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04/04/2024 | FRANCE | N°22/02782

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 04 avril 2024, 22/02782


ARRÊT N° /2024

PH



DU 04 AVRIL 2024



N° RG 22/02782 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FC4B







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BAR LE DUC

F 22/00014

08 novembre 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANT :



Monsieur [R] [V]

[Adresse

1]

[Localité 2]

Représenté par Me Theo HEL de la SELARL SELARL CONSEIL ET DEFENSE DU BARROIS, avocat au barreau de la MEUSE









INTIMÉE :



S.C.A. UNION LAITIERE DE LA MEUSE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Sop...

ARRÊT N° /2024

PH

DU 04 AVRIL 2024

N° RG 22/02782 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FC4B

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BAR LE DUC

F 22/00014

08 novembre 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [R] [V]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Theo HEL de la SELARL SELARL CONSEIL ET DEFENSE DU BARROIS, avocat au barreau de la MEUSE

INTIMÉE :

S.C.A. UNION LAITIERE DE LA MEUSE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Sophie VINCENT de la SELAS SELAS CAYOL CAHEN TREMBLAY & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 21 Décembre 2023 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 21 Mars 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 04 avril 2024 ;

Le 04 Avril 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [R] [V] a été engagé sous contrat de travail à durée déterminée, par la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE (société ULM) à compter du 01er octobre 2012, en qualité de chauffeur laitier.

A compter du 01er janvier 2013, la relation contractuelle s'est poursuivie sous contrat à durée indéterminée.

La convention collective nationale des coopératives agricoles laitières s'applique au contrat de travail.

Par courrier du 02 juin 2021 et un courrier du 19 octobre 2021, Monsieur [R] [V] s'est vu notifier des reproches, dont la nature est discutée par les parties.

Par courrier du 19 octobre 2021 remis en main propre, Monsieur [R] [V] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 08 novembre 2021, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 15 novembre 2021, Monsieur [R] [V] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 14 avril 2022, Monsieur [R] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bar-le-Duc, aux fins :

- d'annuler les rappels à l'ordre du 02 juin 2021 et du 19 octobre 2021,

- d'annuler la mise à pied du 19 octobre 2021 au 15 novembre 2021,

- de dire son licenciement pour faute grave sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société SCA UNION LATIERE DE LA MEUSE au paiement des sommes suivantes :

- 1 500,00 euros de dommages et intérêts,

- 5 490,88 euros à titre d'indemnité de préavis, outre la somme de 549,09 euros de congés payés sur préavis,

- 6 291,63 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 24 708,96 euros de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- 2 534,20 euros de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire, outre la somme de 253,42 euros de congés payés afférents,

- 1 500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- de dire que son salaire de référence est de 2 745,44 euros et que son ancienneté est fixée à hauteur de 9 ans et 2 mois,

- d'ordonner la remise de l'attestation Pôle Emploi conforme au jugement à intervenir, sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard passé le délai de 1 mois suivant la notification de la décision et réserver au conseil le droit de liquider l'astreinte,

- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Bar-le-Duc rendu le 08 novembre 2022, lequel a :

- dit que le licenciement de Monsieur [R] [V] est un licenciement pour faute grave,

- débouté Monsieur [R] [V] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE de sa demande d'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [R] [V] aux entiers dépens de l'instance.

Vu l'appel formé par Monsieur [R] [V] le 09 décembre 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [R] [V] déposées sur le RPVA le 18 octobre 2023, et celles de la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE déposées sur le RPVA le 21 novembre 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 06 décembre 2023,

Monsieur [R] [V] demande :

- de dire et juger que l'appel est recevable et bien fondé,

- d'infirmer la décision rendue par le conseil de prud'homme de Bar le Duc le 08 novembre 2022 en ce qu'elle a :

- dit que le licenciement est un licenciement pour faute grave,

- débouté l'intéressé de l'ensemble de ses demandes,

- condamné l'appelant aux entiers dépens de l'instance,

Statuant de nouveau :

- d'annuler les rappels à l'ordre du 02 juin 2021 et du 19 octobre 2021,

- de constater que le licenciement n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse,

