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29/08/2024 | FRANCE | N°23/01966

France | France, Cour d'appel de Nancy, 2ème chambre, 29 août 2024, 23/01966


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT N° /24 DU 29 AOUT 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 23/01966 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FHSH



Décision déférée à la cour :

Jugement du tribunal judiciaire de VAL DE BRIEY, R.G. n° 21/01153, en date du 10 août 2023,



APPELANTE :

Madame [G] [E],

née le 12 août 1989 à [Localité 17] (Portugal),

domiciliée [Adresse 2]

Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY



INTIMÉS :

Monsieur [I] [K],

...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° /24 DU 29 AOUT 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 23/01966 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FHSH

Décision déférée à la cour :

Jugement du tribunal judiciaire de VAL DE BRIEY, R.G. n° 21/01153, en date du 10 août 2023,

APPELANTE :

Madame [G] [E],

née le 12 août 1989 à [Localité 17] (Portugal), domiciliée [Adresse 2]

Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉS :

Monsieur [I] [K],

né le 30 juillet 1956 à [Localité 21] (54), domicilié [Adresse 1]

Représenté par Me Claude BOURGAUX, avocat au barreau de NANCY

Madame [X] [Y] épouse [K],

née le 07 octobre 1957 à [Localité 18] (Grand Duché du Luxembourg), domiciliée [Adresse 1]

Représentée par Me Claude BOURGAUX, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Francis MARTIN, président de chambre et Madame Fabienne GIRARDOT, conseiller, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,

Madame Nathalie ABEL, conseiller,

Madame Fabienne GIRARDOT, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET .

A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 29 Août 2024, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 29 Août 2024, par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte notarié du 30 octobre 2017, Mme [G] [E] a acquis une maison d'habitation, sise [Adresse 2] à [Localité 22], cadastrée section AL n°[Cadastre 3], bénéficiant selon les termes de l'acte d'une servitude de passage sur les parcelles cadastrées section AL n°[Cadastre 4], [Cadastre 11], [Cadastre 14] et [Cadastre 15], cette dernière parcelle appartenant à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] (ci-après les époux [K]).

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception en date du 7 janvier 2021, Mme [G] [E] a fait sommation aux époux [K] de démonter les trois marches d'escalier portant atteinte à la servitude de passage dont elle bénéficie, ayant pour effet de réduire de 94 centimètres le chemin d'une largeur de 2,65 mètres, et de l'empêcher d'utiliser son véhicule de tourisme.

Par courrier du 19 février 2021, les époux [K] ont indiqué que l'escalier d'origine de la maison (qui n'avait jamais été modifié et présentait une vétusté de plus d'un siècle) était le seul accès à leur habitation, et que son enlèvement laisserait place à un dénivelé de plus d'un mètre.

-o0o-

Par acte d'huissier délivré le 30 septembre 2021, Mme [G] [E] a fait assigner les époux [K] devant le tribunal judiciaire de Val de Briey afin de voir ordonner la démolition intégrale de l'escalier constitué de trois marches se situant sur la parcelle de passage sise à [Adresse 20] cadastrée section AL n°[Cadastre 15], et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé le délai de trente jours de la signification du présent jugement, et subsidiairement, sous la même astreinte, de voir ordonner la démolition de la première marche de leur escalier permettant ainsi le passage de son véhicule automobile. Elle a sollicité la condamnation des époux [K] au paiement de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.

Mme [G] [E] a exposé qu'elle bénéficiait d'une servitude de passage sur la parcelle des époux [K] depuis la construction du lotissement, et que leur escalier lui rendait impossible l'usage de la servitude pour y faire passer son véhicule, s'agissant de la seule voie d'accès à son domicile.

Les époux [K] ont conclu au débouté des demandes, et ont sollicité l'allocation de dommages et intérêts.

Ils ont soutenu qu'en raison de l'existence de leur escalier avant la date d'achat de leur bien en 1996, soit depuis plus de trente ans, celui-ci ne pouvait être considéré comme empiétant sur l'assiette de la servitude de passage, qui devait ainsi être considérée comme prenant naissance au pied de ses marches, sur leur parcelle.

