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15/04/2024 | FRANCE | N°22/02917

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 15 avril 2024, 22/02917


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2024 DU 15 AVRIL 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02917 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FDFB



Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de VAL DE BRIEY,

R.G.n° 20/01390, en date du 08 décembre 2022,



APPELANTE :

Madame [I] [X] [W] [V], épouse [N]

née le [Date naissance 2] 1963 à [

Localité 6]

domiciliée [Adresse 4]

Représentée par Me Hervé MERLINGE de la SCP SIBELIUS AVOCATS, avocat au barreau de NANCY



INTIMÉS :

Maître [Y] [J]

Notaire

...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2024 DU 15 AVRIL 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02917 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FDFB

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de VAL DE BRIEY,

R.G.n° 20/01390, en date du 08 décembre 2022,

APPELANTE :

Madame [I] [X] [W] [V], épouse [N]

née le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 6]

domiciliée [Adresse 4]

Représentée par Me Hervé MERLINGE de la SCP SIBELIUS AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉS :

Maître [Y] [J]

Notaire

domicilié [Adresse 3]

Représenté par Me Caroline FRIOT, avocat au barreau de NANCY

S.E.L.A.R.L. [J], BEDIEZ, VANCO, DEHAYE, MALBEZIN, GHESTEM, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social sis [Adresse 3]

Représentée par Me Caroline FRIOT, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Février 2024, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, chargée du rapport,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Avril 2024, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 15 Avril 2024, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 22 juin 2000, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Val-de-Briey a prononcé le divorce de Madame [I] [V] et Monsieur [E] [Z] et prévu la désignation d'un notaire pour établir un acte de liquidation des droits des époux.

Le 2 avril 2004, Maître [Y] [J], notaire chargé de procéder aux dites opérations, a établi un procès-verbal de difficulté, prévoyant l'attribution à l'époux de deux biens immobiliers situés à [Localité 8] et à [Localité 7].

Par jugement du 26 mai 2005, le tribunal de grande instance de Val-de-Briey a notamment :

- dit que Monsieur [E] [Z] était redevable à l'indivision post-communautaire d'une indemnité d'occupation pour la jouissance d'un immeuble situé au [Adresse 1], à hauteur de 500 euros par mois, à compter du 1er avril 2004 et jusqu'au partage définitif,

- homologué pour le surplus le projet de liquidation et de partage de la communauté et transformé en procès-verbal de difficultés par Maître [Y] [J].

Par acte notarié reçu par Maître [Y] [J] du 21 janvier 2011, les parties ont signé un accord de partage, conforme au jugement précité, précisant que Monsieur [E] [Z] était redevable d'une soulte de 88325 euros à l'égard de Madame [I] [V]. Cet acte n'a pas été publié. Le notaire a adressé au conseil de Madame [I] [V] la copie exécutoire de cet acte le 21 octobre 2016.

Le 16 octobre 2017, Maître [Y] [J] a rédigé un nouvel acte de partage aux termes duquel Monsieur [E] [Z] était redevable envers Madame [I] [V] d'une soulte de 168316,59 euros en tenant compte de l'indemnité d'occupation jusqu'à cette date.

Ce second acte de partage, ainsi que le privilège de copartageant stipulé au profit de Madame [I] [V], ont été publiés au service de la publicité foncière de [Localité 5] les 25 octobre et 3 novembre 2017. Le renouvellement du privilège a ensuite été publié le 02 octobre 2018.

Monsieur [E] [Z] ne s'étant pas acquitté de la soulte, Madame [I] [V] lui a fait délivrer, le 24 octobre 2018, un commandement de payer sur la base du partage du 16 octobre 2017, pour la somme totale de 187238,12 euros, valant saisie-immobilière de l'appartement de [Localité 7].

Par jugement du 19 mars 2020, le juge de l'exécution de Gap a annulé le commandement aux fins de saisie immobilière signifié le 24 octobre 2018 et a débouté Madame [I] [V] au motif que l'acte de partage dressé le 16 octobre 2017 n'était pas régulier.

Se plaignant de la carence du notaire, Madame [I] [V] a fait assigner, suivant actes d'huissier du 02 décembre 2020, Maître [Y] [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem devant le tribunal judiciaire de Val-de-Briey.