- d'annuler la mise à pied du 19 octobre 2021 au 15 novembre 2021,

- de dire et juger que le salaire de référence est de 2 745,44 euros,

- de dire et juger que l'ancienneté du salarié est de 9 ans et 2 mois ;

- de condamner la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE à lui payer les sommes suivantes :

- 1 500,00 euros à titre de dommages et intérêts,

- 5 490,88 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 549,09 euros au titre des congés payés afférents

- 6 291,63 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 24 708,96 euros de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- 2 534,20 euros de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire,

- 253,42 euros de congés payés afférents,

- de condamner la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE à lui remettre une attestation Pôle Emploi conforme à la décision à intervenir, sous astreinte d'un montant de 50,00 euros par jour de retard passé un délai de 1 mois commençant à compter de la notification de la décision,

- de condamner la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE à lui payer la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE aux dépens.

La société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE (société ULM) demande :

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bar-le-Duc du 08 novembre 2022 en toutes ses dispositions,

- de débouter Monsieur [R] [V] de toutes ses demandes,

- de condamner Monsieur [R] [V] au paiement d'une somme de 3 000,00 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [R] [V] aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 21 novembre 2023, et en ce qui concerne le salarié le 18 octobre 2023.

Sur la demande d'annulation des rappels à l'ordre des 02 juin et 19 octobre 2021

La lettre du 02 juin 2021 (pièce 6 de l'employeur) indique :

« Monsieur,

Vendredi 14 mai au matin, vous nous avez signalé que vous avez roulé la porte arrière ouverte, suite à un « oubli » de votre part.

Le tuyau de pompage s'est déroulé sur la route, entraînant la perte de l'embout de canne suceuse et l'usure prématurée du tuyau de pompage, sans compter les risques de provoquer des accidents.

Par ailleurs, nous avons dû vous ramener à Dieue un embout de canne suceuse, dans l'urgence. Nous appliquerons le retrait prévu sur la prime qualité.

Nous vous rappelons à nouveau qu'il est formellement interdit de rouler la porte ouverte, même sur très courte distance.

Dans le cas où ce genre d'évènement se reproduit, nous serons amenés à vous sanctionner (...) »

La lettre du 19 octobre 2021 (pièce 7 de l'employeur) indique :

« Ce courrier est un compte rendu de l'entretien que nous avons eu ensemble ce matin au sujet notamment de vos absences inopinées constatées à l'occasion de modification d'horaires ou de souplesses demandées lorsque nous sommes en difficulté de gestion des plannings des tournées.

Nous vous demandons d'être attentif à nos difficultés et de ne pas user abusivement de motifs d'absences particulièrement en envoyant tardivement vos justificatifs d'arrêt (après la prescription figurant au règlement intérieur) et surtout sans prévenir directement votre hiérarchie pour qu'elle puisse s'organiser. Ceci est particulièrement préjudiciable à l'organisation du travail dans les équipes.

Vous nous avez fait état de difficultés d'ordre personnel qui depuis le mois de mars soit 7 mois viennent considérablement interférer dans votre relation avec votre employeur. Lorsqu'on vous interroge, vous êtes souvent dans une mauvaise disposition liant votre attitude à vos difficultés personnelles.

Nous serons vigilants sur ce point. En cas de récidive, nous serons amenés à prendre des sanctions disciplinaires plus significatives. En fin d'entretien, vous nous confirmez que vous allez faire des efforts sur ce point. »

M. [R] [V] fait valoir, s'agissant du premier courrier, que l'alarme de sécurité n'a pas fonctionné, pour signaler que la porte arrière du camion était ouverte ; il estime donc que l'incident est de la responsabilité de l'employeur, à qui incombe l'entretien du matériel.

Il considère que cette lettre constitue un avertissement, notamment en ce que l'employeur indique que les faits reprochés feront l'objet d'un retrait sur la prime qualité, ce qui constitue une conséquence sur la rémunération.

S'agissant du deuxième courrier, il fait valoir que l'employeur lui reproche de ne pas se rendre disponible, alors que la société ULM modifiait régulièrement et au dernier moment son planning. Il ajoute que l'existence d'arrêt de travail ayant un motif médical n'est pas contestée.

