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26/08/2024 | FRANCE | N°24/00151

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 26 août 2024, 24/00151


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2024 DU 26 AOUT 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00151 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FJVJ



Décision déférée à la Cour : ordonnance sur incident du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 22/02265, en date du 10 novembre 2023,



APPELANT :

Monsieur [U] [H]

né le [Date naissance 8] 19

90 à [Localité 11] (54)

domicilié [Adresse 4] - [Localité 1]

Représenté par Me Virginie ROYER de la SCP TERTIO AVOCATS, avocat au barreau de NANCY



INTIM...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2024 DU 26 AOUT 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00151 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FJVJ

Décision déférée à la Cour : ordonnance sur incident du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 22/02265, en date du 10 novembre 2023,

APPELANT :

Monsieur [U] [H]

né le [Date naissance 8] 1990 à [Localité 11] (54)

domicilié [Adresse 4] - [Localité 1]

Représenté par Me Virginie ROYER de la SCP TERTIO AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉS :

Madame [K] [T] [L]

née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 11] (54)

domiciliée [Adresse 7] - [Localité 9]

Représentée par Me Catherine CLEMENT de la SCP LAGRANGE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de NANCY

Monsieur [D] [T]

né le [Date naissance 6] 1959 à [Localité 9] (54)

domicilié [Adresse 3] - [Localité 10]

Représenté par Me Catherine CLEMENT de la SCP LAGRANGE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, Président d'audience, et Madame Mélina BUQUANT, Conseillère, chargée du rapport,

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseillère,

selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 17 Juin 2024.

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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A l'issue des débats, le Président d'audience a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 26 Août 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 26 Août 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 23 octobre 2002, le tribunal de grande instance de Nancy a constaté la probable paternité de [G] [T] sur l'enfant [U] [H], né le [Date naissance 8] 1990, et l'a condamné à payer à la mère une pension à fins de subsides.

[G] [T] est décédé le [Date décès 5] 2009.

Par jugement du 1er octobre 2021, le tribunal de grande instance de Nancy, saisi par assignation du 20 octobre 2017, a établi la filiation paternelle de [G] [T] à l'égard de Monsieur [H].

Par actes d'huissier délivrés les 22 et 26 juillet 2022, Monsieur [H] a assigné Monsieur [D] [T] et Madame [K] [T]-[L], enfants reconnus par [G] [T], devant le tribunal judiciaire de Nancy aux fins d'obtenir la désignation d'un notaire pour procéder aux opérations de calcul et d'attribution de sa part dans la succession de [G] [T].

Par ordonnance d'incident contradictoire du 10 novembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nancy a :

- déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action engagée par Monsieur [H] sur le fondement de l'article 887-1 du code civil et dont l'action en pétition d'hérédité est le préalable nécessaire,

- condamné Monsieur [H] aux dépens de l'instance,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que la présente décision met fin à l'instance.

Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a constaté que si les conclusions de Monsieur [H] visaient pour seul fondement l'omission d'héritier prévue par l'article 887-1 du code civil, elle contenait toutefois implicitement une action en pétition d'hérédité, celle-ci en étant le nécessaire préalable. Or, il a retenu que le délai de prescription d'une action en pétition d'hérédité devait être aligné sur celui de l'option successorale, fixé à dix ans par l'article 780 du code civil, et qu'en l'espèce, la prescription était acquise depuis le 12 novembre 2019.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 24 janvier 2024, Monsieur [H] a relevé appel de cette ordonnance.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 3 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [H] demande à la cour de :

- débouter Monsieur [T] et Madame [T]-[L] de toutes leurs demandes,

- déclarer son appel recevable et bien fondé,

- infirmer l'ordonnance rendue le 10 novembre 2023 en ce qu'elle a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action qu'il a engagée sur le fondement de l'article 887-1 du code civil dont l'action en pétition d'hérédité est considérée comme le préalable nécessaire, en ce qu'elle l'a condamné aux dépens de l'instance et en ce qu'elle a dit que la décision mettait fin à l'instance,

Statuant à nouveau,

- déclarer recevable l'action qu'il a introduite,

- déclarer n'y avoir lieu à prescription,

Subsidiairement,

- constater que l'introduction de l'action en recherche de paternité par assignations des 17 et 20 octobre 2017 a interrompu la prescription,

