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04/04/2024 | FRANCE | N°22/02163

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 04 avril 2024, 22/02163


ARRÊT N° /2024

PH



DU 04 AVRIL 2024



N° RG 22/02163 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FBQW







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERDUN

21/00026

12 septembre 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



S.C.A. EMC2 prise en la personne de

son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Bertrand FOLTZ de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY









INTIMÉ :



Monsieur [P] [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Jacques ADAM, avocat au barreau de PARIS









...

ARRÊT N° /2024

PH

DU 04 AVRIL 2024

N° RG 22/02163 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FBQW

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERDUN

21/00026

12 septembre 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.C.A. EMC2 prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Bertrand FOLTZ de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉ :

Monsieur [P] [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Jacques ADAM, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 21 Décembre 2023 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 21 Mars 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 04 avril 2024 ;

Le 04 Avril 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES.

M. [P] [I] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la SCA EMC2 à compter du 01 janvier 2009, avec reprise d'ancienneté au 01 juillet 1991.

Au dernier état de ses fonctions, le salarié occupait le poste de directeur adjoint et responsable de la région Sud, à compter du 01 septembre 2016.

L'accord paritaire national pris en son avenant n°12 du 16 juin 2016 s'applique au contrat de travail.

Par courrier du 17 février 2021, M. [P] [I] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 04 mars 2021, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 21 février 2021, il a contesté sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 23 février 2021, le salarié s'est vu confirmer sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 09 mars 2021, M. [P] [I] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 07 mai 2021, M. [P] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Verdun, aux fins :

- de voir dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de voir condamner la SCA EMC2 à lui verser les sommes de:

- 250 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement, la somme de 125 865,00 euros,

- 95 904,00 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 33 066,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 3306,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 1 721,37 euros à titre de rappel sur mise à pied à titre conservatoire, outre la somme de 172,13 euros à titre de congés payés sur mise à pied,

- 4 306,80 euros à titre de rappel sur 13ème mois,

- 37 760,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

- 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- d'ordonner l'exécution provisoire sur l'ensemble de la décision à intervenir,

- d'appliquer les intérêts au taux légal.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Verdun rendu le 12 septembre 2022 qui a:

- dit que le licenciement de M. [P] [I] est sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence :

- condamné la SCA EMC2 à payer à M. [P] [I] les sommes de:

- 95 904,00 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 33 066,00 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 3 306,60 euros au titre des congés payés y afférents,

- 94 398,75 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base de 30 années d'ancienneté,

- 18 880,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

- 1 721,31 euros à titre d'indemnité de rappel pour mise à pied,

- 172,13 euros au titre des congés payés y afférents,

- débouté M. [P] [I] de sa demande de rappel de 13ème mois,

- condamné la SCA EMC2 à verser à M. [P] [I] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge de chacune des parties,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Vu l'appel formé par la société SCA EMC2 le 28 septembre 2022,

Vu l'appel incident formé par M. [P] [I] le 14 mars 2023,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société SCA EMC2 déposées sur le RPVA le 07 novembre 2023, et celles de M. [P] [I] déposées sur le RPVA le 30 novembre 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 06 décembre 2023,

La société SCA EMC2 demande à la cour:

- de déclarer recevable et bienfondé l'appel interjeté,

En conséquence :

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé le licenciement de M. [P] [I] sans cause réelle et sérieuse,

- l'a condamnée à lui verser les sommes de:

- 95 904,00 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 33 066,00 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 3 306,60 euros au titre des congés payés y afférents,

- 94 398,75 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base de 30 années d'ancienneté,

- 18 880,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

- 1 721,31 euros à titre d'indemnité de rappel pour mise à pied,

- 172,13 euros au titre des congés payés y afférents,

- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

- de constater que le licenciement pour faute grave est justifié,

- de débouter M. [P] [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner M. [P] [I] à lui verser la somme de 4 000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de laisser les entiers frais et dépens à la charge de M. [P] [I].