La société ULM affirme que le premier courrier constitue un simple rappel à l'ordre, et ne constitue pas une sanction.

En ce qui concerne le second courrier, l'employeur explique qu'il s'agissait de demander à M. [R] [V] de se montrer plus rigoureux lors de ses absences, prévenir en temps utile et transmettre ses justificatifs dans les délais, afin de ne pas désorganiser les équipes et les plannings.

La société ULM estime qu'il s'agit d'un rappel à l'ordre.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article L1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

L'article L1333-1 du même code dispose qu'en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

- sur la lettre du 02 juin 2021

M. [R] [V] ne conclut pas sur la validité du retrait sur prime annoncé dans la lettre du 02 juin 2021, mais souligne qu'il s'agit d'une conséquence sur la rémunération, entraînant la qualification de sanction.

La société ULM ne conclut pas sur ce retrait de prime.

Il résulte des dispositions de l'article L1331-1 précité qu'une mesure affectant la rémunération du salarié, à la suite d'un événement considéré par l'employeur comme fautif, constitue une sanction.

La lettre du 02 juin 2021 fait grief à M. [R] [V] d'avoir roulé avec la porte arrière du camion ouverte, fait que l'employeur considère donc comme fautif, et lui annonce en conséquence un retrait sur sa prime qualité, dont il n'est pas contesté qu'elle constitue une partie de la rémunération.

La lettre du 02 juin 2021 constitue donc une sanction au regard de l'article L1331-1 du code du travail.

La société ULM produit aux débats en pièce 10 la fiche d'entretien du camion de M. [R] [V], qui justifie que l'entretien a été réalisé le 21 mars 2021 et le 02 juin 2021. Aucun dysfonctionnement n'y est indiqué.

Si aucune rubrique ne concerne spécifiquement l'alarme de porte arrière, comme le fait valoir M. [R] [V], il convient de noter avec la société ULM que sur cette fiche l' « éclairage et signalisation » et « les voyants » sont vérifiés en « électricité », alors que M. [R] [V] ne produit aucune pièce à l'appui de ses arguments.

Compte tenu de ces éléments, la sanction du 02 juin 2021 ne sera pas annulée.

- sur la lettre du 19 octobre 2021

La société ULM explique que ce courrier n'est qu'un rappel à l'ordre.

La société ULM affirme que M. [R] [V] ne prévenait pas au plus vite son supérieur hiérarchique, provoquant ainsi des désorganisations répétées dans les plannings.

Elle ajoute qu'elle recevait tardivement les arrêts de travail lors de ses absences.

Elle renvoie à sa pièce 11 « tableau Excel récapitulatif absences », et renvoie également aux pièces adverses 17 et 16.

M. [R] [V] affirme que cette lettre constitue une sanction.

M. [R] [V] souligne que la lettre du 19 octobre 2021 lui reproche des arrêts de travail, mais non d'en justifier tardivement.

Il ajoute qu'il a toujours prévenu en temps utile, et fait valoir que l'existence d'un motif médical n'est pas contesté.

Il indique également que l'employeur ne justifie pas d'un préjudice.

Motivation

La lettre du 19 octobre 2021 précise in fine « En cas de récidive, nous serons amenés à prendre des sanctions disciplinaires plus significatives » ; elle constitue donc un premier niveau de sanction, donc un avertissement.

La pièce 11 de la société ULM n'est que la liste des absences de M. [R] [V], avec leur durée, entre février 2020 et septembre 2021.

Cette pièce ne justifie pas des griefs contenus dans la lettre, soit un retard de prévenance et de justificatif.

La pièce 16 de M. [R] [V] est le mail du 13 mars 2021 par lequel son épouse adresse à l'employeur l'arrêt de travail du salarié, signé par le médecin le 11 mars 2023.

Cet envoi respecte les 48 heures indiquées par la société ULM dans ses écritures pour l'envoi du justificatif d'arrêt, et ne justifie pas du grief de prévenance tardive de l'employeur.

