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27/06/2024 | FRANCE | N°24/00057

France | France, Cour d'appel de Nancy, 2ème chambre, 27 juin 2024, 24/00057


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT N° /24 DU 27 JUIN 2024





Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 24/00057 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FJOU



Décision déférée à la cour :

jugement du tribunal de proximité de LUNÉVILLE, R.G. n° 22/00099, en date du 05 décembre 2023,



APPELANTE :

La Société INTRUM DEBT FINANCE AG

RCS ZUG Suisse H02030209107

dont le siège social est sis [Adresse 4]) représentée par la société INTRUM CORPORATE, SAS dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentan...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° /24 DU 27 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 24/00057 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FJOU

Décision déférée à la cour :

jugement du tribunal de proximité de LUNÉVILLE, R.G. n° 22/00099, en date du 05 décembre 2023,

APPELANTE :

La Société INTRUM DEBT FINANCE AG

RCS ZUG Suisse H02030209107 dont le siège social est sis [Adresse 4]) représentée par la société INTRUM CORPORATE, SAS dont le siège social est sis [Adresse 3], prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me Hervé MERLINGE de la SCP SIBELIUS AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

Madame [V] [N]

née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 5], domiciliée [Adresse 2]

Représentée par Me Elsa DUFLO de la SELARL D'AVOCATS AD&ED, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Mai 2024, en audience publique devant la cour composée de :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,

Madame Nathalie ABEL, conseillère,

Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;

A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 27 Juin 2024, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSE DU LITIGE

Par jugement en date du 20 octobre 2000, signifié à personne le 7 novembre 2000 s'agissant de Mme [V] [N] et à domicile s'agissant de M. [D] [N], le tribunal d'instance de Lunéville a :

- condamné solidairement M. [D] [N] et Mme [V] [N] à verser à la société Sogefinancement la somme de 149 322,62 francs avec intérêts au taux conventionnel de 6,7 % l'an à compter du 2 mars 2000 sur la somme de 132 024,42 francs, et intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2000 sur la somme de 10 561,95 francs,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné solidairement M. [D] [N] et Mme [V] [N] à payer à la société Sogefinancement la somme de 1 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- débouté la société Sogefinancement du surplus de ses demandes,

- mis les dépens à la charge de M. et Mme [N].

-o0o-

Par requête en date du 2 décembre 2022 reçue au greffe le 19 décembre 2022, la S.A. INTRUM DEBT FINANCE AG représentée par la S.A.S. INTRUM CORPORATE, venant aux droits de la S.A.S. SOGEFINANCEMENT suivant cession de créance en date du 17 mars 2017, a sollicité la convocation de Mme [V] [N] devant le tribunal de proximité de Lunéville aux fins de conciliation et à défaut de saisie de ses rémunérations, pour obtenir le paiement des sommes suivantes, en vertu du jugement du tribunal d'instance de Lunéville du 20 octobre 2000 :

- principal : 22 764,09 euros,

- frais : 786,66 euros,

- intérêts : 3 895,55 euros,

- acompte à déduire : 184 euros,

soit un total de 27 262,30 euros.

Mme [V] [N] a conclu à l'irrecevabilité des demandes de la SA INTRUM DEBT FINANCE AG et subsidiairement au débouté. Elle a demandé très subsidiairement un report de paiement des sommes dues et à défaut, des délais de paiement sur 24 mois, avec application du taux d'intérêt légal sur les sommes correspondant aux échéances reportées, et l'imputation des paiements par priorité sur le capital.

Elle a soutenu que le jugement du 20 octobre 2000 ne lui avait pas été signifié régulièrement (délivré à son époux présent au domicile), et que la prescription du titre exécutoire était acquise en l'absence d'actes interruptifs de prescription autres qu'un commandement aux fins de saisie-vente du 28 novembre 2000, une requête en saisie des rémunérations du 22 janvier 2001 et la signification d'une saisie-attribution le 5 octobre 2021, date à laquelle la prescription était déjà acquise.

Par jugement en date du 5 décembre 2023, le tribunal de proximité de Lunéville a :

- déclaré irrecevable l'action de la S.A. INTRUM DEBT FINANCE AG, comme étant prescrite,

- rejeté en conséquence la requête en saisie des rémunérations formée par la S.A. INTRUM DEBT FINANCEAG contre Mme [V] [N],

- condamné la S.A. INTRUM DEBT FINANCE AG à payer à Mme [V] [N] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la S.A INTRUM DEBT FINANCE AG aux dépens.

