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16/05/2024 | FRANCE | N°23/01510

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 16 mai 2024, 23/01510


ARRÊT N° /2024

PH



DU 16 MAI 2024



N° RG 23/01510 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGR6







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES

22/00025

27 juin 2023











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



S.A. USINE [F] prise en la pe

rsonne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Eric FILLIATRE de la SELARL FILOR AVOCATS, substitué par Me NAUDIN, avocats au barreau de NANCY











INTIMÉE :



Madame [M] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Olivier BAUER de la SE...

ARRÊT N° /2024

PH

DU 16 MAI 2024

N° RG 23/01510 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGR6

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES

22/00025

27 juin 2023

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A. USINE [F] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Eric FILLIATRE de la SELARL FILOR AVOCATS, substitué par Me NAUDIN, avocats au barreau de NANCY

INTIMÉE :

Madame [M] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Olivier BAUER de la SELEURL CABINET DE MAITRE OLIVIER BAUER, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 08 Février 2024 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 16 Mai 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 16 Mai 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [M] [W] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société SA USINE [F] à compter du 12 mars 2007, en qualité de secrétaire commerciale.

Le temps de travail de la salariée était fixé à 39 heures hebdomadaires.

La convention collective nationale du textile s'applique au contrat de travail.

Par courrier du 30 avril 2020, la salariée s'est vu notifier un avertissement.

Du 30 mars au 30 avril 2020, la salariée a été placée en arrêt de travail pour garde d'enfant, dans le cadre des mesures d'aménagement liées à l'épidémie du COVID-19.

A la suite, elle a été placée sous le régime d'activité partielle du 01 au 18 mai 2020.

A compter du 18 mai 2020, Madame [M] [W] occupait le poste d'assistante logistique au sein de service expédition, avec un temps de travail hebdomadaire fixé à 35 heures.

Par courrier du 30 mars 2021, Madame [M] [W] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 09 avril 2021, auquel elle ne s'est pas présentée.

Par courrier du 13 avril 2021, Madame [M] [W] a été licenciée pour faute grave.

Par requête du 11 avril 2022, Madame [M] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges, aux fins :

- de dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi,

- de condamner l'employeur au paiement de la somme de 4 170,50 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la salariée,

- de dire et juger son licenciement nul et de nul effet comme étant la conséquence d'une discrimination prohibée,

- de condamner la société USINE [F] au paiement des sommes suivantes :

- 29 193,50 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 7 993,45 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

- 4 170,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 417,05 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 2 500,00 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

A titre subsidiaire :

- de dire et juger son licenciement prononcé dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société USINE [F] au paiement des sommes suivantes :

- 25 023,00 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (soit 12 mois de salaire),

- 7 993,45 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

- 4 170,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 417,05 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 2 500,00 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

En toutes hypothèses :

- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges rendu le 27 juin 2023, lequel a :

- dit et jugé le licenciement pour faute grave de Madame [M] [W] sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société USINE [F] au paiement des sommes suivantes :

- 7 993,45 euros net au titre d'indemnité de licenciement,

- 4 170,50 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 417,05 euros brut à titre de congés afférents,

- 1 500,00 euros net au titre de congés afférents,

- 12 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouté Madame [M] [W] du surplus de ses demandes,

- débouté la société USINE [F] de sa demande reconventionnelle,

- ordonné en application de l'article L.1235-4 du code du travail le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnité de chômage en l'espèce 2 mois,

- rappelé qu'en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de neuf mois de salaires pour les sommes visées à l'article R.1454-14 du code du travail, calculés sur la moyenne des trois derniers mois fixés à 1 457,00 euros,

- condamné la société USINE [F] aux entiers dépens d'instance et frais d'exécution éventuels.

