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15/04/2024 | FRANCE | N°23/01293

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 15 avril 2024, 23/01293


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2024 DU 15 AVRIL 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/01293 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGDA



Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 21/01588, en date du 09 mai 2023,



APPELANTES :

LA DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE [Localité 6], représentée par

son directeur régional es qualité, pour ce domicilié [Adresse 3]

Représentée par Me Barbara VASSEUR de la SCP VASSEUR PETIT, avocat au barreau de NANCY



LA...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2024 DU 15 AVRIL 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/01293 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGDA

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 21/01588, en date du 09 mai 2023,

APPELANTES :

LA DIRECTION REGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE [Localité 6], représentée par son directeur régional es qualité, pour ce domicilié [Adresse 3]

Représentée par Me Barbara VASSEUR de la SCP VASSEUR PETIT, avocat au barreau de NANCY

LA RECETTE INTERRÉGIONALE DES DOUANES DE [Localité 5], représentée par Monsieur le Receveur Interrégional, pour ce domicilié [Adresse 1]

Représentée par Me Barbara VASSEUR de la SCP VASSEUR PETIT, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

Société GARRETT MOTION (anciennement HONEYWELL TECHNOLOGIES SARL), prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 2] (SUISSE)

Représentée par Me Alain CHARDON, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Alexandre CELSE, substituant Me Marc BROCARDI, avocats au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Février 2024, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, chargée du rapport,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Avril 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 15 Avril 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

La société de droit suisse Garrett Motion INC, venant aux droits de la société à responsabilité limitée Honeywell Technologies, fait partie du groupe Honeywell qui a pour activité la fabrication de pièces à destination de l'industrie automobile et notamment des turbocompresseurs.

Le 16 août 2016, cette société a importé, pour son établissement situé en Lorraine, des pièces métalliques destinées à la fabrication de turbocompresseurs, lesquelles ont été dédouanées au bureau des douanes d'[Localité 4].

Les 17 et 18 août 2016, le bureau des douanes a procédé à un contrôle des pièces importées sous le numéro d'identification IMA 16468698.

Le 15 novembre 2016, le bureau des douanes a émis un avis de résultat de contrôle aux termes duquel les marchandises importées, initialement déclarées sous la position 8414 90 00 90 en tant que parties de compresseurs d'air ou d'autres gaz, relevaient d'une autre position soumise à des droits de douane à hauteur de 2,7 % pour les pièces en acier et 6 % pour les pièces en aluminium.

Ce contrôle a donné lieu le 5 septembre 2017 à une transaction douanière par laquelle Garrett Motion INC a accepté de payer la somme de 372 euros au titre des droits et taxes éludés et une amende de 100 euros. Les contestations de la société relative à la régularité de cette transaction ont été rejetées par arrêt de la cour d'appel de Nancy en date du 29 novembre 2021.

Suite à ce contrôle, le bureau des douanes d'[Localité 4] a initié le 8 décembre 2017 un contrôle ex-post sur les déclarations en douane déposées par la société Garrett Motion sur la période non-prescrite du 9 décembre 2014 au 3 juillet 2018.

Le bureau a ainsi contrôlé l'ensemble des déclarations d'importation établies par la société CEVA, agissant en qualité de représentant en douane, et relatives aux quinze mêmes références de pièces de turbocompresseurs, fabriquées en Asie par le fournisseur Ningbo Yinzliou Automobile Parts Factory.

À l'issue de ce contrôle, l'administration des douanes transmettait le 19 décembre 2018 à la société Garrett Motion un avis de résultat d'enquête aux termes duquel quinze références de marchandises (434613-0003 ; 448235-0001 ; 721086-0001 ; 798540- 0010 ; 802282-0011 ; 803852-0002 ; 807779-0002 ; 812480-0001 ; 447550-30005 ; 813422-0001 ; 805628-0012 ; 805628-0001 ; 805628-0002 ; 435005-0010 et 809129-0001) avaient fait l'objet d'une déclaration sous une mauvaise espèce tarifaire, alors qu'elles devaient être classées sous le régime de la matière constitutive dans la mesure où elles n'étaient pas reconnaissables comme étant exclusivement ou principalement destinées à des turbocompresseurs.

Par une lettre du 16 janvier 2019, la société Garrett Motion a contesté la position de l'administration des douanes concernant quatorze des quinze références susvisées.

L'administration a maintenu sa position en émettant à l'encontre de la société Garrett Motion le 4 juin 2019, un procès-verbal de notification d'infraction de fausses déclarations d'espèce ayant généré une dette douanière d'un montant de 68788 euros.

La recette interrégionale des douanes de [Localité 5] a sollicité le recouvrement de la dette douanière alléguée et a émis, le 28 juin 2019, un avis de mise en recouvrement n° 838/19/101 pour cette même somme.

Par une lettre du 9 juillet 2019, la société Garrett Motion a contesté cet avis de mise en recouvrement et, pour ne pas faire courir les intérêts de retard, s'est acquittée du montant des droits réclamés.

La société a adressé à l'administration une contestation complémentaire le 5 septembre 2019.

En réponse et compte tenu de la procédure relative au contrôle ex-ante, l'administration des douanes a reporté sa décision au 10 août 2020.

Par acte d'huissier du 8 juin 2021, la société Garrett Motion a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Nancy la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette interrégionale des douanes de Metz aux fins de contester le bien-fondé de la décision implicite de rejet de 1'administration.