Le juge a constaté que la SA INTRUM DEBT FINANCE AG ne justifiait d'aucune mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou d'aucun acte d'exécution forcée effectué entre le 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur du délai de prescription de dix ans, et le 5 octobre 2021, soit durant plus de dix ans.

-o0o-

Le 10 janvier 2024, la SA INTRUM DEBT FINANCE AG a formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs critiqués.

Dans ses dernières conclusions transmises le 14 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA INTRUM DEBT FINANCE AG, appelante, demande à la cour :

- de lui donner acte de ce qu'elle produit en annexe à la présente un bordereau de communication de pièces,

- d'infirmer le jugement du tribunal de proximité de Lunéville du 5 décembre 2023 en ce qu'il':

* a déclaré irrecevable son action comme étant prescrite,

* a rejeté en conséquence sa requête en saisie des rémunérations formée contre Mme [V] [N],

* l'a condamnée à payer à Mme [V] [N] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau,

- de déclarer son action recevable,

- d'ordonner la saisie des rémunérations en l'espèce la retraite de Mme [V] [N] pour un montant principal de 27 262,30 euros,

- de condamner Mme [V] [N] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel et de 800 euros en première instance,

- de condamner Mme [V] [N] aux entiers frais et dépens de la procédure.

Au soutien de ses demandes, la SA INTRUM DEBT FINANCE AG fait valoir en substance :

- que le paiement à Mme [V] [N] de sa condamnation au titre des frais irrépétibles ne vaut pas acquiescement au jugement déféré exécutoire ; que la seule exécution d'une décision d'un premier juge ne peut en elle-même valoir acquiescement ; que par courrier du 12 janvier 2024, elle a au contraire sollicité le RIB de Mme [V] [N] en précisant qu'elle souhaitait faire appel et que le règlement de la condamnation ne valait absolument pas acquiescement de la décision ;

- que le jugement du 20 octobre 2000 a été signifié à Mme [V] [N] en personne ;

- que le délai de prescription de dix ans courant à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigeur de la réforme, a été interrompu par la dénonciation à Mme [V] [N] d'une saisie-attribution par acte du 18 avril 2018 déposé à l'étude, ayant également signifié la cession de créance de la société Sogefinancement suivant bordereau en date du 17 mars 2017 ; qu'elle est fondée à produire des pièces nouvelles à hauteur de cour s'agissant de l'acte de dénonciation de saisie-attribution ; que l'absence de sommes saisies n'a pas d'incidence sur l'interruption de la prescription ; que les indications portées par l'huissier dans l'acte de saisie font foi jusqu'à preuve contraire ;

- que Mme [V] [N] ne justifie pas de versements qui ne figureraient pas au décompte de l'huissier relatant un seul paiement de 184 euros ;

- que Mme [V] [N] ne produit aucun justificatif de sa situation financière et ne remplit pas la condition de bonne foi prévue par la loi.

Dans ses dernières conclusions transmises le 19 avril 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [V] [N], intimée, demande à la cour :

- de dire et juger la SA INTRUM DEBT FINANCE AG irrecevable et subsidiairement mal fondée en son appel,

- d'écarter des débats la pièce adverse n°10,

Subsidiairement,

- de dire et juger la signification à l'étude d'huissier du 18 avril 2018 nulle, en tout cas

inopposable et de nul effet à son égard,

- de débouter entièrement la SA INTRUM DEBT FINANCE AG de ses demandes, fins et conclusions,

- de confirmer en tous points le jugement rendu par le tribunal de proximité de Lunéville en date du 5 décembre 2023,

Tout à fait subsidiairement, vu les articles 111-4 du code des procédures civiles d'exécution et 2240 et suivants du code civil,

- de dire et juger la société INTRUM DEBT FINANCE tant irrecevable que mal fondée en sa demande d'intérêts,

En conséquence,

- de l'en débouter entièrement,

- de dire et juger qu'elle bénéficiera du report et, à défaut, de l'échelonnement sur 24 mois, du paiement des sommes exigibles, dûment justifiées, sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil,

- d'ordonner la suppression des intérêts échus et à échoir,

- d'ordonner l'application du taux d'intérêt légal sur les sommes correspondant aux échéances reportées, étant précisé que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital ;

Dans l'attente,

- de suspendre la procédure de saisie sur rémunérations ainsi que toute autre voie d'exécution éventuelle,

- de condamner la SA INTRUM DEBT FINANCE AG à lui payer la somme de 2 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure d'appel.

