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16/05/2024 | FRANCE | N°23/01043

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 16 mai 2024, 23/01043


ARRÊT N° /2024

PH



DU 16 MAI 2024



N° RG 23/01043 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FFQB







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGWY

22/00015

17 avril 2023











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANT :



Monsieur [K] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Florent KAHN de l'AARPI KAHN - DESCAMPS, avocat au barreau de METZ









INTIMÉE :



S.A.S. VARTA CONSUMER FRANCE PRISE EN LA PERSONNE DE SES DIRIGEANTS POUR CE DOMICILIES AUDIT SIEGE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN substituée par Me BROGARD, avo...

ARRÊT N° /2024

PH

DU 16 MAI 2024

N° RG 23/01043 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FFQB

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGWY

22/00015

17 avril 2023

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [K] [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Florent KAHN de l'AARPI KAHN - DESCAMPS, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

S.A.S. VARTA CONSUMER FRANCE PRISE EN LA PERSONNE DE SES DIRIGEANTS POUR CE DOMICILIES AUDIT SIEGE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN substituée par Me BROGARD, avocates au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 25 Janvier 2024 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 11 Avril 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 18 Avril 2024; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 16 Mai 2024 ;

Le 16 Mai 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [K] [T] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société SA VARTA, devenue SAS VARTA CONSUMER FRANCE à compter du 14 septembre 2001, en qualité de VRP affecté sur le secteur du département de la Moselle (57).

Suite à un avenant du 09 novembre 2005 avec effet au 1er janvier 2006, le salarié a occupé le poste de chef de secteur.

Le temps de travail était soumis à une convention annuelle de forfait jours.

La convention collective nationale du commerce de gros s'applique au contrat de travail.

A compter de juin 2021, une procédure de réorganisation de la société a été engagée avec consultation du CSE, le 31 août 2021.

Par courrier du 07 septembre 2021, Monsieur [K] [T] s'est vu proposer, dans le cadre de cette procédure de réorganisation, une modification de son secteur d'activité et de son contrat de travail.

Par courrier du 01 octobre 2021, le salarié a refusé cette modification.

Par courrier du 12 octobre 2021, Monsieur [K] [T] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement économique fixé au 26 octobre 2021.

Par courrier du 26 octobre 2021, le salarié s'est vu proposé des postes de chef de secteur disponibles au reclassement.

Par courrier du 04 novembre 2021, il a refusé les propositions de reclassement.

Par courrier du 18 décembre 2021, Monsieur [K] [T] a été licencié pour motif économique.

Par requête du 28 février 2022, Monsieur [K] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Longwy, aux fins :

- d'annuler son licenciement car prononcé pour avoir refusé une atteinte illégale à son droit à la vie privée et familiale,

- à titre subsidiaire, de dire qu'il est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société SAS VARTA CONSUMER FRANCE à lui payer les sommes suivantes :

- 14 027,22 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 402,72 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

- 112 217,76 euros net au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse,

- 112 217,76 euros net au titre de dommages et intérêts pour absence de respect des critères d'ordre,

- 112 217,76 euros net de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au manquement à l'obligation de bonne foi et à l'égalité entre les salariés dans l'exécution du contrat de travail,

- 7 013,61 euros net de dommages et intérêt réparant le préjudice lié à la rupture d'égalité quant à la durée du congé de reclassement,

- 41 014,19 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaire, heures compensant le temps de déplacement,

- 16 703,81 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos, outre la somme de 5 771,80 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents,

- 28 054,44 euros au titre de l'indemnité spéciale pour travail dissimulé,

- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens d'instance et d'exécution,

- d'ordonner le remboursement à pôle emploi des allocations chômage versées dans la limite de 6 mois d'indemnité en application de l'article L.1235-4 code du travail,

- de dire et juger que l'ensemble des sommes produiront intérêts au taux légal depuis la date d'introduction de la présente demande,

- d'ordonner l'exécution provisoire sur le tout conformément à l'article 515 du code de procédure civile.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Longwy rendu le 17 avril 2023, lequel a :

- déclaré conforme le licenciement économique de Monsieur [K] [T],

- débouté Monsieur [K] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société SAS VARTA CONSUMER FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [K] [T] aux entiers dépens.

