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22/05/2024 | FRANCE | N°23/01094

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-1ère sect, 22 mai 2024, 23/01094


ARRÊT N° /2024

SS



DU 22 MAI 2024



N° RG 23/01094 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FFTV







Pole social du TJ de REIMS

22/272

17 avril 2023











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE

SECTION 1









APPELANTE :



S.A.S. [12] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié a

u siège social

[Adresse 5]

[Localité 10]

Représentée par Me Maïtena LAVELLE de la SELARL CABINET LAVELLE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pauline FROGET, avocat au barreau de PARIS









INTIMÉS :



Monsieur [P] [I]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Rudy LAQUILLE de la SELA...

ARRÊT N° /2024

SS

DU 22 MAI 2024

N° RG 23/01094 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FFTV

Pole social du TJ de REIMS

22/272

17 avril 2023

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE

SECTION 1

APPELANTE :

S.A.S. [12] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 5]

[Localité 10]

Représentée par Me Maïtena LAVELLE de la SELARL CABINET LAVELLE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pauline FROGET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Monsieur [P] [I]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Rudy LAQUILLE de la SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS, avocat au barreau de REIMS - dispense de comparution par mention au dossier

Société [13] prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentée par Me Fabrice GOSSIN de la SCP FABRICE GOSSIN ET ERIC HORBER, avocat au barreau de NANCY

Caisse CPAM DE LA MARNE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Madame [O] [T], régulièrement munie d'un pouvoir de représentation

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : Mme BUCHSER-MARTIN

Siégeant en conseiller rapporteur

Greffier : Mme CLABAUX-DUWIQUET (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 27 Mars 2024 tenue par Mme BUCHSER-MARTIN, magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour composée de Guerric HENON, président, Dominique BRUNEAU et Catherine BUCHSER-MARTIN, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 22 Mai 2024 ;

Le 22 Mai 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [P] [I] a été embauché par la société [13] et mis à la disposition de SAS [12] entre le 9 octobre 2017 et le 21 décembre 2018 selon contrats à durée déterminée successifs, initialement en qualité d'opérateur puis de technicien de production.

Le 2 octobre 2018, il a été victime d'un accident du travail décrit par la société [13] comme suit : « activité de la victime lors de l'accident : en voulant débloquer une pièce dans la presse, il s'est fait écraser l'index et le majeur par celle-ci ; ne portait pas ses gants ; nature de l'accident : risques liés aux équipements de travail (ex : coupure, perforation, écrasement lors d'utilisation d'une machine, fluide, copeaux) ; objet dont le contact a blessé la victime : presses à découper, emboutir, déformer les métaux ».

Aux termes de l'information préalable à la déclaration d'accident du travail complétée par la SAS [12], le lieu de l'accident est « atelier caisses : presse GIGANT » et les circonstances de l'accident sont les suivantes : « en voulant décoincer une demi caisse métallique bloquée dans la presse d'emboutissage encore en mouvement sans activer l'arrêt de la machine ».

Aux termes du certificat médical initial délivré le 4 octobre 2018 par le docteur [U], les lésions étaient « écrasement D2 D3 droite ».

Cet accident a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne (ci-après dénommée la caisse) du 9 octobre 2018.

L'état de santé de monsieur [P] [I] a été déclaré guéri le 6 mars 2020.

Le 30 mars 2020, monsieur [P] [I] a sollicité de la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne la mise en 'uvre de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Un procès-verbal de non conciliation a été établi le 2 juin 2021.

Par jugement du 29 juin 2021, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Reims du 29 juin 2022, le conseil de prud'hommes de Reims a notamment requalifié en contrat à durée indéterminée, à compter du 9 octobre 2017, la relation de travail entre monsieur [P] [I] et la SAS [12].

Le 30 juin 2021, monsieur [P] [I] a saisi le tribunal judiciaire de Reims d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Par jugement RG 22/272 du 17 avril 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Reims a :

- déclaré irrecevable la demande en reconnaissance de faute inexcusable dirigée à l'encontre de la société [13]

- dit que l'accident du travail survenu le 2 octobre 2018 dont a été victime monsieur [P] [I] est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [12]

- débouté monsieur [P] [I] de sa demande relative à la majoration de la rente

- ordonné, avant dire droit sur la liquidation du préjudice complémentaire de monsieur [P] [I], une expertise médicale

- commis pour y procéder le professeur [B] [F] -[Adresse 6] - tél : [XXXXXXXX01] - courriel : [Courriel 11] avec pour mission, contradictoirement et après avoir régulièrement convoqué les parties et avisé leurs conseils :

