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23/03/2001 | FRANCE | N°1999/4559

France | France, Cour d'appel de nîmes, Chambre sociale, 23 mars 2001, 1999/4559


FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES : Mme Madeleine X... épouse Y... a été embauchée le 1er septembre 1967 par Me Borderie, huissier de justice à Montpellier, en qualité de secrétaire-opératrice de saisie, par contrat de travail à durée indéterminée. Le contrat de travail s'est poursuivi avec les successeurs de Me Borderie et en dernier lieu, la S.C.P. d'Huissiers Merle et Chauchard depuis le 22 octobre 1992. Mme X... a été promue le 12 novembre 1991 clerc-significateur assermenté. Le 13 juillet 1995 Mme X... été convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception à u

n entretien préalable de licenciement fixé au 24 juillet suivant, puis...

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES : Mme Madeleine X... épouse Y... a été embauchée le 1er septembre 1967 par Me Borderie, huissier de justice à Montpellier, en qualité de secrétaire-opératrice de saisie, par contrat de travail à durée indéterminée. Le contrat de travail s'est poursuivi avec les successeurs de Me Borderie et en dernier lieu, la S.C.P. d'Huissiers Merle et Chauchard depuis le 22 octobre 1992. Mme X... a été promue le 12 novembre 1991 clerc-significateur assermenté. Le 13 juillet 1995 Mme X... été convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception à un entretien préalable de licenciement fixé au 24 juillet suivant, puis reporté au 16 août 1995. Elle a ensuite été licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 août 1995, son employeur lui reprochant de n'avoir pas accepté de se plier à un nouvel horaire de travail. Contestant cette décision, la salariée a saisi le Conseil de prud'hommes de Nîmes le 9 février 1996. Par jugement en date du 25 novembre 1997, dont il n'a pas été interjeté appel, le Conseil de prud'hommes de Nîmes a condamné la S.C.P. Merle et Chauchard à payer à Mme Y... une somme de 13.664,00 F à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, et s'est déclaré en partage de voix sur le surplus des demandes de la salariée. Par jugement prononcé après départage le 10 mai 1999, cette juridiction a : - Dit et jugé que la mesure de licenciement dont Mme Madeleine Y... a fait l'objet le 18 août 1995 est sans cause réelle et sérieuse, - Condamné la S.C.P. Merle et Chauchard à payer à Mme Madeleine Y... la somme de 120.000,00 F à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 4.000,00 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Débouté Mme Y... de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, - Débouté la S.C.P. Merle et Chauchard de sa demande fondée sur les

dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire des dispositions du jugement, - Condamné la S.C.P. Merle et Chauchard aux dépens. Le 28 mai 1999 la S.C.P. d'Huissiers Merle et Chauchard a relevé appel de la décision du Conseil de prud'hommes qui lui avait été notifiée le 18 mai précédent. Elle demande à la Cour d'appel de Nîmes d'infirmer le jugement entrepris, alléguant de ce que la salariée ne pouvait, sans faute de sa part, refuser une modification de ses horaires de travail, qui ne constituait pas une modification essentielle du contrat. La S.C.P. d'Huissiers Merle et Chauchard sollicite en outre le paiement de la somme de 10.000,00 francs pour les frais de procédure prévus par l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Mme Madeleine X... épouse Y... demande la confirmation de la décision entreprise en son principe mais relève appel incident de celle-ci pour voir porter les sommes allouées à titre de dommages et intérêts aux montants suivants : - 350.000,00 F pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - 100.000,00 F en réparation de son préjudice moral, - les intérêts de retard sur ces sommes depuis le jour de la demande, - 20.000,00 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Pour une plus ample relation des faits, de la procédure et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement du Conseil de prud'hommes et aux écritures déposées, reprises oralement par les parties. * * * * * * * * * * * SUR CE : SUR LE LICENCIEMENT : Attendu qu'en application des dispositions de l'article L.122-14-2 du Code du travail, l'employeur est tenu d'énoncer les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement ; Que le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité du licenciement doit former sa conviction à partir des griefs articulés dans cette lettre de licenciement ; Qu'il convient de rechercher si les griefs allégués

