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06/07/2023 | FRANCE | N°22/01618

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 06 juillet 2023, 22/01618


ARRÊT N° /2023

PH



DU 06 JUILLET 2023



N° RG 22/01618 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FAJ4







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NNCY

20/00434

16 juin 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANT :



Monsieur [N] [O]

[Adresse 2]
>[Localité 1]

Représenté par Me Raoul GOTTLICH de la SCP SCP D'AVOCATS RAOUL GOTTLICH PATRICE LAFFON, avocat au barreau de NANCY









INTIMÉE :



S.A.S.U. BETONS FEIDT FRANCE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Pauline BAR...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 06 JUILLET 2023

N° RG 22/01618 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FAJ4

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NNCY

20/00434

16 juin 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [N] [O]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Raoul GOTTLICH de la SCP SCP D'AVOCATS RAOUL GOTTLICH PATRICE LAFFON, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

S.A.S.U. BETONS FEIDT FRANCE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Pauline BARREAU, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : WEISSMANN Raphaël

Conseiller : STANEK Stéphane

Greffier : RIVORY Laurène (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 06 Avril 2023 tenue par WEISSMANN Raphaël, Président, et STANEK Stéphane, Conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN et Guerric HENON, présidents, et Stéphane STANEK, conseiller, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 29 Juin 2023 ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 06 Juillet 2023 ;

Le 06 Juillet 2023 , la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [N] [O] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à compter du 09 mai 2016, en qualité d'agent de planning, catégorie ETAM, filière A ' transport logistique niveau 4 échelon 1.

La convention collective nationale des industries des carrières et matériaux ouvriers s'applique au contrat de travail.

Par courriers du 13 janvier 2019 et du 21 mai 2019, le salarié s'est vu respectivement notifier deux avertissements.

Du 23 mai 2019 au 27 septembre 2019, Monsieur [N] [O] a été placé en arrêt de travail pour maladie.

Par décision du 30 septembre 2019 du médecin du travail dans le cadre d'une visite de reprise, à la suite de l'étude de poste du salarié réalisé le 26 septembre 2019, Monsieur [N] [O] a été déclaré inapte à son poste de travail, avec précision qu'aucun poste de travail dans l'entreprise n'est compatible avec l'état clinique du salarié.

Par courrier du 18 octobre 2019, la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE a interrogé le médecin du travail sur un poste de reclassement de chauffeur-pompiste, auquel il a été indiqué qu'aucun poste dans l'entreprise n'est compatible avec les capacités restantes de travail du salarié.

Par courrier du 04 novembre 2019, Monsieur [N] [O] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 14 novembre 2019, après lui avoir notifié l'impossibilité de procéder à son reclassement par courrier du 30 octobre 2019.

Par courrier du 20 novembre 2019, Monsieur [N] [O] a été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par requête du 06 novembre 2020, Monsieur [N] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

Sur le harcèlement :

- de dire et juger que la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE est responsable de faits caractérisant un harcèlement moral à son égard,

- de dire et juger que la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE a manqué à son obligation de sécurité de résultat à son égard,

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

- 15 055,45 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 15 055,45 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat,

*

Sur le licenciement :

*A titre principal :

- de dire et juger que le licenciement subi est nul en raison du harcèlement moral subi,

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

- 36 133,08 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 011,10 euros à titre de rappel de l'indemnité de préavis, outre 301,11 euros de congés payés afférents,

*A titre subsidiaire :

- de dire et juger que le licenciement subi est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et à son obligation de sécurité de résultat,

- de condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- 36 133,08 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 011,10 euro à titre de rappel de l'indemnité de préavis, outre 301,11 euros de congés payés afférents,

*

Sur les autres demandes :

- d'annuler l'avertissement du 21 mai 2019,

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser la somme de 3 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- d'ordonner la rectification des documents de fin de contrat sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai d'un mois suivant le prononcé du jugement à intervenir, et se réserver la liquidation de l'astreinte,

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser la somme de 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 16 juin 2022, lequel a :

- dit et jugé que le licenciement pour harcèlement moral n'est pas démontré par Monsieur [N] [O],

- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude médicale est conforme à la législation en vigueur,

- débouté Monsieur [N] [O] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Monsieur [N] [O] à payer à la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE la somme de 300,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [N] [O] aux dépens.