Par jugement en date du 10 août 2023, le tribunal judiciaire de Val de Briey a :

- débouté Mme [G] [E] de sa demande tendant à voir à démolir intégralement ou partiellement l'escalier constitué de trois marches se situant sur la parcelle de passage sise à [Adresse 20] cadastrée section AL n°[Cadastre 15],

- débouté Mme [G] [E] de sa demande en dommages et intérêts,

- débouté M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] de leur demande en dommages et intérêts,

- condamné Mme [G] [E] à payer à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] (ensemble) la somme de 900 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [G] [E] de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [G] [E] aux entiers dépens,

- rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Le tribunal a retenu qu'en raison de la situation d'enclave, notamment des parcelles dont Mme [G] [E] était propriétaire, les différents actes de propriétés avaient prévu une servitude de passage sur la parcelle AL n°[Cadastre 15] appartenant à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] pour accéder aux parcelles de Mme [G] [E], et ce notamment pour les voitures de tourisme des riverains. Il a jugé que la servitude était conventionnelle, et prévoyait la possibilité que puisse y passer à la fois un véhicule de tourisme, mais également les poids-lourds de toute nature, de sorte que l'assiette de la servitude de passage, conformément aux conventions passées et bien qu'elle ne soit pas précisée en terme de mesures, ne saurait se limiter en largeur au passage d'un petit véhicule de tourisme. Il en a déduit que cette assiette s'étendait sur l'ensemble de la largeur du passage, jusqu'aux limites de la parcelle cadastrée AL n°[Cadastre 15], hors escalier.

Il a jugé que les prétentions de Mme [G] [E] ne portaient pas sur l'impossibilité de faire usage de la servitude, mais sur l'absence d'usage de la servitude sur la base de l'assiette entre le mur du domicile de M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] et le muret du jardin, et que dans ce cas, la charge de la preuve d'un usage de moins de trente ans incombait à Mme [G] [E] pour démontrer qu'il ne se serait pas éteint. Le tribunal a retenu que Mme [G] [E] ne démontrait pas qu'elle avait fait usage de l'ensemble de l'assiette à laquelle elle prétendait à un moment ou un autre, puisqu'elle précisait que ce n'était que depuis qu'elle avait acquis un nouveau véhicule qu'elle ne pouvait plus en faire usage. Il a constaté que Mme [G] [E] ne contestait pas que l'escalier en question aurait été construit depuis plus de trente ans, et donc qu'il n'avait pas été fait usage de l'assiette à laquelle elle prétendait depuis au moins autant de temps. Il a relevé au surplus l'absence de faute de M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] qui serait liée à l'impossibilité pour Mme [G] [E] de faire usage de la totalité de l'assiette de la servitude à laquelle elle prétendait. Il a énoncé que la destruction de l'escalier contreviendrait aux dispositions de l'article 702 du code civil puisqu'elle conduirait à une aggravation de la condition du fonds servant. Le tribunal a jugé qu'à défaut de démontrer que la prescription extinctive n'était pas acquise, il pouvait être déduit que l'assiette de la servitude à laquelle Mme [G] [E] prétendait était éteinte.

Il a jugé que Mme [G] [E] ne pouvait se prévaloir d'un préjudice lié à la servitude éteinte dans son assiette originale, et que les difficultés qu'elle rencontrait pour se garer résultaient de l'acquisition d'un véhicule plus large.

Le tribunal a considéré que M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] ne justifiaient pas d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité au titre de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive.

-o0o-

Le 13 septembre 2023, Mme [G] [E] a formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs critiqués, hormis en ce qu'il a débouté M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] de leur demande en dommages et intérêts.

