RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /24 DU 06 JUIN 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/01436 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGMV
Décision déférée à la cour :
Jugement du tribunal judiciaire de Bar Le Duc, R.G. n° 22/00221, en date du 22 juin 2023,
APPELANT :
Monsieur [S] [E],
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 4] (55), domicilié [Adresse 3]
Représenté par Me Olivier VILLETTE, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
S.A. CIC EST
société anonyme, immatriculée au RCS de Strasbourg sous le n° 754.800.712 dont le siège social est [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Marie-aline LARERE, avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Mai 2024, en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;
A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 06 Juin 2024, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 27 mars 2012, la SA Banque CIC EST a consenti à la SARL [E] Fenêtres un prêt d'un montant de 280 000 euros remboursable sur une durée de 120 mois au taux de 3,90 % l'an, ayant pour objet de financer des travaux d'aménagement et d'isolation de son atelier, garanti par l'engagement de caution solidaire de son gérant, M. [S] [E], dans la limite de 216 000 euros et pour une durée de 144 mois.
Par jugement du tribunal de commerce de Bar-le-Duc en date du 19 juin 2015, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la SARL [E] Fenêtres, aboutissant à l'homologation d'un plan de continuation le 16 décembre 2016, qui a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 22 novembre 2019. La clôture de la procédure pour insuffisance d'actifs a été prononcée le 3 septembre 2021.
Par courrier en date du 2 juillet 2015, la SA CIC EST a déclaré sa créance à la procédure collective de la SARL [E] Fenêtres.
Le 22 novembre 2019, le mandataire liquidateur a délivré à la SA CIC EST un certificat d'irrecouvrabilité de sa créance au titre du prêt professionnel évaluée à la somme de 128 457,68 euros conformément à son courrier du 3 décembre 2019.
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception en date du 14 septembre 2021, la SA CIC EST a mis M. [S] [E] en demeure de lui payer la somme de 150 172,58 euros en vertu de son engagement de caution.
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Par acte d'huissier en date du 22 mars 2022, la SA CIC EST a fait assigner M. [S] [E] devant le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc afin de le voir condamné à lui payer, en sa qualité de caution de la SARL [E] Fenêtres, la somme au principal de 150 172,58 euros, augmentée des intérêts au taux contractuel à compter du 14 septembre 2021, date de l'arrêté de compte.
M. [S] [E] a conclu à la nullité de l'acte de cautionnement (pour non respect du formalisme lié à la mention manuscrite et pour absence de consentement de son épouse), et subsidiairement, à la prescription de l'action ( au regard du premier incident de paiement non régularisé antérieur au 19 juin 2015). Plus subsidiairement, il s'est prévalu de la disproportion de l'engagement de caution au soutien de la décharge de son obligation, et encore plus subsidiairement, de la déchéance du droit aux intérêts et frais de retard du prêteur pour manquement à son obligation d'information annuelle de la caution.
Par jugement en date du 22 juin 2023, le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc a :
- débouté M. [S] [E] de sa demande de nullité de son engagement de caution,
- débouté M. [S] [E] de sa demande d'irrecevabilité tirée de la prescription de l'action,
- débouté M. [S] [E] de sa demande de décharge de son obligation en raison de la disproportion manifeste,
- débouté M. [S] [E] de sa demande de déchéance de tout intérêt et frais de retard,
- condamné M. [S] [E] à payer à la société CIC EST la somme de 150 172,58 euros, avec intérêts contractuels à compter du 14 septembre 2021,
- condamné M. [S] [E] à payer à la société CIC EST la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [S] [E] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [S] [E] aux dépens.
Le tribunal a retenu que l'engagement de caution était régulier au regard de la mention manuscrite respectant les prescriptions de l'article L. 331-1 du code de la consommation, et que M. [S] [E] ne justifiait pas de sa situation matrimoniale.
Le tribunal a jugé que l'action de la SA CIC EST contre la caution avait été suspendue jusqu'au jour du jugement prononçant la liquidation de la SARL [E] Fenêtres le 22 novembre 2019, sur le fondement de l'article L. 622-28 du code de commerce, et que l'action engagée le 22 mars 2022, soit dans le délai de cinq ans, n'était pas prescrite.
Le tribunal a constaté qu'au regard des mentions renseignées sur la fiche patrimoniale, M. [S] [E] ne rapportait pas la preuve de la disproportion de son engagement de caution.
