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14/05/2024 | FRANCE | N°22/02417

France | France, Cour d'appel de Nancy, Première présidence, 14 mai 2024, 22/02417


COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

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N° RG 22/02417 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FCCE

du 14 Mai 2024

Minute : 5/2024

du 14 mai 2024





REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



A l'audience du 26 Mars 2024, présidée par Monsieur Marc JEAN-TALON, Premier Président de la Cour d'appel de NANCY, assisté de Madame Céline PAPEGAY, greffier et statuant sur la requête enr

egistrée au secrétariat de la Première Présidence le 18 Octobre 2022 sous le numéro N° RG 22/02417 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FCCE, conformément...

COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

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N° RG 22/02417 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FCCE

du 14 Mai 2024

Minute : 5/2024

du 14 mai 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

A l'audience du 26 Mars 2024, présidée par Monsieur Marc JEAN-TALON, Premier Président de la Cour d'appel de NANCY, assisté de Madame Céline PAPEGAY, greffier et statuant sur la requête enregistrée au secrétariat de la Première Présidence le 18 Octobre 2022 sous le numéro N° RG 22/02417 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FCCE, conformément aux dispositions de l'article 149-2 du Code de Procédure Pénale et formée par :

Monsieur [L] [Z]

né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Maître Armelle PARAUX, membre de la SELARL CABINET D'AVOCAT PARAUX, avocat au barreau de NANCY

L'Agent Judiciaire de l'Etat étant représenté par Maître Nathalie DEVARENNE-ODAERT, membre de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de NANCY, substituée par Maître Charlotte JACQUENET, avocat au barreau de NANCY ;

Le ministère public étant représenté par Monsieur Hugues BERBAIN, Procureur général près la Cour d'Appel de Nancy ;

Vu la requête déposée le 17 octobre 2022 par Maître Armelle PARAUX de la SELARL CABINET PARAUX au nom de M. [L] [Z] et ses conclusions ultérieures notifiées par lettres recommandées avec avis de réception et RPVA les 20 octobre 2022 le 9 août 2023 ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat notifiées par lettre recommandée avec avis de réception le 27 décembre 2022 et le 27 janvier 2023 ;

Vu les conclusions du Procureur Général près la Cour d'Appel de NANCY notifiées par lettre recommandée avec avis de réception le 26 juin 2023 ;

Vu l'avis de fixation à l'audience du 16 janvier 2024 ;

Vu les articles 149 à 150, R. 26 à R. 40-22 du code de procédure pénale ;

EXPOSE DU LITIGE

Le 27 novembre 2019, M. [L] [Z] a été mis en examen par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nancy pour avoir commis le crime de viol aggravé et les délits d'agression sexuelle aggravée et de corruption de mineur aggravée. Il a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention le même jour.

Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire par décision du magistrat instructeur le 19 février 2021.

Par arrêt du 10 mai 2022, devenu définitif, la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle l'a acquitté des faits reprochés.

M. [Z] a ainsi été placé en détention provisoire durant 451 jours ou 1 an, 2 mois et 23 jours.

*****

Suivant requête parvenue au secrétariat de la première présidence le 18 octobre 2022, M. [Z] a sollicité l'indemnisation de sa détention provisoire à hauteur des sommes de :

- 49.038,96 euros au titre de son préjudice matériel, correspondant à la perte de revenus, au coût du rachat des trimestres de cotisation retraite non validés et à la privation des primes d'intéressement,

- 81.000 euros en réparation de son préjudice moral, correspondant à 4.000 euros par mois de détention provisoire et 1.500 euros par mois de contrôle judiciaire,

- 14.400 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Il a porté par ses conclusions rectificatives et récapitulatives à la somme de 50.568,39 euros sa demande relative au préjudice matériel.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives n°2, l'agent judiciaire de l'État a sollicité à titre principal le sursis à statuer en l'absence de production de la fiche pénale et du casier judiciaire du requérant. Il a conclu à titre très subsidiaire à l'irrecevabilité de la demande formulée au titre de la période de contrôle judiciaire, à la réduction à 30.000 euros de la demande au titre du préjudice moral, au rejet de celle présentée au titre du préjudice matériel faute de justification suffisante et à la réduction à de plus justes proportions des demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dans la limite de 1.800 euros. Il a encore plus subsidiairement sollicité, si un préjudice matériel devait être retenu, qu'il soit limité à la somme de 30.949,28 euros.

