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04/04/2024 | FRANCE | N°23/00810

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 04 avril 2024, 23/00810


ARRÊT N° /2024

PH



DU 04 AVRIL 2024



N° RG 23/00810 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FFAH







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

21/00127

25 janvier 2023











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



Madame [E] [F] épouse [P]

[Adre

sse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurent BENTZ de la SELARL EPITOGES, avocat au barreau D'EPINAL









INTIMÉE :



S.A.S. TISSAGE MOULINE THILLOT prise en la personne de ses dirigeants pour ce domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN, avocat au barrea...

ARRÊT N° /2024

PH

DU 04 AVRIL 2024

N° RG 23/00810 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FFAH

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPINAL

21/00127

25 janvier 2023

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

Madame [E] [F] épouse [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurent BENTZ de la SELARL EPITOGES, avocat au barreau D'EPINAL

INTIMÉE :

S.A.S. TISSAGE MOULINE THILLOT prise en la personne de ses dirigeants pour ce domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN, avocat au barreau de NANCY substitué par Me BROGARD , avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : WEISSMANN Raphaël

Conseiller : BRUNEAU Dominique

Greffier : RIVORY Laurène (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 18 Janvier 2024 tenue par WEISSMANN Raphaël, Président, et BRUNEAU Dominique , Conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Dominique BRUNEAU et Stéphane STANEK, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 04 Avril 2024 ;

Le 04 Avril 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [E] [P] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société TISSUS GISELE, au sein du groupe INCOPAR, comprenant trois sociétés, à compter du 07 novembre 1994, en qualité d'assistante commerciale.

Par contrat de travail à durée indéterminée du 20 décembre 2019, prenant effet au 1er janvier 2020, Mme [E] [P] a été nommée directrice commerciale export de la société Tissage Mouline Thillot ; elle continuait de partager son temps de travail avec la société FTS (Filatures et Tissages de Saulxures sur Moselotte).

Le contrat de travail prévoyait une reprise de son ancienneté au 07 novembre 1994, date d'embauche au sein de la société TISSUS GISELE, membre du groupe INCOPAR.

Le temps de travail de la salariée était partagé pour moitié entre la société SAS TISSAGE MOULINE THILLOT et la société TISSUS GISELE, en application d'une convention de prêt de main d''uvre à but non lucratif entre les sociétés du groupe INCOPAR.

La convention collective nationale des industries textiles s'applique au contrat de travail.

Par courrier du 18 janvier 2021, Madame [E] [P] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 26 janvier 2021, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 29 janvier 2021, Madame [E] [P] a été licenciée pour faute grave.

Par requête du 16 juillet 2021, Madame [E] [P] a saisi le conseil de prud'hommes d'Epinal, aux fins :

- de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de dire et juger que son licenciement présente un caractère vexatoire,

- de prononcer l'annulation de sa mise à pied conservatoire,

- de condamner la société SAS TISSAGE MOULINE THILLOT à lui verser les sommes suivantes :

- 3 483,90 euros au titre de la mise à pied conservatoire, outre la somme de 348,39 euros au titre des congés payés sur mise à pied à titre conservatoire,

- 33 434,37 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 3 343,43 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 93 616,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 200 000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

- 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes d'Epinal rendu le 25 janvier 2023, lequel a:

- dit et jugé que le licenciement de Madame [E] [P] est fondé sur une faute grave,

- dit et jugé que le licenciement de Madame [E] [P] ne présente aucun caractère vexatoire,

- débouté Madame [E] [P] de ses demandes de rappels de salaire au titre de sa mise à pied conservatoire, préavis et congés payés sur préavis,

- débouté Madame [E] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Madame [E] [P] au paiement de la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Madame [E] [P] aux frais et entiers dépens.