Il a également constaté que la SA CIC EST produisait les courriers d'information annuelle des cautions adressés à M. [S] [E] depuis le début du prêt en litige.
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Le 5 juillet 2023, M. [S] [E] a formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs critiqués.
Dans ses dernières conclusions transmises le 15 février 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [S] [E], appelant, demande à la cour sur le fondement des articles L. 331-1 et suivants du code de la consommation, L. 313-22 du code monétaire et financier et 2224 du code civil :
- de dire son appel recevable et bien fondé,
- de réformer le jugement entrepris en toutes ces dispositions,
- de dire et juger l'acte de cautionnement litigieux nul et de nul effet,
- de débouter la SA CIC EST de l'intégralité de ses fins et prétentions,
Subsidiairement,
- de dire et juger qu'il est déchargé de son obligation, en raison de la disproportion manifeste,
Encore plus subsidiairement,
- de déchoir la SA CIC EST de tout intérêt et frais de retard,
En tout état de cause,
- de condamner la SA CIC EST à lui payer la somme de 3 500 euros HT en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
Au soutien de ses demandes, M. [S] [E] fait valoir en substance :
- que le formalisme prévu par les articles L. 331-1 et L. 331-2 du code de la consommation à peine de nullité de l'engagement de caution n'a pas été strictement respecté s'agissant de la formule manuscrite qui doit être reproduite afin d'assurer la bonne information de la caution, personne physique, sur la nature et la portée de son engagement ; qu'il n'a pas d'activité dans les services bancaires et financiers ;
- que le cautionnement encourt la nullité du fait de l'absence de consentement de l'épouse de M. [S] [E], au regard des dispositions de l'article 2295 du code civil portant sur la capacité juridique de contracter ; que le régime matrimonial des époux a une incidence sur la possibilité de conclure seul un acte de cautionnement, sans l'accord de l'autre époux ;
- que l'assignation délivrée plus de deux ans après le premier incident de paiement antérieur au 19 juin 2015 (date du redressement judiciaire) et après la déclaration de créance de la SA CIC EST à la procédure collective le 1er septembre 2015 a pour effet la prescription de l'action ;
- que l'engagement de caution était dès sa signature manifestement disproportionné à son patrimoine, net de dettes, d'autant que son épouse ne s'est pas engagée à l'acte litigieux ; que la SA CIC EST lui a imposé de modifier la fiche patrimoniale dans le seul but que le financement soit accordé ; qu'en sa qualité de banquier principal, elle connaissait parfaitement l'état de son patrimoine et de ses dettes ;
- que la SA CIC EST ne justifie d'aucune information annuelle de la caution en violation des dispositions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, ni d'avoir satisfait à son obligation de l'informer de la défaillance du débiteur principal, selon les articles L. 331-1 et L. 343-5 du code de la consommation ; que la SA CIC EST ne justifie pas en outre du sort réservé à la mise en oeuvre des autres garanties souscrites initialement.
Dans ses dernières conclusions transmises le 29 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA CIC EST, intimée, demande à la cour sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil ainsi que des articles L. 312-1 à L. 313-6 du code de la consommation :
- de recevoir M. [S] [E] en son appel mais de le déclarer mal fondé,
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- de condamner M. [S] [E] à lui verser une indemnité de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour faire valoir ses droits à la présente instance,
- de condamner M. [S] [E] aux entiers frais et dépens de l'instance.
Au soutien de ses demandes, la SA CIC EST fait valoir en substance :
- que l'engagement de caution est conforme aux textes et à la jurisprudence ; que la limite de l'engagement est mentionnée manuscritement en chiffres et en lettres comme couvrant le principal, les intérêts et le cas échéant les intérêts de retard, pour une durée de 144 mois ;
- que l'absence de signature du conjoint de M. [S] [E] n'est pas une cause de nullité de l'engagement de caution mais d'inopposabilité à celui-ci ;
- que le jugement d'ouverture de la procédure collective a suspendu toute action contre la caution jusqu'au jugement prononçant la liquidation judiciaire de la société selon l'article L. 622-28 du code de commerce, de sorte que le délai de prescription de cinq ans a commencé à courir à compter du 22 novembre 2019 et que l'action est recevable ;
- que la fiche patrimoniale complétée et signée par M. [S] [E] atteste de l'absence de disproportion de l'engagement de caution ; que les dispositions de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 ne s'appliquent qu'aux contrats conclus à compter de son entrée en vigueur ; que la caution avertie est exclue de l'application de l'article L. 332-1 du code de la consommation, et qu'en sa qualité de chef d'entreprise, M. [S] [E] avait une parfaite connaissance de la portée de son engagement ;
- qu'elle produit les lettres annuelles d'information de M. [S] [E] sur l'évolution de la situation au regard de son engagement de caution, et en dernier état, la lettre du 29 février 2024 portant sur l'année 2023 ; qu'en sa qualité de gérant de l'entreprise cautionnée, M. [S] [E] avait une parfaite connaisssance des encours susbsistants.