M. [P] [I] demande à la cour:

- de déclarer la SCA EMC2 irrecevable et mal fondée en son appel et l'en débouter,

- de faire droit à son appel incident,

- en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCA EMC2 à lui payer les sommes de :

- 95 904,00 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 33 066,00 euros à titre d'indemnité de préavis,

- 3 306,60 euros au titre des congés payés y afférents,

- 1 721,31 euros à titre d'indemnité de rappel pour mise à pied,

- 172,13 euros au titre des congés payés y afférents,

- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de l'infirmer partiellement pour le surplus,

- de condamner la SCA EMC2 à verser à M. [P] [I] les sommes suivantes :

- 125 865,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement,

- 2 664,00 euros à titre de rappel sur 13e mois,

- 266,40 euros à titre de congés payés sur 13e mois,

- 37 760,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

- 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'appliquer les intérêts au taux légal,

- de condamner la SCA EMC2 aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR ;

La cour renvoie expressément pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties aux conclusions déposées sur le RPVA par la SCA EMC2 le 07 novembre 2023, et par M. [P] [I] le 30 novembre 2023.

- Sur les motifs du licenciement.

Par lettre du 9 mars 2021, la SCA EMC2 a notifié à M. [P] [I] son licenciement pour faute grave en ces termes:

« Le 27 janvier 2021, EMC a enlevé à l'EARL de l'ISERAIE un B'uf Prim'Herb (BPH). Il s'est avéré que le poids de celui-ci dépassait de 7 kilogrammes la tolérance acceptées dans notre cahier des charges par notre acheteur (Groupe Carrefour). Dans le cas présent, le prix de l'animal est passé de 4,39 euros le kilogramme à 3,69 euros, soit une perte de 70 cts d'euros par kilogramme, représentant un manque à gagner de près de 200 euros pour l'éleveur.

L'éleveur, Monsieur [S] [K] était mécontent car le changement de cet animal avait été décalé et il estimait que cet excès de poids provenait de ce retard. Aussi, il a demandé à son technicien [V] [L] de faire un geste commercial.

- Le mardi matin 2 février 2021, Monsieur [V] [L], ne pouvant pas prendre seul la responsabilité de faire ce geste commercial, vous a appelé pour vous demander ce que EMC2 pouvait faire. Vous avez dans un premier temps refusé de lui répondre en arguant que l'on « est des bons à rien de ne pas savoir répondre aux éleveurs ». Devant son insistance, vous avez finalement rappelé l'éleveur.

- Le mardi soir 2 février 2021, vous avez rappelé Monsieur [V] [L] pour lui dire que tout était réglé et qu'il suffisait juste d'expliquer les choses.

- Néanmoins, le 4 février à 13h31, Monsieur [S] [K] transmet un mail à EMC2 exprimant son désaccord avec le prix payé par EMC2 et demandant à voir la facture établit par EMC2 afin d'avoir la preuve que cette décote importante de 70cts s'appliquait aussi à EMC2 avec son client.

- Le 5 février, Monsieur [V] [L] vous a demandé ce que l'on pouvait répondre à l'éleveur. Vous lui auriez répondu « Me fait pas chier, je n'ai pas le temps de m'occuper de con comme cela ». Vous avez nié avoir tenu ces propos, lors de l'entretien préalable, estimant que les propos qui vous étaient imputés ne relevaient pas de votre vocabulaire, alors que rien ne permet de soutenir que Monsieur [L] aurait menti à ce sujet. Cela ne lui apporte rien de plus.

- Le 9 février vous avez demandé à Monsieur [V] [L] de venir vous voir pour lui montrer le mail que vous aviez préparé pour répondre à l'éleveur. Celui-ci expliquait le cahier des charges de Carrefour et précisait que Monsieur [V] [L] passerait dans la semaine pour montrer les prix de vente de l'ensemble des B'ufs Prim'Herb vendus la même semaine par EMC2 à son client.