par l'employeur constituent une cause réelle et sérieuse, justifiant la mesure de licenciement du salarié ; Attendu qu'en l'espèce la S.C.P. Merle et Chauchard, Huissiers de justice associés à Montpellier a licencié Mme Madeleine Y... par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 août 1995, avec effet au 30 novembre 1995, motivée comme suit : " Malgré notre entretien du 16/08/1995, vous avez maintenu votre position et considéré que les modifications d'horaires que nous vous proposions n'étaient pas acceptables. Dès lors que votre refus réfléchi et réitéré nous interdit d'organiser votre travail comme nous le souhaitions, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement, en respectant votre choix, pour regrettable qu'il soit à nos yeux." ; Mais attendu que le refus par un salarié d'une proposition de modification de son contrat de travail ne constitue pas une faute justifiant son licenciement ; qu'en effet l'employeur, dans la lettre de licenciement, ne reproche pas à Mme Y... d'avoir désobéi à une instruction formelle de sa part, concernant l'organisation du travail et ses horaires, mais seulement d'avoir refusé une proposition qui lui avait été faite en ce sens, ce qui ne saurait être analysé comme une faute commise par la salariée, à qui un choix était offert entre l'acceptation et le refus ; Attendu par ailleurs que, contrairement aux stipulations de la lettre de licenciement, la S.C.P. Merle et Chauchard soutient que la modification d'horaires notifiée à Mme Y... le 7 juin 1995, ne constituait pas une modification essentielle de son contrat de travail mais relevait seulement de son pouvoir de direction de l'entreprise ; que la salariée ne pouvait donc la refuser sans faute de sa part ; Attendu qu'il résulte des correspondances échangées entre les parties le 14 et le 24 juin 1995, pour Mme Y..., et le 23 juin 1995 pour l'étude Merle et Chauchard, que la salariée a informé son employeur de son intention

de refuser la modification proposée de ses horaires, qui consistait à embaucher à 8 h 30 le matin au lieu de 7 h 45, à cesser le travail de 12 h 30 à 14 heures au lieu de 13 heures à 14 heures et à quitter son travail le soir à 18 heures au lieu de 16 h 45, sauf le vendredi (17 heures); Qu'elle faisait observer à celui-ci qu'elle avait exécuté son horaire de travail pendant 28 ans sans aucun changement par l'employeur et que le nouvel horaire proposé lui était inacceptable car elle ne disposait pas d'un véhicule automobile et demeurait à Cazevieille, à 20 kilomètres de Montpellier, ce qui la rendait dépendante des horaires de travail de son mari et de ceux de sa fille scolarisée ; qu'elle précisait aussi que le dernier car de transport en commun, qui ne la déposait qu'à 4 kilomètres de chez elle, partait à 17 heures le soir et qu'elle ne pourrait donc le prendre, en cas de besoin, avec le nouvel horaire ; que l'exactitude de cette assertion n'est pas contestée par l'employeur ; Attendu que dans sa lettre du 24 juin 1995, Mme Y... contestait également la nécessité de modifier ses horaires en raison de la réorganisation des tâches dans l'étude et accusait son employeur de vouloir lui créer des difficultés insurmontables, volontairement ; Attendu que s'il est vrai que lorsque le contrat de travail ne comporte pas l'indication de l'horaire de travail du salarié, la modification de celui-ci ne constitue pas une modification substantielle du contrat, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce il n'y a aucun contrat de travail écrit entre les parties en violation des dispositions de la convention collective du personnel salarié des huissiers de justice, et qu'il ressort d'un usage constant dans l'entreprise durant 28 années que les horaires de travail du personnel de secrétariat étaient fixés de façon intangible par l'employeur, alors en outre que la modification des horaires de travail qui était proposée était incompatible avec les horaires de transport de la salariée concernée