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La clôture de l'instruction a été prononcée le 3 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la validité de l'engagement de caution
- sur la régularité de la mention manuscrite
L'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa version applicable à l'engagement de caution issue de la loi n°2003-721 du 1er août 2003, dispose que ' toute
personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci: "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de...... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de......, je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même. '
L'article L341-3 du même code énonce que ' lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante: "En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2021 du Code civil et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X...'.
Aussi, toute personne physique, qu'elle soit ou non avertie, doit, dès lors qu'elle s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, faire précéder sa signature, à peine de nullité de son engagement, qu'il soit commercial ou civil, des mentions manuscrites exigées par les textes susvisés.
En outre, si les dispositions des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016, prescrivent, qu'à peine de nullité de l'engagement de caution, la mention manuscrite de celle-ci doit précéder sa signature, en revanche, elles n'imposent pas qu'elle la précède « immédiatement ».
En l'espèce, M. [S] [E] a reproduit intégralement et fidèlement de sa main les mentions prescrites par les textes précités.
Par ailleurs, s'il figure sur la partie gauche de l'acte, la mention préimprimée "le conjoint de la caution" permettant, le cas échéant, à ce dernier de donner son accord au cautionnement, en revanche, aucune nullité ne saurait résulter de cet ajout qui n'affecte pas le sens et la portée de la mention manuscrite.
- sur le défaut de signature du conjoint
Le consentement exprès donné en application de l'article 1415 du code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint a pour effet d'étendre l'assiette du gage du créancier aux biens communs.
Aussi, l'absence de consentement du conjoint de M. [S] [E] ne saurait avoir pour effet de priver celui-ci de sa capacité de contracter seul.
Dans ces conditions, l'engagement de caution est régulier.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] [E] de se demande de nullité de l'acte de cautionnement.
Sur la recevabilité de l'action
La déclaration de créance au passif du débiteur principal mis en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution, et cette interruption se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective.
Aussi, un nouveau délai de prescription court à l'encontre de la caution à compter du jugement de clôture.
Or, le prononcé de la liquidation judiciaire en raison du défaut d'exécution du plan de continuation ne constitue pas l'ouverture d'une procédure collective nouvelle, distincte du redressement judiciaire initial.
Il en résulte que l'effet interruptif de la prescription attachée à la déclaration, le 2 juillet 2015, de la créance de la SA CIC EST au redressement judiciaire de la SARL [E] Fenêtres, opposable à M. [S] [E] en sa qualité de caution, s'est prolongé jusqu'à la clôture de la procédure collective intervenue par jugement du tribunal de commerce de Bar-le-Duc du 3 septembre 2021 ayant prononcé la clôture de la procédure pour insuffisance d'actifs.
Par suite, un nouveau délai de prescription a commencé à courir à compter du 3 septembre 2021.
Dans ces conditions, l'action en paiement introduite le 22 mars 2022 est recevable.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur la disproportion de l'engagement de caution
Aux termes de l'article L341-4 du code la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Or, il revient à la caution qui s'en prévaut d'établir la disproportion de son engagement au jour de la conclusion du contrat.
Pour ce faire, la disproportion manifeste doit s'apprécier par rapport aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.
En l'espèce, il y a lieu de constater que dans une fiche de renseignements signée le 3 septembre 2009 produite par la SA CIC EST, M. [S] [E] a déclaré être marié sous le régime de la séparation de biens, percevoir un salaire annuel de 42 000 euros (soit 3 500 euros par mois), ainsi qu'être propriétaire de sa résidence principale acquise en 2004 d'une valeur de 200 000 euros financée au moyen d'un prêt en cours, et posséder un plan d'épargne entreprise. Il a également mentionné un prêt en cours lié à l'acquisition d'un véhicule en 2012 pour un montant de 20 000 euros remboursable par échéances mensuelles de 390 euros.