Le procureur général près cette cour a soutenu la position de l'agent judiciaire de l'Etat.

Lors des débats, tenus à l'audience du 16 janvier 2024, les parties ont été représentées et ont maintenu, chacune, la position développée dans leurs écritures, auxquelles il sera expressément fait référence.

Par décision rendue le 1er mars 2024, la présente juridiction a :

ordonné la réouverture des débats à l'audience du mardi 26 mars 2024 à 10 h

invité le ministère public à produire et communiquer aux parties le bulletin n° 1 et la fiche pénale du requérant

alloué à M. [L] [Z] la somme de 30.000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice,

réservé tous autres droits et moyens des parties, ainsi que les dépens.

A l'audience du 26 mars 2024, il a été constaté que les pièces réclamées avaient déjà été communiquées au greffe sans avoir rejoint le dossier de la procédure.

Les parties ont demandé l'adjudication des prétentions déjà formulées.

MOTIFS DE LA DECISION

Le bulletin n°1 du casier judiciaire de M. [Z] et la fiche pénale relative à la période de détention provisoire ont bien été déposées et communiquées. Il n'y a pas lieu de surseoir à statuer.

Sur la recevabilité de la requête

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel direct et certain que lui a causé cette détention.

En l'espèce, M. [L] [Z] a bénéficié d'une décision d'acquittement, devenue définitive en l'absence de recours diligenté dans le délai légal, a présenté sa requête dans le délai de six mois fixé par l'article 149-2 du code de procédure pénale et n'apparaît pas se trouver dans l'un des cas d'exclusion prévus par l'article 149 précité.

Sa requête est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la requête

S'agissant du préjudice moral

En application de l'article 149 précité, seule la période de détention provisoire peut générer une indemnisation, de sorte que la demande formulée au titre de la période de contrôle judiciaire doit être déclarée irrecevable.

Pour déterminer l'existence et l'étendue du préjudice moral, il doit être tenu compte de l'âge de la personne détenue, de sa situation familiale et des répercussions que la détention a pu avoir sur sa santé physique ou mentale.

En l'espèce, M. [L] [Z], âgé de 45 ans en 2019, a nécessairement subi un préjudice moral résultant du choc carcéral et de la souffrance psychologique ressentis par toute personne brutalement, injustement et durablement privée de liberté.

Seul le préjudice moral résultant directement de la détention peut être indemnisé. Les dénégations de l'intéressé au cours de la procédure pénale, la nature des infractions reprochées, les peines encourues et le sentiment que le requérant a pu éprouver de n'avoir pu se faire entendre des juges, malgré ses protestations d'innocence, sont des circonstances qui ne découlent pas directement de la détention et qui ne peuvent être prises en considération dans l'appréciation du préjudice moral résultant de celle-ci.

Par ailleurs, il n'est pas démontré de conditions particulièrement difficiles de détention.

En revanche, constituent des facteurs d'aggravation du préjudice la durée substantielle de la détention, la dégradation de l'état psychologique du requérant, établie par le suivi régulier effectué au cours de la détention et à la sortie de la maison d'arrêt, la coupure des relations avec ses enfants alors âgés de de 5 et 8 ans, placés en urgence dans les suites de la procédure pénale et avec lesquels seules des visites médiatisées ont été autorisées par le juge des enfants en novembre 2022.

