COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère Chambre A
ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2011
ARRÊT N
R.G. : 10/04082
CJ/CM
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PRIVAS
05 août 2010
SAS CHOMARAT TEXTILES INDUSTRIES
C/
CHSCT DE LA SOCIÉTÉ CTI
APPELANTE :
SAS CHOMARAT TEXTILES INDUSTRIES,
poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social
39 Avenue de Chabannes
07160 LE CHEYLARD
représentée par la SCP POMIES-RICHAUD VAJOU, avoués à la Cour
assistée de Me Michel DERAMECOURT, avocat au barreau de VALENCE
INTIMÉ :
CHSCT DE LA SOCIÉTÉ CTI
pris en la personne de son secrétaire en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
39 Avenue de Chabannes
07160 LE CHEYLARD
représenté par la SCP TARDIEU Michel, avoués à la Cour
assisté de la SCP MASANOVIC - PICOT - DUMOULIN - THIEBAULT - CHABANOL, avocats au barreau de LYON
Statuant sur appel d'une ordonnance en la forme des référés.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Dominique BRUZY, Président,
Mme Christine JEAN, Conseiller,
M. Serge BERTHET, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Jany MAESTRE, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
à l'audience publique du 21 Juin 2011, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 Octobre 2011.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé et signé par M. Dominique BRUZY, Président, publiquement, le 11 Octobre 2011, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour.
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EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Lors de sa réunion du 15 juin 2010, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société par actions simplifiée CHOMARAT TEXTILES INDUSTRIES a adopté une résolution confiant à SECAFI CTS une mission d'expertise afin d'obtenir un éclairage complémentaire pour lui 'permettre, au-delà de toute polémique relevant de l'événement tragique récent, d'anlyser les risques en cours, d'aborder la nature des causes et des facteurs de ses risques, de partager les conclusions du diagnostic et travailler autour des préconisations de l'expert, de l'aider à faire des propositions d'actions de prévention en matière de conditions de travail'. L'employeur a contesté cette décision devant le Président du tribunal de grande instance de Privas qui, par ordonnance en la forme des référés du 5 août 2010, l'a débouté de sa contestation et l'a condamné à payer au CHSCT la somme de 3.588 € en application des articles L.4612-23 et 700 du code de procédure civile.
La société CHOMARAT a relevé appel de cette ordonnance.
Par conclusions du 31 janvier 2011 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et de ses moyens, elle demande à la Cour de constater :
- l'inutilité du recours à l'expertise,
- l'absence de risque grave constaté dans l'établissement,
- l'absence de projet,
- l'absence de projet important,
- réparant l'omission de statuer, le coût manifestement surélevé de la mission d'expertise proposée.
Elle sollicite en conséquence l'annulation pure et simple de la délibération du CHSCT du 15 juin 2010, de débouter ce dernier de l'ensemble de ses demandes et de le condamner aux dépens.
Par conclusions du 29 décembre 2010 auxquelles il est expréssément référé pour un plus ample exposé de ses prétentions et de ses moyens, le CHSCT de la société CTI demande à la Cour de constater l'existence d'un risque grave dans l'établissement, de dire et juger justifiée la délibération du 15 juin 2010 décidant de recourir à un expert et de condamner la société appelante à lui payer la somme supplémentaire de 3588 € TTC au titre de ses frais d' avocat en cause d' appel.
MOTIFS
La question de la consultation du CHSCT sur la démarche d'identification des risques psycho-sociaux, des méthodes et les moyens d'évaluation de ces risques, des mesures de prévention était à l'ordre du jour de la réunion du CHSCT du 15 juin 2010 et le premier juge à, à juste titre, retenu que la désignation d'un expert pour obtenir un éclairage complémentaire est en lien avec la méthode d'évaluation de ces risques. Le CHSCT peut valablement délibérer sur un sujet en lien implicite mais nécessaire avec une question à l'ordre du jour. La demande d'annulation de la délibération litigieuse pour non inscription à l'ordre du jour ne peut donc prospérer.
"L'article L.4614-12 du code du travail dispose que :
Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé :
1 ) Lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement;
2 ) En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L.4612-8."
Les conditions dans lesquelles l'expert est agréé par l'autorité administrative et rend son expertise sont déterminées par voie réglementaire.
En application de l'article L.4614-13 du code du travail, les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur et si ce dernier entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, il saisit le juge judiciaire. Aux termes de l'article R.4614-19 du même code, "le Président du tribunal de grande instance statue en urgence sur les contestations de l'employeur relatives à la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise."