1°) Convoquer monsieur [P] [I], victime d'un accident le 2 octobre 2018, dans le respect des textes en vigueur ;

2°) Se faire communiquer par la victime, son représentant légal ou tout tiers détenteur tous documents médicaux relatifs à l'accident, en particulier le certificat médical initial ;

3°) Fournir le maximum de renseignements sur l'identité de la victime, ses conditions d'activités professionnelles, son niveau scolaire s'il s`agit d'un enfant ou d'un étudiant, son statut exact et/ou sa formation s'il s`agit d'un demandeur d'emploi ;

4°) A partir des déclarations de la victime imputables au fait dommageable et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, la nature et le nom de l'établissement, le ou les services concernés et la nature des soins ;

5°) Indiquer la nature de tous les soins et traitements prescrits imputables à l'accident et, si possible, la date de la fin de ceux-ci ;

6°) Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l'autonomie et, lorsque la nécessité d'une aide temporaire, avant consolidation, est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité ;

7°) Retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et, si nécessaire, reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaître les lésions initiales et les principales étapes de l'évolution ;

8°) Prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits ;

9°) Recueillir les doléances de la victime en l'interrogeant sur les conditions d'apparition, l'importance des douleurs et de la gêne fonctionnelle et leurs conséquences ;

10°) Décrire un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ; dans cette hypothèse :

- Au cas où il aurait entrainé un déficit fonctionnel antérieur, fixer la part imputable à l'état antérieur et la part imputable au fait dommageable ;

- Au cas où il n'y aurait pas de déficit fonctionnel antérieur, dire si le traumatisme a été la cause déclenchante du dé'cit fonctionnel actuel ou si celui-ci se serait de toute façon manifesté spontanément dans l'avenir ;

11°) Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

12°) Analyser dans une discussion précise et synthétique l'imputabilité entre l'accident, les lésions initiales et les séquelles invoquées en se prononçant sur :

- la réalité des lésions initiales,

- la réalité de l'état séquellaire,

- l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales et en précisant l'incidence éventuelle d'un état antérieur ;

13°) Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine, directe et exclusive avec l'accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou ses activités habituelles ; si l'incapacité fonctionnelle n'a été que partielle, en préciser le taux ; préciser la durée des arrêts de travail au regard des organismes sociaux au vu des justificatifs produits ; si cette durée est supérieure à l'incapacité temporaire retenue, dire si ces arrêts sont liés au fait dommageable ;

14°) Chiffrer, par référence au barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (état antérieur inclus) imputable à l'accident, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation ; dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation ;

15°) Lorsque la victime allègue une répercussion dans l'exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances, les analyser, les confronter avec les séquelles retenues ;

16°) Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation) du fait des blessures subies ; les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés ;

17°) Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en précisant s'il est temporaire (avant consolidation) ou définitif ; l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit ;

18°) Lorsque la victime allègue l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de sport et de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation ;

19°) Dire s'il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la morphologie, l'acte sexuel (libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction);

20°) Lorsque la victime allègue un préjudice d'établissement, constitué par la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap, donner un avis médical sur l'incidence du handicap sur le projet de vie familiale et son caractère définitif, sans prendre position sur l`existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation ;

21°) Indiquer, le cas échéant :

- si l'assistance d'une tierce personne constante ou occasionnelle a été nécessaire avant la consolidation, en décrivant avec précision les besoins (niveau de compétence technique, durée d'intervention quotidienne) ;

- si des aménagements (logement, véhicule) sont à prévoir ;

22°) Procéder selon la méthode du pré-rapport afin de provoquer les dires écrits des parties dans tel délai de rigueur déterminé de manière raisonnable et y répondre avec précision

- dit que l'expert dressera un rapport détaillé de ses opérations qu'il déposera en trois exemplaires au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Reims dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine

- dit qu'en cas de récusation ou d'empêchement de l'expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du président de la formation de jugement du pôle social, ou de tout autre magistrat de la 1ère chambre civile, statuant sur simple requête

- invité les parties à conclure dès réception du rapport d'expertise

- dit que les frais de l'expertise ordonnée en vue de l'évaluation des chefs de préjudice sont avancés par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la société [12]

- fixé à la somme de 2 000 euros l'indemnité provisionnelle allouée à monsieur [P]

[I] à valoir sur son indemnisation complémentaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

- dit que la CPAM de la Marne fera l'avance de cette indemnité provisionnelle au bénéfice de monsieur [P] [I] conformément à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

- sursis à statuer sur les autres demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise

- ordonné la réouverture des débats à l'audience du pôle social du tribunal judiciaire de Reims du Vendredi 10 novembre 2023 à 9 heures

- dit que le présent jugement vaut convocation des parties à l'audience précitée ;

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Par acte du 22 mai 2023, la SAS [12] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

A l'audience du 6 décembre 2023, l'affaire a été successivement renvoyée aux 24 janvier 2024 et 27 mars 2024 à la demande des parties. Elle a été plaidée à cette dernière audience, à laquelle monsieur [P] [I] a été dispensé de comparaître.

