RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
------------------------------------
COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2024 DU 02 SEPTEMBRE 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00493 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FKOF
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 19/10942, en date du 28 juin 2021,
APPELANT :
Monsieur [B] [K]
né le 06 Août 1955 à [Localité 4] (52)
domicilié [Adresse 2]
Représenté par Me Bertrand MARRION substitué par Me Alice MOUROT de la SCP DUBOIS MARRION MOUROT, avocats au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Madame [I] [W]
née le 28 Mars 1948 à [Localité 3] (55)
domiciliée [Adresse 1]
Représentée par Me Christine BERLEMONT de la SCP MASSÉ BERLEMONT substituée par Me Frédérique MOREL, avocats au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, Président d'audience, chargé du rapport, et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 27 Mai 2024.
A l'issue des débats, le Président d'audience a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 02 Septembre 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
--------------------------------------------------------------------------------------------------------
Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
--------------------------------------------------------------------------------------------------------
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 02 Septembre 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur WEISSMANN, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon contrat oral, Madame [I] [W] a remis du bois sec à Monsieur [B] [K], lequel devait lui remettre du bois vert.
Le 18 décembre 2017, Madame [W] a déposé plainte à la gendarmerie de [Localité 5], indiquant que Monsieur [K] ne lui avait pas remis la totalité du bois.
La procédure a été classée sans suite le 18 juillet 2018 après une médiation pénale.
Par acte signifié le 18 avril 2019, Madame [W] a fait assigner Monsieur [K] devant le tribunal d'instance de Nancy afin de faire constater le manquement de ce dernier à ses obligations contractuelles et d'être indemnisée de ses préjudices.
Par jugement contradictoire du 28 juin 2021, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- condamné Monsieur [K] à payer à Madame [W] la somme de 4185 euros à titre de dommages et intérêts,
- débouté Madame [W] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice moral,
- condamné Monsieur [K] aux dépens,
- condamné Monsieur [K] à payer à Madame [W] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Pour statuer ainsi, le premier juge a constaté l'existence d'un contrat oral entre Monsieur [K] et Madame [W] concernant l'échange de bois sec contre du bois vert bien qu'ils ne s'accordent pas sur l'année de conclusion. Il a considéré que Monsieur [K] avait emporté 93 stères de bois et que Madame [W] attendait qu'il lui remette du bois de chauffage coupé et de bonne qualité. Il a retenu que Monsieur [K] avait rapporté des grumes de 4 mètres et non des stères de bois découpés, sans démontrer l'accord de Madame [W] ou de son fils à ce sujet. Il a ajouté que les photographies produites démontraient la mauvaise qualité du bois livré par Monsieur [K], dont la quantité était indéterminée. Il en a conclu que Monsieur [K] avait manqué à ses obligations contractuelles.
Concernant l'indemnisation, le premier juge a retenu un montant de 45 euros par stère (montant minimal non contesté par Monsieur [K]), soit un préjudice de 4185 euros pour 93 stères.
Il a débouté Madame [W] de sa demande relative au préjudice moral au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un état de faiblesse au moment de la conclusion du contrat, ni d'une relation particulière de confiance ou d'amitié entre eux.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 3 août 2021, Monsieur [K] a relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 2 mars 2022, la cour d'appel de Nancy a radié l'affaire pour défaut d'exécution de la décision de première instance.
Le 12 mars 2024, l'affaire a été remise au rôle sous le n° RG 24/00493.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 8 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [K] demande à la cour, sur le fondement des articles 1103 et 1315 du code civil, de :
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
À titre principal,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nancy du 28 juin 2021,
Et statuant à nouveau,
- débouter Madame [W] de l'intégralité de ses demandes,
À titre subsidiaire,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nancy du 28 juin 2021,
Et statuant à nouveau,
- ordonner que le préjudice que pourrait éventuellement invoquer Madame [W] soit limité à la somme de 990 euros,
À titre infiniment subsidiaire, si le jugement était confirmé,
- ordonner la restitution des 75 stères de bois qu'il a remis à Madame [W],
En tout état de cause,
- rejeter l'appel incident au titre d'un préjudice moral,
- condamner Madame [W] à la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
- condamner Madame [W] aux entiers dépens de l'instance.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 22 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [W] demande à la cour, sur le fondement des articles 1103, 1142 ancien et 1231-1 du code civil, de :
- déclarer l'appel de Monsieur [K] recevable mais mal fondé,
- en conséquence, l'en débouter,
- confirmer le jugement du 28 juin 2021 en ce qu'il a condamné Monsieur [K] à lui payer la somme de 4185 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution de ses obligations contractuelles,
- déclarer recevable et bien fondé son appel incident,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement du 28 juin 2021 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.