Dans ses dernières conclusions transmises le 7 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [G] [E], appelante, demande à la cour :

- de déclarer son appel recevable et fondé,

Y faisant droit,

- de débouter les intimés de leur appel incident,

- d'infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau,

- de condamner M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] à démolir intégralement l'escalier constitué de trois marches se situant sur la parcelle de passage sise à [Adresse 20] cadastrée section AL n°[Cadastre 15], et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé le délai de trente jours de la signification de l'arrêt à intervenir, subsidiairement, sous la même astreinte, la première marche de leur escalier permettant ainsi le passage de son véhicule automobile,

- de condamner M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices par elle subis sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

- de condamner M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires,

- de condamner M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, Mme [G] [E] fait valoir en substance :

- que le tribunal ne pouvait déclarer la servitude de passage partiellement éteinte ; que l'extinction de la servitude est impossible en raison d'une construction illicite, sur le fondement de l'article 701 alinéa 1 du code civil qui interdit au propriétaire d'un bien grevé d'une servitude d'en diminuer l'usage ou de le rendre plus incommode, s'agissant d'une charge réelle qui pèse sur le fonds ; que le propriétaire actuel doit exécuter les travaux de démolition de l'ouvrage faits par son auteur en violation de la servitude ; que le fait de maintenir une construction illicite sur l'assiette de la servitude n'est le point de départ d'aucune prescription ; que M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] ne peuvent dès lors pas se prévaloir de l'existence de ladite construction illicite pour prétendre à l'extinction d'une partie de l'assiette de la servitude ; qu'en principe, la servitude devrait avoir une assiette de trois mètres pour permettre la desserte complète du fonds, et à tout le moins de 2,65 mètres pour permettre le passage d'un véhicule ; que la largeur des escaliers limite le passage à 1,71 mètres, ce qui interdit l'accès à un véhicule léger autre que de très petite taille, ainsi qu'aux véhicules de secours ou de sécurité contre les incendies ;

- que dès lors qu'elle dispose d'une servitude conventionnelle et résultant du fait de l'homme dont l'existence n'est pas contestable, c'est à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] qu'il incombe de démontrer que cette servitude serait éteinte (et non à Mme [G] [E] de démontrer que la prescription extinctive par le non usage n'est pas acquise, tel que retenu par le tribunal), ce qui ne pouvait advenir s'agissant du seul accès à sa propriété enclavée et compte tenu que le bien n'a pas été inoccupé pendant trente ans ; qu'en tout état de cause, elle serait fondée à en demander le rétablissement sur le fondement de la servitude légale résultant de l'état d'enclave, en application de l'article 682 du code civil, qui exclut qu'une quelconque prescription puisse être invoquée ; que depuis son changement de véhicule, elle se trouve limitée dans son libre accès, et qu'elle conserve intégralement ses droits de l'utiliser à pied et en voiture, n'étant pas tenue de l'exercer dans son intégralité pour pouvoir la conserver ; que ce n'est pas parce que la propriétaire du fonds dominant, Mme [G] [E], n'a pas protesté contre les changements matériels effectués par le propriétaire du fonds servant, qu'elle aurait renoncé à son droit à l'utilisation intégrale de la servitude, et qu'elle peut toujours poursuivre le rétablissement des lieux dans leur état initial, et a minima, la destruction de la première marche de l'escalier ;

- que la restitution de la servitude en son état initial impose la suppression de l'escalier de M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K], qui ne constitue pas l'accès principal à leur propriété, lequel se trouve de l'autre côté de l'immeuble dont l'entrée principale se situe au [Adresse 19] (résultant de la réunion des immeubles n°11 et n°18) ; que la construction illicite constitue une faute au sens de l'article 1240 du code civil et qu'elle subit depuis plusieurs années une limitation au libre accès de sa propriété ; qu'elle ne peut stationner sur sa propriété et a deux enfants en bas âge ; que les échanges entre les avocats de parties avaient uniquement pour but de parvenir à une résolution amiable du litige.

Dans leurs conclusions transmises le 29 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les époux [K], intimés et appelants à titre incident, demandent à la cour :

- de déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Mme [G] [E] à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de Val de Briey du 10 août 2023,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [G] [E] de sa demande tendant à voir à démolir intégralement ou partiellement l'escalier constitué de trois marches, se situant sur la parcelle de passage sise à [Adresse 20] cadastrée section AL n° [Cadastre 15], et en ce qu'il a débouté Mme [G] [E] de sa demande de dommages et intérêts,

- de confirmer également le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [G] [E] à devoir leur payer la somme de 900 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Mais, de faire droit à leur appel incident,

- de condamner Mme [G] [E] à devoir leur payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice, et à devoir leur payer une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour contribuer à leurs frais irrépétibles de défense à hauteur d'appel,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [G] [E] aux entiers dépens, mais de dire qu'elle sera aussi condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel.

Au soutien de leurs demandes, les époux [K] font valoir en substance :

- qu'ils n'ont jamais modifié le passage et que l'assiette de la serviture est dans son état d'origine, à savoir constituée des parties libres telles qu'elles se trouvent actuellement sans que l'on puisse considérer que les marches aient créé un empiètement ; que les escaliers permettant d'accéder depuis leur maison située sur la parcelle n°[Cadastre 16], au passage constituant la parcelle n°[Cadastre 15], puis au jardin situé de l'autre de côté du passage et constituant la parcelle n°[Cadastre 7], ont toujours existé et surtout préexisté à l'acquisition du 28 mars 1996 ; que seules ces marches d'escalier permettent un accès à l'habitation, puisqu'entre le niveau de la porte d'entrée de l'habitation et le niveau du passage, il y a un dénivelé de près d'un mètre ; que si le procès-verbal de constat établi à la requête de Mme [G] [E] le 3 dcembre 2019 indique que les trois marches viennent réduire la largeur de passage d'environ 94 centimètres, le passage se trouve davantage contrarié par une véranda au n°13 de la même impasse ;

- que selon l'article 706 du code civil, la servitude est éteinte par le non usage pendant trente ans, et que les marches sont présentes depuis plus de 100 ans ;

- que c'est en parfaite connaissance de cause, que Mme [G] [E] a acquis sa propriété par un acte du 30 octobre 2017, soit plus de 20 ans après qu'ils aient acquis leur propriété ; que Mme [G] [E] s'est elle-même opposée pendant de très nombreux mois à libérer ledit passage de toute emprise et leur a imposé un véritable harcèlement ; qu'ils ont déposé une main courante en raison des menaces proférées par le concubin de Mme [G] [E] au début du mois de juillet 2019.

-o0o-

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'assiette de la servitude de passage

L'article 686 alinéa 2 du code civil prévoit que l'usage et l'étendue des servitudes se règlent par le titre qui les constitue.

En l'espèce, le tribunal a constaté à juste titre que les actes notariés tendant à l'acquisition par Mme [G] [E] de la parcelle cadastrée section AL n°[Cadastre 3], et par M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] de la parcelle cadastrée section AL n°[Cadastre 15], établis respectivement les 30 octobre 2017 et 28 mars 1996, prévoyaient la constitution d'une servitude de passage réelle et perpétuelle par la société SACILOR, alors propriétaire desdites parcelles, afin de ' permettre aux propriétaires successifs (actuellement la société SACILOR) ou locataires ou occupants successifs, des immeubles ci-dessus désignés, d'y accéder depuis la [Adresse 20], (...) pour les piétons, les voitures de tourisme des riverains exclusivement, les poids lourds de toutes natures (livraisons, déménagements et autres) dont le poids de charge totale par essieu ne dépasse pas deux tonnes et demi (cette limitation de poids ne devant avoir aucun effet en ce qui concerne les véhicules utilitaires tels que ceux chargés de la lutte contre l'incendie, du service de nettoiement communal, et de ramassage des ordures), grevant les parcelles cadastrées section AL [Cadastre 4], [Cadastre 11] [Cadastre 14] et [Cadastre 15] (fonds servants) et profitant aux parcelles cadastrées section AL [Cadastre 3], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 16], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 6] et [Cadastre 5] (fonds dominants). '

Il en résulte que le fonds de Mme [G] [E] cadastré section AL n°[Cadastre 3] peut se prévaloir d'une servitude conventionnelle de passage grevant le fonds de M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] cadastré section AL n°[Cadastre 15].

