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02/07/2024 | FRANCE | N°24/00708

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 02 juillet 2024, 24/00708


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2024 DU 02 JUILLET 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00708 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FK5Z

Décision déférée à la Cour : ordonnance sur incident du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 23/00689, en date du 15 mars 2024



APPELANTES :

Madame [G] [F]

née le 5 janvier 1964 à [Localité 3]

(54)

domiciliée [Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Luc TASSIGNY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant, substitué par Me Jean-Marc ROMMELFANGE...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2024 DU 02 JUILLET 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00708 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FK5Z

Décision déférée à la Cour : ordonnance sur incident du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 23/00689, en date du 15 mars 2024

APPELANTES :

Madame [G] [F]

née le 5 janvier 1964 à [Localité 3] (54)

domiciliée [Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Luc TASSIGNY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant, substitué par Me Jean-Marc ROMMELFANGEN, avocat au barreau de NANCY

Madame [D] [C], épouse [F]

née le 24 août 1936 à [Localité 4] (88)

domiciliée [Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Luc TASSIGNY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant, substitué par Me Jean-Marc ROMMELFANGEN, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

S.A. ENEDIS, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 2]

Représentée par Me Marie-Laurence FOLMER, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Justine ORIER, substituée par Me Ibrahim OUATTARA, avocats au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller, Président d'audience, et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire, chargée du rapport,

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,

selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 27 Mai 2024.

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 02 Juillet 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 02 Juillet 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur WEISSMANN, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [G] [F] et Madame [D] [C], épouse [F], sont respectivement nue-propriétaire et usufruitière d'un terrain situé [Adresse 1].

En 2010, la société anonyme (SA) Enedis a implanté sur ce terrain un poteau en vue de permettre l'acheminement et la distribution de l'électricité.

Par courrier du 2 mars 2022, Madame [G] [F] et Madame [D] [F] ont mis en demeure la société Enedis de procéder à la dépose de ce poteau, et de leur payer la somme de 15000 euros à titre de dommages et intérêts dans le délai de quinze jours.

Par acte de commissaire de justice délivré le 2 mars 2023, Mesdames [F] ont fait assigner la SA Enedis devant le tribunal judiciaire de Nancy aux fins de faire condamner cette dernière à procéder à l'enlèvement du poteau implanté sur leur propriété sous astreinte, et en indemnisation de leur préjudice. La société Enedis a soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence du juge judiciaire.

Par ordonnance contradictoire du 15 mars 2024, le juge de la mise en état a dit que  :

- le tribunal était incompétent pour connaitre du litige,

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- condamné in solidum Madame [G] [F] et Madame [D] [C], épouse [F] à payer à la SA Enedis la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande de Madame [G] [F] et Madame [D] [C], épouse [F], formée au titre de 1'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum Madame [G] [F] et Madame [D] [C], épouse [F] aux dépens,

- rejeté les demandes des parties plus amples ou contraires au dispositif,

- rappelé que la présente décision est assortie de l'exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu que le poteau électrique installé par la société Enedis sur le terrain des consorts [F], constituait un ouvrage public compte tenu de sa finalité, à savoir la distribution d'électricité, nonobstant le fait que la société Enedis soit une personne morale de droit privé. Il a rappelé que dans une telle circonstance, le juge judiciaire n'était compétent qu'en cas de voie de fait, caractérisée par l'extinction du droit de propriété, et non par sa seule limitation et ce tant au regard de l'enlèvement de l'ouvrage public que pour statuer sur la demande de dommages et intérêts.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 11 avril 2024, Mesdames [F] ont relevé appel de cette ordonnance.

Par requête reçue au greffe de la cour le 24 avril 2024, Mesdames [F] ont sollicité l'autorisation d'assigner la SA Enedis à jour fixe au titre des articles 83 et 84 du code civil, autorisation qui leur a été accordée par ordonnance en date du 29 avril 2024 qui a fixé la date de l'audience au 28 mai 2024.

Par assignation en date du 7 mai 2024 et conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 24 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mesdames [F] demandent à la cour de :

- dire et juger leur appel recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance contestée,

Statuant à nouveau,

- dire non fondée l'exception d'incompétence soulevée par la SA Enedis au profit de la juridiction administrative,

- condamner la société Enedis à leur verser une somme de 3500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la procédure sur incident que de la procédure d'appel.

- condamner par ailleurs la SA Enedis aux entiers dépens tant de la procédure d'incident que de la procédure d'appel.

