSAF adressés les13 et 16 octobre 2009 à Monsieur Y... qui s'élèvent, pour les trois années concernées, à la somme de 9. 921, 62 euros. La régularisation de ce versement aux services de l'URSSAF générera le rétablissement de ses droits aux prestations vieillesse pour les trois années considérées.
Sur le plan moral, les difficultés rencontrées par Monsieur Y... qui se trouve confronté 36 années après le début de la relation salariale au déni de celle-ci, avec toutes les incertitudes générées sur la possibilité de partir à la retraite dans les meilleures conditions en tenant compte de l'ensemble de son activité professionnelle crée un préjudice que les premiers juges ont raisonnablement arbitré à la somme de 1. 000 euros.
Il convient ainsi de confirmer le jugement déféré dans l'ensemble de ses dispositions.
L'équité commande d'allouer à Monsieur Y... une somme de 500 € au titre des frais exposés par lui en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant
Condamne Monsieur Bernard X... à payer à Monsieur Alain Y... la somme de 500 euros pour ses frais en application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le condamne aux entiers dépens d'appel
Arrêt signé par Monsieur Régis TOURNIER, Président et par Madame Madame Stéphanie RODRIGUEZ, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT