RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2024 DU 31 JUILLET 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/00601 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FERE
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de VAL DE BRIEY,
R.G.n° 21/00357, en date du 02 mars 2023
APPELANTE :
S.A.S. SOUFFLET AGRICULTURE, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 3]
Représentée par Me Jean-Luc TASSIGNY, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Madame [M] [W] [C]
né le 5 avril 1973 à [Localité 2] (57)
domiciliée [Adresse 1]
Représentée par Me Nicoletta TONTI de la SCP D'AVOCATS PASCAL BERNARD NICOLETTA TONTI, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, Président d'audience, chargé du rapport, et Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
selon ordonnance de Monsieur le Premier Président du 13 mai 2024.
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Puis, à cette date, le délibéré a été prorogé au 31 Juillet 2024.
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 31 Juillet 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur HENON, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 22 novembre 2019, le président du tribunal de grande instance de Val de Briey a rendu une ordonnance enjoignant à Madame [M] [C] épouse [W] de payer à la SAS Soufflet Agriculture la somme de 11237,12 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter du 26 septembre 2019, 1 euro au titre de la clause pénale, 160 euros au titre de l'indemnité forfaitaire et 5,25 euros au titre des frais.
Par acte du 7 janvier 2020, la SAS Soufflet Agriculture a fait signifier cette ordonnance à Madame [C].
Par courrier recommandé avec avis de réception reçu le 6 février 2020, Madame [C] a formé opposition à cette ordonnance.
Par jugement contradictoire du 2 mars 2023, le tribunal judiciaire de Val de Briey a :
- mis à néant l'ordonnance d'injonction de payer du tribunal de grande instance de Val de Briey du 22 novembre 2019 à l'encontre de Madame [C],
- débouté la SAS Soufflet Agriculture de sa demande en paiement,
- débouté Madame [C] de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la SAS Soufflet Agriculture à payer à Madame [C] la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SAS Soufflet Agriculture aux dépens, en ce compris les frais inhérents à la procédure préalable d'injonction de payer,
- rappelé que la décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit.
Pour statuer ainsi, après avoir analysé les bons de livraison et factures produits par la SAS Soufflet Agriculture, le tribunal a relevé que la multiplicité de ces dernières démontrait l'existence d'une relation d'affaires habituelle et pérenne entre les parties et caractérisait un commencement de preuve par écrit.
Cependant, en raison de l'absence de production de bons de commandes pour les marchandises litigieuses, de signature sur les bons de livraison, ou tout du moins de la signature de Madame [C], et compte tenu des dissimilarités entre les quantités de certaines des livraisons et les factures émises, le tribunal a considéré que la demande en paiement de la SAS Soufflet Agriculture ne pouvait pas prospérer sur ce fondement.
Il a estimé que malgré les attestations de Messieurs [F] et [Z] dans lesquelles ils indiquaient que les livraisons n'étaient pas directement faites à Madame [C], mais dans des 'silos Soufflet', qu'ils récupéraient pour lui transmettre, la SAS Soufflet Agriculture ne présentait aucun justificatif permettant de dire qu'elle était autorisée à livrer des marchandises destinées à Madame [C] à un tiers.
Dès lors, au regard de ces éléments, le tribunal a relevé que la SAS Soufflet Agriculture ne démontrait pas l'existence d'une relation contractuelle entre Madame [C] et elle, d'un accord sur le prix des biens délivrés, ni la réalité de ces livraisons.