Or, le titre fixe définitivement l'étendue de la servitude et ses modalités d'exercice, de telle sorte que la servitude de passage doit permettre l'accès à la parcelle de Mme [G] [E] depuis la [Adresse 20] en qualité de piétons ou en voiture, de même qu'aux poids-lourds de 2,5 tonnes, et en tout état de cause à tous véhicules utilitaires des pompiers et des services communaux.

Aussi, le tribunal a justement retenu que l'assiette de la servitude de passage s'étendait sur l'ensemble de la largeur de la parcelle n°[Cadastre 15] appartenant à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K], comprenant les trois marches d'escalier, afin de permettre à Mme [G] [E] d'accéder à sa parcelle n°[Cadastre 3] en voiture.

Sur la prescription extinctive d'une partie de l'assiette de la servitude

L'article 703 du code civil dispose que les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user.

En outre, l'article 704 dudit code énonce que les servitudes revivent si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse en user, à moins qu'il ne se soit déjà écoulé un espace de temps suffisant pour faire présumer l'extinction de la servitude, ainsi qu'il est dit à l'article 707.

En effet, l'article 706 dudit code prévoit que la servitude est éteinte par le non-usage pendant trente ans.

Or, l'article 707 prévoit que les trente ans commencent à courir, selon les diverses espèces de servitudes, ou du jour où l'on a cessé d'en jouir, lorsqu'il s'agit de servitudes discontinues, ou du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, lorsqu'il s'agit de servitudes continues.

De même, l'article 708 dudit code précise que le mode de la servitude peut se prescrire comme la servitude elle-même, et de la même manière.

En l'espèce, il est constant que la disposition matérielle de la parcelle n°[Cadastre 15], comprenant trois marches d'escalier, ne permet pas un usage complet par Mme [G] [E] de la totalité de l'assiette de la servitude de passage, sans pour autant que cela résulte de la mesure de ses besoins ou de ses choix, cas dans lequel aucune réduction de la servitude de passage ne peut intervenir au bout de trente ans.

Or, si l'impossibilité d'exercer totalement la servitude de passage au regard de l'état des lieux n'emporte pas renonciation de Mme [G] [E] à son droit d'utilisation intégrale de ladite servitude, en revanche, Mme [G] [E] ne peut en demander le rétablissement que si la prescription ne lui est pas opposable.

En effet, si l'état matériel des lieux rend impossible l'utilisation du passage en voiture sur une largeur de plus de 1,71 mètres, le non-usage trentenaire entraîne l'extinction du droit de l'utiliser par un véhicule de dimensions supérieures.

Au préalable, il convient de constater que l'impossibilité d'exercer la servitude dans sa totalité ne résulte pas d'agissements illicites de M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K], qui ont acquis la parcelle n°[Cadastre 15] par acte notarié du 28 mars 1996 comportant des plans de coupe où figuraient les marches de l'escalier.

Aussi, les dispositions de l'article 704 du code civil relatives à l'extinction partielle de la servitude par le non usage trentenaire peuvent être invoquées par M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K], propriétaires du fonds servant.

Or, la preuve du non-usage doit être rapportée selon les règles de l'article 1315 du code civil (devenu l'article1353 aux termes de l'ordonnance du 10 février 2016, en vigueur le 1er octobre 2016), de sorte que si trente années se sont écoulées depuis la date du titre constitutif de la servitude, c'est au propriétaire du fonds dominant de démontrer que la servitude a été exercée depuis moins de trente ans pour pouvoir triompher de la prétention du propriétaire du fonds servant qui se prévaut de la prescription.

En l'espèce, il ressort des actes notariés précités que la date du titre constitutif de la servitude attachée aux fonds des parties, et non à leur personne, correspond au 25 mars 1975, date à laquelle la société SACILOR a cédé les parcelles aux premiers acquéreurs.

Or, tente années se sont écoulées depuis la date du titre constitutif de la servitude.

Aussi, il incombe à Mme [G] [E], propriétaire du fonds dominant, de rapporter la preuve que la servitude a été exercée dans sa totalité (sur toute la largeur de la rue sans limitation par les escaliers) depuis moins de trente ans.