Au soutien de ses demandes, Mme [V] [N] fait valoir en substance :

- que la société INTRUM DEBT FINANCE AG a finalement justifié de la signification apparemment régulière du jugement du 20 octobre 2000 faite à sa personne par acte du 7 novembre 2000 ;

- qu'en raison du règlement de l'article 700 valant acquiescement au jugement et donc renonciation à appel selon les dispositions des articles 409 et 410 du code de procédure civile, nonobstant le dépôt de conclusions d'appelante, l'appel de la SA INTRUM DEBT FINANCE AG sera déclaré irrecevable ;

- que la société INTRUM DEBT FINANCE AG fait valoir à hauteur de cour qu'en même temps que la signification de la cession de créance par la société Sogefinancement, une dénonciation de saisie attribution pratiquée le 10 avril 2018 entre les mains de la Banque Postale a été effectuée par dépôt à l'étude d'huissier en date du 18 avril 2018 ; qu'elle est privée d'un degré de juridiction quant à l'examen de la validité de cette pièce nouvelle numéro 10 qui sera rejetée comme irrecevable ;

- que le procès-verbal de saisie-attribution dressé le 10 avril 2018 mentionne que M. [N] détient un compte courant débiteur et que Mme [V] [N] n'a pas de compte ouvert dans cet établissement, de sorte qu'elle n'a pas eu connaissance de la mesure d'exécution forcée ; que l'acte de signification du 18 avril 2018 est irrégulier, nul et de nul effet, et en tous cas inopposable à Mme [V] [N], en ce que la société INTRUM DEBT FINANCE AG ne produit pas la copie de l'avis de passage laissé au domicile ni la copie de la lettre reproduisant cet avis et portant copie de l'acte de signification ; que la signification à l'étude d'huissier n'équivaut pas à la signification à personne exigée par l'article 654 du code de procédure civile ; que l'acte de signification à étude versé aux débats n'a pas produit d'effet interruptif à son égard et il n'est pas démontré qu'elle en a eu connaissance ;

- qu'il incombe à la société INTRUM DEBT FINANCE AG de justifier des sommes perçues suite aux mesures d'exécution forcée pratiquées à l'égard de M. [N], et à défaut, la créance n'est pas certaine et non exigible ;

- que les intérêts sollicités à hauteur de 3 895,55 euros ne sont pas détaillés et que l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution permettant de poursuivre pendant dix ans l'exécution d'un jugement n'est pas applicable aux créances périodiques nées de l'application du titre exécutoire, tels les intérêts attachés à la condamnation ; que le créancier ne pouvait réclamer les intérêts que sur les cinq années précédant l'enregistrement de la requête aux fins de saisie des rémunérations, soit à compter du 19 décembre 2017, et que suite à l'acte de dénonciation de la saisie-attribution susceptible d'interrompre la prescription, la période d'exigibilité des intérêts se situe entre cette date, le 18 avril 2018, et le 19 décembre 2022 ; que le décompte ne permet pas de recalculer les intérêts et ne peut donner lieu à une condamnation à ce titre ;

- que sa situation ne lui permet pas de payer la dette et qu'elle est de bonne foi, ayant été persuadée que seul son ex-époux était visé et concerné par cette dette que lui seul pouvait et devait assumer.

-o0o-

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'acquiescement au jugement déféré

L'article 410 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que l'exécution sans réserve d'un jugement non exécutoire vaut acquiescement, hors les cas où celui-ci n'est pas permis.

Néanmoins, certains chefs de jugement sont étrangers au coeur du litige, et la volonté abdicative reste sans effet sur les autres chefs de jugement.

Ainsi, payer ou accepter le paiement des sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ne saurait être tenu pour un acquiescement au reste du jugement.

Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le caractère exécutoire du jugement, Mme [V] [N] ne peut utilement prétendre que le paiement par la SA INTRUM DEBT FINANCE AG des frais irrépétibles auxquels elle a été condamnée par le jugement déféré caractérise un acquiescement audit jugement emportant renonciation à l'appel.

