RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2024 DU 01 JUILLET 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/00613 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FESE
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire d'EPINAL,
R.G.n° 11-21-000724, en date du 13 mars 2023
APPELANTE :
FEDERATION DÉPARTEMENTALE DES CHASSEURS DES VOSGES (FDCV), prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social sis [Adresse 1]
Représentée par Me Stéphane GIURANNA de la SELARL GIURANNA & ASSOCIES, avocat au barreau d'EPINAL
INTIMÉE :
Association OISEAUX NATURE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social sis [Adresse 2]
Représentée par Me Hervé MERLINGE de la SCP SIBELIUS AVOCATS, substitué par Me Kévin DUPRAT, avocats au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, chargée du rapport,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Isabelle FOURNIER ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 01 Juillet 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 01 Juillet 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, en remplacement de Madame CUNIN-WEBER, Président, régulièrement empêchée, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par arrêté du 31 mai 2021, le préfet des Vosges a autorisé la chasse de l'alouette des champs tous les jours du 19 septembre 2021 au 31 janvier 2022.
Par requête du 29 juillet 2021, l'association Oiseaux Nature, qui bénéficie de l'agrément d'association de protection de l'environnement dans le département des Vosges, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy de suspendre l'exécution de cet arrêté.
Relevant que le préfet ne peut autoriser la chasse de l'alouette des champs que si le nombre maximal des oiseaux chassés permet de ne pas compromettre les efforts de conservation entrepris dans l'aire de distribution de cette espèce et d'éviter à terme sa disparition, et notant que l'alouette des champs est classée 'quasi menacée' sur la liste rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine, le juge des référés administratif a, par ordonnance du 18 août 2021, suspendu l'exécution de l'arrêté préfectoral du 31 mai 2021.
Cet arrêté a finalement été annulé par jugement du 18 juillet 2023 en ce qu'il n'a pas interdit la chasse à l'alouette des champs, dans une instance à laquelle la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges (ci-après 'la FDCV') est intervenue volontairement.
Par acte d'huissier en date du 29 novembre 2021, l'association Oiseaux Nature a fait assigner la FDCV devant le tribunal judiciaire d'Epinal aux fins d'obtenir des dommages et intérêts, en raison de la publication sur le site internet de celle-la des dates de chasse de l'alouette des champs fixées par l'arrêté alors suspendu.
Par jugement contradictoire du 13 mars 2023, le tribunal d'Épinal a :
- condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice écologique,
- condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif environnemental,
- condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 225,20 euros au titre des frais de constat,
- condamné la Fédération des Chasseurs des Vosges aux entiers dépens de l'instance,
- condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que la présente décision est de droit assortie de l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal a rappelé que le code de l'environnement imposait une pratique régulée de la chasse afin de contribuer au maintien, à la restauration et à la gestion équilibrée des écosystèmes en vue de la préservation de la biodiversité. Rappelant qu'en application des articles L. 421-5 et L. 421-10 du code de l'environnement, les fédérations départementales des chasseurs, à statut associatif, participent à des missions de service public et ont mission, notamment de participer à la protection et à la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats et de conduire des actions d'information, de formation, d'éducation et d'appui technique à l'intention des gestionnaires des territoires, du public et des chasseurs, actions concourant directement à la protection et à la reconquête de la biodiversité, il a en déduit que sa mission d'information et d'appui technique lui imposait une veille législative et réglementaire, notamment en informant sur son site internet des dates d'ouverture de la chasse dans le département par espèce et qu'elle était tenue d'informer des événements pouvant affecter le droit de chasser.
Dès lors, elle ne saurait invoquer le fait qu'elle n'était pas partie à la procédure de référé ayant conduit à la suspension de l'arrêté préfectoral du 31 mars 2021 relatif à la chasse de l'alouette des champs, d'autant plus que cette décision avait un effet erga omnes et qu'en intervenant volontairement à l'instance au fond, elle reconnaissait avoir un intérêt direct et personnel au maintien de l'arrêté préfectoral concernant l'autorisation de chasse. Le tribunal en a déduit qu'elle était tenue d'une obligation d'information de cette suspension.
Or elle a manqué à cette obligation puisqu'il résulte du procès-verbal de constat d'huissier du 12 novembre 2021 qu'elle avait maintenu sur le fil d'actualité de son site internet l'information du 18 août 2021 selon laquelle l'alouette des champs pouvait être chassée du 19 septembre 2021 au 31 janvier 2022, elle n'a jamais fait ensuite paraître sur son site la suspension de l'arrêté, ce qui constitue une faute.