Par jugement contradictoire du 8 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Val-de-Briey a :

- débouté Madame [I] [V] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Madame [I] [V] à payer ensemble à Maître [Y] [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Madame [I] [V] au paiement des dépens,

- rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.

Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que si Madame [V] évoquait la responsabilité contractuelle de Maître [J], elle ne procédait à aucune démonstration sur ce fondement, mais qu'au contraire, elle invoquait plusieurs manquements du notaire de nature à mettre en jeu sa responsabilité délictuelle, fondement sur lequel il a décidé d'analyser les demandes.

Il a considéré que Madame [V] ne pouvait se prévaloir d'une faute de Maître [J] pour ne pas avoir procédé à la publication de l'acte de partage du 21 janvier 2011, alors qu'elle s'était en parallèle abstenue de le solliciter jusqu'en 2016 et de régler les provisions à valoir sur les frais en vue de cette publication.

Concernant l'absence d'enregistrement de cet acte au service des impôts, le tribunal a retenu que Madame [V] exposait la faute du notaire tardivement, dix ans après la rédaction de l'acte, sans préciser quel préjudice certain en découlait.

Il a par suite estimé que Maître [J] n'avait aucune obligation de notifier au syndicat des copropriétaires de l'immeuble de [Localité 7] le changement de propriétaire dès lors que l'article 6 du décret n°67-223 du 17 mars 1967 permet alternativement au notaire et aux parties d'y procéder.

Le tribunal a constaté que Maître [J] avait commis une faute en publiant l'acte de partage du 16 octobre 2017 alors que Monsieur [Z] n'y avait pas consenti, de sorte que Madame [V] n'avait pas pu mettre à exécution la saisie immobilière. Néanmoins, considérant que ce préjudice en résultant s'analysait comme une perte de chance, il a retenu que Madame [V] n'apportait aucun élément permettant d'apprécier l'étendue de cette perte alors que les pièces et le jugement du 19 mars 2020 établissaient l'insolvabilité de Monsieur [Z]. De plus, il a souligné que la soulte réclamée devait être évaluée selon le montant prévu à l'acte du 21 janvier 2011 dès lors que rien ne prouvait que Monsieur [Z] eût l'intention de signer l'acte du 16 octobre 2017 dont il avait soulevé la nullité devant le juge de l'exécution. Ainsi, il a considéré que la responsabilité de Maître [J] n'était pas engagée dès lors que le préjudice et le lien de causalité entre le préjudice allégué et l'acte fautif n'étaient pas démontrés.

Quant aux dépenses exposées au titre de la saisie-immobilière, de la procédure liée et des frais d'acte notarié, le tribunal a relevé que Madame [V] ne pouvait reprocher à Maître [J] l'irrégularité de l'acte du 16 octobre 2017 alors qu'elle avait fait le choix de ne pas chercher à recouvrer la soulte résultant de l'acte de partage du 21 janvier 2011, qu'elle jugeait moins intéressant. En outre, l'identité de la personne à l'initiative de l'acte de 2017 n'était pas établie. Dès lors, le lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice de Madame [V] du fait des frais engendrés n'était pas démontré.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 23 décembre 2022, Madame [I] [V] a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance d'incident rendue le 9 novembre 2023, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Nancy a constaté que les intimés se désistaient de leur demande de radiation.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 2 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [I] [V] demande à la cour de :

- déclarer responsables tant Maître [Y] [J] que la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem des préjudices résultant pour elle de leurs fautes,

- les condamner en conséquence solidairement à lui payer les sommes de 243335,75 euros au titre de la soulte perdue et mémoire,

Subsidiairement, au cas où une perte de chance serait retenue,

- dire que le préjudice en résultant pour la concluante s'élève à 99% de ces sommes,

- 14288,40 euros au titre des frais de justice engagés,

- 25155,43 euros au titre des frais notariés inutiles,

- 10000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral,

- 15000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 13 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Maître [Y] [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem demandent à la cour, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, de :

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Val-De-Briey du 8 décembre 2022 en toutes ses dispositions,

Par conséquent,

- rejeter toutes prétentions de Madame [I] [V],

- la condamner à leur verser la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel,

- la condamner aux entiers frais et dépens de l'instance d'appel.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 16 janvier 2024.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 5 février 2024 et le délibéré au 15 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par Madame [I] [V] le 2 décembre 2023 et par Maître [Y] [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem le 13 juin 2023 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 16 janvier 2024 ;

Il résulte de la procédure et des pièces produites que le jugement du divorce de Madame [V] et Monsieur [Z] rendu le 22 juin 2000 par le tribunal de grande instance de Briey a commis le président de la chambre départementale des notaires du Nord pour désigner un notaire aux fins établir l'acte de liquidation des droits des époux.