Or, cette fiche de renseignements a été complétée plus de deux ans avant la souscription du prêt litigieux.
Aussi, si l'article L. 341-4 du code de la consommation dans sa version applicable n'impose pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, il appartient à celle-ci d'établir la disproportion de son engagement au regard de l'ensemble de ses actif et passif réels au jour de celui-ci, indépendamment de la connaissance que le créancier pouvait en avoir.
Pour justifier de ses revenus au jour de son engagement de caution du 27 mars 2012, M. [S] [E] produit le bilan de la SARL [E] Fenêtres, dont il est le gérant, sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2012, mentionnant le versement de revenus annuels à hauteur de 31 800 euros, soit 2 650 euros mensuels.
De même, le détail du bilan mentionne des dividendes annuels perçus par M. [S] [E] à hauteur de 30 882 euros au 31 décembre 2012, représentant une somme mensuelle moyenne de 2 573,50 euros.
Aussi, M. [S] [E] disposait de revenus moyens mensuels qui pouvaient être évalués à la somme totale de 5 223,50 euros au 27 mars 2012.
En outre, M. [S] [E] justifie, au titre des charges supportées à la date de son engagement de caution, du remboursement du prêt de sa maison consenti par la Banque Kolb pour un montant de 119 434 euros à hauteur de 879,15 euros par mois à compter du 31 décembre 2010.
Or, M. [S] [E] ne rapporte pas la preuve que le bien immobilier a été acquis en indivision avec son épouse, dont il a déclaré être séparé de biens selon la fiche de renseignements signée le 3 septembre 2009.
Il en résulte donc qu'au jour de son engagement de caution donné le 27 mars 2012, M. [S] [E] supportait un endettement de 16,83 % de la totalité de ses revenus, et bénéficiait d'un patrimoine d'une valeur nette correspondant à l'encours de son prêt immobilier évalué à cette date à hauteur de 7 321,61euros (119 434 euros - 112 112,39 euros).
Or, M. [S] [E] disposait alors d'un revenu disponible de 950 euros par mois afin de porter son taux d'endettement à 35% et de faire face à la somme garantie de 208 678,39 euros (216 000 - 7 321,61) après déduction de la valeur nette de son patrimoine.
Aussi, l'engagement de caution litigieux consenti dans la limite de 216 000 euros était manifestement disproportionné à ses revenus et à la valeur nette de son patrimoine.
Dans ces conditions, la SA CIC EST ne pouvait légitimement considérer qu'un cautionnement limité à 216 000 euros n'était pas disproportionné, et que M. [S] [E] n'était pas dans l'impossiblité de faire face à un tel engagement avec ses biens et ses revenus.
Par ailleurs, si la charge de la preuve de la disproportion initiale pèse sur la caution, il revient au créancier qui entend faire obstacle à la sanction légale de prouver l'absence de disproportion au montant réclamé au jour des poursuites, correspondant à la date de l'assignation.
En l'espèce, il y a lieu de tenir compte au titre de l'endettement global de M. [S] [E] au 22 mars 2022 (date de son assignation) des engagements postérieurs au cautionnement pris à cette date, et plus précisément :
- un prêt souscrit en juin 2012 auprès la SA BNP Paribas Personal Finance afin d'acquérir un appartement situé à [Localité 5] pour un montant de 132 838,82 euros, remboursable par échéances mensuelles de 731,50 euros en mars 2022, et présentant un encours de 102 675,79 euros à cette date, soit une valeur nette au regard de la somme prêtée évaluée à 30 163,03 euros,
- un prêt consenti par la SA DIAC d'un montant de 44 610,40 euros ayant pour objet l'achat d'un véhicule, remboursable à compter du 20 août 2020 par mensualités de 838,70 euros, et présentant un encours de 31 357,37 euros au 20 mars 2022, soit une valeur nette au regard de la somme prêtée évaluée à 13 253,03 euros,
- un prêt à la consommation consenti par la société FINANCO pour un montant de 13 700,61 euros, remboursable par échéances de 304,22 euros à compter du 4 mars 2022.
En outre, l'encours du prêt de la résidence principale correspond à la somme de 35 563,53 euros au 5 mars 2022, de sorte que sa valeur nette calculée par référence à la somme prêtée (119 434 euros) peut être évaluée à 83 870,47 euros au jour de son assignation en paiement.
