RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /24 DU 11 AVRIL 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/01298 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGDH
Décision déférée à la cour :
jugement du tribunal judiciaire d'EPINAL, R.G. n° 21/01948, en date du 07 mars 2023,
APPELANTE :
La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALSACE VOSGES
Société coopérative à personnel et capital variables, immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 437 642 531 dont le siège social est [Adresse 1] à [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me David COLLOT de la SELARL LORRAINE DEFENSE & CONSEIL, avocat au barreau d'EPINAL
INTIMÉ :
Monsieur [C] [K]
né le [Date naissance 2] 1988 à [Localité 6] (88) domicilié chez Madame [G] [H] [Adresse 3]
Représenté par Me Alain BÉGEL de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Mars 2024, en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère,
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;
A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2024, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 11 Avril 2024, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
Par acte notarié en date du 20 septembre 2010, la Caisse de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges (ci-après la CRCAM) a consenti à la SCI DECLIC, ayant pour associés Mme [N] [F] et M. [C] [K] détenant chacun 50 % du capital social, un prêt d'un montant de 60 000 euros remboursable sur une durée de 168 mois au taux de 3,5 %, après un différé de douze mois, afin de financer l'acquisition de biens immobiliers à usage locatif sis à [Localité 5].
Par jugement en date du 28 mai 2015, le tribunal de grande instance d'Epinal a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SCI DECLIC, et a désigné la SCP Le Carrer-Najean en qualité de liquidateur. Le bien financé a été vendu en 2015, et le mandataire liquidateur a versé une somme de 29 000 euros le 8 février 2016 au titre de la réalisation de l'immeuble de la SCI DECLIC, ainsi qu'une somme de 2 969,18 euros adressée par courrier du 22 juin 2017 en règlement d'un dividende de créance hypothécaire.
Par jugement en date du 27 juin 2017, le tribunal de grande instance d'Epinal a prononcé la clôture de la procédure pour insuffisance d'actifs.
Par acte d'huissier du 10 janvier 2020, la CRCAM a fait délivrer à M. [C] [K] un commandement de payer aux fins de saisie vente.
Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception en date du 26 novembre 2021, la CRCAM a mis Mme [N] [F] et M. [C] [K] en demeure de payer les sommes dues par la SCI DECLIC pour un montant de 67 152,44 euros dans un délai de dix jours, en leur qualité d'associés et à hauteur des parts détenues par chacun dans son capital social.
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Par actes d'huissier du 14 décembre 2021, la CRCAM a fait assigner M. [C] [K] et Mme [N] [F] devant le tribunal judiciaire d'Epinal afin de les voir condamnés à lui payer la somme de 33 576,22 euros chacun, augmentée des intérêts au taux de 3,5% à compter du 26 novembre 2021, au titre du prêt notarié consenti à la SCI DECLIC.
Mme [N] [F] et M. [C] [K] ont conclu à l'irrecevabilité de l'action pour cause de prescription, et subsidiairement au débouté des demandes à défaut de rapporter la preuve de l'existence d'une créance au regard des versements reçus.
Par jugement en date du 7 mars 2023, le tribunal judiciaire d'Epinal a :
- déclaré prescrite l'action de la CRCAM dirigée à l'encontre de M. [C] [K],
- condamné Mme [N] [F] à payer à la CRCAM la somme de 33 576,22 euros en principal, et ce avec intérêt au taux contractuel de 3,5% à compter du 26 novembre 2021,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- rappelé qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, " les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement ", conformément au II de l'article 55 du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020,
- condamné Mme [N] [F] à payer à la CRCAM la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [N] [F] aux dépens.
Le tribunal a retenu que l'action engagée à l'encontre de Mme [F] était recevable compte tenu des versements opérés par acomptes mensuels de 30 euros du 9 octobre 2015 au 11 août 2020. Il a jugé qu'en l'absence de justificatifs de paiements de M. [C] [K], la prescription quinquennale était acquise à la date de la délivrance du commandement de payer aux fins de saisie vente du 10 janvier 2020.
Sur le fond, le tribunal a jugé que Mme [F] était redevable de la dette de la SCI DECLIC à hauteur de 50 %, en sa qualité d'associée.