Vu l'appel formé par la société USINE [F] le 11 juillet 2023, enregistré sous le n° RG 23/01510,

Vu l'appel formé par Madame [M] [W] le 17 juillet 2023, enregistré sous le n° RG 23/01559,

Vu l'ordonnance de jonction rendue le 08 novembre 2023, laquelle a ordonné la jonction de affaires n° RG 23/01510 et n° RG 23/01559 sous le numéro RG 23/01510,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société USINE [F] déposées sur le RPVA le 30 novembre 2023, et celles de Madame [M] [W] déposées sur le RPVA le 21 novembre 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 24 janvier 2024,

La société USINE [F] demande :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges rendu le 27 juin 2023 en ce qu'il a débouté Madame [M] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit et jugé le licenciement pour faute grave de Madame [M] [W] sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société au paiement des sommes suivantes :

- 7 993,45 euros net au titre d'indemnité de licenciement,

- 4 170,50 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 417,05 euros brut à titre de congés afférents,

- 1 500,00 euros net au titre de congés afférents,

- 12 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouté la société USINE [F] de sa demande reconventionnelle,

- ordonné en application de l'article L.1235-4 du code du travail le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnité de chômage en l'espèce 2 mois,

- condamné la société USINE [F] aux entiers dépens d'instance et frais d'exécution éventuels,

Statuant à nouveau,

- de dire et juger Madame [M] [W] mal fondée en l'ensemble de ses demandes,

- de dire et juger régulier et parfaitement légitime le licenciement de Madame [M] [W],

- de dire et juger que le licenciement de Madame [M] [W] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- de débouter Madame [M] [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de débouter Madame [M] [W] de son appel incident,

En tout état de cause,

- de condamner Madame [M] [W] à lui verser la somme de 3 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Madame [M] [W] aux entiers frais et dépens.

Madame [M] [W] demande :

- de déclarer recevable et bien fondée son appel de la décision rendue le 27 juin2023 par le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges,

Y faisant droit :

- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté l'intimée du surplus de ses demandes,

- limité la condamnation de la société USINE [F] au paiement des sommes suivantes :

- 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- 12 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant de nouveau :

- de juger l'appel de la société USINE [F] mal fondée,

- de débouter la société USINE [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- de dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation d'exécuter le contrat de bonne foi,

- de condamner l'employeur au paiement de la somme de 4 170,50 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la salariée,

- de dire et juger le licenciement est nul et de nul effet comme étant la conséquence d'une discrimination prohibée,

- de condamner la société USINE [F] au paiement des sommes suivantes :

- 29 193,50 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 7 993,45 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

- 4 170,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 417,05 euros bruts à titre de congés payés afférents

- 3 000,00 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société USINE [F] aux entiers dépens,

Subsidiairement :

- de dire et juger le licenciement prononcé dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société USINE [F] au paiement des sommes suivantes :

- 25 023,00 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (soit 12 mois de salaire),

- 7 993,45 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

- 4 170,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 417,05 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 3 000,00 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société USINE [F] aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 30 novembre 2023, et en ce qui concerne la salariée le 21 novembre 2023.

La lettre de licenciement du 13 avril 2021 (pièce 19 de la société USINE [F]) indique :

« Nous faisons suite à la convocation à entretien préalable relative à la mesure de licenciement envisagée à votre égard que nous vous avions régulièrement adressée pour un entretien fixé au 9 avril dernier.

Vous ne vous êtes pas présentée à cet entretien, ceci sans en avoir sollicité le report.

Après réflexion et réexamen de votre dossier personnel, à défaut également de tout élément nouveau de nature à modifier notre appréciation à raison de votre absence lors de l'entretien susvisé, nous estimons n'avoir d'autre issue que de vous notifier par la présente votre licenciement.

Nous vous en indiquons ci-après les raisons.

Après ne nous avoir déjà pas donné satisfaction dans la tenue de votre précédent poste en manifestant un défaut certain de conscience professionnelle, nous avons convenu ensemble le 18 mai 2020 de votre nouvelle affectation en qualité d'Assistante Logistique du service Expéditions.

A ce nouveau poste, en charge d'une équipe de deux personnes pouvant ponctuellement être renforcée en cas de besoins, vous aviez notamment pour mission essentielle d'assurer la préparation et l'expédition de nos produits à destination des clients de l'entreprise, tout en veillant à réaliser antérieurement un rigoureux contrôle qualitatif et quantitatif.

A cet égard, il vous a été maintes fois rappelé que notre clientèle est constituée de couturiers et d'acteurs du prêt à porter du secteur du luxe, lesquels clients sont donc nécessairement intransigeants quant à la qualité des produits qu'ils réceptionnent après nous en avoir passé commande.