Vu l'appel formé par Madame [E] [P] le 17 avril 2023,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Madame [E] [P] déposées sur le RPVA le 24 octobre 2023, et celles de la société SAS TISSAGE MOULINE THILLOT déposées sur le RPVA le 28 novembre 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 06 décembre 2023,

Madame [E] [P] demande :

- de dire recevable et bien fondé son appel,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit et jugé que le licenciement est fondé sur une faute grave,

- dit et jugé que le licenciement ne présente aucun caractère vexatoire,

- débouté l'appelante de ses demandes de rappels de salaire au titre de sa mise à pied conservatoire, préavis et congés payés sur préavis,

- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

- l'a condamné au paiement de la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamné aux frais et entiers dépens,

Statuant à nouveau,

- de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de dire et juger que son licenciement présente un caractère vexatoire,

- de prononcer l'annulation la mise à pied conservatoire dont elle a fait l'objet,

- de lui allouer les sommes suivantes :

- 3 483,90 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

- 348,39 euros au titre des congés payés sur mise à pied à titre conservatoire,

- 33 434,37 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 3 343,43 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 93 616,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 200 000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

En tout état de cause :

- de condamner la société SAS TISSAGE MOULINE THILLOT à lui verser la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance,

- de condamner la société SAS TISSAGE MOULINE THILLOT à lui verser la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de Cour,

- de condamner la société SAS TISSAGE MOULINE THILLOT aux dépens de première instance et d'appel.

La société TISSAGE MOULINE THILLOT demande :

- de confirmer le jugement entrepris

- de dire et juger que le licenciement de Madame [E] [P] est fondé sur une faute grave,

- de dire et juger que le licenciement de Madame [E] [P] ne présente aucun caractère vexatoire,

- de rejeter les demandes de Madame [E] [P] de ses demandes de rappels de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, préavis et congés payés sur préavis, de dommages et intérêts,

- de débouter Madame [E] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- de condamner Madame [E] [P] au paiement de la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions le montant des indemnités sollicitées,

En tout état de cause :

- de condamner Madame [E] [P] au paiement de la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- de condamner Madame [E] [P] aux frais et entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 28 novembre 2023, et en ce qui concerne la salariée le 24 octobre 2023.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement du 29 janvier 2021 (pièce 4 de Mme [E] [P]) est ainsi rédigée :

"[...]Par décision en date du 22 décembre 2020, le Tribunal de Commerce d'Epinal nous a notifié sa décision concernant la reprise de la société FTS.

La raison de cette notification est liée au fait que FTS avait conclu avec notre groupe une convention de prêt de maind''uvre et de prestation de service.

Ce contrat n'a pas fait partie du périmètre de la reprise par Valrupt et est donc résilié.

Or cette convention impliquait votre mise à disposition en tant que Directrice Commerciale Export.

Votre activité, comme vous le savez, était partagée, pour moitié de votre temps au profit de FTS comme le confirment les plannings hebdomadaires que vous nous avez communiqués.

Cette part d'activité est donc désormais résiliée, du fait de la décision du Tribunal de Commerce.

En conséquence, depuis le 1er janvier, vous revenez donc à 100% de votre temps chez TMT.

Votre contrat de travail implique bien évidemment une loyauté envers votre employeur.

L'entretien informel qui a eu lieu entre nous le mardi 12 janvier avait pour objectif de vous informer de cette situation et de vous prévenir que le CSE sera aussi informé. Il l'a été le vendredi 15 janvier dernier.

Lors de notre entretien du 12 vous n'avez donné aucune information sur vos projets ou sur une autre activité.

Or nous avons appris de source sûre dans l'intervalle que vous aviez signé un mail, au nom de FTV, nouvelle structure ayant repris FTS, pour informer du changement de votre situation et positionner des offres de service.

FTV étant une société contrôlée par Valrupt nous n'avons aucune relation juridique avec elle et elle constitue un tiers concurrent au groupe TMT.

Non seulement vous ne nous avez pas informés de cette situation mais nous constatons que vous avez pris contact en direct dès le 4 janvier avec des tiers en présentant la société FTV et en signant au titre de « global sales « ce qui revient à vous positionner comme chef des ventes.

Vous avez signé ce courrier aux côtés des autres acteurs de FTV et non de façon isolée puisque [H] [Z], nouveau représentant de l'actionnaire de Valrupt et repreneur de FTV signe en qualité de général management et Mr Nader Kiaîe de Sain en tant que "production and technical support management".

