COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 24 JUIN 2008
ARRÊT No 977
R. G. : 06 / 03207
BO / LR
CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE CARPENTRAS 04 juillet 2006 Section : Commerce
LA POSTE C / X...
APPELANTE :
LA POSTE prise en la personne de son représentant légal en exercice Cours du Président Kennedy 84021 AVIGNON CEDEX 1
représentée par Maître Jacques TARTANSON, avocat au barreau D'AVIGNON
INTIMÉE :
Madame Sandra X... épouse Y... née le 07 Avril 1973 à SAULT (84390) ... 84390 ST TRINIT
représentée par Maître Anne-France BREUILLOT, avocat au barreau de CARPENTRAS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2008 / 123 du 13 / 02 / 2008 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Nîmes)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Régis TOURNIER, Président, Madame Brigitte OLIVE, Conseiller, Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Patricia SIOURILAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l'audience publique du 14 Mai 2008, où l'affaire a été mise en délibéré au 24 Juin 2008
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé et signé par Monsieur Régis TOURNIER, Président, publiquement, le 24 Juin 2008, date indiquée à l'issue des débats,
FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Madame Sandra Y... était engagée par LA POSTE suivant contrat de travail à durée déterminée du 23 avril 1992 pour une durée d'une semaine en remplacement d'un agent absent.
Par la suite, d'autres contrats à durée déterminée étaient conclus pour le même motif jusqu'au mois de janvier 1994.
Le 24 janvier 1994, il était conclu un contrat de travail intermittent à durée indéterminée aux termes duquel Madame Y... était embauchée « en vue de faire face aux fluctuations d'activité ou de pallier les défaillances imprévisibles affectant ponctuellement le fonctionnement des services de LA POSTE » sur les centres de Sault, Saint Christol, Mormoiron, Bédoin, Mazan et Carpentras.
Le 5 juin 2001 elle faisait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie lequel se prolongeait sans interruption jusqu'au 31 mars 2003.
Le 28 février 2003 le statut de travailleur handicapé lui était reconnu par la COTOREP alors que précédemment la Caisse Primaire d'Assurance maladie rejetait sa demande de pension d'invalidité et cessait le versement des indemnités journalières à compter du 31 octobre 2002.
Elle faisait l'objet d'un examen médical le 4 février 2003, à la demande de l'employeur, par le Docteur Z..., médecin généraliste agrée pour les fonctionnaires, qui concluait à une « incapacité permanente et définitive à l'exercice de ses fonctions sans possibilité de reclassement », ces conclusions étant confirmées par un nouvel examen effectué par le docteur A..., le 25 février 2003.
Par courrier du 27 février 2003, elle était convoquée à un entretien préalable fixé au 7 mars suivant et licenciée le 9 avril 2003 pour inaptitude physique aux fonctions et impossibilité de reclassement.
Contestant la légitimité du licenciement, elle saisissait le Conseil de Prud'hommes de Carpentras le 11 juillet 2003 en vue d'obtenir la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de voir prononcer la nullité du licenciement et d'obtenir paiement des indemnités de rupture et de dommages et intérêts.
Par jugement du 4 juillet 2006 le Conseil de Prud'hommes requalifiait les contrats et condamnait LA POSTE à payer à Madame Y... les sommes de : *800, 83 Euros d'indemnité de requalification ; *10. 000 Euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ; *3. 000 Euros de dommages et intérêts pour non respect des obligations contractuelles ; * 1. 601, 33 Euros d'indemnité compensatrice de préavis et 160, 13 Euros de congés payés y afférents ; * 1. 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. LA POSTE était condamnée à rembourser les indemnités chômage servies à la salariée dans la limite de 6 mois.
Par acte du 28 juillet 2006 LA POSTE interjetait régulièrement appel de cette décision.