- ordonner le renvoi devant le premier juge pour la poursuite de la procédure,

- condamner Monsieur [T] et Madame [T]-[L] aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à lui payer une somme de 1800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 20 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [T] et Madame [T]-[L] demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance sur incident du juge de la mise en état du 10 novembre 2023, en ce qu'elle a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action engagée par Monsieur [H],

- déclarer en conséquence son appel mal fondé et l'en débouter,

- débouter Monsieur [H] de toutes ses demandes,

- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner Monsieur [H] à leur payer une indemnité de 1800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 27 mai 2024.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 24 juin 2024 et le délibéré au 26 août 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par Monsieur [H] le 3 mai 2024 et par Monsieur [T] et Madame [T]-[L] le 20 mars 2024 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 27 mai 2024 ;

* Sur la nature de l'action en pétition d'hérédité et le délai de prescription

Le fait que l'action en partage introduite par Monsieur [H] contient implicitement et nécessairement une action en pétition d'hérédité n'est pas contesté et correspond à une exacte appréciation de la situation.

La nature, réelle immobilière, réelle mobilière ou personnelle, de cette action et le délai de prescription sont en revanche discutés entre les parties.

Aucun texte ne réglemente l'action en pétition d'hérédité et ne tranche ces deux questions, qui en pratique ne se posaient pas avant les réformes des successions et libéralités (loi du 23 juin 2006 n°2006-728, qui a substitué au délai trentenaire d'option de l'héritier un délai décennal) et du droit de la prescription (loi du 17 juin 2008 n°2008-561 qui a maintenu le délai de prescription des actions immobilières à 30 ans et a abrégé à 5 ans celui des actions personnelles et des actions mobilières).

L'action en pétition d'hérédité a pour vocation de faire reconnaître la qualité d'héritier afin de permettre à celui qui l'exerce de faire valoir les droits qui en découlent. Les droits revendiqués par Monsieur [H] à l'occasion de son action ne sont pas des droits sur des choses, mais des droits contre d'autres personnes, qui ont également la qualité d'héritier, sur une succession qui constitue une universalité dépourvue de la personnalité morale, afin, une fois sa qualité dans la succession établie, de participer au partage. Il s'agit donc de faire valoir sa qualité d'héritier acceptant à la succession, ce qui présente une nature d'une action personnelle.

En outre, il n'apparaîtrait pas justifié de faire dépendre la nature de l'action - et le délai de prescription - de la composition du patrimoine du défunt, selon qu'y figurent uniquement des meubles ou des immeubles ou à la fois des biens meubles et immeubles.

L'action en pétition d'hérédité s'analyse donc comme une action personnelle.

À défaut de texte particulier, l'article 2224 du code civil fixe un délai quinquennal de prescription courant à compter du jour où le titulaire de l'action a eu connaissance des faits lui permettant de l'exercer.

Néanmoins - et au-delà du débat entre action de nature réelle ou personnelle -, c'est exactement que le premier juge a fait prévaloir le délai décennal de prescription du droit d'option de l'héritier prévu à l'article 780 du code de procédure civile, s'agissant d'une succession ouverte après le 1er janvier 2007. Ce texte particulier, qui déroge au texte général, accorde à l'héritier un délai de 10 ans pour opter, à défaut de quoi il est réputé renonçant. Celui qui, faisant valoir sa qualité d'héritier, exerce une action en pétition d'hérédité, doit se voir accorder le même délai pour exercer son action qui n'a pour but que de lui permettre de venir à la succession et qui manifeste sa volonté d'accepter celle-ci.

En conséquence, c'est exactement que le premier juge a retenu que le délai de prescription de l'action était de 10 années.

** Sur le point de départ du délai de prescription

L'article 780 du code civil précise que 'la faculté d'option se prescrit par 10 ans à compter de l'ouverture de la succession' laquelle se produit lors du décès. Cet article, issu de la loi du 23 juin 2006 précitée, s'applique aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007.

La Cour de cassation admet de longue date que le délai de prescription du droit d'option est sujet aux causes légales de suspension et d'interruption ordinaires de celle-ci (Req., 27 janvier 1941 ; 1ère civ. 7 juin 2006, n°04-11.141). Notamment, il est admis que la prescription ne court pas contre le successible qui ignore légitimement l'ouverture de la succession.