Maître [J] a été désigné et il a reçu un acte le 2 avril 2004 signé par Madame [V] et son ex-époux Monsieur [Z]. Aux termes de cet acte :

* Monsieur [Z] reprend l'atelier de menuiserie et une maison située à [Localité 6] lui appartenant en propre, il a le droit de bénéficier de deux récompenses pour un montant total de 54665 euros ;

* Madame [V] reprend le prix de vente d'un bien propre et doit, pour le financement de celui-ci, une créance à son ex-époux de 19455 euros ;

* l'actif de la communauté comprend une maison et un droit indivis sur diverses parcelles à usage collectif situées à [Localité 8] et évaluées à 152000 euros et un appartement en copropriété situé à [Localité 7] évalué à 76225 euros,

* le passif de la communauté est constitué des seuls frais d'actes mentionnés à titre de provision à hauteur de 8200 euros,

* Monsieur [Z] se voit attribuer les deux biens immobiliers communs à charge pour lui de régler une soulte de 63225 euros, réduite à titre transactionnel à 61000 euros.

Il est ajouté que Madame [V] se réserve le droit de solliciter lors du partage une indemnité d'occupation et que Monsieur [Z] déclare ne pas avoir obtenu le financement pour payer la soulte mise à sa charge.

Le notaire a dressé le même jour un procès-verbal de difficulté qu'il a transmis au tribunal de grande instance de Briey.

Par jugement du 26 mai 2005, le tribunal de grande instance de Briey a :

- dit que Monsieur [Z] est redevable à l'indivision post-communautaire d'une indemnité d'occupation pour la jouissance de l'immeuble de [Localité 8] de 500 euros par mois à compter du 1er avril 2004 et jusqu'au partage définitif ;

- homologué pour le surplus le projet de liquidation et de partage ;

- renvoyé le dossier au notaire pour la poursuite des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté [Z]/[V] ;

- statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Maître [J] a reçu le 21 janvier 2011 un acte de partage signé par Madame [V] et Monsieur [Z]. Celui-ci tenait compte d'une indemnité d'occupation à la charge de l'ex-époux d'un montant de 41000 euros, de telle sorte qu'il était redevable d'une soulte fixée à 88325 euros au profit de Madame [V], qu'il précisait être dans l'incapacité de payer.

Suite à la saisine de la chambre des notaires, le notaire a adressé au conseil de Madame [V] la copie exécutoire de cet acte le 21 octobre 2016, par courrier reçu le 24 octobre suivant, sans signaler la moindre difficulté, notamment à propos de la provision pour procéder à la publication et l'absence de réalisation de cette formalité.

Madame [V] ayant été poursuivie par le syndicat des copropriétaires de l'appartement de [Localité 7] pour des charges impayées, son avocat a demandé le 4 novembre 2016 à Maître [J] de procéder à la publication de l'acte authentique de partage et de lui en adresser le justificatif dans les meilleurs délais. Sans réponse, il a fait parvenir ses demandes au notaire par fax le 14 novembre 2016 puis par lettre recommandée dont l'accusé de réception a été signé le 14 décembre 2016.

Ses demandes étant restées vaines, il a saisi la chambre des notaires de la difficulté par courrier reçu le 9 janvier 2017.

Celle-ci a fait savoir le 7 juin 2017 que le notaire ne pouvait procéder à la publication faute du paiement de la provision pour frais et droit fixée à 11400 euros.

Maître [J] a adressé par courrier recommandé du 13 juin 2017 aux deux ex-époux une demande de provision de 5700 euros chacun, montant qui a été versé en totalité à la comptabilité de l'étude par Madame [V] en octobre 2017.

