ARRÊT N° /2024
PH
DU 04 JUILLET 2024
N° RG 23/00715 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FEZS
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'Epinal
20/00150
22 mars 2023
COUR D'APPEL DE NANCY
CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2
APPELANTE :
Madame [F] [B]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Julien FOURAY de la SELARL KNITTEL - FOURAY ET ASSOCIES, avocat au barreau d'EPINAL substitué par Me NAUDIN, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Association APF FRANCE HANDICAP agissant poursuites et diligences de son représentant légal pour ce domicilié audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Clarisse MOUTON de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats, sans opposition des parties
Président : WEISSMANN Raphaël
Conseiller : STANEK Stéphane
Greffier : RIVORY Laurène (lors des débats)
Lors du délibéré,
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 11 Avril 2024 tenue par WEISSMANN Raphaël, Président, et STANEK Stéphane, Conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Dominique BRUNEAU et Stéphane STANEK, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 27 Juin 2024 ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 04 Juillet 2024 ;
Le 04 Juillet 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
Madame [F] [B] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par l'association HANDAS à compter du 02 janvier 1984, en qualité de secrétaire comptable.
A compter du 01 septembre 2007, la salariée a accédé au statut de cadre administratif.
La convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cures et de gardes à but non lucratif s'applique au contrat de travail.
A compter du 01 janvier 2011, le contrat de travail de Madame [F] [B] a été repris par l'association APF FRANCE HANDICAP, suite à une fusion absorption de l'association HANDAS par cette dernière.
Par avenant du 01 mai 2018, le temps de travail de la salariée a été réduit à temps partiel sur préconisation de la médecine du travail, suite à des arrêts de travail successifs de la salariée.
Par décision du 06 septembre 2019 de la médecine du travail dans le cadre d'une visite de reprise, Madame [F] [B] a été déclarée inapte à son poste de travail, avec possibilité de reclassement à un poste à moindres responsabilités et à temps partiel 10%.
En date du 18 septembre 2019, l'association APF FRANCE HANDICAP a consulté les délégués du personnel dans le cadre de la procédure de reclassement mise en oeuvre.
Par courrier du 22 septembre 2019, elle s'est vue notifier l'impossibilité de procéder à son reclassement, avec convocation à un entretien préalable au licenciement fixé au 27 septembre 2019.
Par courrier du 12 octobre 2019, Madame [F] [B] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Par requête du 12 octobre 2020, Madame [F] [B] a saisi le conseil de prud'hommes d'Epinal, aux fins :
- de dire et juger la rupture de son contrat de travail comme s'analysant en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et nul,
- en conséquence, de condamner l'association APF FRANCE HANDICAP à lui verser les sommes suivantes :
- 1 804,03 euros à titre de rappel de salaires outre la somme de 180,40 euros au titre des congés payés afférents,
- 7 216,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 721,61 euros sur congés payés afférents,
- 25 000,00 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive et nulle,
- 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- d'ordonner la délivrance sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du jugement à intervenir, des documents de rupture dument régularisés, à savoir :
- les bulletins de salaire faisant apparaitre la rémunération qui aurait dû être versée,
- l'attestation France Travail (ex-Pôle Emploi) faisant apparaitre que la rupture s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et nul, et en faisant apparaitre l'ensemble des sommes qui auraient dû être versées et correspondant aux condamnations et créances fixées par la juridiction saisie.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 22 mars 2023, lequel a :
- constaté que la demande en contestation de la rupture du contrat de travail de Madame [F] [B] est prescrite,
- déclaré irrecevable l'ensemble des demandes de Madame [F] [B] portant sur la rupture de son contrat de travail,
- débouté Madame [F] [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions y compris de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'appel formé par Madame [F] [B] le 05 avril 2023,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de Madame [F] [B] déposées sur le RPVA le 20 février 2024, et celles de l'association APF FRANCE HANDICAP déposées sur le RPVA le 23 janvier 2024,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 27 mars 2024,