Vous avez envoyé ce mail à Monsieur [S] [K] à 11h11. Vous aviez également préparé un fichier EXCEL que vous avez montré à Monsieur [V] [L] et dans lequel vous aviez modifié les prix de facturation auprès de notre client abattoir. Ainsi, vous aviez falsifié le montant perçu par la Coopérative auprès de l'abattoir. Le prix de vente apparaissait à 3,81 euros/kg alors que nous avons perçu réellement 3,92 euros/kg. Tous les autres prix des BPH avait également été baissé de 10 centimes.

C'est ce document que vous demandiez à Monsieur [V] [L] de présenter à l'éleveur.

Monsieur [V] [L] nous a fait part de sa surprise sur cette proposition et nous a expliqué qu'il ne souhaitait pas vous contredire et qu'il a validé votre avis et vous a demandé de lui envoyer ce fichier.

Néanmoins il nous a précisé qu'il n'était pas à l'aise face à cette proposition, notamment parce qu'il vous avait expliqué qu'il estimait qu'il avait sa part de responsabilité dans le surpoids de l'animal (en raison du décalage de son enlèvement).

- Le 9 février à 13h41 : Monsieur [S] [K] a répondu à votre mail expliquant qu'il souhaitait une revalorisation de sa bête ou que vous apportiez la preuve de la parte de marge pour EMC2 vis-à-vis de son client abatteur.

- Le 9 février à 14h16 : vous avez répondu à l'éleveur que Monsieur [V] [L] allait « vous apporter la preuve » de ce qui a été réglé à EMC2 pour « cette BPH comme celle de toute la semaine ceci afin d'être complétement transparent avec vous ».

- Le 9 février dans l'après-midi vous avez rappelé Monsieur [V] [L] en lui disant de « se magner le cul » et d'aller présenter le ficher à l'éleveur. Monsieur [V] [L] vous a alors demandé s'il était judicieux de présenter un document falsifié en raison de la tournure des événements. Vous lui avez répondu qu'il ne fallait pas qu'il soit défaitiste et vous lui avez raccroché au nez.

- Le 9 février au soir : [V] [L] a appelé le responsable commercial d'EMC2 (Monsieur [X] [I]) pour lui expliquer son désarroi et qu'il lui donne son avis.

Immédiatement Monsieur [X] [I] a interdit à Monsieur [V] [L] de présenter un document falsifié à un éleveur. Il lui a demandé d'imprimer la facture transmise à notre client abattoir et de la présenter à

Monsieur [S] [K] afin qu'il constate que la coopérative ne faisait que de lui répercuter sa baisse de marge.

Il a confirmé que ce n'était pas du tout dans l'image de l'entreprise de mentir à un éleveur. [X] [I] a donné à Monsieur [V] [L] les arguments commerciaux pour régler cette affaire et lui a dit « Il n'y a aucun risque à montrer la vraie marge car on pratique de la même manière entre chaque adhérent ».

A ce propos, lors de l'entretien préalable, vous avez fait remarquer qu'il n'y avait aucun préjudice pour la coopérative, puisqu'au final le document tronqué n'a pas été présenté à l'adhérent.

Toutefois, cet acte n'a été manqué que grâce à la vigilance de Monsieur [L] qui s'en est ouvert à Monsieur [X] [I], qui a pris la décision de ne pas produire ledit document.

Or, votre volonté était clairement de montrer ce document erroné à l'adhérent.

- Le 10 février : Monsieur [V] [L] a vu l'éleveur avec la facture et lui a proposé un avoir de 100 euros comme convenu avec Monsieur [X] [I]. L'éleveur a été satisfait de cette proposition.

- Le 11 février : Monsieur [X] [I] vous a demandé de venir pour avoir vos explications sur ce qu'il s'était passé. Il vous a dit qu'il ne vous reconnaissait pas et qu'il ne comprenait pas pourquoi vous vouliez adopter cette mauvaise stratégie. Vous vous êtes énervé et vous lui avait répondu que vous auriez « la peau de [V] ».

- Le 11 février : Vous n'avez pas répondu au bonjour de Monsieur [V] [L] et lorsqu'il a déposé la facture de l'éleveur en vous demandant si vous pouviez faire un avoir, vous ne lui avez pas adressé la parole.