Enfin, il a estimé que Madame [C] ne pouvait invoquer une procédure abusive dès lors qu'elle ne démontrait pas l'existence de la mauvaise foi de la SAS Soufflet Agriculture.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 22 mars 2023, la SAS Soufflet Agriculture a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 10 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Soufflet Agriculture demande à la cour de :
- dire et juger l'appel qu'elle a régularisé à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Val de Briey le 2 mars 2023 recevable et bien fondé,
- infirmer ledit jugement en ce qu'il :
* a mis à néant l'ordonnance d'injonction de payer du tribunal de grande instance de Val de Briey du 22 novembre 2019 à l'encontre de Madame [C],
* l'a déboutée de sa demande en paiement,
* l'a condamnée à payer à Madame [C] la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamnée aux dépens en ce compris les frais inhérents à la procédure préalable d'injonction de payer,
Statuant à nouveau,
- condamner Madame [C] à lui verser :
* la somme principale de 11237,12 euros outre l'indemnité forfaitaire d'un montant de 160 euros,
*la somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Madame [C] de sa demande tendant à la voir condamner à lui verser la somme de 900 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Madame [C] à lui verser la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens tant de première instance, dans lesquels seront inclus les frais inhérents à la procédure préalable d'injonction de payer, que ceux de la procédure d'appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 13 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [C] demande à la cour, sur le fondement de l'article 1353 du code civil, de :
- confirmer le jugement du 2 mars 2023 en ce qu'il a :
* anéanti l'ordonnance d'injonction de payer qui l'avait condamnée à verser un principal de 11237,12 euros, outre l'indemnité forfaitaire pour 160 euros et les intérêts pour 25,06 euros et 87,89 euros de frais de signification de l'ordonnance,
* débouté la SAS Soufflet Agriculture de l'ensemble de ses demandes,
'La Cour ne pourra que confirmer le chef de demande non critiqué (déclaration d'appel dépourvue de la mention infirmer ou annuler pour ce chef de demande) et non contestée par voie de conclusions (aucune demande d'infirmation de ce chef de demande dans les conclusions d'appelant) relatif à la condamnation au titre de l'article 700 fixé en première instance'
* condamné la SAS Soufflet Agriculture à verser la somme de 900 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer la décision qui l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et statuant à nouveau,
- condamner la SAS Soufflet Agriculture à lui verser la somme de 3000 euros en réparation de son préjudice,
- condamner la SAS Soufflet Agriculture à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SAS Soufflet Agriculture aux dépens de première instance et d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 20 février 2024.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 13 mai 2024 et le délibéré au 1er juillet 2024, délibéré prorogé au 31 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LES DEMANDES PRINCIPALES
Sur la demande en paiement de la SAS Soufflet Agriculture
En vertu de l'alinéa premier de l'article 1353 du code civil, 'Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver'.
En application de ces dispositions légales, il incombe à la SAS Soufflet Agriculture, qui sollicite le règlement de factures, de prouver d'une part l'existence de contrats de vente conclus entre Madame [C] et elle, et donc d'un accord des parties sur la chose et le prix, et d'autre part la délivrance effective des marchandises faisant l'objet de ces contrats.
La SAS Soufflet Agriculture fait valoir les dispositions de l'article L. 110-3 du code de commerce prévoyant que, 'À l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi'.
Cependant, comme l'a retenu à bon droit le tribunal, cet article n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce dès lors que Madame [C] n'est pas commerçante, mais agricultrice.
Le premier alinéa de l'article 1359 du code civil dispose : 'L'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique'.
L'article premier du décret n°80-533 du 15 juillet 1980 précise que 'La somme ou la valeur visée à l'article 1359 du code civil est fixée à 1500 euros'.
Selon l'article 1361 du même code, 'Il peut être suppléé à l'écrit par l'aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve'.
Le premier alinéa de l'article 1362 de ce code précise que 'Constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué'.
L'article 1367 du code civil, premier alinéa, dispose : 'La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l'authenticité à l'acte'.
Il est tout d'abord relevé que des factures, des bons de livraison non signés par celui à qui on les oppose, ainsi que des courriers émanant de celui se prévalant d'un contrat ne peuvent démontrer l'existence de ce contrat en vertu du principe selon lequel 'Nul ne peut se constituer de titre à soi-même' posé par l'article 1363 du code civil.
En l'espèce, la SAS Soufflet Agriculture ne produit aucun contrat de vente comportant sa signature et celle de Madame [C]. Elle ne produit pas davantage de bon de commande portant sur les marchandises qui auraient été livrées à cette dernière et dont elle sollicite le paiement. Outre des factures et des courriers adressés à Madame [C] ne présentant aucun caractère probant, elle produit des bons de livraison. Toutefois, certains d'entre eux ne comportent aucune signature du destinataire. Et pour ceux portant une telle signature, il ne s'agit pour aucun d'entre eux de celle de Madame [C] telle qu'elle apparaît sur son passeport (pièce n° 3).
Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les bons de livraison et factures produits par la SAS Soufflet Agriculture ne constituent pas un commencement de preuve par écrit en ce que, à la différence de ce qui est exigé par le premier alinéa de l'article 1362 du code civil, ces écrits n'émanent pas de Madame [C], mais de la SAS Soufflet Agriculture.
La SAS Soufflet Agriculture produit également deux attestations de Monsieur [G] [F] et de Monsieur [B] [Z] dans lesquelles ces derniers indiquent dans des termes identiques avoir 'eu l'occasion à de multiples reprises d'aller chercher des produits dans les silos Soufflet pour le compte de [W] [M]' (Madame [C]).
Bien que Monsieur [F] précise avoir travaillé d'avril 2016 à octobre 2020 chez Monsieur [W] (contrairement à Monsieur [Z] ne mentionnant aucune période), force est de constater que les auteurs de ces deux attestations n'indiquent aucune date précise quant à ces 'multiples reprises', ni aucune nature et quantité de marchandise permettant d'identifier l'une des livraisons dont la SAS Soufflet Agriculture réclame le paiement. Or, Madame [C] confirme l'existence de relations avec la SAS Soufflet Agriculture en 2017, ayant pris fin en 2018 et elle conteste avoir passé commande en 2019. Ces deux attestations ne permettent donc nullement de démontrer l'existence des contrats allégués par l'appelante.
En outre, comme l'a relevé à bon droit le premier juge, la SAS Soufflet Agriculture ne produit aucun justificatif permettant de considérer qu'elle était autorisée à livrer à un tiers des marchandises destinées à Madame [C].
Enfin, la SAS Soufflet Agriculture ne rapporte pas davantage la preuve de la livraison effective des marchandises. En effet, Madame [C] soutient qu'aucun produit n'a été livré puisqu'elle n'a pas accepté de les recevoir, qu'ils n'ont pas été déchargés et ont été retournés.
En conséquence de ce qui précède, la SAS Soufflet Agriculture ne démontre pas l'existence de contrats entre elle et Madame [C] portant sur les marchandises dont elle sollicite le paiement.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a mis à néant l'ordonnance d'injonction de payer du 22 novembre 2019 et a débouté la SAS Soufflet Agriculture de sa demande en paiement.
Sur la demande présentée par Madame [C] de dommages et intérêts pour procédure abusive
Madame [C] affirme que la SAS Soufflet Agriculture a commis une fraude au jugement en présentant des bons de livraison tout en taisant le fait que les produits n'avaient pas été livrés. Elle estime que cette man'uvre est la preuve que la procédure mise en place est abusive.
L'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue un droit et ne dégénère en abus qu'en cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, le tribunal a considéré à bon droit que Madame [C] ne démontrait pas l'existence de la mauvaise foi de la SAS Soufflet Agriculture.
Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté Madame [C] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier alinéa de l'article 910-4 du code de procédure civile dispose : 'À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures'.
En l'espèce, comme le soutient Madame [C], les conclusions d'appelante de la SAS Soufflet Agriculture notifiées le 16 juin 2023 ne comportaient dans leur dispositif aucune demande d'infirmation du jugement en ce qu'il l'avait condamnée à payer à Madame [C] la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence, cette demande qui n'a été présentée que dans des conclusions ultérieures est irrecevable.
La SAS Soufflet Agriculture succombant dans son recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens, en ce compris les frais inhérents à la procédure préalable d'injonction de payer.
Y ajoutant, la SAS Soufflet Agriculture sera condamnée aux dépens d'appel, à payer à Madame [C] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et elle sera déboutée de sa propre demande présentée sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Déclare irrecevable la demande de la SAS Soufflet Agriculture tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Madame [M] [C] épouse [W] la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Confirme en toutes ses dispositions critiquées le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Val de Briey le 2 mars 2023 ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Soufflet Agriculture à payer à Madame [M] [C] épouse [W] la somme de 2000 euros (DEUX MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Déboute la SAS Soufflet Agriculture de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Soufflet Agriculture aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur HENON, Président de chambre, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : G. HENON.-
Minute en sept pages.