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28/03/2024 | FRANCE | N°22/02682

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 28 mars 2024, 22/02682


ARRÊT N° /2024

PH



DU 28 MARS 2024



N° RG 22/02682 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FCUZ







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

21/00572

17 novembre 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



S.A. SAINT GOBAIN PAM HOLDING Prise en

la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Eric FILLIATRE substitué par Me Céline CLEMENT de la SELARL FILOR AVOCATS, avocats au barreau de NANCY





INTIMÉ :



Monsieur [L] [A]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, av...

ARRÊT N° /2024

PH

DU 28 MARS 2024

N° RG 22/02682 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FCUZ

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

21/00572

17 novembre 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A. SAINT GOBAIN PAM HOLDING Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Eric FILLIATRE substitué par Me Céline CLEMENT de la SELARL FILOR AVOCATS, avocats au barreau de NANCY

INTIMÉ :

Monsieur [L] [A]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : PERRIN Céline

DÉBATS :

En audience publique du 11 Janvier 2024 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 28 Mars 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 28 Mars 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [L] [A] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société SA SAINT GOBAIN PAM, à compter du 01 juillet 1989, en qualité d'animateur qualité et développement au sein du service qualité.

Par courrier du 19 novembre 2020 remis en main propre, Monsieur [L] [A] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé au 30 novembre 2019, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 09 décembre 2020, Monsieur [L] [A] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 08 décembre 2021, Monsieur [L] [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy aux fins :

- de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société SA SAINT GOBAIN PAM à lui verser les sommes suivantes :

- 1 629,23 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire, outre la somme de 162,92 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 68 048,00 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 33 094,01 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 10 207,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 020,71 euros au titre des congés payés afférents,

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

- 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- d'ordonner à la société SA SAINT GOBAIN PAM à lui remettre l'attestation pôle emploi ainsi que les documents sociaux rectifiés, et ce sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la présente notification, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,

- d'ordonner l'exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 17 novembre 2022, lequel a :

- dit que le licenciement de Monsieur [L] [A] est sans cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à verser à Monsieur [L] [A] les sommes suivantes :

- 1 629,23 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire,

- 162,92 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 25 000,00 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10 207,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 020,71 euros au titre des congés payés afférents,

- 33 094,01 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à remettre à Monsieur [L] [A] l'attestation pôle emploi ainsi que les documents sociaux rectifiés, et ce sous astreinte de 10,00 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la présente notification, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à verser à Monsieur [L] [A] la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Monsieur [L] [A] de ses autres demandes,

- débouté la société SA SAINT GOBAIN PAM de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM aux entiers dépens.

Vu l'appel formé par la société SA SAINT GOBAIN PAM le 28 novembre 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société SA SAINT GOBAIN PAM déposées sur le RPVA le 13 octobre 2023, et celles de Monsieur [L] [A] déposées sur le RPVA le 17 octobre 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 22 novembre 2023,

La société SA SAINT GOBAI PAM demande :

- de confirmer le jugement rendu par le conseil de Prud'hommes de Nancy le 17 novembre 2022 en ce qu'il a :

- débouté Monsieur [L] [A] de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoires de licenciement,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Monsieur [L] [A] est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à verser à Monsieur [L] [A] les sommes suivantes :

- 1 629,23 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire,

- 162,92 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 25 000,00 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10 207,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 020,71 euros au titre des congés payés afférents,

- 33 094,01 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à remettre à Monsieur [L] [A] l'attestation pôle emploi ainsi que les documents sociaux rectifiés, et ce sous astreinte de 10,00 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la présente notification, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à verser à Monsieur [L] [A] la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société SA SAINT GOBAIN PAM de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM aux entiers dépens,

*

Statuant à nouveau :

- de dire et juger que le licenciement pour faute grave de Monsieur [L] [A] tout à fait régulier et fondé,

- de débouter Monsieur [L] [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner Monsieur [L] [A] à verser à la société SA SAINT GOBAIN PAM la somme de 3 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [L] [A] aux entiers frais et dépens de la présente procédure.