Il en résulte que la valeur nette du patrimoine de M. [S] [E] composé de ses deux biens immobiliers, dont il ne rapporte pas la preuve du caractère indivis, pouvait être évaluée à 114 033 euros au jour de son assignation en paiement de la somme au principal de 150 172,58 euros au titre de son engagement de caution.
Dans ces conditions, le patrimoine de M. [S] [E] au jour de son assignation en paiement lui permettait de faire face à son obligation de caution, et la SA CIC EST pouvait se prévaloir à cette date de l'engagement de caution consenti le 27 mars 2012.
Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur l'information annuelle de la caution
L'article L. 313-22 du code monétaire et financier prévoit, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000, que ' les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée. Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information '.
Or, cette obligation doit être respectée, même lorsque le cautionnement a été souscrit par le dirigeant de la société cautionnée, et la charge de la preuve de l'envoi de l'information incombe à la banque et peut être effectuée par tout moyen.
Aussi, il incombe à la SA CIC EST de prouver l'envoi de l'information et la seule production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi.
En l'espèce, la SA CIC EST produit les constats dressés par ministère d'huissier les 12 mars 2013, 11 mars 2014 et10 mars 2015 attestant globalement des envois annuels des courriers d'information des cautions à cette date, ainsi que les courriers y afférent adressés à M. [S] [E] les 18 février 2013, 24 février 2014 et 20 février 2015.
En outre, la SA CIC EST justifie de la signature des avis de réception des courriers d'information annuelle adressés à M. [S] [E] les 18 février 2016 et 17 février 2017.
De même, le prêteur produit les bordereaux de dépôt des courriers recommandés adressés à M. [S] [E] les 18 février 2019, 25 mars 2022 et 29 février 2024.
Par ailleurs, le contenu des courriers produits satisfaisait aux exigences légales.
Néanmoins, il y a lieu de considérer que la caution est tenue des intérêts au taux légal
ayant couru depuis sa mise en demeure, de sorte que la SA CIC EST ne peut prétendre au paiement d'intérêts au taux conventionnel à compter du 14 septembre 2021.
En outre, la SA CIC EST ne justifie pas de l'envoi des courriers d'information annuelle des 19 février 2018 et 1er mars 2021 qu'elle produit, ni des courriers d'information
annuelle de M. [S] [E] pour l'année 2019 au 31 mars 2020 et pour l'année 2022 au 31 mars 2023.
Dans ces conditions, la SA CIC EST est défaillante à apporter la preuve des informations annuelles devant être délivrées à M. [S] [E] pour les 31 mars 2018, 2020, 2021 et 2023, de sorte qu'elle doit être déchue de son droit aux intérêts conventionnels et de retard du 17 février 2017 au 18 février 2019, ainsi que du 18 février 2019 au 25 mars 2022 et du 25 mars 2022 au 29 février 2024, soit sur la période du 17 février 2017 au 29 février 2024.
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur le défaut d'information de la caution de la défaillance du débiteur principal
Selon les dispositions des articles L. 331-1 et L. 343-5 du code de la consommation, le créancier professionnel doit informer la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement, et qu'à défaut, la caution n'est pas tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus entre la date de ce premier incident de paiement et celle à laquelle elle en a été informée.
Or, une indemnité conventionnelle forfaitaire représentant une fraction du capital échu restant dû constitue une pénalité au sens de l'article L. 343-5 du code de la consommation.
En l'espèce, la SA CIC EST ne justifie pas de l'information de M. [S] [E] relative à la défaillance de la SARL [E] Fenêtres dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois d'exigibilité de ce paiement.
Or, ce n'est que par courrier de mise en demeure de payer du 14 septembre 2021 reçu le 17 septembre 2021, que la SA CIC EST justifie de cette information donnée à M. [S] [E], suite à la liquidation judiciaire de la SARL [E] Fenêtres prononcée le 22 novembre 2019.
En outre, compte tenu du montant des échéances impayées figurant à la déclaration
de créance à la procédure collective de la SARL [E] Fenêtres, le premier incident de paiement peut être fixé au 30 avril 2015.
Aussi, il en résulte que M. [S] [E] n'est pas tenu au paiement d'une indemnité conventionnelle forfaitaire de 7%, ni des intérêts de retard échus à compter du 30 avril 2015 jusqu'au 14 septembre 2021.