Vu l'appel formé par Monsieur [K] [T] le 12 mai 2023,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [K] [T] déposées sur le RPVA le 20 novembre 2023, et celles de la société SAS VARTA CONSUMER FRANCE déposées sur le RPVA le 13 décembre 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 10 janvier 2024,

Monsieur [K] [T] demande :

- d'annuler le jugement du conseil de prud'hommes de Longwy du 17 avril 2023, à défaut de l'infirmer dans sa totalité,

*

Statuant à nouveau :

- d'annuler le licenciement Monsieur [K] [T] car prononcé pour avoir refusé une atteinte illégale à son droit à la vie privée et familiale,

- à titre subsidiaire, de dire qu'il est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société SAS VARTA CONSUMER FRANCE à payer à Monsieur [K] [T] les sommes suivantes :

- 177 437,4 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse,

- 177 437,4 euros net à titre de dommages et intérêts pour absence de respect des critères d'ordre,

- 177 437,4 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au manquement à l'obligation de bonne foi et à l'égalité entre les salariés dans l'exécution du contrat de travail,

- 7 013,61 net de dommages et intérêt réparant le préjudice lié à la rupture d'égalité quant à la durée du congé de reclassement,

- 41 014,19 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaire, heures compensant le temps de déplacement,

- 16 703,81 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- 5 771,80 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents,

- 35 487,48 euros au titre de l'indemnité spéciale pour travail dissimulé,

- 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'ordonner le remboursement à pôle emploi des allocations chômage versées à Monsieur [K] [T] dans la limite de 6 mois d'indemnité (L.1235-4 code du travail),

- de dire et juger que l'ensemble des sommes produiront intérêts au taux légal depuis la date d'introduction de la demande au conseil,

- de condamner la société SAS VARTA CONSUMER FRANCE aux frais et dépens d'instance et d'exécution.

La société SAS VARTA CONSUMER FRANCE demande :

A titre principal :

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Longwy du 17 avril 2023 en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire :

- de débouter Monsieur [K] [T] de toutes ses demandes,

A titre très subsidiaire :

- de limiter le montant des éventuels dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme maximale de 9 807,69 euros bruts,

- débouter Monsieur [K] [T] de toutes ses autres demandes,

En tout état de cause :

- de condamner Monsieur [K] [T] à verser à la Société SAS VARTA CONSUMER FRANCE la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [K] [T] aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de Monsieur [K] [T] déposées sur le RPVA le 20 novembre 2023, et de la société SAS VARTA CONSUMER FRANCE déposées sur le RPVA le 13 décembre 2023.

Sur la demande d'annulation du jugement de première instance :

Monsieur [K] [T] expose que le jugement rendu par le conseil de prud'hommes n'est que partiellement motivé et « est aussi contradictoire sur de nombreux points ».

Il fait valoir que les premiers juges n'ont pas répondu à ses arguments sur l'absence de justification économique de la proposition de modification de son contrat de travail et la violation de son droit à la vie privée qu'elle induisait et que l'absence de justification de la cause économique de son licenciement.

Il fait également valoir qu'en motivant la non application des critères d'ordre des licenciements par le fait qu'il n'a pas été licencié dans le cadre d'un licenciement économique collectif, le conseil de prud'hommes contredit les éléments du dossier dont il découle que plusieurs salariés ont été licenciés pour motif économique.

La société VARTA CONSUMER FRANCE expose que le jugement est motivé et que cette motivation n'est empreinte d'aucune contradiction.

Elle fait valoir que Monsieur [K] [T] a été licencié, non en raison de la suppression de son poste, mais en raison de son refus de la modification de son contrat de travail.

Motivation :

Il apparaît que sous couvert de demande d'annulation du jugement dont il fait appel, Monsieur [K] [T] conteste en réalité, sur le fond, la motivation retenue par les premiers juges, qui ne sont pas tenus de répondre dans le détail aux conclusions des parties.

La demande d'annulation sera en conséquence rejetée.