Madame [F] [B] demande :
Déclarer recevable et bien fondé l'appel de Madame [B],
Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a :
- constaté que la demande en contestation de la rupture du contrat de travail de Madame [F] [B] est prescrite,
- déclaré irrecevable l'ensemble des demandes de Madame [F] [B] portant sur la rupture de son contrat de travail,
- débouté Madame [F] [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions y compris de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
- de dire et juger Madame [F] [B] recevable et bien fondée en son recours et ses demandes,
- en conséquence, de dire et juger la rupture de son contrat de travail comme s'analysant en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et nul,
- en conséquence, de condamner l'association APF FRANCE HANDICAP à lui verser les sommes suivantes :
- 1 804,03 euros brut à titre de rappel de salaires,
- 180,40 euros brut au titre des congés payés afférents,
- 7 216,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 721,61 euros sur congés payés afférents,
- 25 000,00 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive et nulle,
- 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- d'ordonner à l'association APF FRANCE HANDICAP de délivrer sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du jugement à intervenir, des documents de rupture dument régularisés, à savoir :
- les bulletins de salaire faisant apparaitre la rémunération qui aurait dû être versée à Madame [F] [B],
- l'attestation France Travail (ex-Pôle Emploi) faisant apparaitre que la rupture s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et nul, et en faisant apparaitre l'ensemble des sommes qui auraient dû être versées à Madame [F] [B] et correspondant aux condamnations et créances fixées par la juridiction saisie.
L'association APF FRANCE HANDICAP demande de confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes d'EPINAL du 23 mars 2023 en ce qu'il a :
- constaté que la demande en contestation de la rupture du contrat de travail de Madame [F] [B] est prescrite,
- déclaré irrecevable l'ensemble des demandes de Madame [F] [B] portant sur la rupture de son contrat de travail,
- débouté Madame [F] [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions y compris de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause :
- de dire et juger que le licenciement de Madame [F] [B] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- en conséquence, de débouter Madame [F] [B] de l'ensemble de ses demandes au titre d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
- de débouter Madame [F] [B] de sa demande au titre du maintien de salaire pour la période comprise entre l'avis d'inaptitude et la notification du licenciement,
- de débouter Madame [F] [B] de sa demande à titre de rappels de salaire à hauteur de 1 804,03 euros brut et 180,40 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- de débouter Madame [F] [B] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 7 216,12 euros bruts et 721,61 euros bruts au titre les congés payés afférents,
- de débouter Madame [F] [B] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et nulle à hauteur de 25 000,00 euros,
- de débouter Madame [F] [B] de sa demande au titre des frais irrépétibles à hauteur de 3 000,00 euros,
- de débouter Madame [F] [B] de sa demande de rectification des bulletins de salaire et de l'attestation France Travail (ex-Pôle Emploi),
- de condamner Madame [F] [B] à payer à l'association APF FRANCE HANDICAP la somme de 2 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Madame [F] [B] aux entiers dépens avec faculté de distraction au bénéfice de la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE.
SUR CE, LA COUR
Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de Madame [F] [B] déposées sur le RPVA le 20 février 2024, et de l'association APF FRANCE HANDICAP déposées sur le RPVA le 23 janvier 2024.
Sur la prescription :
L'employeur fait valoir qu'en application de l'alinéa 2 de l'article L. 1471-1 du code du travail, la contestation de son licenciement est prescrite, le licenciement lui ayant été notifié le 12 octobre 2019 et Madame [F] [B] n'ayant saisi le conseil de prud'hommes que le 12 octobre 2020.
Madame [F] [B] fait valoir que son licenciement pour inaptitude est dû au harcèlement moral qu'elle a subi et qu'en conséquence la prescription applicable à son action est quinquennale.
Motivation :
Selon l'article L.1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige :
« Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5.»
Les actions relatives au harcèlement sont donc soumises au délai de droit commun de l'article 2224 du code civil, soit 5 ans.
Au cas particulier, la salariée invoque la nullité du licenciement fondée sur l'article L.1152-1 du code du travail.