Monsieur [L] [A] demande :

- de juger que les demandes de Monsieur [L] [A] sont recevables et bien fondées,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Monsieur [L] [A] est sans cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à verser à Monsieur [L] [A] les sommes suivantes :

- 1 629,23 euros bruts au titre de la mise à pied conservatoire,

- 162,92 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 10 207,20 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 020,71 euros au titre des congés payés afférents,

- 33 094,01 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à remettre à Monsieur [L] [A] l'attestation pôle emploi ainsi que les documents sociaux rectifiés, et ce sous astreinte de 10,00 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la présente notification, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM à verser à Monsieur [L] [A] la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société SA SAINT GOBAIN PAM de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM aux entiers dépens,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné la société SA SAINT GOBAIN PAM au versement de la somme de 25 000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouté Monsieur [L] [A] de sa demande au titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

*

Statuant à nouveau :

- de condamner la société SA SAINT GOBAIN PAM au versement des sommes suivantes :

- 68 048,00 euros à titre de dommages et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts au titre des circonstances brutales et vexatoires entourant le licenciement,

*

Y ajoutant :

- de condamner la société SA SAINT GOBAIN PAM au versement de la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure à hauteur d'appel,

- de débouter la société SA SAINT GOBAIN PAM de l'intégralité de ses demandes,

- d'ordonner à la SA SAINT-GOBAIN PAM HOLDING de rectifier les documents de fin de contrat de Monsieur [L] [A] conformément aux dispositions de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 50,00 par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du jugement,

- de juger que l'ensemble des condamnations à intervenir portera intérêt au taux légal en vigueur,

- de condamner la partie défenderesse aux entiers frais et dépens de l'instance ainsi que de l'éventuelle exécution forcée.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux conclusions de la société SA SAINT GOBAIN PAM déposées sur le RPVA, le 13 octobre 2023, et de celles de Monsieur [L] [A] déposées sur le RPVA, le 17 octobre 2023.

Sur le licenciement pour faute grave :

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

« Vous êtes embauché dans notre Société depuis le 1er juillet 1989 et vous occupez le poste d'Animateur Qualité au sein du service Qualité depuis le 1er janvier 2016.

Vous avez été convoqué à un entretien disciplinaire le 30 novembre 2020 par courrier remis en main propre contre décharge. Au cours de cet entretien, vous vous êtes fait accompagner par Monsieur [D] [Y], salarié de notre entreprise.

Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements fautifs. En effet, voici les éléments que nous avons à vous reprocher :

- Le 22 septembre 2020, un signalement de faits pouvant constituer des actes de harcèlement sexuel a été réalisé à votre encontre auprès du service Ressources humaines de notre établissement. Un signalement a également été réceptionné le 21 octobre 2020 de la part du secrétaire du C.S.E. ainsi que de la référente harcèlement au C.S.E pour des faits similaires.

- Suite à ces différentes remontées d'information, une enquête interne a été diligentée. Cette enquête interne a été menée du 5 novembre au 12 novembre 2020 où 13 personnes ont été interrogées afin de rechercher la véracité des faits qui vous sont reprochés. Lors de cette enquête ont été interrogés : les victimes qui se sont manifestées, les témoins potentiels, la responsable de service ainsi que vous-même. Cette enquête a été dirigée conjointement par Monsieur [G] [U], secrétaire adjoint au C.S.E ainsi que par moi-même, Responsable Ressources Humaines de l'établissement.

- La restitution de l'enquête interne a eu lieu en présence des membres de la CSSCT du secteur Qualité, du Médecin du travail ainsi que de l'inspection du travail le 19 novembre 2020. Compte tenu des éléments présentés, il a été conclu par la commission d'enquête et les personnes présentes lors de la restitution que les faits relatés étaient constitutifs de harcèlement sexuel de votre part à l'égard de 2 victimes identifiées travaillant ou ayant travaillé au sein du service Qualité auquel vous appartenez.

- Lors de l'entretien auprès de la victime à l'origine du signalement, il a en effet été porté à la connaissance de la commission d'enquête des faits de harcèlement de votre part à son encontre depuis les mois de mai-juin 2020. Cette salariée en contrat d'alternance au sein du service Qualité depuis le mois de septembre 2019 a relaté les faits suivants :

* Vous effectuiez des simulations de fellation devant son bureau. Ce type de comportement se produisait quasiment une fois par semaine. Vous avez également fait des attouchements (effleurement des hanches et des fesses) lorsque vous passiez derrière elle.

* La salariée a fait part de sa désapprobation auprès de vous lorsque ces faits se produisaient mais cela n'a pas changé votre comportement.

* Vous avez proféré des menaces sur la victime lorsque vous avez pensé que celle-ci avait parlé à un autre collègue du service : menaces de lui nuire à l'intérieur et à l'extérieur de l'usine.

* Des témoins ont indiqué lors des entretiens que vous profériez des insultes et des propos visant à dénigrer la victime auprès de ses autres collègues en son absence.

* La victime est aujourd'hui suivie médicalement suite à ces faits.