Par jugement contradictoire du 9 mai 2023, le tribunal judiciaire de Nancy a :

- rejeté les demandes présentées in limine litis par la société Garrett Motion tenant à une violation du principe du contradictoire et des droits de la défense,

- dit que la procédure de redressement est régulière,

- dit que les marchandises importées doivent être classées en tant que 'parties de' turbocompresseurs relevant du code TARIC 8414 90 00 90 relatif aux 'parties de compresseurs d'air ou d'autres gaz',

En conséquence,

- annulé le procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

- annulé l'avis de mise en recouvrement n° 838/19/101 émis le 28 juin 2019,

- annulé la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020,

- condamné la recette régionale à rembourser à la société Garrett Motion la dette douanière d'un montant de 59279 euros indûment acquittée, ce avec intérêts au taux légal,

- condamné la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] à verser à la société Garrett Motion la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à dépens,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que l'entretien mené le 8 juin 2018 avec deux représentants de la société Garett Motion, Messieurs [T] et [H], ayant pour objet l'établissement des valeurs concernant les frais d'outillage, pendant la période du contrôle ex-post, ne consistait pas en un contrôle, une enquête ou un interrogatoire dont la consignation dans un procès-verbal s'imposait. En outre, cet entretien était visé dans l'avis de résultat d'enquête du 19 décembre 2018 et la société Garrett Motion pouvait faire valoir ses observations, de telle sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir d'aucun grief.

Il a encore considéré que l'administration n'avait pas à notifier les droits prévus à l'article 61-1 du code de procédure pénale à la société Garrett Motion dès lors que l'entretien ne s'inscrivait pas dans le cadre d'une audition libre tendant à l'interrogation de ses représentants, mais d'une réunion portant sur la présentation du fonctionnement général des opérations d'importations.

Dès lors, il a déclaré que le principe du contradictoire et des droits de la défense ayant été respecté, la procédure était régulière.

Sur le fond, le tribunal a rappelé qu'une marchandise importée sur le territoire de l'Union Européenne fait l'objet d'un classement tarifaire par l'attribution d'un code à huit chiffres selon la nomenclature combinée (NC) fondé sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (SH) résultant de la convention internationale de Bruxelles du 14 juin 1983 et s'appuyant également sur les Notes Explicatives du Système Harmonisée (NESH), les notes explicatives de la nomenclature combinée, les avis de classement publiés par l'Organisation Mondiale des Douanes (OMD) et les règlements de classement votés par la Commission Européenne.

Le classement des marchandises est déterminé d'après les termes des positions et notes de sections ou de chapitre. Lorsque les marchandises paraissent pouvoir être classées dans deux catégories, les règles énoncent que la position la plus spécifique doit avoir priorité sur les positions d'une portée plus générale. S'agissant des produits composés de matières différentes ou constitués par assemblage, ils sont classés d'après la matière ou l'article qui leur confère leur caractère essentiel. À titre subsidiaire, la destination d'un produit peut constituer un critère objectif de classification pour autant qu'elle est inhérente audit produit, ce qui s'apprécie en fonction des caractéristiques et propriétés objectives du produit.

Les NESH excluent de la position 8414 les parties ou fournitures d'emploi général, mais comprennent les 'corps de pompes ou de compresseurs, pistons, soupapes, roues à ailettes, hélices et autres éléments tournants, aubes et ailettes'.

Cependant, les pièces reçoivent la qualification de parties lorsqu'elles sont reconnaissables comme exclusivement ou principalement destinées à une machine particulière.

Selon la CJUE, pour qualifier un article de partie, il n'est pas suffisant de démontrer que sans celui-ci, la machine n'est pas en mesure de répondre aux besoins auxquels elle est destinée, il faut établir que son fonctionnement est conditionné par celui-ci, ce qui implique la présence d'un ensemble pour le fonctionnement duquel ces parties sont indispensables. La notion d''accessoires' comprend les éléments d'équipement interchangeables permettant d'adapter un appareil à un travail particulier ou lui conférant des possibilités supplémentaires ou lui permettant d'assurer un service particulier en corrélation avec sa fonction principale.

La société Garrett Motion revendique le classement des marchandises en position 8414 90 00 de la NC, désignées comme 'parties' au sein de la catégorie 8414 'des pompes à air ou à vide, compresseurs d'air ou d'autres gaz et ventilateurs ; hottes aspirantes à extraction ou à recyclage, à ventilateur incorporé, même filtrante' relevant elle même du chapitre 84 intitulé 'réacteur nucléaire, chaudière, machines, appareils et engins mécaniques, parties de ces machines ou appareils'.

Les Douanes considèrent que les marchandises en cause, majoritairement des pièces de métal trouées n'étaient pas clairement identifiables comme des parties de turbocompresseurs ni reconnaissables comme exclusivement ou principalement destinées à une machine en particulier et qu'elles doivent donc être classées selon le régime de leur manière constitutive (articles en aluminium ; article en fer ou en acier).

En l'espèce, les marchandises litigieuses ne sont visées explicitement dans aucune des normes et leur classement tarifaire doit être recherché au regard de leurs caractéristiques et propriétés objectives.

S'agissant du déflecteur d'huile (références 798540-0010, 803852-0002, 812480-0001 et 809129-0001), des pièces d'acier comportant 5 ou 8 trous, installées à l'intérieur du turbocompresseur afin de limiter les fuites d'huiles dans le collecteur d'admission d'air du moteur, le tribunal a relevé que ceux-ci avaient été conçus et fabriqués par le fournisseur exclusif de la société Garrett Motion, suivant des normes industrielles strictes relatives aux composants des turbocompresseurs. Sur le plan technique, les trous présents sur les pièces d'acier étaient spécialement usinés à la demande de la société afin que ces pièces puissent être montées sur ses turbocompresseurs. Destinées à limiter les fuites d'huiles dans le collecteur d'admission d'air du moteur et spécialement conçues pour être intégrées dans des turbocompresseurs de manière à assurer leur fonction sans altérer la sécurité et le fonctionnement de l'ensemble, le tribunal a retenu que ces pièces étaient essentielles à son bon fonctionnement. Les douanes ne rapportant pas la preuve qu'elles pouvaient être utilisées à d'autres usages, le tribunal a retenu qu'elles devaient être classifiées comme 'partie de'.