La pièce 17 de M. [R] [V], à laquelle renvoie également la société ULM, est le mail du 16 février 2022 par lequel l'épouse de M. [R] [V] adresse à l'employeur l'arrêt de travail de son mari, signé par le médecin le 12 février 2021.

Si cet envoi ne respecte pas le délai de 48 heures invoqué dans ses écritures par la société ULM, cette pièce ne justifie cependant pas de ce que la société ULM aurait été prévenue tardivement de l'indisponibilité de M. [R] [V], distincte de l'envoi du justificatif.

Par ailleurs, ce fait est postérieur de plus de deux mois à l'avertissement du 19 octobre 2021, de sorte qu'il est prescrit.

Dans ces conditions, l'avertissement n'étant pas justifié, il sera annulé.

Sur la demande de dommages et intérêts

M. [R] [V] réclame 1500 euros à titre de dommages et intérêts, expliquant avoir fait l'objet de deux sanctions injustifiées, et avoir souffert psychologiquement de la situation.

La société ULM ne conclut pas sur ce point.

Motivation

Il résulte des dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile qu'il appartient à l'auteur d'une prétention de la motiver et de la justifier.

En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent qu'il ne sera fait droit qu'à l'une des deux demandes de M. [R] [V] d'annulation d'avertissement, l'une des deux sanctions subsistant donc.

Par ailleurs, M. [R] [V] ne renvoie à aucune pièce pour justifier du préjudice moral qu'il invoque.

Dans ces conditions, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement du 15 novembre 2021 (pièce 9 de la société ULM) indique :

« (...) Vous avez été convoqué par lettre remise en mains propres du 19/10/20201 à un entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement.

Vous vous êtes présenté à cet entretien qui s'est tenu le 08/11/2021, assisté de Monsieur [E] [M], représentant du personnel.

Vous êtes entré dans nos effectifs depuis le 01/10/2012 et occupez en dernier lieu le poste de Chauffeur.

Nous vous rappelons les faits qui nous ont conduits à engager cette procédure disciplinaire à votre encontre, avec une mise à pied à titre conservatoire.

Le 16/10/2021, au retour de tournée, vous avez lavé le véhicule à l'extérieur de la station de lavage. Cette opération est strictement interdite.

Nous avons été alertés par le Directeur d'exploitation qui vous a intercepté le lendemain pour connaître les raisons de cette man'uvre.

Or, vous ne pouvez pas ignorer que vous avez l'obligation de laver votre ensemble avec le karcher de nettoyage et le savon spécifique.

Ce nettoyage doit être impérativement réalisé dans l'aire de lavage et non à côté, afin de garantir un traitement de ces eaux de lavage, et non une évacuation avec les eaux courantes qui, elles, sont rejetées directement dans la Meuse.

Or, le savon a atterri dans les eaux pluviales, qui se sont déversées dans la Meuse, avec une pollution directe et donc un risque de mise en demeure et d'engagement de sanction pénales pour pollution environnementale.

Vous nous expliquez qu'après le dépotage, vous êtes arrivé derrière un collègue pour laver le véhicule. Pour gagner du temps, vous avez décidé de mettre de la mousse sur la cabine et sur la remorque, mais à l'extérieur de l'aire de lavage. Vous nous affirmez ne pas savoir que vous pouviez polluer la station, et que des collègues de production vous auraient vu faire et vous auraient laissé faire. Même si aucun affichage n'est fait sur l'utilisation du produit, vous saviez que vous faisiez une opération hors zone.

Vous reconnaissez être parfaitement au fait de la consigne qui impose le lavage uniquement dans la zone prévue à cet effet, zone identifiée et connue de vous. Vous admettez votre faute quant au non-respect de cette consigne, même si vous niez connaître la dangerosité du produit.

L'image de marque de la société ainsi que les risques encourus ne sont pas acceptables.

Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que vous êtes convoqué pour des faits où le manque de vigilance, le non-respect de consignes ou de règles élémentaires liées à votre métier, et la non prise en compte des conséquences de vos actes ont dû être relevés.

Nous devons arriver à la conclusion que votre fiabilité au poste, que votre professionnalisme et votre degré d'autonomie ne sont pas en adéquation avec les exigences du poste.

