RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N° /2024 DU 15 AVRIL 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/00099 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FDNZ
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
R.G.n° 21/00100, en date du 07 novembre 2022,
APPELANTE :
S.A.S.U. LITT DIFFUSION, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]
Représentée par Me Jean-Luc TASSIGNY, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉ :
Monsieur [J] [H]
domicilié [Adresse 3]
Représenté par Me Olivier VILLETTE, substitué par Me Frédérique MOREL, avocats au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Février 2024, en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,chargée du rapport,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Avril 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 15 Avril 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [J] [H], artisan, a exploité la SARL [J] [H], enregistrée au RCS sous le numéro 752 995 035, dont le siège social se situait au [Adresse 2] à [Localité 4].
Le 5 mai 2016, la SARL [J] [H] a été placée en redressement judiciaire et a poursuivi son activité jusqu'au 10 avril 2018, date à laquelle la procédure a été convertie en liquidation judiciaire. Son fournisseur, la SAS Litt Diffusion, a déclaré une créance de 37191,44 euros au redressement judiciaire.
Le 11 mai 2016, Monsieur [J] [H] a sollicité, pour l'activité de carrelage-isolation exercée sous son nom personnel, une ouverture de compte à ce même fournisseur.
Par ordonnance du 28 octobre 2020 sur requête de la SAS Litt Diffusion, le juge du tribunal judiciaire de Nancy a enjoint à Monsieur [H] de payer la somme de 5154,34 euros, au titre de factures impayées.
L'ordonnance a été signifiée à Monsieur [H] le 21 janvier 2021.
Par courrier enregistré au greffe le 10 février 2021, Monsieur [H] a formé opposition à cette ordonnance.
Par jugement contradictoire du 7 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- déclaré recevable l'opposition formée par Monsieur [H],
- substitué le présent jugement à l'ordonnance entreprise,
- rejeté la demande en paiement de la SASU Litt Diffusion,
- rejeté la demande de Monsieur [H] de dommages et intérêts,
- rejeté la demande de la SASU Litt Diffusion au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SASU Litt Diffusion à payer à Monsieur [H] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SASU Litt Diffusion aux dépens qui comprennent le coût des actes de la procédure d'injonction de payer.
Pour statuer ainsi, le tribunal a déclaré l'opposition formée par Monsieur [H] recevable.
Il a relevé l'existence de discordances dans les décomptes présentés par la SASU Litt Diffusion et une insuffisance des pièces : elle avait pris en compte les règlements énumérés par Monsieur [H] en les portant au crédit de son compte, avant de soutenir que ceux-ci soldaient en réalité d'autres factures de 2016, 2017 et 2018, sans pour autant en justifier. Il a donc retenu que la société ne justifiait ni de l'existence, ni du montant de la créance dont elle réclamait le paiement.
En outre, il a considéré que Monsieur [H] n'établissait pas le caractère abusif de la procédure engagée à son encontre et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 12 janvier 2023, la SASU Litt Diffusion a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 15 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SASU Litt Diffusion demande à la cour de :
- dire et juger son appel régularisé à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 7 Novembre 2022 recevable et bien-fondé,
- réformer ledit jugement en ce qu'il a notamment rejeté sa demande en paiement ainsi que celle concernant l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée à verser à Monsieur [H] une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Statuant à nouveau,
- dire et juger l'opposition régularisée par Monsieur [H] à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 28 octobre 2020 recevable en la forme mais mal fondée,
- condamner en conséquence Monsieur [H] à lui verser :
* la somme principale de 5154,34 euros pour factures impayées outre la somme de 1437,01 euros à titre d'intérêts contractuels arrêtés à la date du dépôt de la requête en injonction de payer,
* les intérêts légaux à compter du 28 octobre 2020, date de l'ordonnance d'injonction de payer rendue à son profit sur la somme principale de 5154,34 euros,
* une somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeter toutes demandes plus amples ou contraires exprimées par Monsieur [H] et en particulier celles tendant à l'allocation d'une somme de 1500 euros pour procédure abusive et à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de 2000 euros à hauteur d'appel,
- condamner enfin Monsieur [H] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel ainsi qu'aux frais inhérents à la procédure d'injonction de payer initiale.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 4 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [H] demande à la cour de :
- dire l'appel irrecevable et en tout cas mal fondé,
- confirmer que l'opposition qu'il a régularisée à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 28 octobre 2020 était recevable et bien fondée,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter la SASU Litt Diffusion de l'intégralité de ses fins et prétentions,
- prononcer les condamnations accessoires suivantes :
* condamner la SASU Litt Diffusion à lui payer une somme de 1500 euros pour procédure abusive,
En tout état de cause,
- condamner la SASU Litt Diffusion à lui payer une somme de 2000 euros hors taxes, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux frais et dépens, et rappeler la condamnation de 800 euros de première instance.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 16 janvier 2024.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 19 février 2024 et le délibéré au 15 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Vu les dernières conclusions déposées par la SASU Litt Diffusion le 15 novembre 2023 et par Monsieur [H] le 4 juillet 2023 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 16 janvier 2024 ;
* Sur le paiement des factures
Vu l'article 1353 du code civil et l'article 9 du code de procédure civile,
Il ressort des pièces que l'entreprise [J] [H] a eu recours au même fournisseur, la SASU Litt Diffusion, que la SARL [J] [H].