Le raisonnement a été le même pour les plaques arrières (références 7210860-001 et 802282-0011), des disques en acier comportant 5 trous, permettant de connecter le carter de compresseur avec le boîtier de roulement afin d'éviter des entrées d'air dans ce dernier, dont le tribunal a relevé qu'il s'agissait de pièces spécifiques à la société Garrett Motion et dont la fabrication a été adaptée, indispensable à l'assemblage et au fonctionnement du turbocompresseur, les douanes ne rapportant pas la preuve de ce que ces pièces pouvaient être utilisées à d'autres usages et que le fonctionnement du turbocompresseur n'était pas conditionné par celles-ci.

Il en a été de même pour les brides de placages (références 434613-0003 et 448235-0001), des pièces en acier inoxydable en forme d'arc de cercle, utilisées pour fixer le carter de compresseur au carter central pour les maintenir ensemble et sans lesquelles les boulons ne résisteraient pas à la charge subie. Le tribunal a retenu qu'outre la spécificité du produit, l'intégrité et la sécurité du turbocompresseur étaient conditionnées par l'installation de cette pièce, notamment en cas d'éclatement de la roue, les douanes ne rapportant pas la preuve de ce que ces pièces pouvaient être utilisées à d'autres usages et que le fonctionnement du turbocompresseur n'était pas conditionné par celles-ci.

Pour le support de fixation (référence 807779-0002), une pièce en acier inoxydable en forme d'équerre comprenant 5 trous permettant de fixer le déclencheur au turbocompresseur, sa forme a été spécialement usinée pour être monté dans les turbocompresseurs fabriqués par la société Garrett Motion et, permettant le contrôle de l'ensemble, elle est indispensable au fonctionnement mécanique et électrique du turbocompresseur et les douanes ne rapportent pas la preuve qu'elle a une fonction propre.

Enfin, pour l'écran thermique (références 447550-0005, 813422-0001, 805628-0012, 805628-0001, 805628-0002), des pièces en acier en forme de coupelle et de couvercle circulaire percés, placées derrière la roue de la turbine et recouvrant l'extrémité du boîtier central afin de le protéger de contact direct avec les gaz chauds, cette pièce agissant comme un ressort repoussant la cartouche VNT et maintenant la position axiale de l'ensemble des pièces, assurant une charge correcte lors des cycles d'utilisation. La spécificité de cette pièce en fait un élément indispensable au fonctionnement du turbocompresseur.

Le tribunal en a donc déduit que l'ensemble des pièces litigieuses devait être classifiées dans la position 8414 90 00 de la NC.

Le tribunal a considéré que les renseignements tarifaires contraignants (RTC) versés aux débats par la société Garrett Motion, délivrés par les autorités polonaises et allemandes et concernant également des déflecteurs d'huile et des écrans thermiques, mais pouvant être invoqués à l'appui de sa position, confortaient cette analyse.

Il a donc annulé le procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019, l'avis de recouvrement n°838/19/101 du 28 juin 2019 et la décision implicite de rejet et condamné la recette régionale des douanes à rembourser à la société Garrett Motion la somme de 59279 euros de dette douanière indûment acquittée.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 19 juin 2023 la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de [Localité 6] et la Recette Interrégionale des Douanes de [Localité 5] ont relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 29 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de Metz demandent à la cour, sur le fondement de la nomenclature combinée, le système harmonisé et leurs notes respectives, les articles 67 F et 334 du code des douanes ainsi que l'article 700 du code de procédure civile, de :

- infirmer les dispositions du jugement déféré en ce qu'il a :

* dit que les marchandises importées doivent être classées en tant que 'parties de' turbocompresseurs relevant du code TARIC 8414 90 00 90 relatif aux 'parties de compresseurs d'air ou d'autres gaz',

En conséquence,

* annulé le procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

* annulé l'avis de mise en recouvrement n° 838/19/101 émis le 28 juin 2019,

* annulé la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020,

* condamné la recette régionale à rembourser à la société Garrett Motion la dette douanière d'un montant de 59279 euros indûment acquittée, ce avec intérêts au taux légal,

* condamné la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] à verser à la société Garrett Motion la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit n'y avoir lieu à dépens,

Statuant à nouveau,

- débouter l'ensemble des prétentions et moyens de la société Garrett Motion,

- confirmer le procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

- confirmer l'avis de mise en recouvrement n°838/19/101 émis le 28 juin 2019,

- confirmer la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020,

En conséquence,

- condamner la société Garrett Motion au paiement des sommes recouvrées en vertu de l'avis de mise en recouvrement n°838/19/101 émis le 28 juin 2019,

En tout état de cause,

- condamner la société Garrett Motion à verser à l'administration des douanes la somme de 3300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 27 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Garrett Motion demande à la cour, sur le fondement de l'annexe 1 du règlement 2658/87du conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun et de l'article 700 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 9 mai 2023, en ce qu'il a :

* dit que les marchandises importées doivent être classées en tant que 'parties de' turbocompresseurs relevant du code TARIC 8414 90 00 90 relatif aux 'parties de compresseurs d'air ou d'autres gaz',

En conséquence,

* annulé le procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

* annulé l'avis de mise en recouvrement n° 838/19/101 émis le 28 juin 2019,

* annulé la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020,

* condamné la recette régionale à rembourser à la société Garrett Motion la dette douanière d'un montant de 59279 euros indûment acquittée, ce avec intérêts au taux légal,