PRETENTIONS DES PARTIES

La SAS [12], représentée par son avocat, a repris ses conclusions reçues au greffe le 6 octobre 2023 et a sollicité ce qui suit :

À titre principal

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- débouter monsieur [I] de sa demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de la société [12], substituée dans la direction de l'entreprise de travail temporaire [13], dans le prolongement de l'accident du travail du 2 octobre 2018, les conditions de la faute invoquée n'étant pas établies

Subsidiairement, si par impossible, la cour devait retenir la faute inexcusable de l'employeur

- ordonner une expertise en définissant la mission de l'expert judiciaire de la façon suivante :

' convoquer les parties

' se faire remettre l'entier dossier médical de monsieur [I]

' examiner monsieur [I]

' décrire les lésions résultantes directement et exclusivement de l'accident de travail du 2 octobre 2018

' déterminer le déficit fonctionnel temporaire et le quantifier

' évaluer le pretium doloris en lien direct et exclusif avec l'accident de travail précité

' déterminer si monsieur [I] a subi un préjudice esthétique et un préjudice d'agrément en lien direct et exclusif avec l'accident de travail

' déterminer la tierce personne avant consolidation

' déterminer si monsieur [I] a eu la nécessité d'un aménagement de son domicile et/ou de son véhicule

' déposer un pré-rapport qui sera soumis au contradictoire des parties qui pourront présenter des dires

' déposer un rapport et l'adresser aux parties

- condamner la caisse à faire l'avance de l'ensemble des sommes allouées à la victime et ce, y compris de la provision qui pourrait lui être accordée, à charge pour elle de se retourner ensuite contre la société [12], substituée dans la direction de l'entreprise de travail temporaire [13], pour en obtenir le remboursement

- dire n'y avoir lieu à l'article 700 du code de procédure civile.

La société [13], représentée par son avocat, a repris ses conclusions n° 2 d'intimée et d'appel incident reçues au greffe le 25 mars 2024 et a sollicité ce qui suit :

- juger recevable et bien fondée la société [13] en l'ensemble des demandes, fins et prétentions

A titre principal,

- confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Reims du 17 avril 2023 en ce qu'il :

« DECLARE irrecevable la demande en reconnaissance de faute inexcusable dirigée à l'encontre de la société [13]

DIT que l'accident du travail survenu le 2 octobre 2018 dont a été victime monsieur [P] [I] est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [12]

DEBOUTE Monsieur [P] [I] de sa demande relative à la majoration de la rente »

A titre infiniment subsidiaire,

- juger que l'accident du travail de monsieur [P] [I] a été exclusivement causé par les fautes commises par celui-ci en violation des règles de prudence et sécurité qu'il ne pouvait ignorer au regard de son expérience professionnelle et de son ancienneté dans le poste ainsi que de la formation renforcée reçue et des équipements de protection individuelle et collectifs mis à sa disposition

- juger mal fondée la demande de monsieur [P] [I] sollicitant que la faute inexcusable de la société [13] soit reconnue, en ce qu'elle n'est ni établie au regard des textes applicables, ni démontrée dans les faits ou corroborée par les pièces versées aux débats

- juger irrecevables et mal fondées toutes demandes provisionnelles d'indemnisation de monsieur [P] [I] outre celles relatives à une expertise médicale dès lors qu'il n'a pas préalablement déterminé la nature et l'existence très éventuelle des préjudices indemnitaires complémentaires non indemnisés par le livre IV du code de la sécurité sociale dont il aurait été victime et dont il ne quantifie pas l'indemnisation

En conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il :

« DIT que l'accident du travail survenu le 2 octobre 2018 dont a été victime monsieur

[P] [I] est dû à la faute inexcusable de son employeur

ORDONNE, avant dire droit sur la liquidation du préjudice complémentaire de monsieur [P] [I], une expertise médicale ; et tout autre conséquence de droit

FIXE à la somme de 2.000 euros l'indemnité provisionnelle allouée à monsieur [P]