En l'espèce, il est constant qu'un salarié de la société CHOMARAT TEXTILES INDUSTRIE s'est suicidé au mois d'avril 2011 et que la direction de la société et les représentants du personnel se sont opposés sur le lien de cet événement tragique avec les conditions de travail dudit salarié de sorte que la question d'un risque grave révélé par ce fait, dont la direction conteste toute relation avec le travail , ne pouvait être étudiée en concertation avec celle-ci. La décision postérieure de la CPAM de PRIVAS de prendre en charge ce décès au titre de la législation sur les accidents du travail, relevant que le salarié concerné était profondément perturbé par sa mutation et les changements de ses conditions de travail, a d'ailleurs fait l'objet d'un recours de l'employeur. La délibération contestée vise "l'aggravation des conditions de travail et l'impact sur la santé physique et mentale des salariés" et évoque " l'événement tragique récent" se rattachant au risque grave identifié en lien avec les changements d'affectation sur d' autres sites et les conséquences sur les conditions de travail ou en tout cas la perception de ces conséquences par les salariés et la nécessité d'identifier les causes de ces risques. C'est donc à tort que la société appelante reproche au premier juge une immixtion dans la gestion de l'entreprise alors d'une part, que les dispositions de l'article 4614-12 du code du travail ne subordonnent pas le droit du CHSCT de recourir à un expert au constat préalable que le CHSCT ne peut trouver auprès des services spécialisés de l'entreprise de réponse à la question posée et que d' autre part, en l'espèce, la position de la direction sur les causes de ce décès excluait toute étude interne sur le risque grave qu'il révélait dont la réalité même était (et reste) formellement déniée par l'employeur.
Il ressort des procès-verbaux des réunions antérieures du CHSCT et notamment de ceux en date du 25 septembre 2008, 27 août 2009 et 12 février 2010 que les problèmes de santé physique et morale dans l'établissement consécutifs à des mutations ou aux changements d'affectation et les difficultés ressenties par de nombreux salariés dans le cadre des mobilités géographiques ou professionnelles apprises par affichage des horaires ont été expressément évoqués tout comme les arrêts maladie en lien avec celles-ci. Le médecin du travail a fait état des difficultés constatées en lien avec ces changements d' affectation pour plusieurs salariés. Le 12 mai 2010, elle a rencontré la direction pour signaler "un accroissement de la souffrance au travail et une démotivation" en lien notamment avec les mutations fréquentes générant du stress et une faible communication.
La question de la situation de souffrance au travail ainsi décrite dans l'établissement dans un contexte de changements d'affectation, pour lesquels l'absence d'information et de communication et les incidences sur la santé psychologique des salariés ont été à plusieurs reprises évoquées par le médecin du travail et le CHSCT depuis 2008, constitue un risque grave au sens des dispositions de l'article L.4614-12 susvisé dès lors qu'elle peut engendrer des réactions anxiogènes ou dépressives voire des actes de mise en danger pour les salariés les plus fragiles. Les membres du CHSCT, lequel doit avoir une vision globale des problèmes, ne disposent pas des connaissances requises pour apprécier l'importance des risques encourus qui sont variables d'un salarié à l'autre ni pour en analyser les causes. Le constat de l'existence d'un risque grave justifie le recours à l'expertise que la société CHOMARAT TEXTILES INDUSTRIE est mal fondée à contester.
Sauf abus manifeste non établi en l'espèce, le juge n' a pas à contrôler le choix de l'expert auquel le CHSCT a décidé de faire appel.
La décision déférée sera donc confirmée.
L'appelante conteste le coût de l' expertise qu' elle estime "manifestement surévalué pour ne pas dire abusif". Il y a d' abord lieu de relever sur ce point que l'estimation de l'appelante entre 71.040€ et 109.520€ ne correspond pas à celle de l'expert désigné ; en effet, le document de travail préalable transmis par l'expert à la société évalue entre 24 et 37
le nombre de journées de travail mais en incluant le travail d' analyse et la rédaction des rapports d' étape et du rapport final, soit un coût estimé de 35.520€ à 54.760€ HT, et non en facturant la rédaction en sus contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante. La rédaction de la proposition d'intervention est comprise dans les deux journées prévus pour les contacts initiaux, les réunions de début de mission et l' analyse de la demande. Les périodes d'observation "peuvent être prévues" mais ne le sont pas d'emblée de sorte que l'évaluation maximale n'est pas forcément atteinte et que le coût réel dépendra des investigations nécessaires dans les limites de la mission. Aucun abus n'est caractérisé dans l'évaluation du coût de l' expertise.
L'employeur doit supporter le coût de l'expertise et les frais de sa contestation qui inclut le remboursement des honoraires d'avocat du CHSCT dès lors qu'aucun abus du CHSCT n'est établi. Une somme supplémentaire de 3.588€ sera donc allouée au CHSCT intimé au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Dit l'appel régulier et recevable en la forme mais mal fondé,
En conséquence,
Confirme la décision déférée,
Condamne la SAS CHOMARAT TEXTILES INDUSTRIES à payer au CHSCT la somme supplémentaire de 3.588€ en application des articles 700 du code de procédure civile et L.4614-13 du code du travail,
Condamne la SAS CHOMARAT TEXTILES INDUSTRIES aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP TARDIEU, avoués, sur ses affirmations de droit, dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Arrêt signé par Monsieur BRUZY, Président et par Madame MAESTRE, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,