* condamné la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] à verser à la société Garrett Motion la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] mal fondées en leur appel,

- débouter la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] de l'intégralité de leurs demandes,

En conséquence,

- déclarer que les produits importés ne relèvent pas d'un classement tarifaire selon leur matière constitutive,

- déclarer que les marchandises importées doivent être classées en tant que 'parties de' turbocompresseurs relevant du code TARIC 8414 90 00 90 relatif aux 'parties de compresseurs d'air ou d'autres gaz',

- déclarer que la dette douanière, pour un montant total de 59279 euros, n'est pas due et doit être remboursée, assortie des intérêts de retard au taux légal,

- annuler l'avis de mise en recouvrement nº 838/19/101 en date du 28 juin 2019,

- annuler le procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

- annuler la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020,

- condamner la recette régionale à rembourser à la société la dette douanière d'un montant de 59279 euros qu'elle a indûment acquittée, assortie des intérêts de retard au taux légal,

En tout état de cause,

- condamner la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] à verser à la société Garrett Motion la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] aux entiers dépens de l'instance en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 16 janvier 2024.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 12 février 2024 et le délibéré au 15 avril 2024.

La juridiction a sollicité la remise de pièces de meilleure qualité, afin de rendre exploitables les tableaux et photographies versés aux débats. La société Garrett Motion a été autorisée à verser en délibéré des photographies des pièces litigieuses. Elle a adressé le 20 février 2024 un exemplaire du procès-verbal de constat de meilleure qualité que celui fourni par les douanes et de nombreux dessins techniques représentant les pièces litigieuses.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 6] et la recette régionale des douanes de [Localité 5] (ci-après l'administration des douanes) le 29 août 2023 et par la société Garrett Motion le 27 novembre 2023 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 16 janvier 2024 ;

Le point en litige se cantonne au classement dans le TARIC (tarif intégré des communautés européennes) des marchandises importées par la société Garrett Motion, soit, comme revendiqué par l'administration des douanes, selon leur matière constitutive - en position 7326 90 98 comme autre ouvrage en fer ou en acier et en position 7616 99 90 comme autre ouvrage en aluminium -, soit comme partie d'un turbocompresseur (position 8414 90 00) comme soutenu par la société intimée.

* Sur la classification des marchandises importées par la société Garrett Motion

Par décision 87/369/CEE, le Conseil a approuvé au nom de la Communauté économique européenne le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (le SH), élaboré par l'organisation mondiale de Douanes (OMD) et résultant de la convention de Bruxelles du 14 juin 1983. La Communauté s'est ainsi engagée à respecter le SH, utiliser les positions et sous-positions de celui-ci, suivre son ordre de numérotation et appliquer ses règles d'interprétation.

Le classement douanier des marchandises importées dans l'Union européenne est régi par la nomenclature combinée (NC), instaurée par le règlement n°2658/87, élaborée sur la base du SH et reprise chaque année par un règlement de la Commission.

Le SH et la NC font l'objet de notes explicatives élaborées respectivement par l'OMD (les NESH) et par la Commission (les notes explicatives de la nomenclature combinée).

Selon la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE, auparavant Cour de Justice des Communautés européennes), les 'notes NC (commission) et SH (OMD) contribuent d'une façon importante à l'interprétation de la portée des différentes positions sans toutefois avoir force obligatoire' (arrêt Delphi Deutschland, C-423/10, 18 mai 2011 rappelé dans les décisions ultérieures de la CJUE).

En application de l'actuel article 33 du code des douanes de l'Union (précédemment article 12 et article 11 du règlement d'application), l'administration douanière a compétence pour délivrer des renseignements tarifaires contraignants (RCT) lesquels sont impératifs en ce qui concerne le classement tarifaire pour le titulaire de la décision. Ils peuvent être invoqués à titre de preuve par tout autre personne que le titulaire, en particulier pour des instances liées au classement de produits similaires.

La NC dispose au titre de ses règles générales des règles d'interprétation suivantes :

'Le classement des marchandises dans la NC est effectué conformément aux principes ci-après.

1. Le libellé des titres de sections, de chapitres ou de sous-chapitres est considéré comme n'ayant qu'une valeur indicative, le classement étant déterminé légalement d'après les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres et, lorsqu'elles ne sont pas contraires aux termes desdites positions et notes, d'après les règles suivantes.

2. a) Toute référence à un article dans une position déterminée couvre cet article même incomplet ou non fini à la condition qu'il présente, en l'état, les caractéristiques essentielles de l'article complet ou fini. Elle couvre également l'article complet ou fini, ou à considérer comme tel en vertu des dispositions qui précèdent, lorsqu'il est présenté à l'état démonté ou non monté.

b) Toute mention d'une matière dans une position déterminée se rapporte à cette matière soit à l'état pur, soit mélangée ou bien associée à d'autres matières. De même, toute mention d'ouvrages en une matière déterminée se rapporte aux ouvrages constitués entièrement ou partiellement de cette matière. Le classement de ces produits mélangés ou articles composites est effectué suivant les principes énoncés dans la règle 3.

3. Lorsque des marchandises paraissent devoir êtres classées sous deux ou plusieurs positions par application de la règle 2 b) ou dans tout autre cas, le classement s'opère comme suit :

a) la position la plus spécifique doit avoir la priorité sur les positions d'une portée plus générale.

(...)

c) dans le cas où les règles 3 a) et 3 b) ne permettent pas d'effectuer le classement, la marchandise est classée dans la position placée la dernière par ordre de numérotation parmi celles susceptibles d'être valablement prises en considération'.

La NC comprend une section XV relative aux 'métaux communs et ouvrage en ces métaux', laquelle comprend, respectivement aux chapitres 73 et 76, les positions 7326 90 98 (autre ouvrage en fer ou en acier) et 7616 99 90 (autre ouvrage en aluminium). 