Votre attitude laxiste et votre volonté manifeste d'ignorer les règles qui régissent notre activité, causent un trouble important pour l'entreprise.

Dans ces conditions, nous ne voyons pas d'autre alternative que de rompre votre contrat de travail, pour non-respect des règles et prise de risque en cas de non-respect des consignes, lequel motif constitue une faute grave.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement à la date d'envoi de la présente lettre et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis ni de licenciement (') »

La société ULM expose que tout chauffeur de la société doit effectuer quotidiennement le lavage intérieur de la cuve et le lavage extérieur du camion.

Elle explique que lors de sa formation M. [R] [V] a été sensibilisé à ce nettoyage, prévu dans le manuel chauffeur.

La société ULM précise qu'il existe une zone de nettoyage spécifique, avec un système de récupération des eaux de lavage pour traitement.

L'employeur indique également que le produit de nettoyage ne doit pas être répandu dans l'environnement.

M. [R] [V] affirme ne pas avoir eu connaissance du caractère impératif du lavage extérieur dans la zone dédiée, et qu'il n'est pas démontré que le manuel lui a été remis, ni affiché.

Il ajoute que la zone dédiée invoquée par la société ULM ne concerne que le nettoyage intérieur, et non le nettoyage extérieur du camion.

Le salarié indique également qu'il n'est pas démontré que les eaux usées se sont répandues dans la Meuse, et que la nature du produit qu'il a utilisé n'est pas justifiée.

Motivation

Aux termes de l'article L1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, la société ULM renvoie à ses pièces 23 (attestation des formations de M. [R] [V]), 12 (manuel du chauffeur 2017), 13 (manuel du chauffeur 2020 page 24), 24 (manuel du chauffeur 2020) et 18 (plan du site de l'usine) pour tenter de démontrer le non-respect de l'obligation de lavage du camion dans la station de lavage.

Aucune des pièces précitées n'établit cette obligation ; aucune ne mentionne cette station de lavage ; seule la pièce 18 (plan du site) la fait apparaître.

Sur le grief de pollution, la société ULM renvoie à ses pièces 21 (fiche produit de lavage CLINT KF 200), 26 (commandes d'achat de produit lavant pour camion 2020/2021), 22 (carte google maps localisant le site de la coopérative par rapport à la Meuse), 27 et 28 (photographies aériennes du site par rapport à la Meuse).

Aucune de ces pièces n'établit la réalité de la pollution reprochée.

Dans ces conditions, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera réformé en ce qu'il a validé le licenciement.

Sur les conséquences financières du licenciement

En application des articles L1234-5, L1234-9, et L1235-3 du code du travail, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement, et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En outre, M. [R] [V] ayant été mis à pied à titre conservatoire, il peut prétendre à un rappel de salaire pour cette période.

- sur le salaire de référence et l'ancienneté :

M. [R] [V] affirme que son salaire de référence est de 2 745,44 euros, et que son ancienneté est de 9 ans et 2 mois.

La société ULM indique accepter l'ancienneté revendiquée ; elle affirme que le salaire de référence est de 2 711,51 euros.

Motivation

L'article R. 1234-4 du code du travail dispose que le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1o Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;

2o Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion. »

M. [R] [V] n'explique pas la manière dont il obtient le salaire de référence qu'il revendique.

La société ULM explique se baser sur les salaires des douze derniers mois de travail, de novembre 2020 à novembre 2021.

M. [R] [V] produit en pièces 12 ses bulletins de paie de janvier 2020 à novembre 2021.

La société ULM produit en pièces 15 les bulletins de paie de novembre 2020 à novembre 2021.

Le licenciement étant intervenu le 15 novembre 2021, il convient de prendre en compte les douze mois entiers précédents, soit du mois d'octobre 2020 au mois d'octobre 2021.

Le calcul effectué sur la base des cumuls mensuels bruts sur ces douze mois aboutissant à un salaire moyen supérieur à celui revendiqué par M. [R] [V], il sera retenu le salaire de référence qu'il sollicite de voir prendre en compte.