Nous avons souvent aussi souligné auprès de vous les conséquences préjudiciables des éventuels défauts et non-conformités de tous ordres qui affecteraient les produits expédiés par votre entremise après le contrôle également à opérer par vos soins.

Outre l'atteinte à la réputation de notre entreprise en cas de réception de produits défectueux, nos clients nous imposent des obligations contractuelles drastiques dont il résulte que notre entreprise doit prendre à sa charge les frais de retour des produits non conformes, les frais de réparation de ceux-ci ou encore le travail supplémentaire à accomplir, et même subir une décote pouvant atteindre 70 % de la valeur des articles livrés.

Vous aviez parfaitement connaissance de ces exigences et enjeux.

Pourtant, sous votre responsabilité entre le mois de juin 2020 et le mois de mars 2021, et de façon catastrophique, le nombre de retours de produits défectueux s'est soudainement multiplié, passant de 5 précédemment à 41.

Cela témoigne de votre part d'un total défaut de vigilance, voire d'une complète indifférence aux dommages causés, ce qui est aussi injustifiable qu'inacceptable.

De la sorte, nous avons accumulé les retours de nos clients pour les défectuosités les plus diverses, qu'il s'agisse de produits expédiés tour à tour avec des trous ou des taches, encore revêtus d'étiquettes internes devant pourtant être impérativement retirées avant envoi, présentant des tailles non conformes, affectés de paillettes manquantes, de fils qui dépassent ou encore d'ourlets se défaisant, mais aussi d'étiquettes de marque mal cousues.

Outre cette absence de contrôle de la qualité des produits, vous avez d'évidence pu aussi vous abstenir de tout contrôle quantitatif des produits expédiés, obligeant ainsi notre entreprise à consentir des avoirs pour les produits non réceptionnés par nos clients, ceci avant qu'il ne soit découvert qu'ils avaient été égarés au sein de votre service, avec pour conséquence de nouvelles opérations d'expédition et de facturation.

Pour ne reprendre que les exemples les plus récents de vos agissements fautifs, nous entendons revenir pour illustration sur la commande de 210 tee-shirts rayés pour la marque Saint Laurent sous la référence 33TM.

Dès la commande, notre client avait prescrit comme impératif le parfait raccordement des rayures.

Comme toutes les équipes de production, vous étiez avisée de ce point de vigilance.

Or, après expédition par vous des 210 pièces commandées, 131 pièces nous ont été retournées dès lors que, notamment, les mesures du corps n'étaient pas correctes ou les rayures ne se trouvaient pas raccordées, soit une non-conformité considérable de 62 % des pièces expédiées par vous et dont vous étiez sensée avoir préalablement assurer le contrôle de la qualité.

Mais encore, outre cette énormité, et après un important travail de remise en conformité et de reconditionnement, un courriel de notre client du 12 mars 2021 nous a révélé que vous lui aviez ensuite encore réexpédié 4 pièces présentant un problème de symétrie ou dont les manches étaient décousues.

Outre votre nouvelle absence de contrôle s'agissant de cette expédition qui faisait déjà suite à un conséquent premier retour du client, il s'est avéré, selon les fiches de présence et de travail en notre possession, que vous vous étiez même rendue personnellement l'auteure de l'emballage de ces produits encore visiblement défectueux, ce que vous avez d'ailleurs expressément reconnu ensuite.

Pour le même client, et concomitamment, une autre expédition de produits sous la référence 04TT à laquelle vous aviez procédé s'est encore traduite par le constat de non-conformités successives.

Par courriel du 2 mars 2021, le client nous a signalé de premières impuretés ou anomalies.

Par courriel du 15 mars 2021, il a réitéré une nouvelle alerte portant sur le ton de la couleur des paillettes, la forme non conforme de la pointe du décolleté, la visible retouche au feutre ou l'ourlet décousu des produits livrés.

Mais encore, peu après et alors que Madame [F] cherchait à comprendre l'origine de tous ces disfonctionnements, vous l'avez interpellée, en présence des membres du service Expéditions, pour lui demander pourquoi elle « acceptait de produire des articles aussi moches", affichant ainsi un esprit critique à l'égard de la qualité esthétique des produits commandés par nos clients dont nous n'avons pourtant pas à nous faire juge, notre mission étant de produire un travail d'une qualité irréprochable, ce dont vous avez témoigné ainsi n'avoir cure selon votre goût personnel.