; Attendu en conséquence que c'est sans faute de sa part que Mme Y... a pu refuser la modification proposée de son contrat de travail, consistant en un changement de ses horaires lui rendant impossible la poursuite de son contrat de travail, ce qui établit le caractère essentiel des horaires dans la convention entre les parties en vigueur depuis 28 années ; Attendu au surplus que même dans le cadre de son pouvoir de direction de l'entreprise, l'employeur qui modifie les horaires de travail d'une salariée doit le faire sans abus de son droit, dans l'intérêt de l'entreprise et non afin de nuire à cette salariée ou de provoquer la rupture du contrat de travail ; Attendu qu'en l'espèce, pour justifier de l'intérêt de l'entreprise à modifier les horaires de travail de Mme Y..., la S.C.P. Merle et Chauchard expose que le fait que ce soit cette salariée qui déposait les actes à signifier au bureau des huissiers lors de son départ à 16 h 40 contraignait les huissiers à interrompre leur activité à ce moment pour contrôler et signer ces actes, ce qui perturbait le fonctionnement de l'étude ; Mais attendu que l'employeur ajoute qu'il avait décidé d'effectuer lui-même cette tâche, Me Chauchard habitant à proximité du bureau commun, ce qui relevait de son pouvoir de direction de l'entreprise quant à la répartition des tâches à effectuer par le personnel salarié ; Qu'il s'ensuit qu'après avoir retiré cette tâche à Mme Y... l'employeur ne subissait plus aucun inconvénient du fait que cette salariée quitte son poste de travail à 16 h 45 et n'avait non plus aucun intérêt légitime à le lui faire quitter plutôt à 18 heures, contrairement à ce qu'il affirme sans élément justificatif des besoins de son entreprise ; Attendu en effet que l'employeur n'indique pas en quoi la suppression de la tâche de dépôt des actes au bureau commun, confiée jusque là à Mme Y... et qui ne lui prenait que quelques minutes chaque jour, nécessitait un changement

de ses horaires de travail ; que dans une lettre du 7 juillet 1995, Me Merle évoque "l'unification des horaires imposés aux personnels", sans plus de précisions ; Attendu en outre qu'il est constant que l'employeur avait déjà tenté de modifier les horaires de Mme Y... le 3 janvier 1992, puis y avait renoncé devant l'opposition de celle-ci ; que dès lors il n'était pas sans savoir que la modification des horaires à nouveau proposée en juin 1995 provoquerait probablement un nouveau refus de la salariée et un conflit ; Attendu qu'il ressort de diverses pièces versées aux débats que l'employeur cherchait manifestement à provoquer la rupture du contrat de travail de Mme Y..., ayant convoqué celle-ci à un entretien préalable de licenciement fixé au 29 mai 1995 par lettre recommandée avec accusé de réception le 17 mai 1995, pour un motif inconnu, procédure qu'il n'a pas menée à son terme pour une raison non indiquée, mais qui se situe une semaine seulement avant l'envoi des horaires modifiés à Mme Y... ; Attendu que le 6 juin 1995, concomitamment avec la notification des nouveaux horaires, la S.C.P. Merle et Chauchard a décerné à Mme Y... un avertissement, contesté par écrit par celle-ci le 14 juin suivant, lui reprochant une dégradation de la qualité de son travail, puis lui a adressé le lendemain une autre lettre, lui rappelant le détail de ses tâches journalières, sans préciser les motifs justifiant l'envoi de ce document ; Attendu qu'il est également produit la copie d'une plainte déposée par Monsieur Y... auprès du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Montpellier le 30 mai 1995, dans laquelle le mari de la salariée accusait nommément Me Merle et Chauchard de harceler moralement son épouse dans le but de l'obliger à démissionner, causant une dépression chez celle-ci, ceci avant même l'envoi de la modification des horaires litigieuse ; que cette plainte a fait l'objet d'une enquête préliminaire menée par la