Par ailleurs, l'article 409 alinéa 2 dudit code énonce que l'acquiescement au jugement est toujours admis.

Comme l'acquiescement à la demande, l'acquiescement au jugement constitue une manifestation de volonté et équivaut à la renonciation à un droit. En cas d'acquiescement implicite, le caractère non équivoque du comportement du plaideur doit être établi.

Toutefois, l'acquiescement implicite au jugement résulte d'un comportement incompatible avec l'exercice d'un recours à l'encontre dudit jugement.

En l'espèce, il y a lieu de constater que la SA INTRUM DEBT FINANCE AG a formé appel du jugement déféré le 10 janvier 2024, et que par courrier du 21 décembre 2023, elle avait sollicité le RIB de Mme [V] [N] afin de lui payer l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour autant, par courriel transmis le 12 janvier 2024 faisant réponse à la communication dudit RIB le même jour, la SA INTRUM DEBT FINANCE AG a précisé qu'elle souhaitait faire appel et que le règlement de la condamnation ne valait absolument pas acquiescement de la décision.

Par suite, les fonds ont été versés en compte CARPA le 31 janvier 2024.

Aussi, il en résulte que le paiement est intervenu après l'exercice de la voie de recours et que la SA INTRUM DEBT FINANCE AG a manifesté expressément sa volonté de ne pas acquiescer audit jugement.

Dans ces conditions, Mme [V] [N] ne peut utilement prétendre que le comportement de la SA INTRUM DEBT FINANCE AG a manifesté un comportement non équivoque de renoncer à l'appel.

Dès lors, l'appel formé par la SA INTRUM DEBT FINANCE AG est recevable.

Sur l'irrecevabilité de la pièce nouvelle numéro 10

L'article 563 du code de procédure civile dispose que pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

Aussi, il n'y a pas lieu d'écarter des débats la pièce nouvelle numéro 10 produite par la SA INTRUM DEBT FINANCE AG à hauteur de cour, correspondant à une dénonciation de saisie attribution par dépôt à l'étude en date du 18 avril 2018.

Sur la nullité de la signification de la dénonciation de saisie-attribution du 18 avril 2018 et son inopposabilité à Mme [V] [N]

Mme [V] [N] soutient que la dénonciation réalisée le 18 avril 2018 d'une saisie-attribution pratiquée le 10 avril 2018 n'a pas produit d'effet interruptif de prescription du jugement du 20 octobre 2000, fondement de la requête en saisie de ses rémunérations, en ce qu'elle n'a pas eu connaissance de la mesure d'exécution forcée du fait de l'irrégularité de la signification et en l'absence de sommes saisies (à défaut de détenir un compte dans l'établissement bancaire concerné).

Mme [V] [N] soutient qu'il appartient à la SA INTRUM DEBT FINANCE AG de produire la copie de l'avis de passage laissé par l'huissier suite à la signification par dépôt à l'étude, ainsi que la copie de la lettre qui lui aurait été adressée reproduisant cet avis et portant copie de l'acte de signification.

La SA INTRUM DEBT FINANCE AG oppose que les indications portées par l'huissier dans l'acte de saisie font foi jusqu'à preuve contraire.

En l'espèce, l'acte de dénonciation réalisé à l'adresse de Mme [V] [N], sise [Adresse 2], mentionne que ledit acte a été signifié par dépôt de la copie à l'étude, ' la signification à personne s'étant avérée impossible en raison des circonstances suivantes : -aucune personne n'est présente au domicile au moment de notre passage, le domicile étant confirmé par : -le nom du destinataire figure sur l'interphone où nous avons sonné sans obtenir de réponse, - le nom du destinataire figure sur la boîte aux lettres '.

Selon l'article 655, alinéa 1, du code de procédure civile, si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence.

Selon l'article 656 du même code, si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile.

Or, la seule indication du nom du destinataire de l'acte sur la boîte aux lettres et l'interphone n'est pas de nature à établir, en l'absence d'autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l'acte.

Néanmoins, il n'est pas contesté que le lieu de signification est celui du domicile réel de Mme [V] [N] figuraut au chapeau du jugement déféré.

Aussi, et en application de l'article 114, alinéa 2, du code de procédure civile, la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité alléguée.

Or, il ne ressort des pièces produites aucun grief lié à l'insuffisance des diligences de l'huissier.