En parallèle, le tribunal d'instance de Gap, saisi par le syndicat des copropriétaires de l'appartement de [Localité 7] attribué à l'époux, constatant que l'acte notarié n'était pas opposable au syndicat à qui l'acte n'avait pas été notifié, a, par jugement du 17 mars 2017, condamné solidairement les deux ex-époux à verser la somme de 4022,18 euros, la charge finale en incombant à Monsieur [Z] seul dans les rapports avec son ex-épouse. Il l'a condamné à payer à son ex-épouse une somme de 500 euros de dommages-intérêts.

Madame [V] ayant versé la totalité de la provision sollicitée, Maître [J] a convoqué les deux parties en son étude le 16 octobre 2017, par courrier daté du 10 octobre.

Il a dressé ce jour un nouvel acte de partage hors la présence de Monsieur [Z], la soulte mise à sa charge étant portée à 168316,59 euros.

Cet acte a été enregistré auprès de l'administration fiscale le 3 (chiffre difficilement lisible sur les copies produites par Madame [V]) novembre 2017.

Madame [V], sur la base de cet acte, a fait délivrer à son ex-époux un commandement de payer valant saisie le 24 octobre 2018 puis a saisi le juge de l'exécution par assignation du 25 décembre 2018 aux fins de retenir sa créance d'un montant de 187238,12 euros et d'ordonner la vente du bien de [Localité 7], sur une mise à prix en cas de vente à la barre du tribunal à 100000 euros et pour un prix minimal de 150000 euros en cas de vente amiable.

Monsieur [Z] ayant soulevé la nullité de la saisie dans la mesure où il n'avait pas reçu de convocation pour le 16 octobre 2017 et où l'acte du 16 octobre 2017 ne lui avait jamais été notifié, le conseil de Madame [V] a demandé à Maître [J] de lui apporter tous les éléments utiles pour pouvoir y répondre, par fax du 23 octobre 2019, puis lettre recommandée dont l'accusé de réception a été signé le 4 décembre 2019.

Maître [J] ne justifie pas avoir apporté de réponse aux sollicitations et le juge de l'exécution a finalement, par jugement du 19 mars 2020, annulé le commandement aux fins de saisie immobilière, en relevant d'une part que le notaire avait instrumenté en passant outre le défaut de comparution de Monsieur [Z] et sans mentionner les modalités selon lesquelles il avait été convoqué et d'autre part que les droits des parties avaient déjà été arrêtés dans le cadre de l'acte de partage reçu le 21 janvier 2011, de telle sorte que l'acte de partage du 16 octobre 2017 en exécution duquel le commandement avait été délivré n'était pas régulier.

Sur ce,

Vu l'article 1382 devenu 1240 du code civil,

Le premier juge a, à bon droit, retenu que la responsabilité du notaire était fondée sur la responsabilité délictuelle et non contractuelle, le notaire recevant et authentifiant un acte auquel il n'est pas partie.

Le notaire, rédacteur d'un acte, a pour devoir d'éclairer les parties et de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il instrumente (1ère Civ., 3 avril 2007, n°06-13.304). Il se doit d'agir avec diligence.

Il doit, le cas échéant, réparer le préjudice causé par la faute qu'il a commise.

À la suite du jugement du 26 mai 2005 homologuant son projet de partage et fixant une indemnité d'occupation à la charge de l'ex-époux, Maître [J] a établi l'acte de partage de la communauté et des intérêts de Madame [V] et de Monsieur [Z], qu'ils ont signé le 21 janvier 2011 et qui aurait dû, en application de l'article 635 1 1° du code général des impôts, être enregistré dans le délai d'un mois.

Néanmoins, le notaire n'a jamais accompli l'enregistrement de cet acte. Il a fait savoir, après saisine en juin 2016 du conseil de la chambre des notaires dans la mesure où il était resté taisant aux demandes d'explications dont il avait été destinataire antérieurement, qu'il n'avait pas été en capacité d'y procéder dans la mesure où la provision pour frais et droits ne lui avait pas été versée. Il a réclamé le montant précis de la provision plus d'un an après, en juin 2017, ce à quoi a immédiatement remédié Madame [V] en lui réglant les sommes nécessaires.