Votre rôle est parfaitement officiel et cautionné par le management de cette nouvelle structure.

Or le courrier circulaire a pour objectif de positionner une offre concurrente de celle du groupe TMT auquel vous êtes contractuellement rattachée.

De plus cette offre mentionne un label de "made in France" pour clairement entretenir une comparaison dans l'esprit des clients.

Votre rôle dans cette structure est également officialisé par une boite mail FTV à votre nom et vous avez également communiqué votre numéro de téléphone portable (alors que c'est celui fourni par TMT).

Cette situation vient violer votre contrat de travail au titre de vos obligations de loyauté et de fidélité et de confidentialité :

- vous avez sciemment omis d'évoquer ce sujet alors que je passe très régulièrement dans votre bureau ; votre position était manifestement préméditée de longue date ;

Le fait que les courriers aient été rédigés le 4 janvier le prouve.

- vous avez eu le front de me souhaiter vos v'ux le même 2 janvier "en évoquant nos projets de développement" sans faire encore une fois aucune allusion à votre situation parallèle.

Ce comportement et ces actes trahissent un acte déloyal, contraire à votre contrat et à votre mission et une défiance occulte contraire à vos engagements.

Je suis extrêmement déçu de ce comportement venant d'un cadre, engageant la parole de la société et à qui nous avons fait confiance depuis de nombreuses années.

L'exemplarité dont vous devez faire preuve a été réduite à néant brutalement.

Ces faits sont très graves d'autant plus que vous avez accès à tout notre catalogue de produit, à nos tarifs et nos conditions commerciales et que les clients auxquels vous vous adressez sont les mêmes que les nôtres.

Lors de notre entretien vous avez nié avoir une fonction au sein de FTV, ce qui ne fait qu'aggraver la réalité et vous n'avez pas voulu fournir d'explications.

L'ensemble de ces faits constitue de graves manquements à vos obligations contractuelles et professionnelles

Compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans la société s'avère impossible et nous n'avons d'autre alternative que celle de vous licencier pour faute grave (...)".

La société TMT rappelle que jusqu'au mois de décembre 2020, Mme [E] [P] travaillait pour partie pour la société FTS, dans le cadre d'une convention de prêt de main d'oeuvre.

Elle indique que la salariée connaissait la situation financière délicate de la société FTS, et avait été informée, comme tous les autres cadres du groupe INCOPAR, qu'une unique offre de reprise avait été déposée par la société VALRUPT TGV INDUSTRIES, offre qui n'intégrait pas la reprise de la convention de prêt de main d'oeuvre.

La société TMT estime que, alors que le groupe INCOPAR et la société FTV n'ont aucun lien contractuel, Mme [E] [P] a eu un comportement fautif en :

- cosignant dès le 04 janvier 2021 une lettre circulaire et en adressant un mail au nom et pour le compte de la société FTV, société concurrente

- cachant volontairement ses agissements au Président Général de la société TMT, alors qu'elle avait la possibilité d'évoquer sa situation à différentes reprises depuis le mois de décembre 2022, et encore dernièrement les 12 et 15 janvier 2021.

L'employeur estime que ces agissements constituent de graves manquements à l'obligation de loyauté.

La société TMT souligne que le 11 janvier 2021, Mme [E] [P] a demandé à M. [J] [I], du fait de son recentrage d'activité sur la société TMT, s'il était utile qu'elle continue à lui adresser son emploi du temps comme elle le faisait jusqu'à présent ; elle ajoute que cette habitude de transmission de l'emploi du temps de la salariée avait été instaurée dans la mesure où elle partageait son temps de travail entre la société TMT et la société FTS.

L'intimée estime qu'il s'agit là d'un élément démontrant que Mme [E] [P] savait qu'elle n'avait pas à intervenir pour le compte du repreneur.

Mme [E] [P] souligne que la lettre de licenciement lui reproche un acte de concurrence déloyale par l'envoi d'un mail le 04 janvier 2021, alors que cette même lettre de rupture expose que l'information de la salariée quant à la reprise de la société FTS et la résiliation de la convention de prêt de main d'oeuvre a eu lieu lors d'un entretien informel du 12 janvier 2021, et que le CSE a été informé le 15 janvier 2021.