Au sein du chapitre 84 de la section XVI ('machines et appareils, matériel électrique et leurs parties; appareils d'enregistrement ou de reproduction du son, appareils d'enregistrement ou de reproduction des images et du son en télévision, et parties et accessoires de ces appareils') portant sur les 'réacteurs nucléaires, chaudières, machines, appareils et engins mécaniques, partie de ces machines ou appareils', la sous-position 8414 est relative aux 'pompes à air ou à vide, compresseurs d'air ou d'autres gaz et ventilateurs ; hottes aspirantes à extraction ou à recyclage, à ventilateur incorporé, même filtrante' laquelle inclut la position 8414 90 00 intitulée 'partie'.

La note 2 de la section XV de la NC ('métaux communs et ouvrage en ces métaux') précise que :

'2. Dans la nomenclature, on entend par «parties et fournitures d'emploi général»:

a) les articles des n° 7307, 7312, 7315, 7317 ou 7318, ainsi que les articles similaires en autres métaux communs, autres que les articles spécialement conçus pour être utilisés exclusivement comme implants pour la médecine, la chirurgie, l'art dentaire ou l'art vétérinaire 9021);

b) les ressorts et lames de ressorts en métaux communs autres que les ressorts d'horlogerie (n° 9114);

c) les articles des n° 8301, 8302, 8308, 8310 ainsi que les cadres et la miroiterie en métaux communs du n° 8306.'

La note 2 de la section XVI de la NC ('machines et appareils, matériel électrique et leurs parties; appareils d'enregistrement ou de reproduction du son, appareils d'enregistrement ou de reproduction des images et du son en télévision, et parties et accessoires de ces appareils') est libellée comme suit :

'Sous réserve des dispositions de la note 1 de la présente section et de la note 1 des chapitres 84 et 85, les parties de machines (à l'exception des parties des articles des n° 8484, 8544, 8545, 8546 ou 8547) sont classées conformément aux règles ci-après :

a) les parties consistant en articles compris dans l'une quelconque des positions des chapitres 84 et 85, les parties de machines (à l'exception des parties des articles des n° 8484, 8544, 8545, 8546 ou 8547) relèvent de ladite position, quelle que soit la machine à laquelle elles sont destinées ;

b) lorsqu'elles sont reconnaissables comme exclusivement ou principalement destinées à une machine particulière ou à plusieurs machines d'une même position (même des n° 8479 ou 8543), les parties, autres que celles visées au paragraphe précédent, sont classées dans la position afférente à cette ou à ces machines'.

Pour la position 84.14 de la NH, les NESH élaborées en 2012 et en 2017, après avoir distingué les compresseurs des pompes, précisent que :

'les turbocompresseurs de gaz d'échappement utilisés dans les moteurs à pistons à combustion interne pour augmenter la puissance constituent un type spécial de compresseurs.

Les compresseurs ont des emplois soit directs (machines soufflantes pour hauts fourneaux, cubilots ou autres fours métallurgiques, compression de gaz divers pour leur embouteillage ou la réalisation de synthèses chimiques, machines frigorifiques, etc.), soit indirects, pour accumuler l'air comprimé dans un reservoir en vue d'alimenter de nombreuses machines ou appareils : moteurs à air comprimé, marteaux-piqueurs, treuils, freins à air comprimé, transporteurs à tubes pneumatiques, appareils de chasse d'eau pour sous-marins, etc.

(...)

Les pompes à air ou à vide et les compresseurs du présent groupe, de même que les pompes du n° 84.13, peuvent être associés à des moteurs ou à des turbines, les turbines étant généralement couplées avec des compresseurs à grande puissance, fonctionnant eux-mêmes selon le principe inversé de la turbine à gaz à étages.'

S'agissant de la rubrique 'Parties', elles précisent au sein de la section XVI (laquelle concerne la position 84) que sont notamment exclues de la présente section 'les parties et fournitures d'emploi général au sens de la note 2 de la section XV' telles que les articles en fonte, fer, acier ou métaux communs comme des câbles, chaînes, boulonnerie, visserie, ressorts.

Selon une jurisprudence constante de la CJUE, le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d'une manière générale, dans leurs caractéristiques et propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la NC et des notes de sections ou de chapitre, lesquelles ont force de loi (arrêts Peacok du 19 octobre 2000, C-339/98, et Delphi Deutschland, C-423/10, déjà cité, rappelés dans les décisions ultérieures de la CJUE). La CJUE a également dit pour droit que, aux fins de classement dans la position idoine, la destination du produit peut constituer un critère objectif de classification pour autant qu'elle est inhérente audit produit, l'inhérence devant pouvoir s'apprécier en fonction des caractéristiques et des propriétés objectives de celui-ci (arrêts Thyssen Hnial du 1er juin 1995, C-459/93 et Olicom du 18 juillet 2007, C-142/06, rappelés dans les décisions ultérieures de la CJUE). La 'destination du produit n'est un critère pertinent que si le classement ne peut pas se faire sur la seule base des caractéristiques des propriétés objectives du produit' (arrêts Skoma-Lux du 16 décembre 2010, C-339/09 et Medical Imaging Systems GmbH du 9 juin 2016, n°C288/15).

Pour ce faire, la CJUE procède et invite les juridictions nationales à procéder à une analyse concrète des marchandises.

S'agissant de parties de machines, appareils, instruments ou articles, il est admis que cette notion 'implique la présence d'un ensemble pour le fonctionnement duquel celles-ci sont indispensables' (arrêt Peacok, dejà cité) et que le fonctionnement mécanique et électronique de l'ensemble dépend de la présence d'une telle partie (arrêt Turbon International GmbH, 7 février 2002, C-276/600).