Par conclusions développées à l'audience, elle soutient essentiellement que :
- l'employeur n'est pas obligé d'affecter le salarié recruté en remplacement au poste même occupé par la personne absente et pouvait recourir au contrat de travail à durée déterminée pour remplacer un autre salarié de l'entreprise appelé à occuper provisoirement le poste vacant ;- Madame Y... ne peut pas arguer de son ancienneté à compter du 28 avril 1993, puisque son dernier contrat de travail à durée déterminée est arrivé à échéance le 8 janvier 1994 avant la conclusion du contrat de travail à durée indéterminée ;- elle bénéficie d'un statut particulier en sa qualité d'établissement public à caractère industriel et commercial et le recours aux services de santé du travail est facultatif en application de l'article L 241-1 alinéa 3 du code du travail ;- elle a mis en place une organisation médicale conforme à celle prévue par le statut de la fonction publique qui s'applique aux agents contractuels de droit privé selon les circulaires des 25 janvier et 16 juin 1993 ;- le constat de l'inaptitude médicale de Madame Y... par deux médecins agrées est donc régulier ce qui rend le licenciement justifié ;
Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement, au rejet des prétentions de Madame Y... et au paiement de la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame Y... expose que :
- la mention portée dans les contrats signés les 28 avril et 30 juin 1993 « pendant son absence pour doublure » démontre que le salarié remplacé n'était pas absent mais renforçait un autre employé sur un autre poste, ce qui ne correspond pas à l'un des cas prévus par l'article L 122-1-1 du code du travail ; de plus le contrat du 27 mai 1993 ne comporte aucune indication relative au nom du salarié remplacé pour une vacance d'emploi, ce qui n'est pas conforme aux dispositions de l'article L 122-3-1 du code du travail ;- seul le médecin du travail est qualifié pour déterminer l'aptitude ou non d'un salarié à reprendre son poste de travail à l'issue de deux examens espacés de 15 jours en application de l'article R241-51 du code du travail ;- les avis rendus par les deux médecins mandatés par LA POSTE ne sont pas valables et ne sauraient être assimilés aux avis requis par les dispositions précitées ;- LA POSTE qui n'assure pas de service public administratif est un établissement public industriel et commercial qui relève de l'article L. 231-1 alinéa 1er et non de l'alinéa 3 du code du travail, est soumise aux dispositions générales du code du travail en matière de contrôle médical des agents de droit privé, étant précisé qu'une simple circulaire interne ne peut pas faire office de loi ;- le licenciement est donc nul en vertu de l'article L 122-45 du code du travail ;- elle a déposé plainte avec constitution de partie civile contre X devant le juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance d'Avignon pour violation du secret médical qui pourrait fonder un sursis à statuer et justifie une demande complémentaire de dommages et intérêts.
Elle conclut à la confirmation du jugement et demande en sus une somme de 15. 000 Euros à titre de dommages et intérêts pour violation par LA POSTE du secret médical et non respect des obligations en matière de médecine du travail outre une somme de 3. 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la requalification
Aux termes de l'article L. 1242-2 du Code du Travail, « sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, dans les cas suivants : 1o Remplacement d'un salarié, en cas d'absence, de passage provisoire à temps partiel conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur, de suspension de son contrat de travail, de départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, d'attente de l'entrée en service effective du salarié recruté par contrat de travail à durée indéterminée appelé à le remplacer (...). »
Jusqu'à son embauche le 24 janvier 1994 sous forme de contrat de travail à durée indéterminée intermittent, Madame Y... était liée avec la POSTE par des contrats de travail à durée déterminée conclus en vue de remplacer des salariés.
Si effectivement l'employeur n'a pas pour obligation d'affecter le salarié recruté en remplacement au poste même occupé par le salarié absent, il n'en demeure pas moins que l'origine du remplacement proposé en contrat de travail à durée déterminée doit être l'absence d'un salarié, en application du texte susvisé.
Le contrat du 28 avril 1993 vise le remplacement de Monsieur B..., « pendant son absence pour doublure », ce qui démontre que ce salarié n'était pas absent mais renforçait un autre poste. Il en est de même en ce qui concerne le contrat de travail à durée déterminée du 30 juin 1993.
Le contrat du 27 mai 1993 ne comporte aucune indication relative au nom du salarié remplacé et à sa qualification, ce qui n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 1242-12 du Code du Travail.
Dès lors, la méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-2 et L. 1242-12 du Code du Travail fonde la requalification de la relation de travail en durée indéterminée, en application de l'article L. 1245-1 et l'octroi de l'indemnité de requalification égale à un mois de salaires soit 800, 87 Euros, prévue par l'article L. l 245-2 dudit code.
Le jugement sera confirmé.