Elle ajoute que ni le contenu du mail du 04 janvier ni celui du 13 janvier 2021 ne constituent un acte de concurrence déloyale.

Mme [E] [P] expose que ce mail avait uniquement pour but d'informer les clients export de la reprise de la société FTS par la société VALRUPT INDUSTRIES.

L'appelante fait également valoir qu'elle se trouvait en congés puis en RTT du 21 décembre 2020 au 04 janvier 2021, et que dès lors elle n'avait pas été informée de la non-reprise de la convention de prêt de main d'oeuvre entre les sociétés FTS et Tissus Gisèle.

S'agissant de son message du 11 janvier 2021 par lequel elle demandait si elle devait envoyer son emploi du temps, elle explique qu'elle a dû effectuer une journée de télétravail non prévue du fait d'une crevaison d'un pneu de son véhicule.

Elle précise qu'elle ne faisait plus partie du CODIR depuis le transfert de son contrat de travail de TGL à TMT le 1er janvier 2020.

Mme [E] [P] conteste la valeur probante de l'attestation de M. [G], directeur administratif et financier, équivalente à une preuve à soi-même.

Elle fait remarquer qu'une offre d'alternance relative au poste qu'elle occupait était disponible depuis le 28 octobre 2020 sur le site de la société, ce qui semble indiquer, selon l'appelante, que le souhait de longue date de l'employeur était de la remplacer.

Motivation

Aux termes de l'article L1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.

La société TMT reproche à la salariée d'avoir signé une lettre circulaire du 04 janvier 2021 avec les dirigeants de la société FTV, après la cession de cette dernière société à un concurrent, à effet du 1er janvier 2021.

Cette lettre est produite par la société TMT en pièce 9 ; cette pièce n'est pas contestée par Mme [E] [P].

La société TMT précise en page 2 de ses conclusions que le groupe INCOPAR était composé des trois sociétés TMT, TGL (Tissus Gisèle) et FTS, quand Mme [E] [P] a été promue Directrice export au sein de la société Tissus Gisèle.

L'employeur précise encore que la société FTS a été cédée en 2017, sortant ainsi du groupe, mais que Mme [E] [P] a continué à travailler pour la société FTS dans le cadre d'un prêt de main d'oeuvre accordé par la société Tissus Gisèle.

La société TMT indique également que le 20 décembre 2019, un contrat de travail a été établi entre Mme [E] [P] et la société TMT, Mme [E] [P] étant employée en qualité de directrice commerciale export, et que Mme [E] [P] a continué à travailler pour la société FTS ; elle précise que « ses prestations étaient facturées par la société TMT à la société TGL, qui elle-même les refacturait à la société FTS dans le cadre de la convention de prêt de main d'oeuvre » (page 3 de ses écritures).

La situation était donc celle-là, lorsque la cession de la société FTS est intervenue.

Il convient de noter que Mme [E] [P] travaillait au profit de FTS dans le cadre d'un prêt de main d'oeuvre, avant le jugement de cession du Tribunal de commerce du 22 décembre 2020, alors que FTS n'appartenait plus au groupe INCOPAR depuis 2017.

Mme [E] [P] affirme qu'elle n'avait pas eu connaissance de la fin de la convention de prêt de main d'oeuvre la concernant, du fait de la cession de FTS par jugement précité du 22 décembre 2020.

La société TMT affirme qu'elle en avait connaissance, et indique que la fin de ce prêt de main d'oeuvre est expressément indiqué par le jugement.

Le jugement du tribunal de commerce, produit en pièce 7 par l'intimée, ne précise nullement « expressément » la fin du prêt de main d'oeuvre.

La société TMT renvoie également à sa pièce 23, attestation de M. [Y] [G], directeur administratif et financier de la société TISSUS GISELE, qui explique avoir « demandé confirmation lors de l'audience du tribunal de commerce de la poursuite ou non de cette convention ».