Le notaire ne justifie pas avoir préalablement adressé de demande aux parties en ce sens, alors que, devant s'assurer de l'efficacité des actes qu'il instrumente, il lui appartenait de réclamer le versement de cette provision et d'informer les parties des conséquences de l'absence de paiement, ce dont il ne justifie pas, établissant la violation de ses obligations.

Il n'a également pas notifié cet acte au syndicat des copropriétaires de l'immeuble de [Localité 7], dont dépendait un appartement attribué à l'époux. Or si l'article 6 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 précise que tout transfert de propriété de lot doit être notifié sans délai au syndic par le notaire qui établit l'acte ou les parties, Maître [J] n'a pas procédé à cette notification sans en informer Madame [V] et Monsieur [Z], ni leur exposer qu'il leur appartenait d'y procéder et les aviser des conséquences de l'absence de notification, de telle sorte qu'il a à nouveau failli à ses obligations.

Suite au versement de la provision par Madame [V], Maître [J] a fait le choix non de procéder à l'enregistrement de l'acte de partage qu'il avait reçu en 2011 (ce qui lui avait été expressément demandé par le conseil de Madame [V]), mais à l'établissement d'un nouvel acte de partage qu'il a reçu sans la présence de Monsieur [Z] le 16 octobre 2017.

Or, d'une part l'absence de Monsieur [Z] aurait dû le conduire non à établir cet acte, mais à saisir le tribunal de grande instance de Briey d'un nouveau procès-verbal de difficulté ; d'autre part, et surtout, l'acte de 2011 emportait partage de l'ensemble de l'indivision post-communautaire et un nouveau partage était, dans ces conditions, irrecevable.

Enfin, Maître [J] n'a pas visé dans son acte les modalités de convocation de Monsieur [Z] et, lorsque Madame [V] lui a demandé de justifier de celles-ci en raison des contestations que son ex-époux faisait valoir à ce titre dans le cadre de la procédure de saisie des droits immobiliers portant sur l'appartement de [Localité 7], le notaire n'a pas communiqué l'accusé de réception du courrier convoquant l'ex-époux. Maître [J], qui n'a communiqué ce justificatif que tardivement, dans le cadre de la présente procédure, a, de nouveau, manqué à ses obligations professionnelles, en particulier celles de veiller à l'efficacité de l'acte reçu et d'agir avec diligence.

Il est ainsi caractérisé de multiples fautes à la charge de Maître [J].

Celui-ci soutient néanmoins que Madame [V] n'a subi aucun préjudice du fait qu'elle n'avait pas pu recouvrer les sommes dont était redevable son ex-époux, car celui-ci était dès 2004 insolvable.

Or, si Monsieur [Z] a effectivement indiqué, dans l'acte du 2 avril 2004, ne pas avoir obtenu de concours financier lui permettant de régler la soulte mise à sa charge puis réitéré cette affirmation dans l'acte du 21 janvier 2011, son impossibilité de payer cette soulte n'est pas démontrée. C'est en effet la situation inverse qui résulte de la procédure : aux termes du projet établi le 2 avril 2004 et homologué par jugement du 26 mai 2005, il reprenait un atelier de menuiserie et une maison à [Localité 6] lui appartenant en propre et il se voyait attribuer deux biens immobiliers issus de la communauté, estimés pour le premier par Maître [J] à la somme de 152000 euros (bien de [Localité 8]) et pour le second par les ex-époux à la somme de 76225,50 euros (appartement de [Localité 7]).

Or Monsieur [Z] était toujours propriétaire du bien de [Localité 7] sur lequel, afin d'être réglée de sa créance, Madame [V] a diligenté en 2018 une procédure de saisie immobilière, laquelle n'a pas pu prospérer en raison des fautes du notaire. Il résulte de l'évaluation d'une agence immobilière que ce bien de 50 m² a une valeur de 4000 à 4500 euros le m², soit une estimation entre 200000 et 225000 euros.

En outre, il ressort du jugement du juge de l'exécution que Monsieur [Z] était toujours domicilié dans l'immeuble de [Localité 8] en 2020.