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur le montant de la créance
La SA CIC EST sollicite la condamnation de M. [S] [E] en vertu d'un décompte en date du 14 septembre 2021 faisant état des sommes dues au 24 juin 2015 (correspondant au redressement judiciaire de la SARL [E] Fenêtres), et compte tenu des versements opérés par le mandataire judiciaire, tel que ressortant d'un courrier en date du 3 décembre 2019 repris au certificat d'irrecouvrabilité.
Aussi, il en résulte que la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et de retard de la SA CIC EST prononcée sur la période postérieure au 24 juin 2015 pour défaut d'information annuelle de la caution n'affecte pas le montant des sommes sollicitées au 24 juin 2015.
De même, aucun intérêt de retard n'est imputé sur le décompte sur la période du 30 avril 2015 au 24 juin 2015.
Aussi, il ressort du contrat de prêt, du tableau d'amortissement et du décompte arrêté au 14 septembre 2021 (date de la mise en demeure de payer adressée à M. [S] [E]) prenant en considération les sommes dues au 24 juin 2015, après déduction des versements perçus du mandataire judiciaire, que M. [S] [E] est redevable à cette date d'une somme totale évaluée à hauteur de 114 694,36 euros détaillée comme suit :
capital restant dû : 109 866,45 euros,
- échéances impayées : 4 827,91 euros.
En effet, la SA CIC EST a été déchue de son droit à indemnité forfaitaire conventionnelle.
Par suite, compte tenu de la déchéance du droit aux intérêts de retard de la SA CIC EST jusqu'au 14 septembre 2021, date de mise en demeure de M. [S] [E], celle-ci ne peut prétendre au paiement d'intérêts de retard sur la période du 25 juin 2015 au 14 septembre 2021 tel que prévu au décompte.
De même, compte tenu de la déchéance du droit aux intérêts de retard de la SA CIC EST prononcée jusqu'au 29 février 2024, le prêteur ne peut prétendre au paiement des intérêts
au taux légal courant sur la somme de 114 694,36 euros du 14 septembre 2021 au 29 février 2024.
Dans ces conditions, M. [S] [E] sera condamné au paiement de la somme de 114 694,36 euros, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter du 29 février 2024.
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur le défaut de justification de la mise en oeuvre des autres garanties accessoires
L'article 2314 du code civil dispose que lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s'opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu'elle subit.
M. [S] [E] expose que la SA CIC EST ne justifie pas du sort réservé à la mise en oeuvre des autres garanties souscrites initialement.
En l'espèce, il n'est pas établi que le prêteur se soit abstenu d'exercer un droit dont il bénéficiait, et que sa faute ait obligé M. [S] [E] à payer une dette provoquée par son inaction supérieure à celle existant au jour de l'exigibilité de son obligation.
Aussi, la preuve n'est pas rapportée que M. [S] [E] ait perdu le bénéfice de la subrogation par le fait exclusif de la SA CIC EST.
Dans ces conditions, M. [S] [E] ne peut utilement se prévaloir sur ce fondement de l'extinction de la créance de la SA CIC EST ou de la diminution de son montant.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
M. [S] [E] qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens d'appel et sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Eu égard à la situation financière de M. [S] [E], il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME partiellement le jugement déféré et, statuant à nouveau,
PRONONCE la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et de retard de la SA CIC EST du 17 février 2017 au 29 février 2024 pour défaut d'information annuelle de M. [S] [E],
PRONONCE la déchéance du droit aux intérêts de retard de la SA CIC EST du 30 avril 2015 au 14 septembre 2021 pour défaut d'information de M. [S] [E] de la défaillance de la SARL [E] Fenêtres,
PRONONCE la déchéance du droit de la SA CIC EST à l'indemnité forfaitaire conventionnelle pour défaut d'information de M. [S] [E] de la défaillance de la SARL [E] Fenêtres,
CONDAMNE M. [S] [E] à payer à la SA CIC EST la somme de 114 694,36 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2024,
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus en ses dispositions relatives au débouté de la nullité de l'engagement de caution de M. [S] [E], à la recevabilité de l'action de la SA CIC EST et à l'absence de disproportion manifeste de l'engagement de caution,
Y ajoutant,
DEBOUTE M. [S] [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [S] [E] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la cour d'appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en quatorze pages.