- Au cours de l'enquête, une deuxième victime a relaté des faits de harcèlement

sexuel de votre part à son encontre sur la période 2010 ' 2011. Cette victime a relaté les faits suivants :

* Vous lui avez fait des avances lors des pauses déjeuners où elle était seule. Ces avances se sont transformées en propos sexuels déplacés, intimidants et réguliers sur plusieurs mois où vous indiquiez notamment que vous n'aviez plus de relations sexuelles avec votre conjointe. Vos propos étaient également du type : quel type de contraception prends-tu ' A quelle heure je viens te chercher en voiture ' Je vais réserver un hôtel pour nous 2, il faut que nous soyons discrets.

* Lors du refus de la salariée, vous vous êtes énervé et vous l'avez menacée de représailles sur sa réputation dans l'usine et en dehors si elle parlait de vos propos.

* Des témoins ont indiqué également que vous profériez des insultes et des propos visant à dénigrer la victime auprès de ses autres collègues en son absence. Cette attitude a été soulignée par plusieurs témoins comme étant la même de votre part à l'égard des deux victimes.

Cette conduite constitue des manquements graves aux dispositions du Code du Travail relatives à la prévention du harcèlement sexuel (article L 1153 ' 1 et suivants) ainsi qu'aux dispositions de notre règlement intérieur ' article 3.11 harcèlement sexuel qui stipule : « est passible d'une sanction disciplinaire tout salarié ayant procédé aux agissements définis à l'article L 1153 ' 1 ».

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. En effet, vous avez nié l'ensemble des faits relatés par les deux victimes.

Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave ».

Sur le licenciement :

L'employeur expose qu'en septembre 2020, il a reçu des signalements portant sur des faits de harcèlement sexuel commis par Monsieur [A] et notamment de la part du secrétaire et de la référente harcèlement du CSE ; qu'une enquête a été diligentée par le CSE, avec l'accompagnement de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), au cours de laquelle deux salariées se disant victimes des agissements de Monsieur [L] [A] et ce dernier ont été entendues, ainsi que d'autres salariés (pièces n° 5, 7 à 19) ; qu'à la suite de cette enquête, « l'ensemble des membres de la CSSCT s'est exprimé à l'unanimité favorablement pour qualifier les faits recueillis lors de l'enquête comme constitutifs de harcèlement sexuel » (pièces n° 20 et 22).

Madame [N], âgée de 39 ans, en contrat d'alternance au sein du « service Qualité » depuis le 30 septembre 2019, entendu dans le cadre de l'enquête interne, a indiqué les faits suivants :

- le 8 octobre, Monsieur [L] [A] lui a dit ne plus avoir de relations sexuelles avec sa femme et que si elle voulait aller plus loin avec lui, il serait d'accord. Il lui a ensuite adressé un courriel en ces termes : « T'inquiètes pas, tu peux me faire confiance, tout ce que tu me dis restera entre nous comme moi j'ai confiance en toi. Et si un jour tu as besoin de moi pour mes services, n'hésites pas tu me téléphones... », auquel elle a répondu « Je suis une tombe, pas de souci » ;

- il a pris l'habitude de passer devant son bureau, quand elle y était seule, « en mimant des fellations » ;

- il passait derrière elle en l'effleurant avec la main ;

- Fin juin ou début juillet 2020, ils sont allés, sur sa proposition, courir sur un parcours de santé à [Localité 5]. Sur place, il s'est déshabillé devant elle. Elle précise que « Son attitude était malsaine durant le trajet. J'ai décidé ensuite de ne plus aller courir avec lui, c'est pour cela que je suis allée ensuite à la salle de sport ».

Madame [N] expose également que par la suite il lui a parlé d'un autre collègue du service, en lui disant « je sais tout ce que vous faites, ce qui se passe. Pas à moi, tu ne peux pas me la faire. Il y a quelque chose entre vous », qu'il lui a parlé de la vie personnelle de [O] [H] et notamment son divorce, qu'il lui a conseillé d'arrêter cette relation.

Elle indique que Monsieur [L] [A] lui a reproché d'avoir parlé de cette discussion avec Monsieur [H], et l'a menacée en ces termes : « tu as ouvert ta gueule, je connais du monde à l'usine, tu vas en chier ; dans ta vie personnelle, je vais te mener la vie dure car je suis gendarme réserviste, je vais te pourrir la vie, fais attention à toi à l'extérieur ».

Elle s'est alors confiée à Monsieur [M] et à Monsieur [E], ce dernier lui disant que des faits similaires s'étaient passés avec une ancienne salariée, Madame [P].

Madame [N] précise avoir été psychologiquement atteinte (pièce n° 7).