Le jugement fait effectivement état de son intervention en page 7 : « L'administrateur judiciaire a indiqué à M. [G], représentant les cocontractants TISSUS GISELE, TISSAGE MOULINE THILLOT SAS et LE DRAP FRANCAIS, que les contrats les liant avec la société débitrice ne seraient pas repris dans l'hypothèse où le tribunal arrêterait le plan de cession ».

Il n'est donc pas expressément fait état de la convention de prêt de main d'oeuvre.

M. [G] indique également dans son attestation « A l'issue de cette audience, Madame [E] [P], comme tous les autres cadres du groupe, a eu connaissance que FTS sortait du périmètre contractuel et que le repreneur était un concurrent de notre groupe ».

M. [G] ne précise pas comment Mme [E] [P] aurait eu connaissance de cette sortie « du périmètre contractuel », alors que l'employeur ne conteste pas que Mme [E] [P] était en congés du 21 décembre 2020 au 04 janvier 2021.

La société TMT ne produit aucune pièce justifiant de l'information faite aux cadres, mentionnée par M. [G].

La société TMT renvoie également à ses pièces :

- 8 (sms de Mme [E] [P] du 02 janvier 2021, par lequel Mme [E] [P] présente ses v'ux au directeur général de TMT) ; la phrase « En espérant de retrouver rapidement une stabilité économique en 2021 afin de pouvoir enfin avancer sur les projets de développement pour TMT » ne permet pas de déduire, comme entend le faire l'intimée que « Madame [E] [P] savait depuis novembre 2020 qu'elle devait désormais travailler uniquement pour la société TMT et, à ce titre, s'inscrivait dans ce recentrage d'activité » (page 5 de ses écritures).

- 24 et 25, mail du 26 novembre 2020 et factures de déplacement de Mme [E] [P], pièces qui n'établissent pas la connaissance par la salariée de la fin de sa mise à disposition

- 26, attestation de M. [T] [D], responsable RH de FTS jusqu'au mois de décembre 2020, qui indique « Mme [P] [E] était parfaitement au courant que l'offre de reprise du groupe VLAMON excluait la reprise de la convention de prêt de main d'oeuvre et donc la fin de ses interventions parce que nous en avions discuté à différentes reprises »

- 29, attestation de M. [J] [I], directeur général de la société TMT ; cette attestation, émanant de l'employeur, ne peut être considérée comme impartiale et donc probante

- 28, un mail de Mme [E] [P] du 11 janvier 2021, adressé à M. [J] [I], par lequel elle l'informe qu'elle est obligée de télétravailler car son véhicule a un pneu crevé ; elle lui demande « Est-ce que je te fais toujours parvenir mon planning de la semaine comme tu me le demandais chaque semaine ' »

Cette question est trop imprécise pour en tirer la conclusion qu'en donne la société TMT, à savoir qu'elle manifesterait la connaissance de Mme [E] [P] de ce qu'elle n'avait plus à partager son temps de travail entre les deux sociétés.

Si l'attestation en pièce 26 précitée affirme, mais sans donner plus de précision ni de date ni de circonstances, que la salariée savait que la convention de prêt de main d'oeuvre prendrait fin à la cession de TMT, il convient de noter, comme le fait Mme [E] [P], que dans la lettre de licenciement il est fait état d'un entretien informel du 12 janvier qui avait pour objectif de l'informer de ce qu'elle était désormais employée à plein temps par TMT : « En conséquence, depuis le 1er janvier, vous revenez donc à 100% de votre temps chez TMT. Votre contrat de travail implique bien évidemment une loyauté envers votre employeur.

L'entretien informel qui a eu lieu entre nous le mardi 12 janvier avait pour objectif de vous informer de cette situation et de vous prévenir que le CSE sera aussi informé. Il l'a été le vendredi 15 janvier dernier.

Lors de notre entretien du 12 vous n'avez donné aucune information sur vos projets ou sur une autre activité. »

Il découle de ces énonciations que l'information selon laquelle elle ne travaillerait plus pour TMT lui a été donnée le 12 janvier 2021.

Compte tenu de ces éléments, la société TMT ne rapporte pas la preuve de l'acte déloyal qu'il est reproché à Mme [E] [P] d'avoir commis le 04 janvier 2021.