Mme [F] [B] a été licenciée 12 octobre 2019. Elle a saisi la juridiction prud'homale par requête du 12 octobre 2020 aux fins de contester son licenciement pour inaptitude, en invoquant l'existence d'un harcèlement moral qui en serait à l'origine.
Compte tenu du délai quinquennal de prescription auquel son action était soumise, celle-ci n'était donc pas prescrite à cette date.
Il y a lieu par conséquent de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de statuer sur le harcèlement moral allégué. Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé sur ce point.
Sur la demande de nullité du licenciement pour inaptitude :
Madame [F] [B] fait valoir que son inaptitude est la conséquence du harcèlement moral qu'elle a subi et que donc son licenciement est nul.
Madame [F] [B] fait valoir qu'elle a été affectée à un poste à temps partiel, sans respect des restrictions d'horaires par le médecin du travail ; qu'elle a été déclassée ; qu'elle a été contrainte de réaliser de nombreuses heures complémentaires ; que sa directrice n'a eu de cesse de la mettre à l'écart, de la dénigrer et la discréditer.
L'employeur conteste tout fait de harcèlement.
Motivation :
Aux termes des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
- Sur l'affectation à un poste à temps partiel sans respect des restrictions d'horaire :
Madame [F] [B] produit une fiche d'aptitude médicale du 12 juin 2013 préconisant un mi-temps thérapeutique, puis du 1er octobre 2013 préconisant une reprise à 60 % (pièce n° 3) et une attestation du Service de Santé au travail du 3 mai 2018 indiquant une reprise à « mi-temps ».
L'employeur produit deux avenants au contrat de travail de Madame [F] [B], celle-ci n'en produisant aucun, dont il ressort qu'en 2007 son temps de travail était de 23 heures par mois et qu'à compter du 1er mai 2018, il était établi à 75 heures 49 minutes par mois au lieu de 136 heures 50 minutes par mois (pièces n° 2 et 3).
Madame [F] [B] indique avoir dû effectuer de nombreuses heures complémentaires. Elle produit des bulletins de salaire desquels il ressort qu'elle a effectué 30 heures complémentaires en décembre 2017, 10 heures complémentaires en janvier 2018, en février 2018, 10 heures complémentaires en janvier en octobre 2018 (pièce n° 25).
L'employeur ne conteste pas que Madame [F] [B] a « effectué, avec son accord, quelques heures complémentaires mais celles-ci n'ont pas eu pour effet de porter sa durée du travail au niveau d'un temps complet ».
Le fait est donc matériellement établi.
- Sur la surcharge de travail :
Madame [F] [B] ne donne aucune explication dans ses conclusions sur la surcharge de travail alléguées.
Si les attestations qu'elle produit font référence aux difficultés relatives à la mise en place d'un nouveau logiciel de gestion de paies, elles ne sont pas suffisamment circonstanciées et précises pour démontrer que Madame [F] [B] était personnellement surchargée de travail (pièces n° 18 à 24).
Le fait n'est donc pas matériellement établi.
- Sur le comportement inadapté de sa directrice :
Madame [F] [B] ne donne là encore aucune précision dans ses conclusions.
Madame [W] indique dans son attestation qu'une directrice, Madame [Y], en fonction de 2007 à 2018, a qualifié le personnel en place, y compris Madame [F] [B], de « vieux meubles » ; qu'en 2013, Madame [Y] lui avait dit à propos de Madame [F] [B] « elle pourrait se suicider, je ne vais quand même pas lui donner un couteau pour qu'elle se coupe les veines ». Elle indique également que Madame [F] [B] s'était « trouvée isolée dans son bureau », que ses collègues avaient interdiction de la voir pour lui demander des renseignements (pièce n° 19).
Les autres attestations ne font pas état d'un comportement de Madame [Y] visant à « mettre à l'écart », « dénigrer » et « discréditer » Madame [F] [B] (pièces n° 18, 20 à 24).
Le fait n'est donc pas matériellement établi.