Aucune des parties ne détaille dans ses conclusions la finalité et le fonctionnement d'un turbocompresseur (seule une pièce en anglais non traduite a été produite par l'intimée en pièce 20). De manière sommaire, ce dispositif est composé d'un axe de rotation lié à l'une de ses extrémités à une turbine et à l'autre à un compresseur. Il s'agit d'un système de récupération d'énergie, exploitant des gaz en mouvement utilisés pour faire tourner la turbine (située dans un compartiment du turbocompresseur, le 'carter de compresseur'), laquelle transfère l'énergie mécanique de la rotation via l'axe central à une roue, qui se trouve dans la partie 'compresseur' (située dans un autre compartiment de la machine, le 'carter de compresseur'), laquelle aspire et comprime des gaz afin d'augmenter leur pression.

Principalement destinés à l'industrie automobile - comme c'est le cas de ceux que fabrique la société -, les turbocompresseurs sont alimentés par le flux des gaz d'échappement qui fait tourner la turbine, ce qui entraîne via l'axe central la rotation de la roue, laquelle aspire et comprime l'air ambiant destiné à alimenter les cylindres du moteur, la compression de l'air ainsi injecté améliorant les performances du moteur.

S'agissant des 15 pièces en cause lors des opérations de contrôle, l'administration des douanes a fait procéder à l'expertise de 13 d'entre elles par le service commun du laboratoire de [Localité 7]. Il convient de relever que ces rapports, annexés au procès-verbal de constat du 19 décembre 2018 sous les références G7 à G19, n'ont été produits par aucune des parties à l'instance qui ont communiqué ledit procès-verbal sans ses annexes.

La société Garrett Motion a admis un mauvais classement de la pièce référencée 435005-0010 (Plug/Bouchon) lequel a abouti à l'application d'un taux de droit direct inférieur à celui découlant de la classification indiquée lors du dédouanement. Il apparaît que ce mauvais classement n'est pas inclus dans le périmètre de l'avis de mise en recouvrement contesté.

L'ensemble des autres marchandises, qui sont toutes en litige, ne sont visées explicitement dans aucune des positions ou sous-positions de la NC et leur classement tarifaire doit donc être recherché au regard de leurs caractéristiques et propriétés objectives.

L'administration des douanes prétend qu'elles ne sont pas reconnaissables comme exclusivement ou principalement destinées à des turbocompresseurs, s'agissant majoritairement de pièces métalliques trouées et constituant des fournitures d'emploi général. Sommairement, elle fait valoir que ces pièces, peu importe les normes industrielles auxquelles elles répondent, ne conditionnent pas le fonctionnement mécanique ou électrique du turbocompresseur, et pour certaines, visent uniquement à améliorer le fonctionnement du turbocompresseur ; ce qui est contesté par la société Garrett Motion.

- déflecteurs d'huile (références 798540-0010, 803852-0002, 812480-0001 et 809129-0001)

Le procès-verbal de constat décrit les marchandises comme des pièces d'acier en forme de disque comportant 5 ou 8 trous. L'observation des photographies présentes au procès-verbal montre que ces disques comportent deux étages. Celles versées par la société intimée montrent que certaines pièces présentent également des encoches.

La société Garrett Motion explique, sans être contestée, que ces pièces sont installées à l'intérieur du turbocompresseur afin de limiter les fuites d'huile qui, à défaut, pourrait entrer en contact avec le compresseur où elle serait immédiatement brûlée compte tenu des températures (environ 1000°).

Ces pièces font l'objet de fiche technique et d'un usinage particulier, permettant de les monter dans les turbocompresseurs auxquels elles sont uniquement destinées.

L'intimée explique, toujours sans être contestée utilement par l'administration des douanes qui fait état d'arguments généraux pour l'ensemble de ces pièces, que le déflecteur participe ainsi non seulement à améliorer les performances du turbocompresseur, mais aussi à sa sécurité par les explications étayées qui viennent d'être rappelées.

Leur usinage particulier ne permet pas de les qualifier de fourniture d'emploi général et, participant à la sécurité du turbocompresseur en prévenant les fuites d'huiles, elles sont indispensables à son fonctionnement mécanique.

D'ailleurs, les autorités polonaises ont délivré trois RTC (pièces 37, 38, 39 de l'intimée), lesquels font l'objet d'une traduction libre dans les conclusions de la société intimée, pour des déflecteurs d'huile montés dans la partie centrale du turbocompresseur, afin de diriger le flux d'huile. Il s'agit, dans les trois situations, de disques à deux étages comportant des protubérances pour leur positionnement, fonction assurée par les trous en ce qui s'agit des pièces importées par la société Garrett Motion.

Les douanes françaises ont également délivré un RTC (pièce 32 intimée) pour 'une tôle anti-déjaugeage qui permet de limiter l'oscillement de l'huile dans le compresseur'.

Ces RCT confortent l'analyse selon laquelle les déflecteurs sont indispensables au fonctionnement mécanique des turbocompresseurs.

Inhérentes au fonctionnement du turbocompresseur au regard de leurs caractéristiques et de leurs propriétés objectives, ces pièces doivent être classées dans la position 8414 90 00 comme parties d'un turbocompresseur.

- plaques arrières (références 7210860-001 et 802282-0011)

Le procès-verbal de constat les décrit comme des pièces en aluminium en force de disque, comportant cinq trous dont un central. La photographie insérée dans celui-ci montre que la pièce référencée 802282-0011 est un disque à deux étages, l'ensemble des trous étant percés sur la partie inférieure. Si le format et la qualité de la photographie représentant la référence 7210860-001 n'autorisent pas de constatation visuelle, les pièces versées en annexe 6 par la société intimée en délibéré établissent que cette pièce présente des caractéristiques visuelles similaires.