Sur l'inopposabilité de la convention forfait-jours :

Monsieur [K] [T] expose qu'il bénéficiait d'une convention de forfait jours ; que l'article 2.3 de la convention collective applicable prévoit, en application de l'article L. 3121-46 du code du travail, un entretien annuel entre le salarié et l'employeur évoquant son organisation du travail, sa charge de travail, l'amplitude de ses journées d'activité, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, les conditions de déconnexion et sa rémunération ; que l'employeur n'a jamais organisé un tel entretien et ne peut d'ailleurs en fournir les comptes-rendus, pourtant prévus par l'article 2.3 ci-dessus évoqué.

Monsieur [K] [T] fait valoir qu'en conséquence la convention forfait lui est inopposable et qu'il devait être rémunéré sur la base de 35 heures hebdomadaire.

L'employeur fait valoir que Monsieur [K] [T] évoquait chaque année avec sa hiérarchie, lors de son entretien annuel d'évaluation, son organisation du travail, sa charge de travail, l'amplitude de ses journées d'activité, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, les conditions de déconnexion ainsi que sa rémunération.

En outre, il fait valoir que le non-respect par l'employeur des dispositions conventionnelles et légales relatives à l'exécution des conventions de forfait en jours n'a pas pour effet d'entraîner la nullité de la convention individuelle de forfait en jours.

Motivation :

Il résulte de la convention collective applicable citée par Monsieur [K] [T] et de l'article L. 3121-46 du code du travail que son employeur avait l'obligation d'organiser un entretien individuel spécifiquement consacré à son temps de travail, à l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale.

Si l'employeur affirme que cet entretien avait lieu chaque année, il ne produit aucune pièce, et notamment pas de compte-rendu, démontrant son existence.

En conséquence, la convention forfait n'est certes pas nulle, mais est inopposable à Monsieur [K] [T], de sorte que le décompte de la durée du travail doit être fait selon les règles de droit commun, soit 35 heures par semaine.

Sur la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires :

Monsieur [K] [T] fait valoir qu'il a effectué des heures supplémentaires, au-delà des 35 heures hebdoamdaire, pour lesquelles il n'a pas été rémunéré.

Monsieur [K] [T] produit à cet égard des tableaux récapitulant ses heures de travail supplémentaires pour les années 2019 à 2021 (pièce n° 16) et réclame les sommes de 41 014,19 euros au titre des supplémentaires et 16 703,81 euros au titre des contreparties aux titre des repos compensateurs non pris, outres les congés payé afférant à ces deux sommes.

L'employeur expose valoir que Monsieur [K] [T] ne rapporte aucun élément ni aucune pièce qui seraient de nature à étayer sa demande d'heures supplémentaires.

Il fait ainsi valoir que les horaires de travail qu'il indique ne sont pas crédibles en raison du caractère systématique des heures de début et de fin de travail.

Il relève en outre des incohérences dans les tableaux fournis par que le salarié avait fourni à hauteur de la première instance ; qu'ainsi, en 2020, il apparait qu'il travaillait sept jours sur sept, dimanches compris ; qu'il aurait également travaillé de 7h à 12h et de 13h à 17h, du lundi au samedi, et le dimanche, de 1h à 2h du matin, puis de 3h à 4h du matin en mai et juin 2019, alors qu'il était en arrêt maladie (pièce n° 40)

Motivation :

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, Monsieur [K] [T] a fourni, sous forme de tableaux récapitulatifs, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies.

Ils permettent à la société VARTA CONSUMER FRANCE d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, étant rappelé qu'en tant qu'employeur elle a l'obligation de mettre en place un système permettant de comptabiliser les heures de travail accomplies par chacun de ses salariés.

La cour constate que l'employeur n'a fourni aucune pièce relative à la comptabilisation du temps de travail de Monsieur [K] [T] et que certaines des critiques qu'il porte sur la cohérence des éléments fournis par le salarié concernent des tableaux horaires qu'il avait produit uniquement en première instance. En outre, il apparaît à la lecture des tableaux fournis à hauteur d'appel que les horaires journaliers qui y sont indiqués, ne sont pas systématiquement identiques.