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Le 20 juin 2023, la CRCAM a formé appel du jugement à l'encontre de M. [C] [K] tendant à son infirmation en ce qu'il a déclaré son action prescrite et l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Dans ses dernières conclusions transmises le 14 septembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la CRCAM, appelante, demande à la cour :
- de réformer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que sa créance était prescrite et l'a déboutée de ses demandes de condamnation de M. [C] [K] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de l'instance,
Et statuant à nouveau,
Vu les dispositions des articles 1134, 1315 alinéa 2 anciens, 1103 et 1104 nouveaux et 1857 alinéa 1 et 1858 du code civil,
- de condamner M. [C] [K] à lui payer la somme de 33 576,22 euros en principal,
- de dire que cette somme portera intérêts au taux de 3,5 % à compter du 26 novembre 2021, date de la mise en demeure,
- de condamner M. [C] [K] à lui payer la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. [C] [K] aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses demandes, la CRCAM fait valoir en substance :
- que l'action en paiement engagée le 14 décembre 2021 est recevable ; que l'obligation de l'associé au passif social de l'article 1858 est une obligation solidaire avec la débitrice principale (SCI) et non un cautionnement, et que l'interruption de la prescription résultant de la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit prévue à l'article 2240 du code civil vaut à l'égard de tous les autres débiteurs solidaires, selon l'article 2245 du code civil ; que chaque paiement constitue, pour le débiteur principal, une reconnaissance de la dette au sens de l'article 2240 du code civil tant à l'égard de la débitrice principale que de ses coobligés ; que le dernier versement effectué pour le compte de la SCI date du 22 juin 2017 ; que le commandement de payer aux fins de saisie vente délivré le 10 janvier 2020 est interruptif de prescription ; que les paiements de Mme [F] du 9 octobre 2015 au 11 août 2020 ont interrompu la prescription à l'égard de M. [C] [K] ;
- que le tribunal a estimé à juste titre qu'elle justifiait régulièrement de l'existence de ses créances et a retenu le taux contractuel de 3,5 %.
Dans ses dernières conclusions transmises le 14 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [C] [K], intimé, demande à la cour :
- de confirmer le jugement dont appel,
- de condamner la CRCAM à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, M. [C] [K] fait valoir en substance :
- que l'action en paiement engagée le 14 décembre 2021 est prescrite à son encontre en ce que le bien de la SCI a été vendu en 2015 et que la CRCAM a perçu le produit de la vente le 8 février 2016, date à laquelle la banque avait connaissance des faits lui permettant d'exercer son action ;
- que très subsidiairement, la CRCAM ne rapporte pas la preuve de l'existence de sa créance ; - qu'en tout état de cause, l'indemnité contractuelle sera rejetée ou ramenée à la somme d'un euro ; que seul le taux légal peut être appliqué.
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La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 février 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la prescription de l'action de la CRCAM
L'article 1859 du code civil dispose que toutes les actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants cause se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société.
Or, la publication du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société constitue le point de départ de la prescription de l'action des créanciers en paiement des dettes sociales dirigée à l'encontre d'un associé.
En l'espèce, il y a lieu de constater que la CRCAM ne produit que l'extrait de publication au BODACC du jugement de clôture de la liquidation judiciaire du 27 juin 2017.
Néanmoins, l'avis de déclaration de créance adressé par le liquidateur de la SCI DECLIC à la CRCAM par courrier du 11 juin 2015, reçu le 12 juin 2015, manifeste la connaissance par le créancier du prononcé de la liquidation judiciaire de la SCI à cette date.
En outre, aucune impossibilité d'agir n'est imposée au créancier à l'égard des associés de la SCI du fait de la liquidation judiciaire de la société, débitrice principale.
Aussi, il en résulte que le délai de prescription de cinq ans de l'action de la CRCAM en paiement des dettes sociales dirigée à l'encontre de M. [C] [K], associé de la SCI, a commencé à courir à compter du 12 juin 2015.
Or, l'article 2244 du code civil énonce que le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
En l'espèce, la CRCAM a fait délivrer à M. [C] [K] un commandement de payer aux fins de saisie-vente le 10 janvier 2020 en vertu de l'acte de prêt notarié reçu le 20 septembre 2010.
Aussi, ce commandement, sans être un acte d'exécution forcée, engage la mesure d'exécution forcée et interrompt la prescription de la créance qu'il tend à recouvrer.
Dans ces conditions, un nouveau délai de prescription de cinq ans ayant commencé à courir à compter du 10 janvier 2020, l'action de la CRCAM engagée par assignation délivrée le 14 décembre 2021 est recevable.