Vu l'appel formé par Monsieur [N] [O] le 13 juillet 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [N] [O] déposées sur le RPVA le 31 janvier 2023, et celles de la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE déposées sur le RPVA le 04 janvier 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 08 février 2023,

Monsieur [N] [O] demande :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 16 juin 2022 en ce qu'il a :

- débouté Monsieur [N] [O] d'un licenciement pour harcèlement moral,

- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude médicale est conforme à la législation en vigueur,

- condamné Monsieur [N] [O] à payer à la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE la somme de 300,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [N] [O] aux dépens.

- de recevoir l'appel de Monsieur [N] [O],

Statuant à nouveau :

*

Sur le harcèlement :

- de dire et juger que la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE est responsable de faits caractérisant un harcèlement moral à son égard,

- de dire et juger que la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE a manqué à son obligation de sécurité de résultat à son égard,

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

- 15 055,45 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 15 055,45 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat,

*

Sur le licenciement :

**A titre principal :

- de dire et juger que le licenciement subi est nul en raison du harcèlement moral subi,

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

- 36 133,08 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 011,10 euros à titre de rappel de l'indemnité de préavis,

- 301,11 euros de congés payés afférents,

**A titre subsidiaire :

- de dire et juger que le licenciement subi est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et à son obligation de sécurité de résultat,

- de condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- 36 133,08 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 011,10 euro à titre de rappel de l'indemnité de préavis, outre 301,11 euros de congés payés afférents,

*

Sur les autres demandes :

- d'annuler l'avertissement du 21 mai 2019 (et non du 28 mai 2019 comme indiqué par erreur),

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser la somme de 3 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- d'ordonner la rectification des documents de fin de contrat sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai d'un mois suivant le prononcé de la décision à intervenir, et se réserver la liquidation de l'astreinte,

- de débouter la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE de l'ensemble de ses prétentions dirigées contre Monsieur [N] [O],

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à lui verser la somme de 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE aux entiers dépens,

- de rappeler que l'exécution provisoire est de droit.

La société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE demande :

- de rejeter l'appel de Monsieur [N] [O],

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy en toutes ses dispositions,

*

Y ajoutant :

- de condamner Monsieur [N] [O] au paiement de la somme de 3 000,00 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [N] [O] au paiement des entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de Monsieur [N] [O] déposées sur le RPVA le 31 janvier 2023, et de la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE déposées sur le RPVA le 04 janvier 2023.

Sur le harcèlement moral :

Monsieur [N] [O] expose qu'il a été embauché en qualité d'agent de planning, son contrat de travail prévoyant également « qu'il pouvait être amené à assurer toute autre tâche plus étendue et nécessaire à la bonne marche du service auprès duquel il exerce sa fonction » (pièce n° 2 de l'appelant).

Il indique avoir accepté, sans avenant à son contrat, d'effectuer de nombreux remplacements au poste de conducteur de camion au mois d'avril 2019, mais qu'il a refusé le 15 mai 2019 d'assurer à nouveau la fonction de conducteur et demandé à son employeur à reprendre son poste d'agent de planning (pièce n° 3 de l'appelant) ; que le 16 mai il s'est présenté à son poste d'agent de planning et a refusé d'effectuer un nouveau remplacement d'un chauffeur rappelant à son employeur qu'il voulait réintégrer le poste d'agent de planning ; qu'un homme, dont il ignore l'identité a enregistré cette conversation et lui a ordonné de rentrer chez lui ; que du 17 au 21 mai, son employeur lui a demandé de ne pas se présenter à son travail sous le prétexte de récupération d'heures supplémentaires ; qu'à son retour le 22 mai, son employeur lui dit lors d'un entretien qu'il est "trop lent pour le poste et qu'il ne veut plus le mettre dessus" et lui propose une rupture amiable et face à son refus, un poste de pompiste avec une augmentation de salaire, qu'il a également refusé.