En outre, l'acte d'huissier mentionne d'une part que la signification à personne est impossible en raison de l'absence de Mme [V] [N] et de toute personne présente, et d'autre part, que l'avis de passage prévu à l'article 656 du code de procédure civile a été laissé par l'huissier de justice à son domicile et que la lettre simple prévue à l'article 658 du même code lui a été adressée au plus tard le premier jour ouvrable suivant la date de l'acte.

Or, selon l'article 303 du code de procédure civile, si Mme [V] [N] conteste la véracité des mentions par lesquelles l'huissier de justice relate l'accomplissement des actes qu'il décrit, elle doit agir en inscription de faux.

Aussi, à défaut d'action en inscription de faux, elle ne saurait remettre en cause les mentions portées sur l'acte d'huissier liées à l'absence de toute personne à l'adresse indiquée, au dépôt d'un avis de passage et à l'envoi d'une lettre simple.

Au surplus, l'acte de dénonciation de saisie-attribution est opposable à Mme [V] [N] même en l'absence de sommes saisies.

Dans ces conditions, la dénonciation de saisie-attribution pratiquée le 10 avril 2018 a été régulièrement signifiée à Mme [V] [N] le 18 avril 2018.

Sur la prescription du jugement du 20 octobre 2000

L'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution dispose que 'l'exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 111-3 (visant notamment les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ayant force exécutoire) ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long '.

Or, l'article 2244 du code civil énonce que ' le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée '.

Aussi, la dénonciation de la saisie-attribution à Mme [V] [N] le 18 avril 2018 a interrompu la prescription de la créance de la banque résultant du jugement du 20 octobre 2000.

Par ailleurs, il convient de constater que la prescription trentenaire n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de la réforme de la prescription du 17 juin 2008, et que le nouveau délai de prescription de dix ans a commencé à courir à compter du 19 juin 2008.

Or, il y a lieu de constater que la dénonciation de la saisie-attribution le 18 avril 2018 est intervenue avant l'expiration du délai de prescription du titre au 19 juin 2018.

Aussi, ladite dénonciation a interrompu le délai de prescription, et un nouveau délai de prescription de dix ans a commencé à courir à compter du 18 avril 2018, s'agissant d'une saisie infructueuse, en application des dispositions de l'article 2231 du code civil.

Dans ces conditions, la requête en saisie des rémunérations de Mme [V] [N] en date du 2 décembre 2022 enregistrée au greffe le 19 décembre 2022 est recevable.

Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur la prescription des intérêts

Mme [V] [N] soutient que le créancier ne pouvait réclamer les intérêts que sur les cinq années précédant l'enregistrement de la requête aux fins de saisie des rémunérations, soit à compter du 19 décembre 2017, et que suite à l'acte de dénonciation de la saisie-attribution susceptible d'interrompre la prescription, la période d'exigibilité des intérêts se situe entre cette date, le 18 avril 2018, et le 19 décembre 2022.

L'action tend au recouvrement des intérêts dûs sur le principal.

Or, le délai d'exécution d'un titre exécutoire prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution n'est pas applicable aux créances périodiques nées en application de ce titre.

En effet, s'agissant de l'exécution d'un jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques, différente d'une dette payable à terme, le recouvrement des arriérés échus avant la date de la demande, et non encore exigibles à la date à laquelle le jugement a été rendu, dépend de la nature de la créance qui détermine la durée de la prescription.

Aussi, la créance d'intérêts, et spécialement les intérêts dus sur le montant de la condamnation en principal non encore exigibles à la date du jugement, relèvent à ce titre de la durée de prescription déterminée par la nature de la créance.

A ce titre, l'article 2224 du code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

Aussi, le créancier ne peut obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande, correspondant à la date d'enregistrement de la requête au greffe le 19 décembre 2022.

Au surplus, aucune prescription des intérêts échus postérieurement au jugement sur la période du 19 décembre 2017 au 18 avril 2018 n'est encourue.

Dans ces conditions, la SA INTRUM DEBT FINANCE AG peut prétendre au recouvrement des intérêts échus depuis le 19 décembre 2017.

Sur la fixation du montant de la créance

Mme [V] [N] soutient qu'il incombe à la société INTRUM DEBT FINANCE AG de justifier des sommes perçues suite aux mesures d'exécution forcée pratiquées à l'égard de M. [N], et qu'à défaut, la créance n'est pas certaine ni exigible. Elle ajoute que le décompte ne permet pas de recalculer les intérêts et ne peut donner lieu à une condamnation à ce titre.