En conséquence, au vu des pièces et des explications produites par les parties, la société VARTA CONSUMER FRANCE devra verser à Monsieur [K] [T] les sommes de 41 014,19 euros au titre des heures supplémentaires et 16 703,81 euros au titre des contreparties aux titre des repos compensateurs non pris, outre 5 771,79 euros au titre des congés payés y afférant.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé sur ce point.

Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé :

Monsieur [K] [T] fait valoir qu'en mentionnant sur les bulletins de paie un nombre d'heure de travail inférieur aux heures réellement réalisées en toute connaissance de cause, son employeur a commis l'infraction de travail dissimulé. Il réclame en conséquence la somme de 35 487,48 euros.

L'employeur fait valoir qu'il n'a eu aucune intention de commettre l'infraction de travail dissimulé.

Motivation :

L'article L. 8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, l'ineffectivité de la convention forfait-jour et l'absence de déclaration des heures supplémentaires en découlant, sont insuffisantes à elles seules pour démontrer la volonté de l'employeur de dissimuler une partie du travail accompli par son salarié.

Monsieur [K] [T], qui ne produit aucun autre élément démontrant l'existence de cette volonté sera débouté de sa demande d'indemnité, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur la nullité du licenciement :

Monsieur [K] [T] fait valoir que la clause de l'avenant à son contrat de travail prévoyant une obligation de résidence était contraire à son droit à la vie privée et familiale garantie par l'article 9 de la CEDH et que dès lors, il ne pouvait être licencié pour avoir refusé de signer l'avenant.

L'employeur fait valoir que la préservation de la santé de Monsieur [K] [T] exigeait qu'il résidât dans son nouveau secteur d'activité, plus de 500 kilomètres séparant son domicile de l'extrémité de son nouveau secteur.

Motivation :

L'article L 1121 du code du travail dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Le libre choix du domicile personnel et familial est l'un des attributs de ce droit et une restriction à cette liberté par l'employeur n'est valable qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et proportionnée, compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé, au but recherché.

En l'espèce, il résulte de la proposition d'avenant au contrat de travail que son article 1 prévoyait que Monsieur [K] [T] devait résider sur son secteur d'activité, qui compte sept départements (pièce n° 9 de l'appelant).

Il n'est pas contesté que Monsieur [K] [T] ne résidait dans aucun de ces départements et que son lieu de résidence actuelle pouvait le conduire à effectuer des trajets jusqu'à 500 kilomètres de son domicile.

Dès lors, étant relevé que Monsieur [K] [T] pouvait choisir son domicile sur un ensemble géographique de sept départements, l'atteinte à sa vie privée était proportionnelle à l'obligation légitime de l'employeur de protéger la santé de son salarié.

En conséquence la demande d'annulation du licenciement sera rejetée, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur le caractère réel et sérieux du licenciement :

Monsieur [K] [T] expose que le courrier que son employeur lui a adressé le 7 septembre 2021 (pièce n° 9 de l'intimée) lui proposant la modification de son contrat de travail, en application de l'article L. 1222-6 du code du travail, n'invoque pas l'un des motifs économiques énoncés à l'article L 1233-3 du même code.

L'employeur fait valoir que Monsieur [K] [T] ayant expressément refuser la modification de son contrat de travail, il était en droit de le licencier et que les motifs économiques de ce licenciement sont clairement énoncés dans la lettre de licenciement.

Motivation :

Aux termes de l'article L. 1222-6 du code du travail, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3 du même code, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. À défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification.

Il en résulte que la procédure qu'il prévoit n'est applicable que lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs énoncés à l'article L. 1233-3 du code du travail, de sorte que l'employeur, qui n'a pas mentionné dans la lettre de proposition de modification du contrat de travail le motif économique pour lequel cette modification est envisagée ne peut se prévaloir, en l'absence de réponse du salarié dans le mois, d'une acceptation de la modification du contrat de travail.

En l'espèce, dans le courrier adressé à Monsieur [K] [T] par l'employeur le 7 septembre 2021, ce dernier, pour motiver la modification de son contrat de travail, fait état de sa volonté de réduire les secteurs des Chefs de Secteur (CDS), de 19 à 14 et de réduire le calcul de leur rémunération.