Il résulte des pièces 21 et 23 de la SASU Litt Diffusion qu'elle a déclaré au redressement judiciaire de la société une créance de 37191,44 euros, relative à des factures des 30 octobre 2015, 29 février, 31 mars et 29 avril 2016. Il n'est pas justifié de la déclaration de créance dans le cadre de la liquidation judiciaire de cette société.
S'agissant de la demande d'ouverture de compte souscrite pour l'entreprise [J] [H], celle-ci est assortie de conditions générales figurant au dos du document, lesquelles n'ont pas été communiquées à la cour, la pièce 2 de l'appelante étant constituée d'une copie du recto, sans le verso, du dit document.
Pour rejeter la demande, le tribunal a relevé que les pièces produites par la société appelante étaient non seulement insuffisantes, mais également contradictoires, qu'il ressortait de pièces (notamment des échanges de mails non communiqués en appel) que les factures dont le paiement était réclamé n'étaient jamais les mêmes et que de nombreux encaissements n'apparaissaient pas dans le décompte.
L'appelante verse à l'appui de sa demande les factures suivantes :
- facture du 30 novembre 2016 d'un montant de 2575,31 euros (pièce 3),
- facture du 22 décembre 2016 d'un montant de 740,29 euros (pièce 4),
- facture du 28 février 2017 d'un montant de 615,70 euros (pièce 5),
- facture du 27 avril 2018 d'un montant de 7248,80 euros, portant la mention manuscrite 'règlement de 2248,80 euros' (pièce 6)
ainsi que les avoirs suivants :
- avoir du 13 décembre 2016 d'un montant de 48 euros (pièce 13),
- avoir du 13 décembre 2016 d'un montant de 48 euros (pièce 14),
- avoir du 15 décembre 2016 d'un montant de 96 euros (pièce 12),
- avoir du 4 janvier 2017 d'un montant de 146,88 euros (pièce 9),
- avoir du 4 janvier 2017 d'un montant de 38,16 euros (pièce 10),
- avoir du 4 janvier 2017 d'un montant de 204,12 euros (pièce 11),
- avoir du 14 février 2017 d'un montant de 38,16 euros (pièce 7),
- avoir du 14 février 2017 d'un montant de 28,62 euros (pièce 8).
L'appelante verse un relevé du compte de l'entreprise [J] [H] (pièce 15) sur lequel n'apparaît pas le règlement de 2248,80 euros mentionné sur la facture du 27 avril 2018 mais où figurent quatre sommes en crédit respectivement de 1720,91 euros ('règlement' du 21 décembre 2016'), 594,69 euros ('solde créditeur' du 28 novembre 2018) et de deux fois 1500 euros ('chèque' les 2 et 18 janvier 2019). L'avoir de 38,16 euros du 4 janvier 2017 n'y apparaît pas, mais il est mentionné un autre avoir à la même date de 100,38 euros.
Les sommes portées au débit s'élèvent à 11180,10 euros et celles au crédit à 6025,70 euros, de telle sorte que le solde débiteur réclamé par l'appelante se monte à 5154,34 euros.
Monsieur [H] expose que la SARL [J] [H] ayant poursuivi son activité jusqu'à sa liquidation prononcée en avril 2018, la SASU Litt Diffusion avait pris l'habitude, pour contourner les contraintes administratives, de faire figurer les commandes de la société sur le compte de l'entreprise individuelle, puis de régulariser les factures au nom de la SARL.
Le grand livre historique du compte de l'entreprise [J] [H] versé par la SASU Litt Diffusion (pièces 17 à 20) porte de nombreuses écritures au débit du compte qui sont immédiatement contrepassées au crédit sous le même intitulé, tel que 'effet toilier' ou 'remise' ou 'acceptation traite' ou 'facture' ou 'avoir' (énumération non exhaustive), lesquelles ne correspondent ni à des paiements, ni à des avoirs pour les écritures créditrices.