Le tribunal a alors rappelé la définition donnée au préjudice écologique par l'article 1247 du code civil comme 'une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement'. Or l'alouette des champs figure sur la liste rouge des oiseaux nicheurs de France métropolitaine. En ne publiant pas l'information relative à la suspension de l'arrêté autorisant sa chasse, la FDCV a laissé perdurer sa pratique, bien qu'il ne soit pas établi le nombre de volatiles tués, ni la part imputable à la chasse dans l'extinction de l'espèce. Si le préjudice est indéniable, en l'absence de donnée chiffrée, le tribunal a fixé forfaitairement l'indemnisation due à France Oiseau, qui remplit les conditions fixées à l'article 1248 du même code, à la somme d'un euro.
Il s'est ensuite référé aux trois premiers articles de la charte de l'environnement imposant à chacun de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement et de prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences dans les conditions fixées par la loi. Il a ajouté que l'ignorance délibérée ou non par la FDCV de cette décision de justice est de nature à conforter les chasseurs dans l'idée que l'impact des prélèvements cynégétiques vosgiens sur cette espèce d'oiseaux est négligeable et que la chasse n'est pas à l'origine de la baisse des effectifs constatée, ce qui est contraire à l'argumentaire développé par Oiseaux Nature et retenu par le juge administratif. L'association justifie ainsi l'existence d'un préjudice personnellement subi, dont la réparation a été fixée à la somme de 1000 euros.
Le tribunal a débouté la FDCV de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il a enfin alloué à l'association 225,20 euros correspondant aux frais de constat d'huissier et 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 24 mars 2023, la FDCV a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 14 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la FDCV demande à la cour, sur le fondement des articles 1246 et suivants ainsi que 1240 du code civil de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Épinal en date du 13 mars 2023 en ce qu'il :
* l'a condamnée à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice écologique,
* l'a condamnée à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif environnemental,
* l'a condamnée à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 225,20 euros au titre des frais de constat,
* l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance,
* l'a condamnée à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* a rappelé que la présente décision est de droit assortie de l'exécution provisoire,
Et statuant à nouveau,
- juger qu'elle n'a commis aucune faute,
- débouter l'association Oiseaux Nature de l'intégralité de ses demandes,
À titre reconventionnel,
- condamner l'association Oiseaux Nature à lui payer la somme de 2500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause,
- condamner l'association Oiseaux Nature à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter l'association Oiseaux Nature de ses demandes formées à titre d'appel incident,
- débouter l'association Oiseaux Nature de sa demande visant à la voir condamner à lui payer la somme de 3000 euros pour appel abusif,
- débouter l'association Oiseaux Nature de toutes demandes contraires,
- condamner l'association Oiseaux Nature aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 14 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, l'association Oiseaux Nature demande à la cour, sur le fondement des articles 1246 et suivants ainsi que 1240 du code civil, de :
- infirmer le jugement rendu le 13 mars 2023 par le tribunal judiciaire d'Épinal en ce qu'il a :
* condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à lui payer la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice écologique,
* condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à lui payer la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif environnemental,
Et, statuant à nouveau,
- condamner la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à lui payer la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice écologique,
- condamner la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à lui payer la somme de 4650 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif environnemental,
- confirmer le jugement précité pour le surplus et, y ajoutant :
- débouter la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges de toutes ses demandes (en dommages et intérêts pour procédure abusive, en indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens),
- condamner la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à lui payer la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,
- condamner la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges aux entiers dépens d'appel, avec autorisation de recouvrement direct au bénéfice de Maître Hervé Merlinge en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 20 février 2024.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 6 mai 2024 et le délibéré au 1er juillet 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par la FDCV le 14 décembre 2023 et par l'association Oiseaux Nature le 14 septembre 2023 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 20 février 2024 ;
* Sur les demandes d'indemnisation de l'association Oiseaux Nature
L'association Oiseaux Nature a engagé une procédure à l'encontre de la FDCV fondée sur les articles 1240 et 1246 et suivants du code civil, lui reprochant la diffusion publique sur son site internet de dates d'ouverture de la chasse à l'alouette des champs du 19 septembre 2021 au 31 janvier 2022, fixées par un arrêté préfectoral du 31 mai 2021 suspendu par le juge des référés administratif le 18 août 2021, y compris après la délivrance de l'assignation en date du 29 novembre 2021. Elle réclame la réparation du préjudice écologique collectif qu'elle estime avoir subi, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, et la réparation du préjudice environnemental au visa des articles 1246 et suivants du même code, qu'elle est recevable à poursuivre, conformément à l'article 1248, au regard de son habilitation, condition qui n'est pas contestée.
La FDCV s'oppose aux demandes. Schématiquement, elle conteste toute faute de sa part, n'étant pas tenue par le code de l'environnement d'informer de la décision de la juridiction administrative intervenue à l'issue d'une instance à laquelle elle n'était pas partie. Elle fait valoir dans un second temps que l'association réclame, sous couvert de deux postes différents, l'indemnisation du même préjudice.