Cependant, il n'allègue pas que cette réorganisation et cette baisse de la rémunération nécessitant la modification du contrat de travail, résultaient de difficultés économiques, de mutations technologiques ou qu'elle fût indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise (pièce n° 9 de l'appelant).

Dès lors, la proposition de modification du contrat de travail n'était pas suffisamment motivée pour permettre à l'intéressé de prendre position sur l'offre qui lui avait été faite en mesurant les conséquences de son choix.

Dès lors, la société VARTA CONSUMER FRANCE ne pouvait se fonder sur le refus de Monsieur [K] [T] d'accepter la modification de son contrat de travail pour le licencier.

En conséquence, son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, le jugement du conseil de prud'hommes étant infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour dommages et intérêts pour absence de respect des critères d'ordre, en réparation du préjudice lié au manquement à l'obligation de bonne foi et à l'égalité entre les salariés dans l'exécution du contrat de travail.

Monsieur [K] [T] demande la somme globale de 177 437,40 euros, sans détailler cette somme poste par poste.

Il indique dans ses conclusions estimer « son entier préjudice à 177.437,4 euros qui est le préjudice lié à la perte de son emploi, et égal à 30 mois de salaire. La Cour pourra estimer que ce préjudice devra être réparé en raison de

- Son licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul

- Et/ou le manque d'égalité de traitement

- Et/ou l'absence d'application des critères

Les trois fondements sont juridiquement fondés, mais la Cour peut n'en retenir qu'un, deux ou les trois.

Que la société ait commis une faute ou plusieurs, le préjudice est le même : la perte de l'emploi.

La somme que la Cour allouera ne devra cependant pas dépasser 177.437,4 € au total, puisque c'est le même préjudice au titre de plusieurs fondements différents, certains plafonnés, d'autres non » (page 41).

La cour constate que les préjudices allégués de non-respect des critères d'ordre, de non-exécution du contrat de travail de bonne foi et de non-respect du principe d'égalité ne font pas l'objet de demandes spécifiques de dommages et intérêts.

Cependant, il résulte des écritures de Monsieur [K] [T] que ce dernier entend en fait réclamer l'indemnisation de sa perte d'emploi, à hauteur de 177 437,40 euros.

Cette indemnisation est prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail qui sanctionne précisément la perte injustifiée de son emploi par le salarié.

Monsieur [K] [T] fait valoir qu'il avait 20 ans d'ancienneté au moment de son licenciement ; qu'il est resté au chômage pendant 15 mois (pièces n° 20 et 21) ; que les emplois en CDD ou en intérim qu'il a trouvés par la suite étaient moins bien rémunérés (pièces n° 23, 26a et 26b) ; qu'il a ainsi subi une perte directe de salaire de 121 000 euros et une perte de retraite qu'il estime à 30 % de la perte de salaire, soit 36 300 euros.

Il réclame en conséquence la somme de 177 437,40 euros, équivalente à 60 mois de salaire.

L'employeur fait valoir que cette somme dépasse celle prévue par le barème résultant de l'article L. 1235-3 du code du travail et qu'il ne peut réclamer au maximum que 15,5 mois de salaire.

Motivation :

Compte-tenu des heures supplémentaires qui n'avaient pas été réglées à Monsieur [K] [T], le salaire moyen à prendre en compte pour le calcul de son indemnisation au titre de sa perte d'emploi est de 5914,58 euros.

Au vu des pièces fournies par Monsieur [K] [T] concernant sa situation économique, de son ancienneté et de son âge au moment de son licenciement, la société VARTA CONSUMER FRANCE devra lui verser la somme de 80 000 euros.

Sur la demande de « de dommages et intérêt réparant le préjudice lié à la rupture d'égalité quant à la durée du congé de reclassement » :

Monsieur [K] [T] expose que trois salariés ayant fait l'objet d'un licenciement économique en janvier 2021 ont bénéficié d'une durée de congé de reclassement de 8 mois, plus favorable que celle de 6 mois dont il a lui-même bénéficié (pièces n° 11 et 12).