Monsieur [H] verse le justificatif d'un ordre de virement de la SARL [J] [H] daté du 25 octobre 2017 et contresigné par l'administrateur judiciaire d'un montant de 2412,40 euros (deuxième feuillet de sa pièce 5), lequel apparaît au crédit du grand livre de son entreprise individuelle le 1er novembre 2017.
Le mail que lui a adressé Monsieur [W] de la société appelante (pièce 5 intimé, premier feuillet) confirme ce fonctionnement. Monsieur [W] indique notamment que, du fait du prononcé de la liquidation judiciaire, l'appelante s'est trouvée dans 'l'impossibilité de rebasculer' sur le compte de la SARL [J] [H] certains bons de livraison facturés initialement sur l'entreprise individuelle et que les factures n'ont jamais été réglées. En outre, ce mail relève que le compte de la SARL [J] [H] présentait un compte débiteur de 351,41 euros que le fournisseur entendait basculer sur le compte de l'entreprise individuelle.
Il est ainsi parfaitement établi la 'manipulation' comptable à laquelle s'est livrée l'appelante, qui pour contourner les règles de la procédure collective, imputait sur le compte de l'entreprise individuelle les commandes et paiements de la SARL [J] [H] et les basculait, après paiement, sur le compte de cette société.
Or, ne versant pas les bons de commandes, elle n'établit pas que les factures dont elle réclame le paiement étaient bien imputables à l'entreprise individuelle et non à la SARL.
En outre, il sera relevé que, s'agissant de la facture du 27 avril 2018 d'un montant de 7248,80 euros (pièce 6 appelant), Monsieur [H] verse son propre exemplaire (dernier feuillet de sa pièce 5) qui porte les mentions '2248,80 TTC le 16/08/18' (comme l'exemplaire de l'appelante), '2000 TTC le 20/10/2018' le 20 octobre 2018, '1500 TTC le 12/12/2018 ch. CA n°9153517' et '1500 TTC le 15/01/2019 ch. CA n°9153518'
Ces deux derniers chèques figurent sur le relevé de compte établi par l'appelante, ce qui n'est pas le cas des deux premiers paiements. Or, son grand livre fait également apparaître le versement de 2000 euros le 24 octobre 2018 et le règlement de 2248,80 euros, qui ne figure pas dans ce grand livre, est pourtant également mentionné sur la facture qu'elle a conservée.
Monsieur [H] établit ainsi avoir procédé au règlement intégral de cette facture - ce qui ne ressort pas du relevé de la société appelante en raison de l'omission du paiement de 4248,80 euros.
Monsieur [H] fait en outre valoir l'existence d'autres avoirs et de chèques de règlement qui ne sont pas mentionnés dans le relevé mais qui apparaissent dans le grand livre de la société appelante (avoirs de 134,42 euros et de 299,87 euros le 29 mai 2017, chèque de 1182 euros du 27 mars 2018 portés au crédit en date du 25 avril 2018 pour le paiement de la facture du 22 décembre 2016), de telle sorte qu'à supposer même que les factures invoquées par l'appelante concernaient bien l'entreprise individuelle, il apparaît que celles-ci ont été intégralement payées.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a débouté l'appelante de ses demandes.
** Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
Vu l'article 599 du code de procédure civile,
Monsieur [H] réclame une condamnation accessoire pour procédure abusive, en raison du maintien des prétentions dans le cadre de la procédure d'appel.
L'objet de sa demande n'est donc pas identique à la demande rejetée en première instance.
Néanmoins, le seul mal fondé des prétentions de l'appelante n'établit pas un abus du droit d'agir en justice, que Monsieur [H] échoue en l'espèce à caractériser, ayant au surplus accepté la mise en place du système comptable mis en oeuvre par l'appelante.
*** Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de confirmer le jugement de première instance qui a condamné la SASU Litt Diffusion aux dépens et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant en son recours, elle sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'à payer la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à Monsieur [H]. Il y a lieu de la débouter de sa propre demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 7 novembre 2022 en toutes ses dispositions contestées ;
Y ajoutant,
Déboute Monsieur [H] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la SASU Litt Diffusion aux dépens de l'instance d'appel ;
Condamne la SASU Litt Diffusion à payer à Monsieur [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d'appel la somme de 1500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) ;
La déboute de sa propre demande sur ce fondement.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
Minute en sept pages.