- statuant à nouveau, condamner Monsieur [K] à lui régler la somme de 1000 euros en réparation de son préjudice moral,
- débouter Monsieur [K] de toutes ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [K] à verser une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant,
- condamner Monsieur [K] à lui verser la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel,
- condamner Monsieur [K] aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 9 avril 2024.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 27 mai 2024 et le délibéré au 2 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LES DEMANDES PRINCIPALES
Sur le manquement contractuel
L'article 1315 ancien du code civil, applicable à l'espèce, dispose : ' Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation'.
Monsieur [K] soutient qu'il était seulement tenu de rapporter du bois vert dans le même volume que le bois sec pris, qu'aucune condition n'existait quant à la forme (stère), ni quant à la nature du bois (chène ou bouleau), ni quant au délai de restitution.
Il précise que le bouleau est un bois de chauffage et conteste avoir remis un bois de mauvaise qualité, dès lors qu'il pouvait effectivement être utilisé en tant que bois de chauffage.
Il prétend que la forme du bois (stère) n'était pas une condition du contrat comme le lui aurait indiqué le fils de Madame [W]. Il ajoute s'être ultérieurement engagé à le couper et que Madame [W] a refusé au motif que la qualité du bois n'était pas celle attendue, car elle souhaitait une essence identique.
Concernant la quantité, Monsieur [K] conteste avoir emporté plus de 70 stères de bois.
Madame [W] rappelle que dans le cadre de ce contrat oral, il convient de rechercher la commune intention des parties. Elle souligne que le contrat prévoyait l'échange de bois sec contre du bois vert devant lui permettre de se chauffer, que ce bois devait donc avoir pour qualité essentielle d'être du bois de chauffage et de pouvoir être utilisé comme tel, ce qui n'était pas le cas du bois remis par Monsieur [K].
Concernant la quantité, Madame [W] soutient que Monsieur [K] a emporté 93 stères de bois et produit des photographies et des attestations pour en justifier.
Il est établi par les pièces produites aux débats, notamment les procès-verbaux d'audition par les services de gendarmerie et les attestations, que Madame [W] utilise le bois comme moyen de chauffage et que Monsieur [K] a emporté des stères découpés d'un mètre de longueur de bonne qualité, de bois de chêne, hêtre, frêne et charme.
L'affirmation de Madame [W] selon laquelle Monsieur [K] a pris une quantité de 93 stères est notamment confirmée par le procès-verbal d'audition et l'attestation de Monsieur [Z] [Y].
Il est par ailleurs établi que Monsieur [K] a remis du bois de qualité inférieure (bouleau) dont la forme (grumes de 4 mètres) ne permettait pas son utilisation pour le chauffage. Ainsi, il a rendu des 'grumes grossières, c'est-à-dire des billes très difficiles à exploiter' (audition de Monsieur [Z] [Y]), 'du bois blanc (bouleau) de mauvaise qualité' (attestation de Monsieur [Z] [Y]), 'du bois de très mauvaise qualité et inexploitable, et qui ne passe pas dans la cheminée', 'des sortes de souches inexploitables' (audition de Monsieur [U] [P]), du 'bois pourri et surtout bois de moindre qualité' (attestation de Monsieur [J] [N]).
Certes, le bouleau est également un bois de chauffage. Toutefois, il résulte de la fiche d'information sur les bois produite par Madame [W] en pièce n° 11 que les stères de bois emportés par Monsieur [K] (notamment du chêne, du hêtre, du frêne et du charme) correspondaient à des essences de bois de groupe 1 offrant une combustion optimale, alors que les grumes qu'il a remises étaient du bois de bouleau, appartenant au groupe 3 ayant 'malheureusement une combustion rapide'. Ces propriétés sont confirmées par l'extrait de site Internet produit par Monsieur [K] en pièce n° 6, duquel il résulte que les essences de bois prises par ce dernier chez Madame [W] permettent de fournir de la chaleur sur une plus longue durée.
Monsieur [K] ne démontre nullement son affirmation selon laquelle le fils de Madame [W] aurait donné son accord pour qu'il restitue des grumes et non des stères d'un mètre.