Clairement, en vous comportant de la sorte, en faisant preuve de tant de carences fautives au préjudice de notre entreprise au regard des missions qui vous étaient dévolues, vous avez adopté un comportement délibérément fautif.

Ce faisant, vous avez démontré de façon inacceptable ne plus entendre vous conformer aux obligations les plus essentielles résultant de votre contrat de travail

Votre convocation à entretien n'a rien apporté de plus.

Au vu de vos agissements, bien évidemment, il ne nous apparaît absolument plus possible de poursuivre plus longtemps notre collaboration.

Nous ne pouvons dès lors que devoir vous notifier par la présente votre licenciement immédiat pour faute grave, sans préavis ni indemnité (...) »

La société USINE [F] explique que Mme [M] [W] a failli dans l'exercice de sa fonction d'assistante logistique, dans le cadre de laquelle elle devait être garante d'un rigoureux contrôle qualitatif et quantitatif des expéditions, les retours de clients de produits affectés de problèmes de non-qualité s'étant multipliés dans des proportions considérables.

Elle fait valoir que la salariée n'a jamais contesté les griefs qui lui étaient adressés par la lettre de licenciement, et a saisi le conseil des prud'hommes juste avant la prescription de l'action.

La société USINE [F] explique que la livraison à destination de la société YVES SAINT LAURENT des 210 pièces est revenue du client, en raison d'un taux de non-conformité de 62 %, pour défaut de mesure de corps ou défaut de raccordement des rayures, alors que Mme [M] [W] avait pour mission de contrôler la marchandise avant expédition.

Elle ajoute qu'à réception de la réexpédition de ces 131 pièces retournées, la société YVES SAINT LAURENT a encore relevé le 12 mars 2021 que quatre pièces étaient encore non-conformes.

La société USINE [F] fait état d'un rappel du même client du 02 mars 2021 sur une livraison présentant également des défauts, qui se sont répétés après cette première alerte.

L'appelante indique produire en pièce 38 la liste des retours sur la période de juin 2020 à mars 2021, durant laquelle Mme [M] [W] était affectée au service expédition, et précise qu'il en ressort 41 retours et plus de 360 articles défectueux. Elle ajoute qu'il s'agit pour la quasi-totalité de défauts totalement perceptibles au cours d'un simple contrôle visuel.

Elle précise que la synthèse annuelle des retours pour 2021 met en évidence des retours bien plus élevés pour la période de janvier à avril, soit les quatre mois au cours desquels Mme [M] [W] était encore en poste, en comparaison des huit mois restants après son départ, soit de mai à décembre 2021.

L'employeur indique également que des clients pouvaient se plaindre de recevoir la facturation de produits qu'ils n'avaient pas reçus, parce qu'ils ne leur avaient pas été expédiés, pour avoir été égarés au sein du service expéditions de Mme [M] [W].

La société USINE [F] conteste tout lien entre le licenciement de Mme [M] [W] et ses arrêts pour garde d'enfant en mars 2020 lors du confinement sanitaire.

L'appelante souligne que la salariée a accepté son poste d'assistante logistique, et qu'elle a bénéficié d'une réduction de temps de travail de 39 heures à 35 heures avec maintien de sa rémunération, et de nouveaux horaires moins contraignants lui permettant d'être davantage disponible pour ses enfants.

La société USINE [F] souligne que jamais Mme [M] [W] n'a soutenu ne pas avoir eu connaissance de sa fiche de poste.

L'appelante affirme qu'il n'y avait pas d'anomalies au sein de l'entreprise en matière de prévention de risques psycho-sociaux.

- sur la nullité du licenciement

Mme [M] [W] soutient que son licenciement est nul, « comme étant le fruit d'une discrimination injustifiée en regard de sa situation de famille ».

Elle explique qu'en 2015, à la suite de sa rétractation de demande de rupture conventionnelle, l'employeur lui a reproché d'avoir sollicité sa bienveillance quant à sa situation familiale.

L'intimée indique ensuite que son avertissement du 30 avril 2020 est injustifié.