Selon les explications de la société intimée non contestées par l'administration des douanes, cette pièce permet de connecter le carter de compresseur avec le boîtier de roulement et d'éviter que l'air comprimé n'entre dans celui-ci. Elle ajoute que si cette pièce n'est pas installée, les deux parties ne peuvent pas être reliées et le turbocompresseur ne peut pas fonctionner, aucune pièce alternative ne pouvant y être substituée.

Là encore, ces pièces font l'objet de fiche technique et d'un usinage particulier, permettant de les monter dans les turbocompresseurs auxquels elles sont uniquement destinées. Leur usinage particulier ne permet pas de les qualifier de fourniture d'emploi général.

L'administration des douanes emploie des arguments généraux, non spécifiques à ces pièces, alors que les explications sur le caractère inhérent au turbocompresseur des plaques arrières sont étayées.

Nécessaires au fonctionnement mécanique du turbocompresseur en reliant les carters, elles sont indispensables à l'ensemble.

D'ailleurs les douanes françaises ont délivré un RCT (pièce 26 intimée) pour 'une plaque de fond, en aluminium moulé, permettant de fermer le carter d'un compresseur à air ayant pour fonction d'alimenter les différents circuits de freinage et de servitude d'un camion', qui joue donc un rôle similaire aux pièces qualifiées de 'plaques arrières', ce qui conforte l'analyse développée.

Inhérentes au fonctionnement du turbocompresseur au regard de leurs caractéristiques et de leurs propriétés objectives, ces pièces doivent être classées dans la position 8414 90 00 comme parties d'un turbocompresseur.

- brides de placages (références 434613-0003 et 448235-0001)

Le procès-verbal de constat les décrit comme des pièces en acier inoxydable en forme d'arc de cercle. Elles sont percées de trois trous.

La société intimée expose, sans être contestée, qu'elles sont utilisées pour fixer le carter de compresseur au carter central afin de maintenir ces deux compartiments ensemble, ce que les boulons ne pourraient effectuer sans cette pièce qui leur permet de résister à la charge subie. À défaut, l'intégrité et la sécurité du turbocompresseur ne sont pas assurées, notamment en cas d'éclatement de la roue.

Il sera observé qu'aucun RCT relatif à des brides de placage n'est versé aux débats.

Les photographies des brides de placage, y compris celle versées par l'intimée en annexe 2 et 5 (même si la seconde référence présente un découpage légèrement plus complexe par la présence d'excroissance aux droits de chaque trou), ne montrent pas que celles-ci sont particulièrement complexes et il n'apparaît dès lors pas qu'elles sont destinées uniquement à des turbocompresseurs. D'ailleurs, leur rôle est de renforcer les boulons, eux-mêmes classés, sauf cas particulier, comme fournitures d'emploi général et selon leur matière constitutive.

En outre, les explications données par la société sur le caractère indispensable à l'ensemble des brides de placages ne sont étayées que par un exemple, qui s'avère être non pertinent puisqu'en cas d'éclatement de la roue, c'est ce dysfonctionnement qui empêcherait le fonctionnement mécanique de l'ensemble, et non l'absence de bride de placage.

En conséquence, ces pièces, dont le caractère inhérent au turbocompresseur n'est pas établi, doivent être classées dans la nomenclature non comme 'partie de turbocompresseur', mais en position 7326 90 98 90, comme autre ouvrages en fer et en acier.

- support de fixation (référence 807779-0002)

Le procès-verbal de constat le décrit comme une pièce en acier inoxydable en forme d'équerre comprenant 5 trous. La photographie figurant au constat est illisible, mais l'annexe 13 versée en délibéré par la société intimée permet de constater qu'il s'agit effectivement d'une pièce en forme d'équerre, dont l'une des extrémités a une forme oblique et l'autre une forme arrondie et qu'elle est percée de cinq trous de diamètres différents.

La société intimée explique que cette pièce a pour fonction de fixer le déclencheur et le turbocompresseur.

Elle ajoute que 'cette pièce est indispensable au fonctionnement mécanique et électrique du turbocompresseur puisque, sans cet élément, il ne serait pas possible de contrôler le turbocompresseur ce qui engendrerait nécessairement des conséquences sur les performances et la sécurité de celui-ci.'.

Il sera observé qu'aucun RCT relatif à un support de fixation n'est versé aux débats.

Les explications données par la société sur le caractère indispensable à l'ensemble du support de fixation ne comportent aucune démonstration - la société procède en réalité par voie d'affirmation - et ne sont étayées d'aucun exemple, les conséquences alléguées sur la sécurité de l'ensemble ne sont pas documentées. La société n'établit pas en quoi cette pièce est indispensable au fonctionnement mécanique et électrique de l'ensemble.

En conséquence, cette pièce, dont le caractère inhérent au turbocompresseur n'est pas rapporté, doit être classée dans la nomenclature non comme 'partie de turbocompresseur', mais en position 7326 90 98 90, comme autre ouvrages en fer et en acier.

- l'écran thermique (références 447550-0005, 813422-0001, 805628-0012, 805628-0001, 805628-0002),

Ces pièces sont définies au procès-verbal de constat respectivement comme des pièces en acier en forme de coupelle et de couvercle, circulaires et percées.

Selon les explications non contestées données par la société intimée, ces pièces sont placées derrière la roue de turbine, recouvrant l'extrémité du boîtier central. Elles évitent que les gaz chauds entrent en contact avec celui-ci et maintient la position axiale de toutes les pièces impliquées dans le mécanisme. Si cette pièce n'était pas installée, un phénomène chimique de 'craquage' de l'huile à l'intérieur du carter central se produirait, ce qui aurait nécessairement une incidence sur les performances et la durabilité, mais aussi sur le fonctionnement mécanique du turbocompresseur.