Monsieur [O] indique qu'il lui a été ensuite ordonné de s'installer à un bureau d'un collègue absent et de ne rien faire ; que le 27 mai suivant il a reçu un avertissement au motif de son retard sur son lieu d'intervention le 14 mai précédent, qu'il a contesté le 28 mai en ce qu'aucune information ne lui avait été délivrée concernant une convocation à 6 heures 45, alors que ses horaires de classiques de travail sont de 8 heures à 17 heures.

Monsieur [N] [O] fait valoir que « ces pratiques visant à 'lui- mettre la pression » ont entrainé une dégradation de son état de santé psychologique avec apparition d'un état anxieux et dépressif, lequel aboutira à son licenciement pour inaptitude physique (pièces n°8 à 11du salarié).

L'employeur expose avoir embauché Monsieur [N] [O] en raison de ses compétences de pompiste et qu'il savait dès la conclusion du contrat qu'il pouvait être affecté à des remplacements de chauffeur-pompistes en urgences, sa mission d'agent de planning ne l'occupant pas à temps plein.

Il fait valoir que l'avertissement du 21 mai était justifié, Monsieur [N] [O] ayant refusé de prendre son poste le 14 mai précédent.

Il indique également que les pièces médicales produites par le salarié n'établissent pas de lien entre ses conditions de travail et son inaptitude.

L'employeur nie tout fait de harcèlement moral.

Motivation :

Aux termes des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Monsieur [N] [O] présente les éléments suivants :

1) son employeur lui a fait effectuer de nombreuses missions de chauffeur qui ne sont pas prévues par son contrat de travail et a refusé de le réintégrer dans son poste administratif.

Il ressort du contrat de travail que Monsieur [N] [O] a été embauché pour « exercer les fonctions d'agent de planning » et que dans le cadre de cette fonction, il sera « amené à assurer l'ensemble des tâches afférentes à son poste de travail ainsi qu'à toute autre tâche plus étendue nécessaire à la bonne marche du service auprès duquel il exerce sa fonction » (pièce n° 1 du salarié).

Il résulte des courriers qu'il a adressés à son employeur les 15, 16 et 22 mai 2019 qu'il lui a demandé à être cantonné à ses fonctions d'agent de planning et à ne plus exercer celles de chauffeur, l'employeur ne contestant pas les avoir reçus (pièces n° 9 à 11).

L'employeur ne conteste pas avoir affecté Monsieur [N] [O] à d'autres tâches que celles d'agent de planning et notamment à celles de chauffeur, sans expliciter en quoi ces tâches sont nécessaires à la bonne marche du service de planning, qui est un service administratif.

Il ne conteste pas non plus ne pas avoir donné suite à la demande de Monsieur [N] [O] de l'affecter exclusivement à son emploi de bureau.

Ce fait est donc matériellement établi.

2) L'enregistrement par une personne qu'il ne connaissait pas de la conversation qu'il a eu avec son employeur le 16 mai 2019, au cour de laquelle il expliquait vouloir reprendre son emploi d'agent de planning.

L'employeur réfute qu'il y ait eu un tel enregistrement.

Monsieur [N] [O] produit un courrier adressé le 16 mai 2019 à son employeur dans lequel il relate ces évènements mais ne produit aucune autre pièce démontrant la matérialité de son assertion.

Le fait n'est donc pas matériellement établi.

3) L'ordre donné par son employeur de ne pas se présenter sur son lieu de travail les 20 et 21 mai 2019 au motif de récupérer ses heures supplémentaires.

Monsieur [N] [O] ne produit aucune pièce établissant la matérialité de ce fait.

4) Les déclarations de son employeur lui indiquant le 22 mai 2019 qu'il est « trop lent pour le poste et qu'il ne veut plus le remettre dessus » suivies d'une proposition de rupture conventionnelle puis d'une proposition de poste de pompiste.

En dehors d'un courrier adressé à son employeur dans lequel il relate ces faits, Monsieur [N] [O] ne produit aucun autre élément attestant ces déclarations,

Elles ne sont donc pas matériellement établies.

5) L'avertissement du 21 mai 2019 :

Monsieur [N] [O] indique avoir été sanctionné d'un avertissement pour ne pas s'être présenté le 14 mai 2019 sur le site d'[Localité 4] (57) à 6H45, alors qu'il n'avait reçu aucune convocation et que ses horaires de travail habituels sont de 8 heures à 17 heures (pièce n° 2 de l'appelant).