Monsieur [M], opérateur qualité, indique que Madame [N] s'est confiée à lui fin août 2020, lui disant que Monsieur [L] [A] « l'avait frottée 2-3 fois », qu'alors qu'ils devaient courir dans les bois, il s'était déshabillé devant elle. Il précise que Madame [N] « avait les larmes aux yeux ». Il lui a conseillé d'en parler « aux RH » (pièce n° 13).

Monsieur [E] indique que Madame [N] s'était bien intégrée dans le service, mais que la « situation a évolué », qu'elle n'allait plus faire du sport avec Monsieur [L] [A]. Il décrit ce dernier comme ayant « toujours manqué de respect envers les uns et les autres ». Il indique également que Monsieur [L] [A] a « parlé sur la relation d'[J] [N] et [O] [H] dans toute l'usine » (pièce n° 14).

Monsieur [K], animateur qualité, indique n'avoir été témoin d'aucun fait, ni avoir recueilli des confidences de Madame [N] ; il indique cependant que « il y a eu un vrai point de rupture à un moment, fin août /début septembre 2020 » : Monsieur [L] [A] lui avait dit que Madame [N] et Monsieur [H] « avaient couché ensemble », que la première était « une salope, grande questsche, rien dans le citron » et que le second était « un connard » (pièce n° 10).

Monsieur [B] indique que peu de temps avant les congés d'été de 2020, il avait vu Madame [N] en pleurs. Elle lui a confié être partie courir avec Monsieur [L] [A] et que ce dernier s'était déshabillé devant elle (pièce n° 15).

Monsieur [I] indique qu'à la salle de sport de l'entreprise, Madame [N] lui a dit avoir été à l'extérieur pour courir avec Monsieur [L] [A] et que ce dernier s'était déshabillé devant elle (pièce n° 16).

Madame [R] [T], responsable du service qualité, indique qu'à la mi-septembre 2020, des rumeurs sur une relation sentimentale entre [J] [N] et [O] [H] lui ont été rapportées ; ces derniers lui ont dit que c'était faux. Elle indique également qu'elle a rencontré Madame [N] pour « lui parler des règles sur les relations extraprofessionnelles » ; qu'elle lui a expressément demandé « si elle se sentait harcelée moralement ou sexuellement, elle m'a répondu que non ». Elle indique enfin qu'au cours de son entretien d'évaluation, Monsieur [L] [A] lui avait spontanément parlé des rumeurs courant sur la relation entre Madame [N] et Monsieur [H] (pièce n° 19).

Monsieur [H] indique que fin juin 2020, Madame [N] lui a dit qu'elle était allée courir avec Monsieur [L] [A] et que ce dernier « se serait mis en slip devant elle et qu'elle se sentait mal à l'aise vis-à-vis de lui » ; que par la suite, il faisait « des signes de fellation devant son bureau quand il passait. Il indique également que Monsieur [L] [A] « faisait une fixation » sur sa relation avec Madame [N] ; que ce dernier lui a dit que Madame [N] « était une salope » et le manipulait (pièce n°11).

Monsieur [C] [Z], opérateur qualité, indique avoir été alerté par son syndicat de rumeurs de harcèlement dans le service qualité. Il déclare avoir demandé à Madame [N] si elle avait été harcelée moralement et sexuellement, cette dernière lui répondant en pleurs, « oui, c'est vrai » (pièce n° 12).

Deux autres membres du service qualité indiquaient n'avoir pas été au courant de faits de harcèlement (pièces n° 17 et 18).

Madame [P] déclare avoir travaillé avec Monsieur [L] [A] en 2011, alors qu'elle était en contrat d'alternance dans le cadre de son BTS.

Dans un premier temps, elle s'était bien entendue avec lui, avant que la situation ne se dégrade. Il s'était ainsi procuré à son insu son numéro de téléphone et lui avait envoyé un SMS en lui disant « je me suis permis de prendre ton numéro au cas où », ce qu'elle n'avait pas apprécié. Elle indique également que par la suite, il lui a raconté sa vie intime, et notamment que sa femme ayant un cancer de l'utérus, il n'avait plus de relations sexuelles avec elle. Il lui racontait également qu'il faisait de la course à pied avec une fille, « avec laquelle il couchait le temps en temps, il en parlait ouvertement. » Elle explique qu'au fil du temps ses avances étaient de plus en plus insistantes, lui disant à plusieurs reprises qu'il allait ou avait réserver une chambre d'hôtel pour eux, lui demandant quel type de contraception elle utilisait.