Selon l'article L. 421-5 du code de l'environnement, 'Les associations dénommées fédérations départementales des chasseurs participent à la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental, à la protection et à la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats. Elles assurent la promotion et la défense de la chasse ainsi que des intérêts de leurs adhérents.
Elles apportent leur concours à la prévention du braconnage. Elles conduisent des actions d'information, de formation, d'éducation et d'appui technique à l'intention des gestionnaires des territoires, du public et des chasseurs et, le cas échéant, des gardes-chasse particuliers'.
L'article L. 421-8 du code de l'environnement précise qu'il n'existe qu'une fédération de chasseurs par département, 'dans l'intérêt général et afin de contribuer à la coordination et à la cohérence des activités cynégétiques dans le département'.
L'article R. 421-39 de ce code précise que la fédération départementale des chasseurs participe à des missions de service public parmi lesquelles la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental et action en faveur de la protection et de la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats et l'information, éducation et appui technique à l'intention des gestionnaires de territoires et des chasseurs.
L'article L. 421-10 précise que le préfet contrôle l'exécution des missions de service public auxquelles participe la fédération départementale des chasseurs.
Il en résulte qu'une fédération de chasseurs est un organisme privé remplissant des missions de service public (CE 4 avr. 1962, Chevassier: Lebon 244; D. 1962. 327, concl. Braibant).
Elle dispose de prérogatives de puissance publique, notamment en ce qui concerne les cotisations d'adhésion et la délivrance des permis de chasser.
Néanmoins, les publications qu'elle fait sur son site internet, si elles peuvent intéresser les missions qui lui sont confiées par le code de l'environnement, ne relèvent pas des prérogatives de puissance publique qui lui ont été accordées et l'action en indemnisation engagée par l'association Oiseaux Nature relève du droit privé et des juridictions judiciaires.
La caractérisation de la faute de nature délictuelle s'apprécie cependant au regard des missions que la loi confie aux fédérations de chasseurs, notamment de leur mission de protection de la faune, de lutte contre le braconnage et d'information à l'égard de leurs adhérents et du grand public.
En conséquence, il appartient à la FDCV de s'assurer de la véracité et l'exactitude des informations qu'elle publie sur son site, en particulier celles relatives aux dates d'ouverture de la chasse, et en cas d'évolution, de procéder à l'actualisation de ses publications, compte tenu des missions qui sont les siennes.
C'est ainsi à bon droit que le tribunal a retenu qu'une fédération départementale de chasseurs est tenue d'une veille législative et réglementaire de manière à transmettre une information exacte relative au droit de chasse à ses adhérents et au public. Le tribunal a, également à bon droit, retenu que la FDCV ne saurait s'exonérer de ses obligations au motif qu'elle n'était pas partie à l'instance qui a abouti à la suspension, alors que la décision a un effet erga omnes.
Or la FDCV a publié sur son site le 18 août 2021, le jour même de l'ordonnance de référé suspendant l'arrêté préfectoral autorisant la chasse à l'alouette des champs, un article selon lequel celle-ci est autorisée dans les Vosges du 19 septembre 2021 au 31 janvier 2022.
Elle n'a ensuite jamais amendé sa publication, notamment ni après que la décision du tribunal administratif a été diffusée par la presse quotidienne régionale écrite et télévisée et sur le site de la fédération régionale de chasse mi-septembre 2021, ni après la délivrance de l'assignation à la diligence de l'association Oiseaux Nature.
Il est ainsi caractérisé une faute commise par la FDCV.
Au regard de cette large communication de la décision, il est en outre établi que ce n'est pas par ignorance, mais bien volontairement, que celle-ci n'a pas modifié l'information erronée qu'elle a publiée sur son site, en contravention avec les missions que la loi lui confie.
Il appartient donc à la FDCV de réparer les préjudices indemnisables causés par sa faute.
S'agissant du préjudice écologique et du préjudice environnemental collectif, contrairement à ce qui est soutenu par la FDCV, il s'agit de deux préjudices distincts, qui ont chacun leur périmètre et l'indemnisation de l'un ne fait pas double emploi avec l'indemnisation de l'autre :
- le premier est un préjudice objectif, 'matériel', constitué par l'atteinte à la nature résultant d'une faute : si cette atteinte répond au critère posé à l'article 1247 du code civil, l'action en réparation peut être exercée, notamment, par l'Etat, l'office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et les associations agréées ou créées depuis au moins 5 ans à la date de l'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de l'environnement. La personne morale qui agit poursuit donc la réparation d'un préjudice qui ne lui est pas propre, par une action que la loi l'habilite à exercer, par exception au principe selon lequel nul ne peut obtenir l'indemnisation d'un préjudice qu'il n'a pas personnellement subi ;
- le second est le préjudice subjectif, 'moral', directement et personnellement subi par l'association, découlant de la faute de la FDCV.