Elle fait également valoir que l'employeur a procédé à sa mutation sur un poste, sans aucune formation préalable, et au sein d'un service complètement désorganisé, manifestement à la seule fin de procéder rapidement à son licenciement.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article 1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions des articles 1132-1 et suivants du même code, relatifs au principe de non-discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile.

En l'espèce, Mme [M] [W] ne formule aucune critique à l'égard de la décision de licenciement se fondant sur une discrimination en lien avec sa situation familiale.

Elle explique en effet (en page 10 de ses conclusions) qu'en 2015 lorsqu'elle « rétracte sa demande de rupture conventionnelle deux jours après l'avoir émise, l'entreprise l'informe de son mécontentement en lui reprochant d'avoir sollicité la bienveillance de son employeur quant à sa situation familiale » ; elle cite la pièce 8bis adverse.

Elle poursuit en faisant valoir que « si l'employeur [l'] a effectivement (') placé[e] en situation de chômage partiel, force est toutefois de reconnaître qu'il a immédiatement adopté des mesures de rétorsion, notamment en prononçant un avertissement pour des motifs parfaitement injustifiés ».

Mme [M] [W] fait ici référence à l'avertissement du 30 avril 2020, produit en pièce 4 par la société USINE [F], par lequel l'employeur lui reproche d'avoir opéré une relance de paiement auprès d'un client, sans avoir procédé à des recherches suffisantes en interne pour essayer de démêler les incohérences entre la facturation et les bordereaux de livraisons, dont l'analyse aboutit en définitive à l'émission d'un avoir au profit de ce client.

Mme [M] [W] ne justifie d'aucun recours contre cet avertissement, et n'en demande pas l'annulation dans la présente procédure.

La salariée poursuit ses explications en indiquant que « L'employeur a par la suite procédé à [sa] mutation sur un poste, sans aucune formation préalable, et au sein d'un service complètement désorganisé, manifestement à la seule fin de procéder rapidement à [son] licenciement (') ».

Elle conclut en indiquant : « il ressort donc des considérations qui précèdent que [son] licenciement doit être déclaré nul comme étant le fruit d'une discrimination injustifiée en regard de sa situation de famille (') »

Il convient donc ainsi de constater qu'au travers de son argumentaire, qui critique un avertissement qu'elle n'a pas contesté, et dresse l'historique des derniers mois de la relation de travail, en demeurant dans un registre purement narratif, Mme [M] [W] n'explique pas en quoi son licenciement serait motivé par sa situation familiale.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de le voir juger nul.

- sur le caractère fondé ou non fondé du licenciement

Mme [M] [W] fait valoir que s'agissant de manches non cousues, la première personne en cause est la confectionneuse, puis la repasseuse ; or aucune de ces deux salariées n'a fait l'objet d'un licenciement.

Elle estime avoir été « prise à partie » sur de nombreux points qualité qui ne faisaient pas partie de ses attributions, et cite l'attestation d'une Mme [Y].

Elle souligne que le conseil des prud'hommes a estimé que rien n'indique que sa fiche de poste a été connue et comprise de sa part.

Elle soutient que rien n'indique qu'elle « ait eu connaissance du fait qu'elle aurait la responsabilité exclusive du contrôle qualité en bout de chaîne, ce que ne stipule pas la fiche de poste apportée par l'employeur ».

Motivation

Mme [M] [W] ne conteste pas la matérialité des griefs contenus dans la lettre de licenciement.

Elle conteste avoir eu connaissance de ce qu'elle devait effectuer un contrôle qualité, et ajoute qu'elle n'était pas seule responsable des défauts survenus dans les livraisons.

Mme [M] [W] renvoie à l'attestation de Mme [Y] qu'elle reprend dans ses écritures, et qui figure en pièce 13 de son bordereau de communication de pièces.

Mme [O] [Y] indique avoir occupé les fonctions de responsable d'atelier au sein de la société USINE [F] de septembre 2020 à mars 2021 ; elle précise :

« (') En sept mois, j'ai moi-même constaté de nombreux problèmes de qualité ayant diverses origines : il pouvait s'agir de défaut de coupe, de défaut de qualité de la matière première reçue, de défaut de mise au point produit. Tous ces défauts étaient régulièrement signalés par mon service à la Direction avant que cela n'arrive entre les mains du service de [M]... ».