Par écritures en date du 22 mai 2024, la société Enedis a conclu à la confirmation de l'ordonnance contestée et sollicité l'allocation de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties ont comparu à l'audience de plaidoirie fixée le 28 mai 2024 et soutenu leurs moyens écrits. L'affaire a été mise en délibéré au 2 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par les parties les 22 et 24 mai 2024 auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile;

La société Enedis expose liminairement que Madame [D] [C] épouse [F] serait décédée depuis le 31 mars 2023, soit antérieurement à l'ordonnance contestée de sorte qu'elle ne peut être appelante et qu'il n'est pas établi que Madame [G] [F] reprendrait l'instance, laquelle n'aurait plus d'objet dès lors que la demande de déplacement de l'ouvrage électrique était fondée sur le besoin de création d'un accès en voiture du fait du handicap dont souffrait cette personne.

La cour constate que la preuve du décès de cette appelante n'est pas rapportée. Elle resterait en tout état de cause saisie de l'appel interjeté par Madame [G] [F], le débat ne portant à ce stade que sur la compétence du juge judiciaire et non sur le fond.

Cette considération est donc sans emport sur la décision à intervenir.

Sur la compétence du juge judiciaire,

Mesdames [F] font valoir que la SA Enedis a commis une violation manifeste de leur propriété privée au sens de l'article 544 du code civil en implantant un poteau de desserte électrique sur leur terrain, empêchant un accès normal.

Elles soutiennent que le juge de la mise en état a injustement retenu le fondement de l'emprise irrégulière, applicable uniquement à une personne publique, alors qu'elles invoquaient une violation du droit de leur propriété par une entreprise privée et rappellent que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître des litiges opposant deux personnes privées en matière de droit de propriété immobilière, la qualification d'ouvrage public ne pouvant primer sur la qualité de personne morale de droit privé de l'entreprise.

Elle estiment que le juge a dénaturé l'objet de leur demande en exigeant à tort qu'elles justifient de l'extinction de leur droit de propriété.

La société Enedis rappelant la jurisprudence du Tribunal des conflits et de la Cour de cassation selon laquelle le juge administratif est compétent en cas d'implantation d'un ouvrage public sans titre sur une propriété privée et ce quelle que soit la nature publique ou privée de la personne qui a installé cet ouvrage, dès lors que l'implantation n'a pas abouti à une extinction du droit de propriété sur la parcelle considérée, conclut à la confirmation de l'ordonnance contestée.

Sur quoi la Cour,

Aux termes des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile, il incombe au juge de donner ou de restituer leur exacte qualification juridique aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Il est constant en l'espèce que le litige dont le tribunal judiciaire a été saisi porte sur l'implantation sans titre d'un ouvrage destiné à l'alimentation électrique sur une propriété privée, ouvrage réalisé en 2010 par la société ERDF, société de droit privé au droit de laquelle est venue la SA Enedis, pareillement de droit privé et dont il est sollicité d'une part le déplacement et d'autre part l'indemnisation du dommage qui en résulterait.

La décision rendue par le Tribunal des conflits le 17 juin 2013 n°13-3.911 dans un contexte factuel identique a tranché en faveur de la compétence de la juridiction administrative en considérant qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner cessation ou la réparation que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction du droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction du droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration et en considérant qu'un poteau électrique, qui est directement affecté au service public de la distribution d'électricité dont la société ERDF est chargée, a le caractère d'ouvrage public, les demandes de suppression ou de déplacement relevant par nature de la compétence du juge administratif pour autant que l'implantation n'aboutit pas à une extinction du droit de propriété seule de nature à constituer une voie de fait.

Par une décision rendue le 15 décembre 2016, n° 15-20.953, la Cour de cassation a jugé que les demandes d'indemnisation des conséquences dommageables d'atteintes portées à la propriété privée, relevaient également de la compétence du juge administratif.

Il s'ensuit que dès lors que Mesdames [F] n'invoquent pas l'extinction de leur droit de propriété, ni a fortiori n'en justifient, le litige relève bien de la compétence du juge administratif.

C'est donc a bon droit que le juge de la mise en état a renvoyé les appelantes à mieux se pourvoir. Sa décision sera confirmée en toutes ses dispositions.

Mesdames [F] seront condamnées in solidum aux dépens de l'instance d'appel et à payer à la société Enedis la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nancy le 15 mars 2024,

Y ajoutant,

Condamne Madame [D] [C] épouse [F] et Madame [G] [F] in solidum d'une part aux dépens de la procédure d'appel et d'autre part à payer à la société anonyme Enedis la somme de 1500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur WEISSMANN, Président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : R. WEISSMANN.-

Minute en six pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24/00708
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;24.00708 ?
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