[I] à valoir sur son indemnisation complémentaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale »

- débouter l'appelante ainsi que l'intimée de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions

A titre infiniment subsidiaire,

- juger que les préjudices complémentaires de la victime, qui n'auraient pas déjà été indemnisés par le livre IV du code de la sécurité sociale, fussent-ils tant matériels, corporels, que moraux, ne sont pas démontrés, ni justifiés et à tout le moins les réduire à de plus justes proportions

- limiter et circonscrire la mission de l'expertise judiciaire médicale à intervenir aux seuls postes de préjudices liés aux souffrances physiques et morales endurées éventuelles avant consolidation et/ou guérison, ainsi que les très éventuels préjudices esthétique et d'agrément qui auraient été subis

- réduire à de plus justes proportions la réparation des préjudices indemnisables allégués par monsieur [P] [I] au regard des circonstances de fait et des fautes commises par celui-ci

- limiter l'obligation de remboursement de la société [13] à la caisse d'assurance primaire et maladie aux seules sommes qu'elle aura avancé

En tout état de cause,

- juger que la société [12], substituée dans la direction de la société [13], serait la seule à avoir commis une faute, pour autant qu'elle soit qualifiable d'inexcusable et/ou qu'elle ait été déterminante de la survenance et les conséquences de l'accident du travail en raison de l'absence très éventuelle de fourniture par celle-ci des équipements de protection adéquats au salarié et/ou d'une formation adaptée aux risques particuliers auxquels il était exposé

- condamner la société [12] à garantir la société [13] de toutes les condamnations éventuelles qui seraient prononcées à son encontre et de la totalité des conséquences financières résultant de la reconnaissance du caractère inexcusable de la faute à l'origine de l'accident du travail, tant en ce qui concerne le coût de l'accident du travail au sens des articles L. 241-5-1 et suivants et R.242-6-1 et suivants du code de la sécurité sociale, que la répartition complémentaire qui en résulte, savoir : tant la majoration de la rente que le surcoût des cotisations d'accident du travail résultant de l'imputation à son compte employeur du capital représentatif de la rente générée par l'accident survenu à son salarié, et en ce compris les préjudices déjà indemnisés au titre de l'accident, les frais irrépétibles et les dépens de l'instance

- condamner tout succombant à verser à la société [13] la somme de 3 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner l'appelante ainsi que l'intimée aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Fabrice GOSSIN dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Monsieur [P] [I], représenté par son avocat, a repris ses conclusions n° 2 notifiées le 22 février 2024 et a sollicité ce qui suit :

ln limine litis,

- ordonner un sursis à statuer dans |'attente de la décision du procureur de la République, et s'il est saisi par le tribunal judiciaire

- confirmer le jugement en ce qu'il a statué en ces termes :

DIT que l'accident du travail survenu le 2 octobre 2078 dont a été victime monsieur [P] [I] est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [12]

ORDONNE, avant-dire droit sur la liquidation du préjudice complémentaire de monsieur [P] [I], une expertise médicale

COMMET pour y procéder le Professeur [B] [F] -[Adresse 6] - tél : [XXXXXXXX01] - courriel : [Courriel 11]

DIT que les frais de l'expertise ordonnée en vue de l'évaluation des chefs de préjudice sont avancés par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur, la société [12]

FIXE à la somme de 2.000 euros l'indemnité provisionnelle allouée à monsieur [P] [I] à valoir sur son indemnisation complémentaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

DIT que la CPAM de la Marne fera l'avance de cette indemnité provisionnelle au bénéfice de monsieur [P] [I] conformément à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

SURSOIT à statuer sur les autres demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise

ORDONNE la réouverture des débats à l'audience du pôle social du tribunal judiciaire de Reims du vendredi 10 novembre 2023 à 9 heures

DIT que le présent jugement vaut convocation des parties à I'audience précitée

DIT n'y avoir lieu d'ordonner I 'exécution provisoire de la présente décision

- infirmer le jugement en ce qu'il a statué ainsi :

DECLARE irrecevable la demande en reconnaissance de faute inexcusable dirigée à l'encontre de la société [13]

Statuant à nouveau,

- recevoir monsieur [P] [I] en son recours

- juger que l'accident du travail survenu le 4 octobre 2018 dont a été victime monsieur [I] est dû à la faute inexcusable de ses employeurs, la société [13] et la société [12],

- fixer au maximum le montant de la majoration de la rente de monsieur [I] prévue à l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale

- ordonner, avant dire droit sur la liquidation du préjudice complémentaire de monsieur [P] [I] une expertise médicale

- commettre pour y procéder tel expert qu'il plaira, avec pour mission, contradictoirement et après avoir régulièrement convoqué les parties et avisé leurs Conseils :

1°) Convoquer monsieur [P] [I], victime d'un accident, dans le respect des textes en vigueur

2°) Se faire communiquer par la victime, son représentant légal ou tout tiers détenteur tous documents médicaux relatifs à l'accident, en particulier le certificat médical initial

3°) Fournir le maximum de renseignements sur l'identité de la victime, ses conditions d'activités professionnelles, son niveau scolaire s 'il s 'agit d'un enfant ou d'un étudiant, son statut exact et/ou sa formation s 'il s 'agit d'un demandeur d'emploi

4°) A partir des déclarations de la victime imputables au fait dommageable et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, la nature et le nom de l'établissement, le ou les services concernés et la nature des soins

5°) Indiquer la nature de tous les soins et traitements prescrits imputables à l'accident et, si possible, la date de la fin de ceux-ci

6°) Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l'autonomie et, lorsque la nécessité d'une aide temporaire, avant consolidation, est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité

7°) Retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et, si nécessaire, reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaitre les lésions initiales et les principales étapes de l'évolution

8°) Prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits

9°) Recueillir les doléances de la victime en l'interrogeant sur les conditions d'apparition, l'importance des douleurs et de la gêne fonctionnelle et leurs conséquences

10°) Décrire un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles.

Dans cette hypothèse

*Au cas où il aurait entrainé un déficit fonctionnel antérieur fixer la part imputable à l'état antérieur et la part imputable au fait dommageable

*Au cas où il n'y aurait pas de déficit fonctionnel antérieur dire si le traumatisme a été la cause déclenchante du déficit fonctionnel actuel ou si celui-ci se serait de toute façon manifesté spontanément dans l'avenir

11°) Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime

12°) Analyser dans une discussion précise et synthétique l'imputabilité entre l'accident, les lésions initiales et les séquelles invoquées en se prononçant sur :

- la réalité des lésions initiales

- la réalité de l'état séquellaire

- l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales et en précisant l'incidence éventuelle d'un état antérieur

13°) Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine, directe et exclusive avec l'accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou ses activités habituelles

Si l'incapacité fonctionnelle n 'a été que partielle, en préciser le taux

Préciser la durée des arrêts de travail au regard des organismes sociaux au vue des justificatifs produits ; si cette durée est supérieure à l'incapacité temporaire retenue, dire si ces arrêts sont liés au fait dommageable

14°) Lorsque la victime allègue une répercussion dans l'exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances, les analyser les confronter avec les séquelles retenues, en précisant les gestes professionnels rendus plus difficiles ou impossibles ; dire si un changement de poste ou d'emploi apparait lié aux séquelles

15°) Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation) du fait des blessures subies, les évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés

16°) Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en précisant s'il est temporaire (avant consolidation) ou définitif l'évaluer selon l'échelle habituelle de sept degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit

17°) Lorsque la victime allègue l'impossibilité de se livrer à des activités spécifiques de sport et de loisir donner un avis médical sur cette impossibilité et son caractère définitif sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation

18°) Dire s'il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement la morphologie, l'acte sexuel (libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction)

19°) Lorsque la victime allègue un préjudice d'établissement, constitué par la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap, donner un avis médical sur l'incidence du handicap sur le projet de vie familiale et son caractère définitif sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation

20°) Indiquer le cas échéant

- si l'assistance d'une tierce personne constante ou occasionnelle a été nécessaire avant la consolidation, en décrivant avec précision les besoins (niveau de compétence technique, durée d'intervention quotidienne)

- si des aménagements (logement, véhicule) sont à prévoir

21°) Procéder selon la méthode du pré-rapport afin de provoquer les dires écrits des parties dans tel délai de rigueur déterminé de manière raisonnable et y répondre avec précision

- dire que l'expert dressera un rapport détaillé de ses opérations qu'il déposera en trois exemplaires au secrétariat du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Marne dans un délai de six mois à compter de sa saisine

- fixer à la somme de 8 000 euros l'indemnité provisionnelle allouée à monsieur [P] [I] à valoir sur son indemnisation complémentaire prévue par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale

- dire que la CPAM de la Marne fera l'avance de cette indemnité provisionnelle au bénéfice de monsieur [I], conformément à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

- surseoir à statuer sur les autres demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise

- ordonner l'exécution provisoire du présent jugement

- condamner les sociétés [13] et [12] à payer à monsieur [P]

[I], la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner les mêmes aux entiers dépens

- dire la décision commune à la CPAM de la Marne.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, dument représentée, a repris ses conclusions reçues au greffe le 21 novembre 2023 et a sollicité ce qui suit :

Statuant à nouveau,

- déclarer que la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne s'en rapporte à justice quant à la demande de reconnaissance d'une faute inexcusable formulée à l'encontre de la société [13] et de la société [12]

Si une faute inexcusable de l'employeur devait être confirmée,

- déclarer que la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne pourra exercer une action récursoire en remboursement des sommes dont la société [12], ou toute autre partie condamnée à garantie, serait redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale

- condamner la société [12], ou toutes autres parties qui seraient condamnées à indemniser monsieur [I] [P] ou condamnées à garantie, au remboursement au profit de la caisse primaire d'assurance maladie de la Mame des sommes dont elle aurait à faire l'avance

- condamner la société [12], ou toutes autres parties qui seraient condamnées à indemniser monsieur [I] [P] ou condamnées à garantie, aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire

- condamner la société [12], ou toutes autres parties qui seraient condamnées à indemniser monsieur [I] [P] ou condamnées à garantie, à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne les éventuels frais de citation ou signification rendues nécessaires aux fins de recouvrement des sommes qui lui sont dues

- condamner la société [12] ou toutes parties succombantes aux entiers dépens de l'instance.

Pour l'exposé des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, régulièrement communiquées avant l'audience par monsieur [P] [I], reprises oralement à l'audience par les autres parties.

L'affaire a été mise en délibéré au 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe par application des dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la recevabilité de la demande à l'encontre de la société [13]

Aux termes de l'article L452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

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En l'espèce, la société [13] fait valoir que la société [12] n'a pas soutenu, tant devant le tribunal qu'en appel, un quelconque moyen ayant trait à la qualité à agir de monsieur [I] à son encontre, et n'a pas remis en cause son absence de qualité d'employeur. Elle ajoute que la cour n'est pas saisie de la question de l'irrecevabilité de la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [13].

Elle fait également valoir subsidiairement qu'elle n'a pas participé à la procédure prud'homale entre monsieur [I] et la société [12]. Elle ajoute que les contrats de mission ont été définitivement requalifiés en contrat à durée indéterminée entre monsieur [I] et la société [12].

La SAS [12] ne se prononce pas sur ce point.

Monsieur [P] [I] indique qu'il entend voir retenir la responsabilité de la société [13] puisqu'elle était son employeur initial et que le fait que la relation contractuelle ait été requalifiée à l'encontre de la société [12] ne fait pas perdre la qualité d'employeur de la société [13].

La caisse ne se prononce pas sur ce point.

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A titre liminaire, il convient de rappeler que la SAS [12] sollicitant l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, la cour est saisie de l'ensemble du dispositif dudit jugement, incluant la question de la recevabilité des demandes à l'encontre de la société [13], et ce même si aucun moyen n'est développé par la société à cet égard.

Par arrêt du 29 juin 2022, la cour d'appel de Reims a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Reims qui a requalifié les contrats de mission conclus entre la société [13] et monsieur [P] [I] en un contrat de travail à durée indéterminée entre monsieur [P] [I] et la SAS [12], et ce rétroactivement à compter du 9 octobre 2017.

Cette décision étant opposable à monsieur [P] [I] et à la SAS [12], c'est à juste titre que la société [13] s'en prévaut dans la présente procédure pour solliciter sa mise hors de cause, puisqu'elle a pour conséquence que la société [13] n'était pas l'employeur de monsieur [I] au jour de l'accident du travail fondant la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en reconnaissance de faute inexcusable dirigée à l'encontre de la société [13]

Sur la demande de sursis à statuer

Aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

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En l'espèce, monsieur [P] [I] fait valoir que l'inspecteur du travail a dressé le 1er juillet 2019 un procès-verbal suite à son accident intervenu le 8 octobre 2018, aux termes duquel il aurait retenu les infractions de mise à disposition de travailleurs et d'équipement de travail ne permettant pas de préserver sa sécurité, emploi de travailleur temporaire sans formation pratique appropriée, mise à disposition de travailleurs et d'équipement de travail sans formation, et évaluation par l'employeur des risques professionnels sans transcription dans un document des inventaires des résultats. Il ajoute que l'enquête pénale est toujours en cours de telle sorte qu'il convient d'ordonner un sursis à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue par le tribunal judiciaire ou à défaut par la décision de classement sans suite.