Elle indique également : « (...) Sur des points plus précis, les paillettes manquantes « avaient été signalées à la Direction avant le lancement de la production. Le tissu aurait dû être refusé. « Pour la référence 33 TM ». Les consignes de raccord de rayures n'ont pas été comprises par les différents services en amont de celui de [M], ce qui a entraîné des « interprétations » différentes pour chacun. La direction était également au courant qu'il existait des tensions au sein de l'équipe qui produisait ces t-shirts et malgré les risques, ils ne sont pas intervenus pour modifier l'équipe de travail. J'avais signalé à la Direction lors des retours client qu'il existait des incohérences dans les documents de contrôle du client qui ne permettait pas de faire un travail efficace. Beaucoup des faits reprochés ne sont pas de la responsabilité de Madame [W]. Nous avons en interne différents paliers de contrôle avant que Madame [W] ne procède au conditionnement des articles. La faute était la désorganisation de l'ensemble des services et au climat de stress constant des équipes qui n'avaient pas les moyens de fournir un travail précis et propre (...) ».

Il découle de l'attestation de Mme [O] [Y] que le contrôle qualité faisait partie des attributions de Mme [M] [W], qui ne peut dès lors prétendre ne pas avoir eu connaissance de sa fiche de poste.

La société USINE [F] critique l'attestation précitée, en faisant valoir qu'elle est de complaisance, Mme [Y] étant une amie de l'intimé, que Mme [Y] n'a travaillé que quelques mois dans l'entreprise, et que les propos rapportés ne sont ni datés ni circonstanciés ; elle ajoute que Mme [Y] qui critique l'organisation au sein de l'entreprise a pourtant postulé auprès d'elle à deux reprises après son départ.

Il résulte de l'attestation précitée de Mme [Y], dont la critique par l'appelante ne remet pas en cause la pertinence, que la société USINE [F] avait été alertée régulièrement des problèmes de qualité du travail, avant que la marchandise n'arrive dans le service de Mme [M] [W], notamment pour les tee-shirts 33TM visés dans la lettre de licenciement.

La société USINE [F] n'établit pas avoir pris des mesures pour remédier elle-même à ces défauts de fabrication, dont la responsabilité n'incombe pas à Mme [M] [W], simplement chargée du contrôle de qualité avant expédition.

Il résulte des conclusions des parties que Mme [M] [W] n'a pas exercé un contrôle qualité suffisant sur les marchandises expédiées, alors que les défauts étaient visibles.

Dès lors, le licenciement pour faute de Mme [M] [W] est justifié.

Cependant, il résulte de l'attestation de Mme [Y] que les défauts de fabrication étaient récurrents, avant même l'affectation de Mme [M] [W] au service qualité, et que l'employeur n'a pris aucune mesure pour y remédier.

Dans ces conditions, la faute commise par la salariée n'était pas d'une gravité telle qu'elle justifiât son éviction de l'entreprise sans préavis.

Le jugement sera donc réformé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement

Mme [M] [W] sollicite la confirmation du jugement quant aux condamnations aux titres de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La société USINE [F] ne conclut pas à titre subsidiaire sur ces demandes.

Motivation

Le licenciement pour faute grave étant requalifié en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, Mme [M] [W] peut réclamer une indemnité de licenciement, une indemnité de préavis, une indemnité de congés payés afférents au préavis, en application des articles L1234-9, L3141-24, L1234-1, L1234-5 et L3141-3 du code du travail.

En l'absence de contestation subsidiaire du jugement sur ces points, ce dernier sera confirmé.

Il sera en revanche réformé en ce qu'il a accordé une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Mme [M] [W] expose que l'employeur l'a affectée au service logistique sans lui donner les moyens matériels et humains afin de mener à bien les missions confiées.

Elle estime qu'il s'agit d'une rétrogradation,

Elle affirme avoir accepté ce poste parce que l'employeur lui a fait croire que son précédent poste était supprimé. Elle ajoute avoir fait l'objet d'un avertissement injustifié, créant les conditions d'acceptation d'un poste déclassé.

Mme [M] [W] fait état des mentions du médecin du travail dans son dossier médical, et le signalement par ce dernier à l'employeur de risques psychosociaux.