Dès lors, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur le montant de la créance
L'article 1857 du code civil dispose qu'à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
Il ressort des pièces produites par la CRCAM, et notamment du contrat de prêt notarié reçu le 20 septembre 2010 et de l'offre préalable de prêt figurant en annexe, ainsi que de l'extrait K-Bis de la société reprenant le jugement du 28 mai 2015 fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 28 novembre 2013, de même que du décompte des sommes dues par la SCI DECLIC au 10 novembre 2013, que cette dernière était redevable à cette date de la somme de 69 557,09 euros, détaillée comme suit :
- capital restant dû au 10 novembre 2013 : 53 908,54 euros,
- échéances impayées du 30/12/2011 au 30/10/2013 : 10 334,80 euros,
- intérêts de retard majorés à 7,50 % arrêtés au 30 octobre 2013 : 763,29 euros,
- indemnité contractuelle de 7 % : 4 550,46 euros.
En effet, il ressort des conditions générales de l'offre de prêt annexée à l'acte authentique que toute somme non payée à son échéance ou à sa date d'exigibilité donnera lieu de plein droit et sans mise en demeure préalable au paiement d'intérêts de retard, dont le taux est égal à celui du prêt majoré de 4 points.
En outre, il est mentionné que si pour parvenir au recouvrement de sa créance, le prêteur a recours à un mandataire de justice ou exerce des poursuites ou produit à un ordre, l'emprunteur s'oblige à lui payer, outre les dépens mis à sa charge, une indemnité forfaitaire de 7 % calculée sur le montant des sommes exigibles avec un montant minimum de 2 000 euros.
Or, cette clause n'ayant pas pour objet de faire assurer par la société l'exécution de son obligation, mais la compensation d'un surcoût, elle ne revêt pas le caractère d'une clause pénale susceptible de modération ou d'augmentation au sens de l'article 1231-5 du code civil.
En outre, suite à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire par jugement du 28 mai 2015, une somme totale de 33 759,18 euros, provenant de versements de Mme [F] (soit la somme totale de 1 790 euros payée du 9 octobre 2015 au 11 août 2020) et du liquidateur (soit la somme totale de 31 969,18 euros versée les 8 février 2016 et 22 juin 2017), doit être déduite des sommes dues au titre du prêt notarié litigieux.
Par ailleurs, il y a lieu de constater que la CRCAM sollicite en outre le paiement d'intérêts de retard calculés sur la somme de 65 006,63 euros, correspondant au montant dû au 10 novembre 2013 en principal et intérêts (date de cessation des paiements), au taux de majoré de 7,50 % à compter du 11 novembre 2013 jusqu'au 26 novembre 2021, date de mise en demeure de payer de M. [C] [K].
M. [C] [K] s'oppose au paiement des intérêts de retard au taux contractuel en se prévalant de l'application du taux légal.
Or, il ressort des conditions contractuelles précitées que des intérêts de retard majorés, correspondant au taux conventionnel de 3,50% majoré de quatre points, sont dûs sur toute somme impayée à son échéance ou à sa date d'exigibilité sans mise en demeure préalable.
Aussi, la CRCAM peut solliciter le paiement d'intérêts de retard au taux majoré de 7,50 % sur la somme de 65 006,63 euros à compter du 11 novembre 2013 jusqu'au 26 novembre 2021, qui sont évalués à hauteur de 31 354,53 euros.
Néanmoins, s'agissant d'une dette de responsabilité extracontractuelle, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement de la dette sociale par M. [C] [K], pris en sa qualité d'associé, consistent dans l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, conformément à l'article 1231-6 du code civil.
Dans ces conditions, la dette sociale de la SCI DECLIC au titre du prêt notarié consenti par la CRCAM le 20 septembre 2010 est évaluée à la somme de 67 152,44 euros au 26 novembre 2021 (69 557,09 - 33 759,18 + 31 354,53), de sorte que M. [C] [K] est redevable de la somme de 33 576,22 euros, à proportion de la part détenue dans le capital social (50 %), qui sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2021.
Sur les demandes accessoires
M. [C] [K] qui succombe à hauteur de cour supportera la charge des dépens d'appel et sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Eu égard à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME partiellement le jugement déféré et, statuant à nouveau,
DECLARE recevable l'action de la Caisse de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges engagée à l'encontre de M. [C] [K],
CONDAMNE M. [C] [K] à payer à la Caisse de Crédit Agricole Mutuel Alsace Vosges la somme de 33 576,22 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2021,
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,
Y ajoutant,
DEBOUTE M. [C] [K] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [C] [K] aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en huit pages.