Par ailleurs, l'absence de publication d'un acte de partage régulier prive Madame [V] du privilège du copartageant qui pouvait être inscrit sur les deux immeubles issus de la communauté.

Il est ainsi établi que Monsieur [Z] disposait d'un patrimoine immobilier lui permettant de verser et de garantir le paiement de la soulte mise à sa charge par l'acte valablement établi le 21 janvier 2011, d'un montant de 88325 euros et que ce sont les fautes de Maître [J] qui d'une part n'a pas réalisé les démarches qui lui incombaient pour donner efficacité - et dans un délai raisonnable - à cet acte et qui, d'autre part, pour remédier à cette situation n'y a pas procédé en 2017 mais a reçu dans des conditions litigieuses un nouvel acte de partage dont il n'a pas, là encore, effectué valablement les diligences pour assurer son efficacité, ce qui a abouti à l'anéantissement de la procédure de saisie immobilière.

En effet, l'acte de partage reçu le 16 octobre 2017, qui a fortement réévalué la soulte due à l'ex-épouse en prenant en compte une indemnité d'occupation pour la période postérieure à l'acte de 2011, n'a pas été établi dans des conditions régulières ainsi qu'il a déjà été démontré, la saisie immobilière diligentée sur le fondement de celui-ci a été annulée et il ne peut servir à l'évaluation du préjudice de Madame [V].

En conséquence, la perte qu'elle a subi doit être appréciée au regard de l'acte du 21 janvier 2011, c'est à dire une soulte d'un montant de 88325 euros désormais non recouvrable. En effet, en application des articles L. 111-3 et L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution de ce titre pouvait être poursuivie pendant dix années, de telle sorte que la créance qui y est constatée au profit de Madame [V] est désormais prescrite et qu'elle a définitivement perdu, en raison des fautes du notaire, la faculté de la recouvrer alors qu'il est établi que si le notaire n'avait pas commis de faute, le débiteur disposait de biens immobiliers sur lesquels un privilège pouvait être inscrit par le copartageant et dont la réalisation aurait permis avec certitude d'apurer le montant de sa créance.

Le préjudice résultant des fautes du notaire ne s'analyse donc pas en la perte de chance de percevoir le montant de la soulte, mais dans la perte du montant que l'appelante aurait dû percevoir, soit la somme de 88325 euros produisant intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2011, date à laquelle ce montant a été arrêté, à défaut de quoi, Madame [V], qui subirait les effets de l'inflation, ne serait pas indemnisée de son entier préjudice, étant rappelé qu'elle a saisi la cour d'une demande de 243335,75 euros comprenant des intérêts de retard (pièce 29 appelante).

S'agissant des frais d'acte, il est établi que Maître [J] a perçu des frais et provisions pour des actes dont l'inefficacité est établie, qui doivent donc être remboursés.

Il ressort du compte client que Madame [V] lui a adressé 12000 euros le 12 octobre 2017 et 3700 euros le 16 octobre suivant. Cette dernière lui réclame 25155,43 euros correspondant au montant total de la somme figurant au débit de cette pièce mais ne justifie pas avoir versé au notaire une somme au delà de ces 15700 euros ; en effet, il apparaît que son ex-époux a versé 1000 euros dans la comptabilité du notaire et que le surplus résulte d'écritures contrepassées et de retour partiel de l'administration fiscale. C'est donc la somme de 15700 euros qui devra être remboursée à Madame [V].

Madame [V] a également exposé en vain des frais pour tenter de procéder à une saisie immobilière, annulée en raison des fautes commises par le notaire. Il ne peut lui être fait le reproche de n'avoir pas interjeté appel alors que le notaire n'a pas transmis l'accusé de réception de la convocation de son ex-époux, ce qui était nécessaire au succès d'un recours, sans pour autant être suffisant au regard de la motivation retenue par le juge de l'exécution qui a tenu compte de l'existence du partage réalisé en 2011. Les frais liés à la procédure, hors honoraires d'avocat, réglés par Madame [V] se sont élevés à la somme de 2749,22 euros. Elle ne justifie en revanche pas avoir payé les sommes mises à sa charge par le juge de l'exécution au titre des frais irrépétibles.