Elle expose dans ses écritures les conclusions de l'audit mené à la suite de ce signalement, qui indiquent que les salariés de l'entreprise se situaient dans le « cadran « tendu » » de l'évaluation.

La société USINE [F] indique que l'avertissement du 30 avril 2020, évoqué dans le développement précédent, délivré à Mme [M] [W], était justifié, et qu'elle ne l'a jamais contesté.

Elle souligne que le poste d'assistante logistique a été expressément accepté par Mme [M] [W], et conteste qu'il s'agisse d'une rétrogradation.

L'appelante soutient que Mme [M] [W] était parfaitement formée à ce nouveau poste, eu égard à son expérience de ce service, et ajoute qu'elle avait déjà été appelée à suppléer un collègue opérateur logistique ou à participer à la formation en ce domaine des salariés nouvellement embauchés.

Elle affirme que Mme [M] [W] n'avait pas besoin de formation, et n'a jamais sollicité sa hiérarchie en ce sens.

S'agissant des risques psycho-sociaux, l'appelante indique avoir mandaté un cabinet d'audit, et qu'il ne ressort de son rapport aucune anomalie en matière de prévention de ces risques.

Motivation

Au soutien du grief de mutation-sanction, Mme [M] [W] renvoie à ce passage de la lettre de licenciement : « Après ne nous avoir déjà pas donné satisfaction dans la tenue de votre précédent poste en manifestant un défaut certain de conscience professionnelle, nous avons convenu ensemble le 18 mai 2020 de votre nouvelle affectation en qualité d'Assistante Logistique du service Expéditions. »

Cette formulation n'implique pas, comme elle le soutient, que son changement de poste était une rétrogradation.

Elle ne renvoie à aucune pièce au soutien du grief de besoin et d'absence de formation, ni à celui de contrainte par croyance de menace sur son ancien poste.

Mme [M] [W] cite des mentions portées par le médecin du travail sur son dossier médical. Un extrait du dossier médical est produit par Mme [M] [W] en pièce 3. A la date du 06 avril 2021 le médecin du travail fait état des doléances de la salariée sur une « situation très stressante au travail ». Il ne s'agit que de la transcription de propos de la salariée, sans indications médicales objectives.

Le rapport d'audit auquel Mme [M] [W] fait référence dans ses conclusions est produit par la société USINE [F] en pièce 16. Il est préconisé en conclusions de lever une incompréhension des salariés quant à la « récupération du temps de pause du matin », et il est recommandé d'instaurer entre chaque niveau hiérarchique des réunions de « manager/équipes », de rechercher une plus grande association des professionnels concernés au processus de production, et d'améliorer la « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ».

S'agissant du positionnement des salariés dans le « cadran tendu » « sur la base du questionnaire de Karasek » (pages 9 et suivantes du rapport d'audit), il apparaît à la lecture de la pièce 16 précitée que ce positionnement résulte de la complexification du travail, et des temps de production de plus en plus contraints (page 11).

Ce rapport ne conclut pas à l'existence d'une situation à risque.

Il ne ressort de ce rapport aucun élément quant à la situation précise de Mme [M] [W].

Au terme de ce développement, Mme [M] [W] n'établit pas de manquement de l'employeur dans le cadre de l'exécution du contrat de travail.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] [W] de sa demande à ce titre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera réformé en ce qu'il a condamné la société USINE [F] à payer 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et l'appelante sera condamnée à ce titre à la somme de 3 000 euros.

La société USINE [F] sera déboutée de sa demande à ce titre, et sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges rendu le 27 juin 2023, en ce qu'il a :

- dit et jugé le licenciement pour faute grave de Madame [M] [W] sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société USINE [F] au paiement de 12 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société USINE [F] au paiement de 1500 euros au titre de l'article 700 ;

Le confirme pour le surplus, dans les limites de l'appel ;

Statuant à nouveau dans ces limites,

Dit que le licenciement de Mme [M] [W] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Déboute Mme [M] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société USINE [F] à payer à Mme [M] [W] 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance ;

Y ajoutant,

Déboute la société USINE [F] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société USINE [F] aux dépens d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en quinze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 23/01510
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;23.01510 ?
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