- Le 15 février : Monsieur [V] [L] a rencontré Monsieur [R] pour lui faire part de ces événements en raison de leur gravité et de son inquiétude sur les représailles qu'il craignait subir, au regard de votre caractère rancunier et de la pression que vous mettez.

Au regard de votre ancienneté, de votre qualification et de votre niveau de responsabilité en tant que Directeur Adjoint à l'élevage, cette attitude est inacceptable et cela à double titre.

D'une part, vous avez en pleine conscience élaboré un document non conforme à la réalité que vous comptiez transmettre à l'un de nos adhérents. Nous vous rappelons qu'une coopérative entretient des liens particuliers de confiance avec ses adhérents qui possèdent des parts sociales de notre coopérative. Vous avez même osé écrire à Monsieur [S] [K] que son Technicien allait lui apporter les éléments afin d'être complétement transparent avec lui, alors que vous avez déjà préparé le document contenant des informations erronées que vous comptiez lui transmettre.

D'autre part, vous avez exercé une pression énorme à l'encontre de Monsieur [V] [L] en lui demandant de remettre ce document.

Fort heureusement il a eu une excellente réaction ainsi que Monsieur [X] [I].

Si ce document n'avait pas été intercepté avant d'arriver à notre adhérent, il aurait considérablement pu tenir l'image de notre coopérative si notre adhérent avait découvert la supercherie.

A la suite de ces événements nous avons interrogé plusieurs salariés qui travaillent sous votre responsabilité ou qui sont en contact avec vous.

Il s'avère que vos méthodes de management sont inacceptables, plusieurs d'entre eux nous ont révélé qu'ils étaient en permanence sur le qui-vive, vivant dans la crainte de vos changements d'humeur régulier, inquiet lorsqu'ils voient sur leur téléphone que vous les contactez, tenant des propos irrespectueux. Certains salariés en viennent à limiter leur passage au bureau pour ne pas vous rencontrer. D'autres ont préféré quitter l'entreprise plutôt que de continuer à travailler avec vous.

Ces méthodes sont à l'opposé des valeurs que nous prônons et sont contraires aux principes élémentaires de management. En outre, nous ne pouvons tolérer et prendre le risque que notre personnel continue à subir de tels agissements de votre part ou préféré quitter l'entreprise.

Enfin, votre courrier du 21 février 2021, en réponse à notre entretien du 17 février, où nous avons décidé de votre mise à pied à titre conservatoire est tout à symptomatique de votre mode de fonctionnement que nous ne pouvons tolérer.

En effet, vous avez réinventé une partie des faits pour justifier que nous n'ayez pas immédiatement accepté de faire une remise à l'éleveur dès le 9 février, ce qui aurait été la façon normale de gérer cette situation.

Selon vous, vous auriez pris connaissance, de l'erreur de Monsieur [V] [L] qui a fait enlever l'animal trop tardivement entraînant le dépassement de son poids, uniquement le 12 février, alors que celui-ci nous a confirmé qu'il vous l'avait dit dès le 9 février afin de vous convaincre de faire un avoir dès cette date sans établir un document non conforme à la réalité des faits.

Néanmoins, vous avez expliqué au cours de notre entretien du 4 mars, qu'après avoir partagé par téléphone avec

Monsieur [V] [L] en début de semaine vous aviez réalisé que c'était bien le 11 février et non le 12 février.

Vous dites avoir demandé à [V] [L], où en était le dossier, alors qu'il nous a confirmé avoir déposé la facture le 11 février sur votre bureau alors que vous étiez là et vous ne lui avez pas adressé la parole.

L'avoir de 100 euros a été proposé à l'éleveur le 10 février, à la suite d'un échange entre Monsieur [X] [I] et Monsieur [V] [L] et non par vous-même le 12 février ou le 11 février comme vous nous l'avez affirmé lors de notre entretien.