En raison de l'absence de notification de l'acte de partage de 2011 au syndicat des copropriétaires, Madame [V] a été poursuivie par celui-ci en règlement des charges de copropriété impayées alors que l'appartement avait été attribué plusieurs années auparavant à son ex-époux. Elle justifie avoir réglé à l'huissier en charge du recouvrement, sans en avoir été remboursée par Monsieur [Z], la somme de 4802,60 euros.

Elle ne peut en revanche obtenir la condamnation du notaire à lui verser les 500 euros de dommages-intérêts mis à la charge de son ex-époux par ce jugement, dans la mesure où elle ne justifie pas subir un préjudice découlant d'une faute du notaire, le préjudice indemnisé ayant pour cause l'unique faute de son ex-époux qui n'a pas payé les charges de copropriété dont il était redevable.

Madame [V] justifie par des factures de ses frais d'avocat pour ces deux procédures à hauteur de 6000 euros, étant rappelé qu'un avocat ne fait pas mettre en délibéré une décision dans une procédure où il n'a pas été préalablement réglé de ses honoraires.

Il convient de lui allouer la somme de 13551,82 euros en réparation de ces frais.

Madame [V] réclame également une indemnisation au titre du préjudice moral.

Elle subit effectivement, et en raison des fautes commises par Maître [J], un important préjudice caractérisé par :

- l'impossibilité de recouvrer contre son ex-époux les sommes qui lui étaient dues,

- la durée excessive de 20 ans entre la date à laquelle le procès-verbal de difficulté fixant les modalités du partage a été établi, le jugement rendu un an plus tard l'homologuant et ajoutant simplement une indemnité d'occupation d'un montant déterminé à la charge de l'ex-époux, et le dénouement de la situation à la date du présent arrêt,

- le fait d'avoir dû diligenter en vain une saisie-immobilière et d'avoir en conséquence dû faire face à une procédure judiciaire en raison des contestations émises par son ex-époux,

- les tracas causés par les poursuites du syndicat des copropriétaires en raison d'un impayé de charges relatives à un bien attribué à son ex-époux,

- la perte de confiance dans la profession de notaire, un officier ministériel dont l'exercice de la profession est réglementé afin d'assurer que les missions dévolues soient accomplies avec sérieux, diligence et compétence. Cette perte de confiance est en l'espèce majorée du fait que Maître [J] est intervenu sur désignation de l'autorité judiciaire.

Le préjudice ainsi subi sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 5000 euros de dommages-intérêts.

Le jugement sera en conséquence infirmé et Maître [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem - dont la responsabilité solidaire du fait des conséquences dommageables des actes d'un de ses associés n'est pas contestée - seront condamnés solidairement à payer à Madame [V] les sommes ainsi arbitrées.

Madame [V] étant admise en ses demandes, Maître [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.

Les intimés seront déboutés de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et à hauteur d'appel.

Ils seront en revanche condamnés sur ce fondement à payer la somme de 5000 euros à Madame [V] pour les frais exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement rendu le 8 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Val-de-Briey en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne solidairement Maître [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem à payer à Madame [V] en réparation des préjudices découlant des fautes commises par le notaire :

- la somme de 88325 euros (QUATRE-VINGT-HUIT MILLE TROIS CENT VINGT-CINQ EUROS) produisant intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 2011 en réparation du préjudice matériel,

- la somme de 15700 euros (QUINZE MILLE SEPT CENTS EUROS) en remboursement des frais d'acte,

- le somme de 13551,82 euros (TREIZE MILLE CINQ CENT CINQUANTE-ET-UN EUROS ET QUATRE-VINGT-DEUX CENTIMES) en réparation des frais engagés suite aux procédures de saisie immobilière et en recouvrement de charges,

- la somme de 5000 euros (CINQ MILLE EUROS) en réparation du préjudice moral ;

Condamne solidairement Maître [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne solidairement Maître [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem à payer à Madame [V] la somme de 5000 euros (CINQ MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et à hauteur d'appel ;

Déboute Maître [J] et la SARL [J], Bediez, Vanco, Dehaye, Malbezin et Ghestem de leurs demandes à ce titre pour les frais exposés en première instance et à hauteur d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en douze pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/02917
Date de la décision : 15/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-15;22.02917 ?
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