En l'espèce, Monsieur [H] fait valoir que le cours de la prescription était suspendu jusqu'au 24 janvier 2022, date à laquelle il indique qu'est devenu définitif le jugement rendu le 1er octobre 2021 qui a établi son lien de filiation vis-à-vis du défunt, considérant qu'il ignorait jusqu'alors les faits lui permettant d'agir.

Néanmoins, il résulte des éléments en débat que si son lien de filiation, condition d'exercice de l'action en pétition d'hérédité, n'était pas établi avant cette date, en revanche, Monsieur [H] n'ignorait pas les liens l'unissant à [G] [T], condamné par jugement du 23 octobre 2022 à verser des subsides, du fait de la possibilité de sa paternité en raison des relations intimes entretenues avec la mère durant la période de conception.

Monsieur [H] avait donc connaissance au moment du décès de [G] [T] des conditions lui permettant d'exercer l'action en pétition d'hérédité, quand bien même il était nécessaire de faire établir préalablement sa paternité de manière judiciaire.

Par ailleurs, Monsieur [H] ne rapporte pas la preuve de ce qu'il était dans l'ignorance légitime du décès de [G] [T].

En conséquence, le délai de prescription a commencé à courir à compter du [Date décès 5] 2009, date du décès de [G] [T].

*** Sur l'effet interruptif de prescription de l'assignation aux fins d'établissement de la paternité

Selon l'article 2241 du code civil, la demande en justice interrompt la prescription.

L'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande, différente par son objet de la première, sauf dans le cas où les actions ont un seul et même but.

En l'espèce, l'action aux fins d'établissement de paternité engagée par assignation des 17 et 20 octobre 2017 par Monsieur [H] n'avait pas pour objet de permettre la création de liens entre celui-ci et son père, qui était déjà décédé depuis 8 ans, et était totalement indépendante des relations, en l'occurrence inexistantes, tant entre ceux-ci qu'entre Monsieur [H] et sa famille paternelle. Aucune demande accessoire, telle que l'adjonction ou la substitution du patronyme du père, n'a été présentée au juge et la finalité unique de l'action était de permettre au demandeur de faire ensuite valoir ses droits d'héritier dans la succession du défunt, constituant le préalable nécessaire au succès d'une telle action.

Les deux actions, en établissement de paternité d'une part et celle objet de la présente instance d'autre part, n'ont été engagées qu'à des fins successorales.

En conséquence, les assignations en établissement de la paternité de [G] [T] sur Monsieur [H] délivrées les 17 et 20 octobre 2017 ont interrompu le délai de prescription de l'action en pétition d'hérédité, contenue dans l'action en partage, qui n'était alors pas accompli et un nouveau délai de 10 ans a commencé à courir le 20 octobre 2017.

Il s'ensuit que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance de l'assignation en partage le 22 juillet 2022.

Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état et de renvoyer l'affaire devant celui-ci.

**** Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Monsieur [T] et Madame [T]-[L] seront condamnés aux dépens de la procédure d'incident devant le juge de la mise en état et l'ordonnance sera infirmée en ce sens.

L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [T] et Madame [T]-[L] seront condamnés aux dépens de l'instance d'appel et à payer à Monsieur [H] la somme de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Ils seront déboutés de leur propre demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nancy le 10 novembre 2023 en ce qu'elle a déclaré irrecevable comme prescrite l'action intentée par Monsieur [H], l'a condamné aux dépens et a dit que la décision mettait fin à l'instance ;

La confirme en ce qu'elle a rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [T] et Madame [T]-[L], tirée de la prescription de l'action intentée par Monsieur [H] ;

Renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nancy aux fins de poursuite de l'instance ;

Condamne Monsieur [T] et Madame [T]-[L] aux dépens de la procédure d'incident devant le juge de la mise en état et aux dépens de l'instance d'appel ;

Les condamne à payer à Monsieur [H] la somme de 1800 euros (MILLE HUIT CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d'appel ;

Les déboute de leur propre demande de ce chef.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur WEISSMANN, Président de Chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : R. WEISSMANN.-

Minute en huit pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24/00151
Date de la décision : 26/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-26;24.00151 ?
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