La SAS [12] fait valoir que le premier procès-verbal de l'inspecteur du travail date du 1er juillet 2019, alors que l'accident date d'il y a plus de six ans. Elle ajoute qu'il n'y a pas identité de faute civile et pénale et que le pénal ne tient pas le civil en l'état.

La caisse ne se prononce pas sur ce point

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Au vu d'une part, des conclusions et pièces produites par les parties, au vu de l'ancienneté de l'affaire, de l'absence de plainte pénale déposée par monsieur [I] et au vu, d'autre part, de la nature des infractions évoquées par l'inspection du travail et de la requalification de la nature de la relation de travail excluant la qualité d'employeur de l'entreprise de travail temporaire, il apparaît qu'un sursis à statuer, qui n'avait de surcroit pas été sollicité en première instance, ne serait ni utile ni opportun.

Dès lors, monsieur [P] [I] sera débouté de sa demande de ce chef.

Sur la faute inexcusable

Il résulte des articles L452-1 du code de la sécurité sociale, L4121-1 et L4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ. 2e 8 octobre 2020 pourvoi n° 18-25021, civ. 2e 8 octobre 2020 pourvoi n° 18-26677).

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Ass. plén. 24 juin 2005 pourvoi n°03-30.038).

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En l'espèce, monsieur [P] [I] fait grief à son employeur d'une absence de formation au poste et à la sécurité, de l'utilisation d'une machine non conforme et d'un document d'évaluation des risques incomplet et sans mise à jour.

Il fait valoir que si l'employeur a une obligation de sécurité de moyens renforcée, l'article L4154-3 du code du travail prévoit une présomption de faute inexcusable pour les salariés temporaires affectés à des postes présentant des risques particuliers. Il ajoute que le fait que les contrats de mission aient été requalifiés en contrat à durée indéterminée à l'encontre de la société [12] ne fait pas disparaître les contrats et le fait que la société [13] était bien son employeur au moment de l'accident.

Il explique qu'au moment de l'accident, le cycle de presse ne s'est pas terminé, et que celle-ci est tombée sur le bout de ses doigts sans que le vérin hydraulique ne puisse le retenir de manière douce et déformante comme à l'habitude.

Il fait également valoir que monsieur [N] n'a pu le former sérieusement puisqu'il a déménagé son bureau à l'autre bout de l'usine. Il ajoute que la formation reçue a duré 30 minutes pendant lesquelles il devait entourer les points et situations à risques, et qu'il n'a pas assisté à la réunion Q5. Il indique qu'il est passé du poste d'opérateur sur une ligne de production à un poste de technicien « et qu'il n'est jamais reparti du poste d'opérateur car l'atelier était toujours en sous-effectif de technicien ». Il ajoute que lors de la réunion du CHSCT concernant son accident, il a été évoqué le fait d'avoir accès à la presse sans grille et que la DRH a reproché à monsieur [E] des dérives impliquant des accidents pour les intérimaires. Il précise avoir envoyé un sms à son employeur puisqu'il ne souhaitait pas que le cariste culpabilise suite à son accident.

La SAS [12] fait valoir que monsieur [I] était particulièrement expérimenté à son poste puisqu'il réalisait la même tâche tous les jours depuis près d'un an et qu'il a été accompagné et formé, pendant près de 9 semaines au cours desquelles il était accompagné par un technicien expérimenté. Elle ajoute qu'il travaillait soit en binôme avec un technicien expérimenté, soit à son ancien poste d'opérateur sur la presse GIGANT en compagnie de monsieur [N], superviseur d'atelier. Elle précise qu'une réunion de 45 minutes était organisée chaque mois pour aborder les problématiques liées à la sécurité et qu'une réunion sécurité avait eu lieu le même jour à 13 heures.

Elle fait également valoir que la machine utilisée était parfaitement aux normes et en parfait état de marche, et qu'aucun collaborateur ou membre du CHSCT n'avait identifié de risque particulier sur cette machine. Elle ajoute que seul le comportement imprévisible de monsieur [I] peut expliquer l'accident, puisqu'il n'a pas arrêté la machine pour décoincer la pièce et a passé la main entre le carter grillagé et la porte de la presse pour accéder à la caisse bloquée dans la machine, alors qu'il lui appartenait d'utiliser les outils mis à sa disposition, comme indiqué sur une affiche positionnée sur la presse. Elle précise que monsieur [I] ne portait pas ses gants de protection.