Dans ce courrier du 21 février, vous nous rapportez des événements antérieurs qui n'auraient pas été sanctionnés ou insuffisamment sanctionnés. Sachez que les 2 événements cités ne relèvent absolument pas de situation comparable et nous n'acceptions pas la menace que vous faites peser sur la coopérative à la fin de votre courrier en nous disant que « cette petite liste n'est pas exhaustive. Est-il nécessaire d'en écrire plus ».

Vous nous avez répondu au cours de l'entretien qu'il ne s'agissait pas d'une menace mais de relativiser les faits qui vous sont reprochés.

Nous vous rappelons également, que nous avons, malheureusement, dû vous mettre à pied 3 jours en juin 2019, pour avoir porté la main sur un salarié du centre d'allotement le 3 mai 2019.

Vos agissements ne se sont pas arrêtés là, puisque le 2 mars 2021, nous avons été informés par Monsieur [V] [L] que vous lui auriez demandé d'assister à l'entretien préalable du 4 mars. Cela a eu pour conséquence de lui faire revivre une situation de stress intense, qui l'a contraint à être placé en arrêt de travail pour maladie.

Vous nous avez expliqué que l'objectif de votre demande était de pouvoir éclairer les choses ensemble et que même Monsieur [V] [L] vous avait répondu que c'était une idée intéressante, puis lorsque vous l'avez rappelé le matin de l'entretien, il vous a envoyé un sms vous expliquant qu'il ne viendrait pas car il était en arrêt de travail.

Monsieur [L] nous avait déjà fait part, quelques jours avant, de la peur qu'il le tenaillait d'avoir fait part de vos agissements à la direction.

Nous ne pouvions imaginer, alors même que vous êtes mis à pied à titre conservatoire, que vous pouviez continuer à exercer de telle pression sur Monsieur [L]. Votre comportement pourrait s'analyser en un véritable harcèlement moral.

Cela ne fait que corroborer le bienfondé de cette mise à pied à titre conservatoire, dont l'un des objectifs était de protéger nos salariés le temps de mener notre enquête et dans l'attente de la décision à intervenir.

Lors de l'entretien préalable, vous nous avez fait observer que vous n'auriez jamais établi le document que vous avez remis à Monsieur [V] [L] si vous aviez eu connaissance que le décalage de l'enlèvement du BPH de

Monsieur [K] était de notre fait : « j'aurai eu la bonne information au bon moment on n'en parlerait pas ».

Néanmoins, lorsque nous vous avons expliqué que vous auriez dû questionner Monsieur [V] [L] sur les raisons exactes de ce litige, vous nous avez dit que vous aviez bien questionné Monsieur [V] [L] mais qu'il ne vous avait pas répondu.

Au regard de votre grande expérience nous ne pouvons pas croire que vous n'ayez pas chercher à comprendre cette situation.

Vous déniez avoir tenu les propos comme quoi vous « auriez la peau de [V] » auprès de Monsieur [X] [I] le 11 février 2021, expliquant que vous considériez [V] [L] comme tous les autres techniciens.

Nous vous rappelons que nous sommes débiteurs d'une obligation de sécurité à l'égard de l'ensemble du personnel, qu'il nous faut protéger contre toute situation de stress intense et injustifié résultant de pressions émanant de votre

part. Votre comportement pendant la mise à pied conservatoire ne nous permet pas d'envisager une évolution positive de votre part.

Dès lors, il est indubitable que vos agissements intolérables sont révélateurs d'une violation manifeste de cette obligation de sécurité. Et l'absence de sanction forte à votre égard amoindrirait la confiance qu'il nous faut désormais renouer avec les salariés avec lesquels vous travailliez pour retrouver une situation sereine et permettre à chacun de retrouver un épanouissement à remplir correctement ses fonctions.

Par ailleurs, le fait d'avoir établi un document non conforme à la réalité des faits et d'avoir demandé à un salarié de mentir à l'un de nos adhérents est également constitutif d'une faute grave, puisqu'il s'agit d'un manquement à votre obligation d'exercer vos fonctions avec loyauté.

Aussi, devant de tels constats, et compte tenu de votre comportement, il ne nous apparaît absolument plus possible de vous accorder encore notre confiance et de poursuivre plus longtemps notre collaboration.

