RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2024 DU 15 AVRIL 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/00209 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FJ2I
Décision déférée à la Cour : ordonnance sur requête de Madame Le Président du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 23/380, en date du 30 janvier 2024,
APPELANTE :
Maître Carole HOUILLON
domiciliée professionnellement [Adresse 3]
Représentée par Me Frédéric BARBAUT de la SELARL MAITRE FREDERIC BARBAUT, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Madame [B] [K], représentée par son tuteur Monsieur [P] [K]
née le [Date naissance 2] 1934 à [Localité 4] (54)
domiciliée [Adresse 1]
Représentée par Me Thomas CUNY, avocat au barreau de NANCY
La procédure ayant été régulièrement et préalablement communiquée pour avis au Ministère Public, représenté à l'audience par Madame Virginie KAPLAN, Substitut général.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Mars 2024, hors la présence du public, devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Avril 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 15 Avril 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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FAITS ET PROCÉDURE :
Monsieur [K] ès qualités de tuteur de sa mère Madame [B] [K] a déposé le 12 novembre 2023 une requête auprès de madame la Présidente du tribunal judiciaire de Nancy aux fins d'obtenir de Maître [S] notaire, la communication du testament olographe rédigé le 14 janvier 2019 par Madame [K], inscrit au fichier des dernières volontés tel que cela résulte d'un courrier du notaire du 25 janvier 2019.
Madame [K] a vainement formé le 25 juillet 2022 une demande auprès de la SCP de notaires afin d'obtenir une copie de ce testament.
Monsieur [K] a été désigné tuteur de sa mère par décision du juge des tutelles de Nancy du 27 avril 2023 ; elle était placée auparavant sous le régime de la curatelle simple (le 15 avril 2021) puis renforcée (le 19 avril 2022) la mesure de protection ayant été confiée à Madame [D] [F], mandataire judiciaire à la protection des majeurs ;
Par ordonnance sur requête contradictoire du 11 janvier 2024, Madame la présidente du tribunal judiciaire de Nancy a :
- enjoint à Maître [G] [S], ou à tout autre notaire membre de la SELAS Notaire du (9), sans qu'il soit besoin de l'y condamner, de transmettre à Monsieur [P] [K], en sa qualité de tuteur de Madame [B] [K], la copie du testament olographe qu'elle a établie le 14 janvier 2019,
- laissé les dépens à la charge de Monsieur [P] [K], en sa qualité de tuteur de Madame [B] [K].
Pour statuer ainsi, la présidente a relevé que d'une part, les dispositions de l'article 476 du code civil interdisant l'assistance ou la représentation du tuteur lors de la rédaction du testament, devaient être entendues strictement et donc être limitées à l'acte de tester ; que d'autre part, le secret professionnel s'imposant au notaire selon les dispositions de l'article 23 de la loi du 25 Ventôse an XI ne faisaient pas obstacle à la communication de l'acte à la personne intéressée en nom direct, à savoir Madame [K], la testatrice, ce qui justifie de faire droit à la demande.
Par déclaration au greffe du tribunal le 30 janvier 2024, Maître [S] a formé un recours contre cette ordonnance ; il a été transmis le 1er février 2024 au greffe de la cour d'appel, après qu'une ordonnance de non rétractation ait été rendue le 30 janvier 2024 par Madame la président du tribunal judiciaire de Nancy.
Dans son courrier versé à l'appui de son recours, Maître [S] fait valoir qu'en vertu du secret professionnel, elle ne peut communiquer les actes qu'elle n'a pas établis elle-même hormis aux héritiers, ayants-droits, mandataires ou toute personne autorisée par la loi ou par décision judiciaire. Toutefois, en matière testamentaire, elle précise que ces personnes n'ont aucun intérêt actuel et légitime à demander cette communication ; que par ailleurs, ils n'ont aucun moyen de savoir si ce document existe puisque cela ne peut leur être révélé.
Maître [S] ajoute que l'article 476 du code civil vient renforcer cette analyse dès lors qu'il dispose que le tuteur ne peut ni assister ni représenter la personne sous tutelle lors de la rédaction du testament. Ainsi, elle estime que la requête de Monsieur [K] est contraire aux dispositions en vigueur et doit être rejetée. Par conséquent elle a sollicité la rétractation de l'ordonnance sus mentionnée, et à défaut sollicité de sa part, qu'elle remette le dossier au greffe de la cour d'appel en application de l'alinéa 2 de l'article 952 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 30 janvier 2024, Madame la présidente du tribunal judiciaire de Nancy a dit qu'il n'y avait pas lieu de rétracter la décision du 11 janvier 2024 et a ordonné la transmission du dossier à la cour d'appel de Nancy.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 9 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [K] demande à la cour de :
À titre principal,
- déclarer irrecevable comme tardif l'appel interjeté par Maître [S],
À titre subsidiaire, si l'appel était déclaré recevable,
- confirmer l'ordonnance du 11 janvier 2024 rendue par Madame la présidente du tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- assortir l'injonction de communiquer le testament d'une astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
En toute hypothèse,
- condamner Maître [S] à verser à Monsieur [K], en sa qualité de tuteur de Madame [B] [K], la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Maître [S] aux entiers dépens d'appel.