Elle fait enfin valoir qu'elle est soucieuse de la santé et la sécurité de ses salariés et a mis en place une politique de prévention des risques, traduite dans son document d'évaluation des risques. Elle ajoute que les risques liés à l'utilisation de la presse étaient parfaitement identifiés le jour de l'accident.

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Il résulte des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, notamment le « fiche action », que le jour de l'accident, monsieur [I] travaillait sur la presse GIGANT, qu'une caisse s'est bloquée au cours du processus, et que pour décoincer ladite caisse, il a passé la main entre le carter grillagé et la porte de la presse, et qu'en passant sa main devant la cellule barrage, il a involontairement déclenché le cycle et la presse est tombée sur le bout de ses doigts, engendrant un écrasement.

Les circonstances de l'accident sont dès lors parfaitement déterminées.

Par ailleurs, la SAS [12] ne prétend pas qu'elle n'avait pas conscience du danger auquel monsieur [P] [I] était exposé du fait de l'utilisation de la presse, puisqu'elle avait relevé les risques encourus dans son document unique d'évaluation des risques.

Enfin, monsieur [P] [I] ayant sollicité et obtenu la requalification de ses contrats de mission conclus avec la société d'intérim [13] en contrat à durée indéterminée avec la SAS [12], et cette requalification ayant un effet rétroactif, il lui appartient d'assumer les conséquences de ses propres demandes et prétentions, et il ne peut prétendre bénéficier des dispositions spécifiques relatives aux travailleurs intérimaires applicables lorsque la faute inexcusable de l'employeur est recherchée.

Il lui appartient dès lors de démontrer que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver du risque.

La SAS [12] justifie de la conformité aux normes de la presse litigieuse et il n'est pas prétendu que cette presse aurait souffert d'un défaut d'entretien ou aurait été vétuste.

Par ailleurs, les attestations produites aux débats apportent la preuve suffisante de la formation de monsieur [I] à son poste de travail, qu'il occupait depuis près d'un an. Ces formations portaient précisément sur les instructions de sécurité, notamment quant à la nécessité d'arrêter la machine en cas d'incident, et d'utilisation des outils.

Bien plus, monsieur [I] ne prétend pas que les outils nécessaires étaient bien mis à sa disposition et il n'explique pas en quoi le document unique d'évaluation des risques établi par la SAS [12] serait incomplet.

Enfin, monsieur [I] ne conteste pas qu'un affichage sur la machine rappelait les instructions très précises à respecter en cas de coincement d'une tôle dans la presse, à savoir « attention, risque de coupure/arrachement /abrasion ; ne jamais sortir un déchet de tôle coincé dans la presse avec les mains (même avec vos gants) ; servez-vous des outils à votre disposition », avec une photographie desdits outils. Bien plus, il reconnaît expressément (notamment dans un sms adressé après l'accident à son employeur) qu'il n'a pas respecté ces instructions, en voulant aller trop vite.

En ne respectant pas les consignes de l'employeur, qui étaient de nature à le préserver du danger, et en éludant volontairement les dispositifs spécialement mis en place pour sa protection en introduisant sa main dans une zone qu'il savait dangereuse, monsieur [I] ne démontre pas que son employeur, la SAS [12], aurait commis une faute inexcusable au sens des dispositions des articles L452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

En conséquence, il sera débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et se des demandes subséquentes, et le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

Au vu de l'issue du litige, l'action récursoire de la caisse est sans objet, étant néanmoins rappelé à monsieur [I] qu'il lui appartiendra de rembourser la provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices éventuellement versée par la caisse.

Sur les frais et dépens

Monsieur [P] [I] succombant, il sera condamné aux dépens de la présente instance et d'appel, incluant les éventuels frais d'expertise, et sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société [13] l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a exposés de telle sorte qu'elle sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

DEBOUTE monsieur [P] [I] de sa demande de sursis à statuer,

CONFIRME le jugement RG 22/272 du 17 avril 2023 du pôle social du tribunal judiciaire de Reims en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en reconnaissance de faute inexcusable dirigée à l'encontre de la société [13],

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau,

DIT que l'accident du 2 octobre 2018 dont a été victime monsieur [P] [I] n'est pas dû à la faute inexcusable de son employeur, la SAS [12],

DEBOUTE monsieur [P] [I] de l'ensemble de ses demandes,

Y ajoutant,

DEBOUTE la société [13] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE monsieur [P] [I] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE monsieur [P] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Guerric HENON, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en seize pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-1ère sect
Numéro d'arrêt : 23/01094
Date de la décision : 22/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-22;23.01094 ?
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