Le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera réformé en ce qu'il a validé le licenciement.

Sur les conséquences financières du licenciement

- sur le salaire pendant la mise à pied, l'indemnité de préavis et l'indemnité de licenciement

Mme [E] [P] réclame 3 483,90 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire, 348,39 euros au titre des congés payés afférents, une indemnité compensatrice de préavis de 33 434,37 euros, 3 343,43 euros au titre des congés payés afférents et 93 616,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

La société TMT s'oppose aux demandes en faisant valoir que le licenciement pour faute grave est fondé.

Motivation

En application des articles L1234-5, L1234-9, et L1235-3 du code du travail, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement, et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Si une mise à pied conservatoire a été prononcée, sa remise en cause entraîne un rappel de salaire pour la durée correspondante.

En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent que le licenciement de Mme [E] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; ses demandes sont dès lors fondées en leur principe.

A défaut de contestation subsidiaire de leurs montants par la société TMT, il sera fait droit aux différentes demandes.

- sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et vexatoire

Mme [E] [P] réclame à ce titre 200 000 euros.

Elle explique avoir été mise à pied pendant 15 jours, avoir dû quitter ses fonctions du jour au lendemain, et n'avoir retrouvé un emploi qu'après plusieurs mois de chômage.

Elle souligne qu'elle avait plus de 26 ans d'ancienneté sans aucun passé disciplinaire.

Mme [E] [P] précise avoir été embauchée en CDI à compter du 07 juin 2021, mais que sa rémunération a baissé : elle est passée de 8 335 euros bruts et un avantage en nature pour véhicule de fonction de 440 euros, à 4 416,66 euros bruts et 156,03 euros d'avantage en nature pour mise à disposition d'un véhicule.

La société TMT estime que l'appelante ne peut prétendre avoir subi de préjudice tel qu'il justifierait 200 000 euros de dommages et intérêts, montant largement supérieur au plafond de l'article L1235-3 du code du travail.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans les tableaux intégrés à l'article, dont le second concerne les entreprises employant habituellement moins de 11 salariés.

En l'espèce, Mme [E] [P] avait plus de 26 ans d'ancienneté au jour de la rupture.

Son ancienne rémunération n'est pas contestée.

Elle produit en pièce 15 son bulletin de paie de novembre 2021 ; sa rémunération est de 4572,69 euros (avantage en nature compris).

Elle a été embauchée le 07 juin 2021 (pièce 14).

Compte tenu de ces éléments, il sera fait droit à sa demande à hauteur de 110 000 euros.

Mme [E] [P] ne produit aucun élément justifiant d'un caractère vexatoire du licenciement ; elle sera donc déboutée de toute demande à ce titre.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Aux termes de l'article L1235-4 du code du travail, notamment en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Les conditions d'application de l'article L1235-4 du code du travail étant remplies, il y a lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné les indemnités de chômage qui ont pu être effectivement payées au salarié à la suite de son licenciement jusqu'au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant à l'instance, la société TMT sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Elle sera également condamnée à payer à Mme [E] [P] 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Epinal le 25 janvier 2023 ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Mme [E] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société TISSAGE MOULINE THILLOT (TMT) à payer à Mme [E] [P]:

- 3 483,90 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

- 348,39 euros au titre des congés payés sur mise à pied à titre conservatoire,

- 33 434,37 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 3 343,43 euros au titre des congés payés sur préavis,

- 93 616,24 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 110 000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

Y ajoutant,

Condamne la société TISSAGE MOULINE THILLOT (TMT) à rembourser à l'organisme concerné les indemnités de chômage qui ont pu être effectivement payées à la salariée à la suite de son licenciement jusqu'au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois ;

Condamne la société TISSAGE MOULINE THILLOT (TMT) à payer à Mme [E] [P] 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel ;

Condamne la société TISSAGE MOULINE THILLOT (TMT) aux dépens de première instance et d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël Weissmann, Président de Chambre et par Madame Laurène Rivory, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Minute en treize pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 23/00810
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.00810 ?
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