- Sur le « déclassement » :
Madame [F] [B] fait valoir qu'à partir de 2017, année pendant laquelle elle a été promue « cadre administratif » le 1er septembre, l'évolution de ses fonctions « traduit une rétrogradation continuelle subie » subie par elle (pièce n° 1).
Elle n'indique cependant pas dans ses conclusions de quelle manière elle aurait été rétrogradée ; les pièces produites par son employeur démontrent qu'elle a conservé son statut de cadre administratif jusqu'à son licenciement (pièces n° 29 et 37).
Madame [F] [B] produit également des pièces médicales :
- Un arrêt de travail du 9 septembre 2013 indiquant « Etat anxio-dépressif réactionnel. Refuse ' illisible- du travail » (pièce n° 2) ;
- Un certificat médical d'un médecin généraliste indiquant que l'état de santé de Madame [F] [B] requiert une invalidité Catégorie I (30%) (pièce n° 4) ;
- Un arrêt de travail du 13 avril 2014 faisant état d'un état « anxio-dépressif réactionnel épuisement (pièce n° 4) ;
- Un arrêt de travail du 2 septembre 2019 sans indication de pathologie (pièce n° 9).
La cour constate que Madame [F] [B] ne produit aucun document médical descriptif de sa pathologie qui soit postérieur au 13 avril 2014 ; cependant, il résulte de l'attestation de Madame [C], fille de Madame [F] [B] que celle-ci est atteinte de la « maladie de Ménière », ayant provoqué son premier arrêt de travail en 2011 (pièce n° 23).
Il ressort en outre de la pièce n° 22 de l'employeur que Madame [F] [B] était reconnue travailleuse handicapée depuis 2018 (pièce n° 22).
Le seul élément établi, à savoir l'accomplissement d'heures complémentaires, pris ensemble avec les éléments médicaux, ne laisse pas présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.
Madame [F] [B] sera en conséquence déboutée de sa demande d'annulation de son licenciement pour inaptitude.
Sur demande de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité :
Madame [F] [B] fait valoir que son employeur a manqué à son obligation de sécurité en la surchargeant de travail.
Comme il l'a été motivé ci-dessus, la surcharge de travail dont aurait été victime Madame [F] [B] n'est pas démontrée.
Madame [F] [B] ne fait pas état d'autre manquement de son employeur à son obligation de sécurité.
En conséquence, la demande de voir juger le licenciement de Madame [F] [B] en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sera rejetée.
Sur demande de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.
Madame [F] [B] expose que l'avis des délégués du personnel doit être recueilli par l'employeur, avant la proposition de reclassement, ou en cas d'impossibilité de reclassement, avant l'engagement de la procédure de licenciement.
Elle fait valoir qu'en l'espèce, l'Association APF n'a organisé aucune réunion réelle et sérieuse avec la déléguée du personnel (DP) de l'établissement et n'a pas recueilli son avis sur les possibilités de son reclassement.
Elle indique que la DP n'a pas reçu d'information concernant son reclassement, cette dernière ayant d'ailleurs observé au cours de la réunion du 18 septembre 2019 qu'elle souhaitait que la direction justifie de ce qu'il n'existait pas de poste correspondant aux critères de reclassement du médecin du travail, susceptible d'être proposé à la salariée
Madame [F] [B] fait valoir que la liste des emplois disponibles n'a été communiquée à la DP que postérieurement à la réunion du 18 septembre et que donc cette dernière était dans l'incapacité de rendre un avis utile, rendant sa consultation irrégulière.
L'employeur expose qu'il a effectivement consulté la DP, faisant valoir qu' « aucun formalisme n'est exigé pour recueillir cet avis » et que « les informations transmises à celle-ci lors de cette réunion ont été complétées par un courrier électronique du 20 septembre 2019 avec la liste des postes ouverts au recrutement sur l'ensemble des sites de l'ASSOCIATION APF FRANCE HANDICAP ».