- sur le rappel sur mise à pied

M. [R] [V] réclame à ce titre 2 534,20 euros, outre 253,42 euros pour les congés payés afférents.

La société ULM sollicite que l'appelant soit débouté de cette demande, au motif du licenciement pour faute grave

Motivation

Le licenciement étant non fondé, et le quantum de la demande n'étant pas contesté à titre subsidiaire par la société ULM, il sera fait droit à la prétention.

- sur l'indemnité compensatrice de préavis

M. [R] [V] réclame la somme de 5 490,88 euros, outre 549,09 euros pour l'indemnité de congés payés afférents.

La société ULM s'oppose à la demande en son principe, et en son quantum, estimant que le salaire de référence est de 2 711,51 euros.

Motivation

Il résulte des développements qui précèdent que le principe du droit à l'indemnité de préavis est acquis, le licenciement n'étant pas fondé.

Il en résulte également que le salaire de référence à prendre en compte est celui revendiqué par M. [R] [V].

Il sera donc fait droit à sa demande, calculée sur ce salaire de référence, pour une durée de préavis de deux mois, non contestée par l'employeur.

- sur l'indemnité de licenciement

M. [R] [V] réclame à ce titre 6 291,63 euros.

La société ULM s'oppose à la demande en son principe, et en son quantum, estimant que le salaire de référence est de 2 711,51 euros.

Motivation

Il résulte des développements qui précèdent que le principe du droit à l'indemnité de licenciement est acquis, ce dernier n'étant pas fondé.

Il en résulte également que le salaire de référence à prendre en compte est celui revendiqué par M. [R] [V].

Il sera donc fait droit à sa demande, calculée sur ce salaire de référence, le quantum de la prétention n'étant pas autrement contesté par l'employeur.

- sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [R] [V] réclame 24 708,96 euros de dommages et intérêts.

Il indique avoir perçu des indemnités de chômage du 23 décembre 2021 au 27 mars 2023, date de la signature d'un contrat de travail ' CDI.

La société ULM ne conclut pas sur ce point.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans les tableaux intégrés à l'article, dont le second concerne les entreprises employant habituellement moins de 11 salariés.

En l'espèce, la demande n'étant pas contestée dans son quantum par la société ULM, il y sera fait droit.

Sur la demande de communication d'une attestation Pôle Emploi (France Travail) rectifiée

En application des articles L1121-16 et L1234-19 du Code du travail, il sera fait droit à la demande, à l'exception de l'astreinte, celle-ci n'apparaissant pas justifiée.

Sur la condamnation au remboursement des indemnités versées par France Travail

Aux termes des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Les conditions d'application de l'article L.1235-4 du Code du travail étant remplies, il y a lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur à France Travail des indemnités de chômage qui ont éventuellement été versées au salarié à la suite de son licenciement dans la limite de 3 mois. 

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant à l'instance, la société ULM sera condamnée aux dépens, en ce compris les dépens de première instance, et sera condamnée à payer à M. [R] [V] 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bar-le-Duc le 08 novembre 2022 en ce qu'il a débouté M. [R] [V] de sa demande d'annulation de la sanction du 02 juin 2021, et de sa demande subséquente de dommages et intérêts ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau dans ces limites,

Annule l'avertissement du 19 octobre 2021 ;

Dit que le salaire de référence de M. [R] [V] est de 2 745,44 euros ;

Dit que le licenciement de M. [R] [V] prononcé le 15 novembre 2021 est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE à payer à M. [R] [V]:

- 5 490,88 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 549,09 euros au titre des congés payés afférents

- 6 291,63 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 24 708,96 euros de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- 2 534,20 euros de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire,

- 253,42 euros de congés payés afférents ;

Condamne la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE à remettre à M. [R] [V] une attestation France Travail conforme au présent arrêt ;

Y ajoutant,

Condamne la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE à rembourser à France Travail les indemnités de chômage versées à M. [R] [V] à la suite de son licenciement, dans la limite de 3 mois d'indemnités ;

Condamne la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE à payer à M. [R] [V] 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société SCA UNION LAITIERE DE LA MEUSE aux dépens de première instance et d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en quatorze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/02782
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;22.02782 ?
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