Par conséquent, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, même pendant la période de préavis.

Votre licenciement pour faute grave prendra donc effet à la date d'envoi du présent courrier ».

- Sur le grief relatif à la falsification d'un document EXCEL.

La SCA EMC2 expose en substance que M. [P] [I] a délibérément fait pression sur un salarié pour présenter à un éleveur adhérent de la coopérative un document EXCEL faisant état d'un prix d'achat minoré par rapport au prix réellement perçu par celle-ci, ce qu'il a reconnu, dans le but d'éviter le réglement d'un litige.

M. [P] [I] conteste le grief, faisant valoir d'une part que ce document n'a pas été communiqué à l'éleveur ; que d'autre part le fichier EXCEL est par nature évolutif et qu'il ne peut présenter la nature d'un faux ; que le document dont il s'agit avait pour but d'évaluer les effets de la baisse de prix sur les achats faits auprès des éleveurs ; qu'enfin, le litige, d'une faible importance, a été rapidement réglé et l'éleveur a été payé au prix prévu.

Motivation.

Il ressort des dispositions des articles L 1222-1 et suivants du code du travail que les parties au contrat de travail exécutent celui-ci avec loyauté.

Il ressort d'une attestation établie par M. [V] [L] (pièce n° 2 bis du dossier de la SCA EMC2) que, dans le cadre d'un litige sur le prix de vente d'une bête confiée à la SCA EMC2 par un éléveur, par ailleurs membre de la coopérative, et qui sollicitait qu'il lui soit justifié le prix de vente au kg de sa bête, M. [P] [I] lui a communiqué un tableau EXCEL faisant apparaître un prix inférieur à celui perçu par la coopérative, afin qu'il puisse justifier auprès de l'éleveur d'une décote sur prix auquel l'animal lui avait été payé ; qu'il a éprouvé une réticence à utiliser un tel procédé ; qu'il a contacté le responsable de la coopérative, M. [X] [I], qui lui a interdit de communiquer ce document à l'éleveur et lui a demandé d'imprimer la 'vraie' facture afin de 'ne pas mentir à l'éleveur' ;

M. [X] [I], aux termes de son attestation (pièce n° 4 id) confirme ces propos.

Il ressort donc de ce qui précède que M. [P] [I] a incité son subordonné à tromper un membre de la coopérative en lui fournissant un moyen, en l'espèce un document ne reflétant pas la réalité sur le prix d'achat et de vente d'une bête, cette manoeuvre n'ayant manqué son effet que par la réticence de ce subordonné et l'interdiction formulée par le directeur commercial de la SCA EMC2.

Il importe peu d'une part que le document EXCEL modifié n'ait pas été remis à son destinataire potentiel, et d'autre part que le litige trouve son origine dans une erreur de calendrier de la SCA EMC2 quant à la date d'enlèvement de l'animal, ni même que le litige, qui ne portait que sur une faible somme, ait été réglé rapidement après les faits.

Dès lors, il convient de constater que M. [P] [I] a gravement manqué de loyauté vis à vis de son employeur, dont la crédibilité vis à vis de l'un de ses membres aurait pu être mise à mal, et que ces faits rendaient impossible son maintien dans l'entreprise.

En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, il convient de dire que le licenciement pour faute grave de M. [P] [I] par la SCA EMC2 est justifié ;

La décision entreprise sera donc infirmée.

M. [P] [I] qui succombe supportera les dépens de l'instance.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la SCA EMC2 l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a exposés ; la demande sur ce point sera rejetée.

PAR CES MOTIFS ;

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement rendu le 12 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Verdun ;

STATUANT A NOUVEAU ;

DIT le licenciement de M. [P] [I] par la SCA EMC2 justifié ;

LE DEBOUTE de ses demandes ;

CONDAMNE M. [P] [I] aux dépens d'appel ;

Y AJOUTANT

DEBOUTE la SCA EMC2 et M. [P] [I] de leurs demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en dix pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/02163
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;22.02163 ?
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