Sur le licenciement
Aux termes des articles L. 4111-1 et L 4111-2 du Code du Travail les dispositions relatives à la santé et à la sécurité au Travail sont applicables 1 o aux établissements publics à caractère industriel et commercial (...) qui peuvent faire l'objet d'adaptations par décret en Conseil d'Etat, compte tenu des caractéristiques particulières de certains de ces établissements et des organismes de représentation du personnel existant, ces adaptations assurant les mêmes garanties aux salariés.
L'article L. 241-1 alinéas 1 et 2 du code du travail devenu L. 4621-1 stipule que les dispositions relatives aux services de santé au travail assurés par des médecins du travail sont également applicables aux établissements mentionnés aux 1o, 2o et 3o de l'article L. 4111-1.
La POSTE est un établissement public industriel et commercial qui emploie des fonctionnaires et des agents contractuels de droit privé.
Se fondant sur des circulaires internes de janvier et juin 1993 et sur les décrets du 28 mai 1982 et du 14 mars 1986, elle considère que le recours aux services de santé du travail est facultatif et que les agents contractuels de droit privé qu'elle emploie sont soumis à l'organisation médicale identique à celle prévue par le statut de la fonction publique dans la mesure où celle-ci assure les mêmes garanties que celles du droit commun.
Les décrets sus énoncés concernent les fonctionnaires de la POSTE et non les agents contractuels de droit privé.
Le décret No97-451 du 6 Mai 1997 qui donnait compétence au médecin de la Prévention d'assurer la surveillance médicale de tous les salariés de la POSTE, sans distinction entre fonctionnaires et agents privés, a été annulé par arrêt du Conseil d'Etat du 13 novembre 1998.
Il n'existe dès lors aucun décret autorisant la POSTE à appliquer aux agents contractuels de droit privé qu'elle emploie une organisation médicale dérogeant aux dispositions des articles L. 4622-1 et suivants du code du travail.
Les circulaires invoquées n'ont aucune valeur réglementaire.
En conséquence, les deux examens effectués par des médecins généralistes agréés pour les fonctionnaires ne sauraient produire aucun effet quant à l'inaptitude qui aurait dû être constatée conformément aux dispositions de l'article R. 4624-31 du Code du Travail.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que le licenciement de Madame Y... était nul en vertu de l'article L. l132-1 du Code du Travail.
Ils ont fait une juste appréciation du préjudice subi par Madame Y... en lui allouant une indemnité de 10. 000 Euros et du montant de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents.
Toutefois, il n'est nullement justifié d'un préjudice complémentaire distinct de celui résultant de l'illicéité du licenciement, ouvrant droit à réparation. Le remboursement des indemnités chômage prévu par l'article L. 1235-4 du Code du Travail ne peut être ordonné en cas de nullité du licenciement.
Le jugement sera donc réformé sur cette partie du litige.
Sur les autres demandes
Madame Y... fait une demande en cause d'appel tendant à l'indemnisation du préjudice subi en raison de la violation du secret médical.
Elle a déposé une plainte contre X, objet d'une information en cours devant le juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance d'Avignon.
Il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de disjoindre cette demande et d'ordonner la radiation de cette instance qui pourra faire l'objet d'une réinscription à la diligence des parties quand l'affaire sera en état d'être jugée, après obtention d'une décision pénale définitive.
La POSTE supportera la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Prononce la disjonction de l'affaire statuant sur l'instance no 06 / 3207,
Réforme le jugement déféré et statuant à nouveau,
Rejette la demande de dommages et intérêts complémentaires ;
Dit n'y avoir lieu à remboursement par la POSTE des allocations chômage ;
Statuant sur la demande nouvelle en cause d'appel tendant à l'octroi d'une somme de 15. 000 Euros à titre de dommages et intérêts pour violation du secret médical, et objet de la disjonction qui portera le numéro RG 08 / 2539,
Ordonne la radiation de cette affaire qui se poursuivra sur ce numéro.
Dit qu'elle pourra être réinscrite à la diligence des parties quand l'affaire sera en état d'être jugée, après obtention d'une décision pénale définitive ;
Condamne la POSTE aux entiers dépens d'appel de l'instance no 06 / 3207.
Arrêt signé par Monsieur TOURNIER, Président et par Madame SIOURILAS, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,