L'administration des douanes emploie des arguments généraux, non spécifiques à ces pièces, alors que les explications sur le caractère inhérent au turbocompresseur des plaques arrières sont étayées.

Nécessaires au fonctionnement mécanique du turbocompresseur, elles sont indispensables à l'ensemble.

D'ailleurs la société Garrett Motion fait état de quatre RCT délivrés par les autorités allemandes (pièces 40, 41,42,44) pour des capots arrières ou des boucliers thermiques destinés à être montés dans des turbocompresseurs, afin de séparer les différents carters et d'éviter un transfert de chaleur excessif du corps de la turbine (traduction libre non contestée par les douanes), ce qui conforte cette analyse.

Inhérentes au fonctionnement du turbocompresseur au regard de leurs caractéristiques et de leurs propriétés objectives, ces pièces doivent être classées dans la position 8414 90 00 comme parties d'un turbocompresseur.

** Sur les conséquences du classement au TARIC des différentes marchandises importées

Selon les articles 338 du code des douanes et 4 du code civil, les tribunaux ne peuvent admettre contre les procès-verbaux de douane, en ce compris un avis de mise en recouvrement, d'autres nullités que celles résultant de l'omission des formalités prescrites par les articles 323 (§ 1 ), 324 à 332 et 334 du code des douanes. Ils doivent trancher eux-mêmes les litiges qui leur sont soumis et il leur appartient de fixer le montant des droits de douane dont la société est redevable en considération des classifications tarifaires jugées exactes afin de déterminer le montant dont cette société était fondée à solliciter le non-recouvrement (Com., 12 mai 2021, n°19-13.551).

La liste de motifs justifiant la nullité des procès-verbaux des douanes et d'un avis de mise en recouvrement est limitée à l'omission des formalités visées aux articles sus-mentionnés du code des douanes et l'erreur dans les positions tarifaires n'y figure pas, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer l'annulation :

* du procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

* de l'avis de mise en recouvrement n° 838/19/101 émis le 28 juin 2019,

* de la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

S'agissant du calcul des droits douaniers, le procès-verbal de constat ne comporte pas les éléments de références nécessaires au calcul des droits éludés pour les brides de placages et support de fixation.

L'avis de paiement et ses annexes (pièce 3 appelantes) ne comprend pas les références des pièces importées.

Ainsi les pièces versées aux débats ne permettent pas de réaliser le calcul des droits dus.

En conséquence les débats seront rouverts, afin que les parties, en particulier l'administration des douanes, fassent connaître leurs observations et transmettent les éléments permettant de procéder au calcul des droits dûs pour les brides de placages (références 434613-0003 et 448235-0001) et le support de fixation (référence 807779-0002), en particulier le nombre de pièces importées et la valeur déclarée lors du dédouanement, ainsi que tous les éléments de nature à justifier du montant des intérêts de retard réclamés (date à laquelle l'intégralité des droits auraient dû être versés jusqu'au paiement effectué le 9 juillet 2019 et effet de la restitution suite au jugement).

Les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront en conséquence réservés.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt mixte, contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 9 mai 2023 en ce qu'il a dit que la procédure de première instance n'était pas soumise à dépens ;

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- dit que les marchandises importées doivent être classées en tant que 'parties de' turbocompresseurs relevant du code TARIC 8414 90 00 90 relatif aux 'parties de compresseurs d'air ou d'autres gaz',

- annulé le procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

- annulé l'avis de mise en recouvrement n° 838/19/101 émis le 28 juin 2019,

- annulé la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020 ;

Statuant à nouveau sur ces points,

Rejette les demandes tendant à l'annulation :

* du procès-verbal de notification d'infraction en date du 4 juin 2019,

* de l'avis de mise en recouvrement n° 838/19/101 émis le 28 juin 2019,

* de la décision implicite de rejet de la contestation de l'avis de mise en recouvrement en date du 10 août 2020 ;

Dit que :

- les déflecteurs d'huile (références 798540-0010, 803852-0002, 812480-0001 et 809129-0001)

- les plaques arrières (références 7210860-001 et 802282-0011)

- l'écran thermique (références 447550-0005, 813422-0001, 805628-0012, 805628-0001, 805628-0002)

doivent être classés en tant que 'parties de' turbocompresseurs relevant du code TARIC 8414 90 00 90 relatif aux 'parties de compresseurs d'air ou d'autres gaz' ;

Dit que

- les brides de placages (références 434613-0003 et 448235-0001)

- le support de fixation (référence 807779-0002)

doivent être classés en tant que 'autres ouvrages en fer et en acier' relevant du code TARIC 7326 90 90 98 ;

Sursoit à statuer sur le calcul des montants dont est redevable la société Garrett Motion ING et sur les demandes relatives à l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;

Renvoie l'affaire à la mise en état du 18 juin 2024 afin que les parties, en particulier l'administration des douanes, fassent connaître leurs observations et transmettent les éléments permettant de procéder au calcul des droits dûs pour les brides de placages (références 434613-0003 et 448235-0001) et support de fixation (référence 807779-0002) (volume de marchandises ventilées par référence sur la période considérée et valeur déclarée lors du dédouanement) ainsi que tous les éléments de nature à justifier du montant des intérêts de retard :

- au plus tard le 6 mai 2024 pour l'administration des Douanes,

- au plus tard le 27 mai 2024 pour la société Garrett Motion,

en vue de la clôture et de la fixation à l'audience du 1er juillet 2024 ;

Réserve le sort des dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en dix-huit pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/01293
Date de la décision : 15/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-15;23.01293 ?
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