Il fait valoir qu'il s'agit d'une rupture d'égalité entre ces salariés et lui-même.

L'employeur fait valoir que le licenciement de Monsieur [K] [T] étant postérieur d'une année à ceux des salariés auxquels il se compare, il ne peut prétendre à une rupture d'égalité.

Motivation :

Il ressort de la « Note économique sur le projet de réorganisation de la société SPECTRUM BRANDS FRANCE » présentée au CSE par l'employeur le 6 novembre 2020, que les salariés cadres âgés de plus de 50 ans, devant faire l'objet d'un licenciement économique en janvier 2021, bénéficieraient d'un congé de reclassement de 8 mois.

Il ressort de la « Note économique sur le projet de réorganisation de la force de vente » présentée au CSE par l'employeur le 24 juin 2021, que les salariés cadres âgés de plus de 50 ans, devant faire l'objet d'un licenciement économique, bénéficieraient d'un congé de reclassement de 6 mois.

L'employeur ne conteste pas que Monsieur [K] [T] n'a bénéficié que d'un congé de reclassement de 6 mois, ni que les salariés licenciés antérieurement aient bénéficié d'un congé de reclassement de 8 mois.

Or, il résulte de la lecture des deux notes, établies à quelques mois de distance, que les causes économiques justifiant les licenciements économiques étaient sensiblement identiques et il n'en ressort aucun élément justifiant une différence de traitement entre cadres de plus de 50 ans, à un peu moins de 8 mois d'intervalle.

L'employeur ne produit en outre aucun élément justifiant que la situation de Monsieur [K] [T] fût distincte de celle de ses collègues licenciés en janvier 2021 et justifierait une différence de traitement, ni que la situation économique de la société se fût détériorée au point qu'elle n'était plus dans la capacité financière de proposer au salarié un congé de reclassement de 8 mois.

En conséquence, la société VARTA CONSUMER FRANCE devra verser à Monsieur [K] [T] la somme demandée de 7013,61 euros, étant relevé qu'elle ne conteste pas à titre subsidiaire son quantum.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

La société VARTA CONSUMER FRANCE devra verser à Monsieur [K] [T] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et sera déboutée de sa propre demande.

La société VARTA CONSUMER FRANCE sera condamnée aux dépens.

En outre, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d'ordonner le remboursement par la société VARTA CONSUMER FRANCE des indemnités chômage éventuellement versées par France Travail à Monsieur [K] [T] postérieurement à son licenciement, dans la limite de 6 mois.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

DEBOUTE Monsieur [K] [T] de sa demande d'annulation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Epinal,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal, en ce qu'il a débouté Monsieur [K] [T] de sa demande d'annulation de son licenciement, de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé et en ce qu'il a débouté la société VARTA CONSUMER FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME pour le surplus le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal en ses dispositions soumises à la cour ;

STATUANT A NOUVEAU

Dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société VARTA CONSUMER FRANCE à verser à Monsieur [K] [T] la somme de 80 000 euros au titre de la perte injustifiée de son emploi,

Condamne la société VARTA CONSUMER FRANCE à verser à Monsieur [K] [T] les sommes de :

- 41 014,19 euros au titre des heures supplémentaires, outre 4101,41 euros au titre des congés payés y afférant,

- 16 703,81 euros au titre des contreparties aux titre des repos compensateurs non pris, outre 1 670,38 euros au titre des congés payés y afférant,

Condamne la société VARTA CONSUMER FRANCE à verser à Monsieur [K] [T] la somme de 7013,61 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du principe d'égalité entre salariés,

Condamne la société VARTA CONSUMER FRANCE aux dépens de première instance ;

Y AJOUTANT

Condamne la société VARTA CONSUMER FRANCE à verser à Monsieur [K] [T] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société VARTA CONSUMER FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société VARTA CONSUMER FRANCE aux dépens d'appel,

Ordonne le remboursement par la société VARTA CONSUMER FRANCE des indemnités chômage éventuellement versées par France Travail, à Monsieur [K] [T] postérieurement à son licenciement, dans la limite de 6 mois.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en quatorze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 23/01043
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;23.01043 ?
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