En l'espèce, il ressort du décompte d'intérêts joint à la requête du 2 décembre 2022, que la somme sollicitée à hauteur de 3 895,55 euros correspond à des intérêts échus et impayés du 2 mars 2000 au 2 mars 2002 ou au 2 mars 2005.

Aussi, la société INTRUM DEBT FINANCE AG ne peut pas prétendre au recouvrement desdits intérêts prescrits.

Par ailleurs, Mme [V] [N] ne justifie pas de l'existence d'acomptes dont le montant n'aurait pas été déduit au titre des versements.

Il résulte des développements précédents que la créance de la SA INTRUM DEBT FINANCE AG détenue à l'encontre de Mme [V] [N] peut être fixée à la somme totale de 23 363,26 euros détaillée comme suit :

* principal (comprenant les frais irrépétibles) : 22 916,54 euros,

* frais (comprenant les dépens du jugement du 20 octobre 20000) : 630,72 euros,

* versements à déduire : 184 euros.

Sur les délais de paiement

Mme [V] [N] demande à la cour de ne pas ordonner la saisie de ses rémunérations et de lui accorder des délais de paiement sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil.

Pour autant, force est de constater que Mme [V] [N] ne justifie pas de sa situation financière et personnelle lui permettant de bénéficier des délais de paiement sollicités.

Aussi, il convient d'autoriser la saisie des rémunérations de Mme [V] [N] pour avoir paiement de la somme de 23 363,26 euros au profit de la SA INTRUM DEBT FINANCE AG.

Par ailleurs, Mme [V] [N] sollicite la suppression des intérêts échus et à échoir.

L'article L. 3252-13 du code du travail dispose que ' le juge peut décider, à la demande du débiteur ou du créancier et en considération de la quotité saisissable de la rémunération, du montant de la créance et du taux des intérêts dus, que la créance cause de la saisie produira intérêt à un taux réduit à compter de l'autorisation de saisie ou que les sommes retenues sur la rémunération s'imputeront d'abord sur le capital. Les majorations de retard prévues par l'article 3 de la loi n° 75-619 du 11 juillet 1975 relative au taux de l'intérêt légal cessent de s'appliquer aux sommes retenues à compter du jour de leur prélèvement sur la rémunération. '

Toutefois, en l'absence de justificatifs des pensions de retraite perçues par Mme [V] [N] permettant de procéder au calcul de la quotité saisissable, elle ne peut prétendre à la réduction des intérêts à 0%.

Sur les demandes accessoires

Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Mme [V] [N] qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens de première instance et d'appel, et sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Eu égard à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE l'appel de la SA INTRUM DEBT FINANCE AG recevable,

DIT n'y avoir lieu à écarter des débats la pièce nouvelle numéro 10 produite par la SA INTRUM DEBT FINANCE AG à hauteur de cour, correspondant à la dénonciation de saisie attribution à Mme [V] [N] en date du 18 avril 2018,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

CONSTATE que la dénonciation de saisie-attribution pratiquée le 10 avril 2018 a été régulièrement signifiée à Mme [V] [N] le 18 avril 2018,

DECLARE la requête en saisie des rémunérations de Mme [V] [N] en date du 2 décembre 2022 enregistrée au greffe le 19 décembre 2022 recevable,

DIT que la SA INTRUM DEBT FINANCE AG peut prétendre au recouvrement des intérêts échus non prescrits depuis le 19 décembre 2017,

FIXE la créance de la SA INTRUM DEBT FINANCE AG détenue à l'encontre de Mme [V] [N] en vertu du jugement du tribunal d'instance de Lunéville du 20 octobre 2000 à la somme totale de 23 363,26 euros décomposée comme suit :

- principal : 22 916,54 euros,

- frais : 630,72 euros,

- versements à déduire : 184 euros,

REJETTE la demande de délais de paiement de Mme [V] [N],

ORDONNE la saisie des rémunérations de Mme [V] [N] à hauteur de 23 363,26 euros,

REJETTE la demande de suppression des intérêts échus et à échoir,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [V] [N] au paiement des dépens,

Ajoutant au jugement infirmé :

DEBOUTE Mme [V] [N] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [V] [N] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Minute en quatorze pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24/00057
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;24.00057 ?
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