gendarmerie de Saint Mathieu de Tréviers et atteste du sentiment de harcèlement par son employeur qu'avait Mme Y... à cette époque et du contexte dans lequel est intervenue la modification de ses horaires, hors de toute nécessité objective pour l'entreprise ; Attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris ayant déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme Madeleine Y..., fondé sur une modification de ses horaires de travail imposée par la S.C.P. Merle et Chauchard malgré le refus de la salariée, non dans l'intérêt de l'entreprise, mais afin de nuire à celle-ci et de provoquer son départ de l'Etude ; Attendu que l'entreprise employait habituellement moins de onze salariés lors du licenciement de Mme Y... ; qu'en conséquence celle-ci doit être indemnisée en fonction de son préjudice justifié, par application des dispositions de l'article L.122-14-5 du Code du travail ; Attendu qu'avant son licenciement Mme Y..., âgée de 46 ans, avait un salaire de 7.560,00 F par mois, outre 1.134,00 F de prime d'ancienneté et une prime de 1.066,90 F; qu'après la rupture de son contrat de travail elle justifie avoir envoyé de nombreuses demandes d'emploi à divers employeurs dans la région Languedoc-Roussillon, avoir été indemnisée comme demandeur d'emploi par l'ASSEDIC jusqu'en février 1996 et avoir travaillé à compter du 11 août 1997 comme employée de maison à temps partiel chez Mme Fabienne Z... à Montferrier-sur-Lez (34980), passée à temps complet en septembre 1998 ; qu'elle a été soignée pour une dépression à l'époque et après son licenciement, au vu des certificats médicaux produits ; Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments il convient d'évaluer à la somme de 120.000,00 F le préjudice, tant matériel que moral, subi par Mme Y..., du fait de la privation de son emploi comme des conditions de la rupture de son contrat de travail, après 28 ans d'ancienneté ; Attendu que cette somme indemnitaire étant évaluée au

jour du présent arrêt, les intérêts de retard au taux légal sur son montant ne courront qu'à compter de la notification de cette décision à la partie condamnée et non précédemment ; SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS : Attendu qu'il y a lieu de d'allouer à Mme Madeleine X... épouse Y... la somme de 10.000,00 francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile que devra lui payer la S.C.P. d'Huissiers Merle et Chauchard, condamnée aux entiers dépens d'appel, en sus des sommes allouées de ce chef par le jugement du Conseil de prud'hommes de Nîmes, confirmé également à ce titre; PAR CES MOTIFS : LA COUR, Statuant en matière prud'homale, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit les appels en la forme, Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Nîmes prononcé le 10 mai 1999, par substitution de motifs, en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la S.C.P. d'Huissiers Merle et Chauchard aux dépens d'appel et à payer à Mme Madeleine X... épouse Y... la somme de 10.000,00 francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes les autres demandes. Ainsi prononcé et jugé à N MES le 23 mars 2001. Arrêt signé par Madame FILHOUSE, Président et Madame A..., greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de nîmes
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 1999/4559
Date de la décision : 23/03/2001
Type d'affaire : Sociale

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL - EXECUTION - Modification - Modification imposée par l'employeur - Modification du contrat de travail - Applications diverses.

S'il est vrai que lorsque le contrat de travail ne comporte pas l'indication de l'horaire de travail du salarié, la modification de celui-ci ne constitue pas une modification substantielle du contrat, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce il n'y a aucun contrat de travail écrit entre les parties en violation des dispositions de la convention collective du personnel salarié des huissiers de justice, et qu'il ressort d'un usage constant dans l'entreprise durant vingt-huit années que les horaires de travail du personnel de secrétariat étaient fixés de façon intangible par l'employeur, alors en outre que la modification des horaires de travail qui était proposée était incompatible avec les horaires de transport de la salariée concernée. C'est donc sans faute de sa part, que la salariée a pu refuser la modification proposée de son contrat de travail, consistant en un changement de ses horaires lui rendant impossible la poursuite de son contrat de travail, ce qui établit le caractère essentiel des horaires dans la convention entre les parties en vigueur depuis vingt-huit années

CONTRAT DE TRAVAIL - RUPTURE - Licenciement - Cause - Cause réelle et sérieuse - Défaut - Applications diverses.

Un licenciement fondé sur une modification des horaires de travail d'un sa- larié malgré son refus, et prononcé non dans l'intérêt de l'entreprise, mais afin de nuire au salarié et de provoquer son départ, est sans cause réelle et sérieuse


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.nimes;arret;2001-03-23;1999.4559 ?
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