En définitive, l'allocation de la somme de 40.000 euros réparera intégralement le préjudice moral subi par M. [L] [Z] du fait de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet.

S'agissant du préjudice matériel

Sur la perte de revenus

Le demandeur à la réparation supporte la charge de la preuve du préjudice économique qu'il invoque.

En l'espèce, M. [Z] sollicite des indemnités au titre de la perte de salaires et primes (33.250 euros), de l'absence d'intéressement (2.570,39 euros) et de l'absence de cotisations de retraite (14.748 euros).

M. [Z] justifie suffisamment par la production de l'attestation de son employeur du 9 février 2023, corroborée par les bulletins de salaire versés aux débats, que le total des salaires et primes non versés du fait de son absence non rémunérée des années 2019, 2020 et 2021, comprenant les droits à congés acquis, s'élève à la somme nette de 33.250 euros.

De même, M. [Z] produit une attestation de son employeur du 9 février 2023 établissant que le requérant n'a pas perçu, du fait de son absence non rémunérée durant les années 2019, 2020 et 2021, la somme totale de 2.570,39 euros au titre de l'intéressement (1.708,35 euros) et de la participation (862,04 euros). Il s'agit également d'une perte découlant de manière directe et certaine de la détention.

La demande formulée au titre de l'absence de cotisations de retraite durant la période de détention provisoire doit en revanche être rejetée en application des articles L. 351-3, R 351-3, R.351-5 et R. 351-12, dont il résulte que la personne assujettie à un régime obligatoire de sécurité sociale, général ou spécial, ne perd, du fait de la détention provisoire, aucun droit à indemnisation dès lors que la période de détention ne vient pas s'imputer sur une peine ferme.

Sur les honoraires d'avocat

Seules peuvent être prises en compte les prestations directement liées à la privation de liberté et il appartient au demandeur d'en justifier par la production de factures ou du compte établi par son défenseur avant tout paiement définitif d'honoraires conformément à l'article 12 du décret 2005-790 du 12 juillet 2005, détaillant les démarches liées à la détention, en particulier les visites à l'établissement pénitentiaire et les diligences mises en 'uvre pour faire cesser la détention dans le cadre des demandes de mise en liberté.

En l'espèce, la demande en remboursement des frais et honoraires versés par M. [Z] à son avocat au titre de la procédure criminelle s'appuie sur des factures des 13 mars 2020 et 19 janvier 2022 qui ne comportent aucune précision permettant de relier directement les prestations évoquées à la privation de liberté.

La demande de ce chef ne peut donc qu'être rejetée.

Le préjudice matériel de M. [Z] sera, dans ces conditions, réparé par l'allocation d'une indemnité globale de 35.820,39 euros.

S'agissant des frais non compris dans les dépens

Il serait inéquitable que M. [Z] conserve la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'il a déboursés du fait de la présente instance. La somme de 1.800 euros réclamée, par ailleurs justifiée par la production d'une facture, lui sera en conséquence accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Disons n'y avoir lieu à sursis à statuer ;

Déclarons recevable en la forme la requête de M. [L] [Z] ;

Déclarons irrecevable la demande formulée au titre de la période de contrôle judiciaire ;

Allouons à M. [Z], en indemnisation de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet, les sommes de :

35.820,39 euros au titre de son préjudice matériel,

40.000 euros, en deniers ou quittances valables, en réparation de son préjudice moral,

Lui allouons en outre la somme de 1.800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus de la demande ;

Rappelons qu'en application de l'article R. 40 du code de procédure pénale, la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Laissons les frais à la charge de l'État.

Ainsi fait, jugé et prononcé par Monsieur Marc JEAN-TALON, Premier Président de la Cour d'appel de NANCY, assité de Madame Céline PAPEGAY, greffier, conformément aux dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.

Le greffier Le premier président

Céline PAPEGAY Marc JEAN-TALON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 22/02417
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;22.02417 ?
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