Le préjudice écologique, pour être réparable, doit consister, selon l'article 1247 du code civil, en 'une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs, tirés par l'homme de l'environnement'.
Il appartient à l'association Oiseaux Nature de rapporter la preuve d'une telle atteinte, causée par la faute commise par la FDCV.
Or elle ne verse aucune pièce démontrant que, du fait de la publication de l'information inexacte par la FDCV, non seulement des actions de chasses de l'alouette des champs ont eu lieu durant l'automne et l'hiver 2021/2022, mais surtout, comme la charge lui en incombait, qu'une atteinte ' non négligeable' à cette espèce est résultée de la faute de l'appelante. En effet, si l'alouette des champs constitue bien une espèce protégée et fragile, l'association intimée ne verse aucune pièce relative au nombre d'individus présents dans les Vosges en 2021 et en 2022, permettant, le cas échéant, de constater une baisse des effectifs.
Ainsi, l'association Oiseaux Nature échoue à rapporter la preuve d'une atteinte non négligeable à l'environnement, seule susceptible d'être indemnisée.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il lui a alloué une réparation d'un euro à ce titre et elle sera déboutée de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice écologique.
En ce qui concerne le préjudice environnemental collectif, l'association démontre qu'elle a subi du fait des agissements de l'appelante un préjudice moral qui lui est propre, consistant dans l'entrave et la négation de ses efforts pour la protection de l'environnement et de la nature.
En l'espèce, il convient de souligner que la suspension de l'arrêté préfectoral était précisément le résultat d'une action intentée devant les juridictions administratives par l'association intimée, marquant l'intérêt spécifique qu'elle accorde à l'alouette des champs, démontré par ses autres actions de prévention, et son attention à préserver cette espèce, fragile, de toute action de chasse, en déployant des efforts importants caractérisés notamment par l'engagement de procédures en justice que l'association, constituée de bénévoles et sans ressources particulières à l'exception des cotisations de ses 465 adhérents, porte seule.
Le fait de passer la décision de suspension sous silence et de maintenir une information erronée sur son site internet cause ainsi un préjudice important à l'association et à ses membres, niant leur efforts de préservation de cette espèce menacée et risquant de conduire à leur découragement.
Le préjudice ainsi causé sera exactement réparé par l'allocation de 4650 euros de dommages-intérêts. Le jugement sera infirmé en ce sens.
Il sera confirmé en ce qui concerne la réparation du préjudice matériel lié aux frais d'établissement du constat d'huissier, indispensable à faire la preuve de la faute de la FDCV.
** Sur les dommages-intérêts pour procédure et appel abusifs
Vu les articles 32-1 et 559 du code de procédure civile et l'article 1240 du code civil,
L'exercice de voies de droit ne dégénère en abus susceptible de mettre en jeu la responsabilité civile de son titulaire qu'en cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol ; le seul mal-fondé des prétentions n'est pas suffisant à établir un abus de droit.
En l'espèce, l'association Oiseaux Nature étant partiellement reçue en ses prétentions, il ne peut pas être caractérisé de faute à sa charge.
La FDCV sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages-intérêts, en complétant la décision de première instance qui a omis de statuer sur ce chef dans son dispositif après avoir motivé son rejet.
S'agissant de la demande formée à titre d'appel incident, il n'est pas établi que la FDCV a interjeté appel de manière fautive, étant par ailleurs rappelé que son recours est admis en ce qui concerne la réparation du préjudice écologique. Il convient de rejeter la demande de dommages-intérêts pour appel abusif.
*** Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de confirmer le jugement qui a condamné la FDCV aux dépens de première instance et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La FDCV, qui succombe en son recours, sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.
Elle sera également condamnée à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d'appel et déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Rectifie l'erreur matérielle figurant dans le dispositif du jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Epinal le 13 mars 2023 et y ajoute en conséquence la mention suivante :
'Déboute la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive' ;
Confirme ce jugement en ce qu'il a :
- débouté la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 225,20 euros (DEUX CENT VINGT-CINQ EUROS ET VINGT CENTIMES) au titre des frais de constat,
- statué sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme en ce qu'il a :
- condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice écologique,
- condamné la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif environnemental ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute l'association Oiseaux Nature de sa demande en réparation du préjudice écologique ;
Condamne la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 4650 euros (QUATRE MILLE SIX CENT CINQUANTE EUROS) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif environnemental ;
Condamne la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges aux dépens de l'instance d'appel ;
Condamne la Fédération Départementale des Chasseurs des Vosges à payer à l'association Oiseaux Nature la somme de 2500 euros (DEUX MILLE CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d'appel ;
La déboute de sa propre demande de ce chef.
Le présent arrêt a été signé par Madame BUQUANT, Conseiller, en remplacement de Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, régulièrement empêchée, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : M. BUQUANT.-
Minute en dix pages.