Compte tenu des développements qui précèdent, la proposition de Monsieur [K] de couper les grumes remises n'était pas satisfaisante puisqu'il est établi qu'il s'agissait de bois d'une qualité inférieure à celui qu'il avait pris chez Madame [W]. Cette dernière était donc en droit de refuser d'en prendre livraison. Ainsi, quelle que soit la quantité de grumes déposée par Monsieur [K], le manquement contractuel de ce dernier correspond à la totalité des stères emportés chez Madame [W], soit 93 stères.
Sur l'indemnisation du préjudice matériel de Madame [W]
Monsieur [K] conteste le montant du préjudice retenu par le tribunal. Il précise que si la cour retenait que 93 stères auraient dû être rapportés sous forme de bois de type 1 (chêne), le préjudice devrait être évalué par rapport à la différence de prix de 3 euros entre les deux essences, soit 45 euros pour le chêne et 43 euros pour le bouleau [42 euros en réalité pour le bouleau selon sa pièce n° 10] . Il en résulterait selon lui une somme globale de 990 euros (60 stères x 3 euros = 180 euros + 93-75 = 18 stères x 45 euros = 810 euros).
En outre, il estime que Madame [W] ne peut se prévaloir du fait que le bois n'est pas coupé dès lors qu'elle a refusé sa proposition en ce sens.
Madame [W] expose que Monsieur [K] a vendu le bois qu'il a récupéré de telle sorte qu'il est redevable d'une somme de 4185 euros (93 stères x 45 euros) au titre du préjudice matériel subi.
Elle ajoute que la question de la coupe du bois remis n'a aucune incidence car il était de mauvaise qualité.
Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, il n'y a pas lieu de prendre en compte les grumes remises par Monsieur [K] pour déterminer le préjudice subi par Madame [W], le manquement contractuel correspondant à la totalité des stères emportés chez Madame [W], soit 93 stères.
Aucune des deux parties ne conteste le montant de 45 euros par stère retenu par le premier juge au vu de la pièce n° 10 de Monsieur [K].
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné ce dernier à payer à Madame [W] la somme de 4185 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur l'indemnisation du préjudice moral de Madame [W]
Madame [W] soutient qu'elle a subi un préjudice moral dès lors que Monsieur [K] a abusé de sa confiance et profité de l'état de faiblesse dans lequel elle se trouvait à la suite du décès de son époux.
Monsieur [K] rétorque que Madame [W] ne rapporte pas la preuve de ce préjudice.
Le premier juge a à bon droit considéré au vu des pièces produites que Madame [W] ne rapportait pas la preuve de l'état de faiblesse allégué, ni d'une relation particulière de confiance ou d'amitié entre Monsieur [K] et elle.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral.
Sur la demande de Monsieur [K] de restitution du bois remis
À titre infiniment subsidiaire, Monsieur [K] sollicite la restitution du bois qu'il a remis au motif que le laisser à Madame [W] constituerait un enrichissement sans cause, cette dernière étant désintéressée par les sommes versées à titre de dommages et intérêts.
Madame [W] expose que ce bois de mauvaise qualité est entreposé sur un terrain communal depuis des années de telle sorte qu'elle n'a pas connaissance de son état. S'opposant à sa restitution, elle sollicite à titre subsidiaire qu'elle se fasse à la charge et aux frais de Monsieur [K].
Madame [W] est indemnisée par rapport à la totalité du bois emporté par Monsieur [K], soit 93 stères. En conséquence, elle ne saurait conserver le bois déposé par Monsieur [K], qui doit lui être restitué. Il appartiendra à ce dernier de venir le reprendre à ses frais.
SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Monsieur [K] succombant dans son recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamné aux dépens et à payer à Madame [W] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Y ajoutant, Monsieur [K] sera condamné aux dépens d'appel, à payer à Madame [W] la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et il sera débouté de sa propre demande présentée sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 28 juin 2021 ;
Y ajoutant,
Ordonne la restitution à Monsieur [B] [K], à la charge et aux frais de ce dernier, des grumes de bois qu'il a remises à Madame [I] [W] ;
Condamne Monsieur [B] [K] à payer à Madame [I] [W] la somme de 1200 euros (MILLE DEUX CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Déboute Monsieur [B] [K] de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [B] [K] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur WEISSMANN, Président de Chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : R. WEISSMANN.-
Minute en huit pages.