Motivation :
Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1, alinéas 2 et 3, du code du travail, en leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Aux termes de l'article L. 1226-2-1, alinéas 2 et 3 du code du travail, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.
Il résulte de ces textes que la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l'employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce Madame [F] [B] produit le « Procès-verbal de la réunion des délégués du personnel du 18 septembre 2019 » sur lequel la déléguée du personnel a indiqué « les délégués du personnel souhaitent émettre l'observation suivante : fournir la preuve qu'il n'existe pas de poste correspondant aux critères de reclassement du médecin du travail » (pièce n° 10), ce dont il se déduit qu'il ne disposait pas de ces informations lorsque son avis lui a été demandé.
La circonstance que l'employeur lui a adressé lesdites informations le 20 septembre est sans emport dans la mesure où il n'apporte pas la preuve qu'il a à nouveau sollicité l'avis du délégué du personnel antérieurement au licenciement de Madame [F] [B].
Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de Madame [F] [B], le licenciement sera dit sans cause réelle et sérieuse, l'employeur ayant manqué à son obligation de reclassement.
Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis :
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse et l'employeur ne contestant pas à titre subsidiaire le quantum de l'indemnité réclamée par Madame [F] [B], il devra lui verser les sommes de 7216,12 euros, en application de la convention collective qui prévoit une indemnité égale à 4 mois de salaire, outre 721,61 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Madame [F] [B] demande la somme de 25 000 euros.
Compte-tenu de son ancienneté et de son âge au moment de son licenciement et l'employeur ne contestant pas à titre subsidiaire la somme demandée, il devra verser à Madame [F] [B] la somme de 25 000 euros.
Sur la demande de rappel de salaire :
Madame [F] [B] expose que son employeur était tenu de maintenir son salaire entre la date à laquelle le médecin du travail l'a déclaré inapte et celle à laquelle elle a été licenciée.
Elle fait valoir que cela n'a pas été le cas en l'espèce.
Madame [F] [B] réclame en conséquence la somme de 1804,03 euros outre 180,40 euros au titre des congés payés afférents.
L'employeur reconnaît ne pas avoir maintenu son salaire à Madame [F] [B] en septembre 2019, comme l'y obligeait un accord d'entreprise, mais avoir rectifié cet oubli avec la paie du mois d'octobre 2019.
Motivation :
L'avis d'inaptitude a été rendu le 6 septembre 2019 et Madame [F] [B] a été licencié le 12 octobre 2019.
Il ressort du bulletin de salaire produit en pièce n° 24 par l'employeur, que Madame [F] [B] a été remplie de ses droits.
Sa demande sera en conséquence rejetée, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.
Sur les demandes de rectification des bulletins de salaire et de l'attestation France Travail :
La demande de rappel de salaire de Madame [F] [B] ayant été rejetée, il n'y pas lieu d'ordonner que lui soit transmis des bulletins de salaires rectifiés.
En revanche, le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, l'employeur devra lui délivrer une attestation France Travail en ce sens, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une astreinte.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :
L'employeur devra verser à Madame [F] [B] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et sera débouté de sa propre demande.
L'employeur sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal en ce qu'il a débouté Madame [F] [B] de sa demande d'annulation de son licenciement et en ce qu'il a débouté Madame [F] [B] de sa demande de rappel de salaire,
INFIRME pour le surplus le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal en ses dispositions soumises à la cour ;
STATUANT A NOUVEAU
Dit que le licenciement de Madame [F] [B] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne l'association APF-FRANCE HANDICAP à lui verser les sommes suivantes :
- 7216,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 721,61 euros au titre des congés payés afférents,
- 25 000 euros au titre de l'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne l'association APF-FRANCE HANDICAP aux dépens de première instance ;
Y AJOUTANT
Condamne l'association APF-FRANCE HANDICAP à verser à Madame [F] [B] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute l'association APF-FRANCE HANDICAP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne la transmission à France Travail d'une attestation conforme à la décision rendue,
Condamne l'association APF-FRANCE HANDICAP aux dépens.
Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE
Minute en douze pages