Au visa des articles 1437 alinéa 2 et 538 du code de procédure civile, Madame [K] fait valoir que Maître [S] a agi le 30 janvier 2024 en dehors du délai prescrit de quinze jours à compter du jour où l'ordonnance a été rendue, le 11 janvier 2024. Elle considère donc que l'action de Maître [S] est irrecevable.
Au fond, Madame [K] soutient que son fils, peut en sa qualité de tuteur former une demande de communication du testament qu'elle a rédigé, en son nom et pour son compte. À ce titre, elle estime que le fait de remettre le testament à son auteur ne constitue pas une violation du secret professionnel pour le notaire, la présente procédure ayant spécialement pour objet de lui permettre de transmettre le testament avec une autorisation judiciaire ; enfin elle rappelle qu'elle a formulé cette demande auprès du notaire avant son placement sous le régime de la tutelle.
En réponse Maître [S] conclut à la recevabilité de son recours, le délai d'appel de quinze jours ne courant que pour le requérant dans l'hypothèse où sa requête a été rejetée et aucun délai n'étant fixé lorsque la requête a été accueillie ; elle indique au demeurant qu'il n'est pas justifié en l'espèce, de la date de notification de l'ordonnance du 11 janvier 2024 ;
Au fond, elle fait valoir que le secret professionnel s'impose au notaire qui ne peut en être délié par l'autorité judiciaire, que pour la délivrance d'expéditions et la connaissance des actes qu'il a établis (Civ 1ère 20 avril 2022 n° 20-233160) ;
Elle se réfère à l'article 476 du code de procédure civile pour conclure au caractère éminemment personnel de la rédaction du testament, pour laquelle le tuteur est expressément exclu que ce soit pour assister ou représenter le majeur incapable ; elle ajoute que seule la personne souhaitant tester ou révoquer un testament peut se voir communiquer l'acte que le notaire détient quelque soit sa forme ; pour ce faire Madame [K] devra solliciter l'autorisation du conseil de famille ainsi que du juge des tutelles à l'exclusion de toute autre personne, ce qui justifie l'infirmation de l'ordonnance déférée ;
Par avis du 9 février 2024, le Ministère Public s'est dit favorable à la confirmation de l'ordonnance en précisant que Monsieur [K], en qualité de tuteur, dispose d'un pouvoir légal de représentation et ne peut en conséquence se voir opposer la confidentialité ; qu'en l'espèce, Madame [K] étant sous tutelle, toute décision contraire la priverait de son droit à obtenir copie de l'acte enregistré par le notaire.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 11 mars 2024 et le délibéré au 15 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu le recours déposé par Maître Houillon le 30 janvier 2024 et les dernières conclusions déposées par Madame [K] le 9 février 2024 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Sur la régularité procédurale du recours
L'article 493 du code de procédure civile énonce que 'l'ordonnance sur requête est une décision provisoire, rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse' ;
'S'il n'est pas fait droit à la requête appel peut être interjeté à moins que l'ordonnance n'émane du premier président de la cour d'appel.
Le délai d'appel est de quinze jours.
L'appel est formé comme en matière gracieuse.
S'il est fait droit à la requête tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu la requête' précise l'article 496 du même code ;
Il est admis au vu de ces dispositions, que seule la voie de l'appel est accessible et non la voie de la rétractation pour l'adversaire du requérant dont le conseil a été entendu avant que l'ordonnance ne soit rendue ;
En l'espèce l'ordonnance en litige a été rendue le 11 janvier 2024 au vu des dispositions des articles 1435 et suivants qui prévoient qu''en cas de refus du notaire de délivrer une copie des actes aux parties elle-mêmes ou à leurs héritiers ou ayant droits, le président du tribunal judiciaire, saisi par requête statue le demandeur et le dépositaire entendus ou appelés' ;
L'appel est instruit comme en matière gracieuse précise l'article 1438 du même code ;
En l'espèce, le conseil de Maître [S] a été appelé et entendu à l'audience du 19 décembre 2023 ; l'affaire a été mise en délibéré au 11 janvier 2024 ; il est mentionné au pied de l'ordonnance rendue par Madame le président du tribunal judiciaire de Nancy que la copie de celle-ci a été remise à chacun des conseils ; cette mention du greffier est d'autant plus régulière que l'ordonnance est exécutoire sur minute ce qui justifie sa délivrance immédiate aux parties intéressées ;
Dès lors en formant appel le 30 janvier 2024, Maître [S] n'a pas respecté le délai d'appel sus énoncé, qui contrairement à ce qu'il affirme dans ses conclusions, doit s'appliquer à chacune de parties intervenant au litige, qui disposent d'un droit d'appel ;
Son recours sera dès lors déclaré irrecevable ;
Sur la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile
Maître [S] succombant dans ses prétentions, elle sera condamnée aux dépens d'appel ;
En revanche il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais non compris dans les dépens exposés à l'occasion de la présente procédure ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, après débats en chambre du conseil,
Déclare irrecevable l'appel formé le 30 janvier 2024 par Maître [S] contre l'ordonnance prononcée le 11 janvier 2024 par Madame le président du tribunal judiciaire de Nancy à la requête de Madame [B] [K], représentée par Monsieur [P] [K] son tuteur ;
Déboute Madame [K] de sa demande faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Maître [Y] [S] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en cinq pages.