Même après qu'elle lui a dit non et prétendu qu'elle avait déjà « un copain », pour qu'il la laisse tranquille, il était revenu plusieurs fois à la charge. Elle précise qu'il l'a menacée si elle révélait ce qui s'était passé. Ils ne s'étaient ensuite plus adressé la parole.

Elle indique avoir perdu un temps confiance en elle et avoir l'impression que quand elle souriait aux gens, ils allaient penser « qu'elle les draguait ».

Madame [P] explique avoir fini par parler de ces faits à sa tutrice et à d'autres salariés ; mais elle n'avait pas voulu aller plus loin pour « ne pas faire de vagues » et avait ensuite changé de service (pièce n° 9).

Interrogé sur Madame [P], Monsieur [K] a indiqué qu'il y avait eu des rumeurs sur le comportement de Monsieur [L] [A] avec cette dernière et qu'il avait tenu sur elle des propos similaires à ceux tenus sur Madame [N] : « [W], grande quetsche, rien dans le citron » (pièce n° 10).

Monsieur [L] [A] nie tout fait de harcèlement sexuel à l'encontre de Madame [N].

Il expose que ses entretiens d'évaluation sont excellents, lesquels mentionnent qu'il « peut servir d'exemple » (pièces n° 6 à 6-2).

Il produit les attestations élogieuses de plusieurs de ses collègues (pièces n° 7 à 9 et 23 à 29), indiquant notamment qu'ils n'avaient jamais été témoins ou au courant de comportements irrespectueux envers les femmes. Il produit aussi les attestations, également élogieuses, de son précédent employeur et de ses collègues d'alors (pièces n° 10 à 14).

Monsieur [L] [A] fait valoir qu'aucun des salariés entendus dans le cadre de l'enquête interne n'a été témoin de quelque fait que ce soit et qu'ils sont restés imprécis sur les faits qu'il aurait commis.

S'agissant de Madame [P], il fait valoir qu'elle a attendu dix ans pour rapporter les prétendus faits de harcèlement et qu'en tout état de cause, même s'il lui avait fait des avances, cela ne saurait constituer en soi un harcèlement sexuel.

Motivation :

Les faits tels qu'énoncés par Madame [N] et Madame [P] constituent des faits de harcèlement sexuel au sens de l'article de l'article L1153-1 du code du travail.

S'agissant de la première, ces faits sont constitués par des simulations de fellation et par le fait de s'être déshabillé devant elle lors d'une activité sportive et pour la seconde, par son insistance à lui demander d'avoir des relations sexuelles avec lui, ce qui allait bien au-delà de simples « avances », comme indiqué par Monsieur [L] [A] et par ses questions intimes sur sa méthode de contraception.

En outre, de par son ancienneté et de sa position reconnue dans l'entreprise, il se trouvait dans une situation objective de pouvoir vis-à-vis de ces femmes qui étaient, au moment des faits, en contrat d'alternance.

S'il n'y a pas de témoin direct de ces faits, il n'en reste pas moins que Madame [N] s'est confiée à plusieurs collègues de travail ; le fait qu'interrogée une première fois par sa supérieure hiérarchique, elle ait indiqué ne pas avoir subi de harcèlement n'est pas nécessairement, en soit, de nature à décrédibiliser sa parole.

Ses accusations sont en fait d'autant plus crédibles qu'elles font écho à celles de Madame [P], notamment en ce qu'à toutes deux, Monsieur [L] [A] a prétexté ne plus avoir de relations sexuelles avec son épouse, pour leur demander d'en avoir avec lui.

Enfin, si Monsieur [L] [A] prétend que Madame [N] et Monsieur [H] ont voulu se venger de lui pour avoir révélé leur liaison, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que Madame [P] ait eu un intérêt quelconque à l'accuser faussement.

En conséquence, le licenciement pour faute grave est justifié, le jugement du conseil de prud'hommes étant infirmé sur ce point.

Sur les demandes de sommes au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement abusif et de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire :

Le licenciement pour faute grave étant licite, Monsieur [L] [A] sera débouté de ces demandes.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

Les parties seront déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

Monsieur [L] [A] sera condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy en ses dispositions soumises à la cour ;

STATUANT A NOUVEAU :

Dit que le licenciement pour faute grave est licite,

Déboute Monsieur [L] [A] de toutes ses demandes ;

Y AJOUTANT

Déboute Monsieur [L] [A] et la société SAINT-GOBAIN PAM HOLDING de leurs demandes au titre de 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur [L] [A] aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël Weissmann, Président de Chambre et par Madame Laurène Rivory, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Minute en onze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/02682
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;22.02682 ?
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