Or, il est constant que les escaliers litigieux figurent sur les plans de coupe établis le 12 avril 1996 lors de l'acquisition de leur maison d'habitation par M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K], de sorte que la servitude ne pouvait pas être exercée sur la totalité de l'assiette depuis cette date, Mme [G] [E] n'en ayant elle-même jamais fait usage depuis l'acquisition de son fonds le 30 octobre 2017.

En outre, Mme [G] [E] ne rapporte pas la preuve de l'usage par les propriétaires antérieurs de sa parcelle de la totalité de l'assiette de la servitude sur la parcelle n°[Cadastre 15] avant le 12 avril 1996.

Il en résulte que le non-usage trentenaire de la servitude de passage sur la totalité de la largeur de la parcelle n°[Cadastre 15] appartenant à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K], évaluée à 2,65 mètres, entraîne l'extinction partielle du droit de Mme [G] [E] de l'utiliser sur 0,94 mètre environ, correspondant à l'escalier de trois marches, tel que ressortant des mesures effectuées par ministère d'huissier le 3 décembre 2019.

Par suite, Mme [G] [E] ne peut demander le rétablissement de son droit d'utilisation de la servitude de passage sur la largeur occupée par les marches des escaliers appartenant aux époux [K].

Dans ces conditions, les demandes de Mme [G] [E] ayant pour objet la démolition de tout ou partie de l'escalier édifié sur la parcelle n°[Cadastre 15], ainsi que l'allocation de dommages et intérêts, seront rejetées.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur le rétablissement de la servitude légale résultant de l'état d'enclave

L'existence d'une servitude de passage conventionnelle exclut l'application de la servitude légale de l'article 682 du code civil, sauf si cette servitude est éteinte par prescription.

En l'espèce, il y a lieu de constater que Mme [G] [E] dispose d'une servitude conventionnelle de passage sur la largeur de la parcelle n°[Cadastre 15] appartenant à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K], hormis sur la surface correspondant aux escaliers par suite de l'extinction de son droit.

Aussi, dans la mesure où la servitude conventionnelle n'est pas éteinte en sa totalité par prescription, Mme [G] [E] ne peut solliciter l'application de l'article 682 du code civil.

Sur la demande de dommages et intérêts de M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K]

M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] soutiennent que Mme [G] [E] a acquis sa propriété par un acte du 30 octobre 2017, en toute connaissance de cause, et qu'elle s'est elle-même opposée pendant de très nombreux mois à libérer ledit passage de toute emprise et leur a imposé un véritable harcèlement, faisant état du dépôt d'une main courante en raison des menaces proférées par le concubin de Mme [G] [E] au début du mois de juillet 2019.

Or, aucune faute ne saurait ressortir de l'usage par Mme [G] [E] de son droit tendant à voir rétablir l'intégralité de l'assiette de la servitude de passage figurant à l'acte d'acquisition de sa parcelle.

Par ailleurs, M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] ne rapportent pas la preuve que Mme [G] [E] soit à l'origine du dépôt pendant plusieurs mois d'un sac rempli de terre rétrécissant le passage entre leurs escaliers et le grillage des parcelles situées en face, tel que figurant sur les photographies produites.

Enfin, si M. [I] [K] a rapporté dans le cadre d'une main courante reçue le 10 juillet 2019 des propos menaçants qui auraient été tenus par le mari de Mme [G] [E], en revanche, ce dernier n'est pas partie à la procédure.

Dans ces conditions, M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] ne peuvent prétendre à l'allocation de dommages et intérêts.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires

Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Mme [G] [E] qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens d'appel et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles engagés à hauteur de cour.

M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] ont dû engager des frais non compris dans les dépens afin de faire valoir leurs droits, de sorte qu'il convient de leur allouer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DEBOUTE Mme [G] [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [G] [E] à payer à M. [I] [K] et Mme [X] [Y]-[K] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [G] [E] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d'Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Minute en neuf pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23/01966
Date de la décision : 29/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-29;23.01966 ?
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