Il n'est pas contesté par l'employeur qu'il a délivré cet avertissement à Monsieur [N] [O] pour ne pas s'être présenté le 14 mai 2019 à 6H45 sur le site d'[Localité 4].

Monsieur [N] [O] produit en outre un certificat de son médecin généraliste faisant état d'une « dégradation de son état psychologique avec apparition d'un état anxieux et dépressif mineurs » survenue au mois de mai 2019 (pièce n° 11 de l'appelant).

Les éléments matériels établis, pris dans leur ensemble, ainsi que les pièces médicales produites au dossier, permettent de présumer une situation de harcèlement moral.

L'employeur fait valoir que le contrat de travail l'autorisait à affecter Monsieur [N] [O] à des tâches de conduite de véhicule et que ses fonctions d'agent de planning ne l'occupaient pas à plein temps ; qu'il l'avait embauché « car il avait les aptitudes à remplacer des pompistes et détenait les certifications nécessaires pour la conduite de camions », que l'avertissement du 21 mai 2019 était justifié et que Monsieur [N] [O] ne niait pas de pas s'être présenté sur son lieu d'affectation ce jour-là.

Il ressort cependant de l'article 2 du contrat de travail, que Monsieur [N] [O] a été embauché à titre principal comme agent de planning et que s'il pouvait être affecté à « toute autre tâche plus étendue », celle-ci devait être nécessaire « à la bonne marche du service auprès duquel il exerce sa fonction ». La cour constate que l'employeur ne justifie pas en quoi l'affectation de Monsieur [N] [O] à un emploi de chauffeur, a un lien avec la bonne marche du service planning et étant précisé que si Monsieur [N] [O] avait été embauché en raison de son aptitude à conduire des camions, son contrat de travail ne mentionne nullement qu'il devrait exercer des fonctions de chauffeur. En outre, s'il affirme que Monsieur [N] [O] a conduit des camions depuis son embauche, il ne produit aucune pièce justifiant ce fait, alors que le salarié indique avoir accepté cette fonction d'avril 2019 à la mi-mai 2019.

Il n'est pas contesté par l'employeur qu'il n'a pas répondu au courrier du 15 mai 2019 par lequel Monsieur [N] [O] sollicitait sa réaffectation à son emploi de bureau, le seul écrit qu'il lui a adressé étant l'avertissement du 21 mai 2019.

En outre, s'agissant de cet avertissement, il résulte du contrat de travail que Monsieur [N] [O] devait principalement exercer ses fonctions auprès de l'établissement secondaire de [Localité 5] et du planning produit par le salarié que ses horaires étaient de 9 heures à 17 heures. Or, l'employeur ne produit aucune pièce justifiant que Monsieur [N] [O] eut été convoqué le 14 mai 2019 à 6H45 sur le site d'[Localité 4], pour assurer la conduite d'un camion et ne dément pas que ce dernier se soit présenter à son bureau à [Localité 5] à 9 heures, ce jour-là.

La cour relève à cet égard que l'employeur a notifié à Monsieur [N] [O] un précédent avertissement le 13 janvier 2019, pour ne pas avoir respecté ces horaires de bureau, indiquant qu'ils « ont été fixés afin d'optimiser la gestion nous de votre service et de ce fait, qu'un agent de planning soit toujours présent afin de répondre aux appels des clients » (pièce n° 11 de l'intimée).

Dès lors, la cour constate que l'employeur ne justifie pas que les agissements invoqués par Monsieur [N] [O], à savoir le refus de l'employeur de ne plus l'assigner, malgré ses demandes, à des tâches de conduite de camions non prévues par son contrat de travail et l'avertissement du 21 mai 2019, sont étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE devra verser à Monsieur [N] [O] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement par l'employeur à son obligation de sécurité :

Monsieur [N] [O] fait valoir que son employeur « a manifestement manqué à son obligation de sécurité de résultat et, au surplus, s'est livré à des actes de harcèlement moral, destinés à le faire craquer. »

L'employeur s'oppose à cette demande, en l'absence de faute de sa part.

Motivation :

L'article L4121-1 du code du travail prévoit que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En l'espèce, l'employeur ne démontrant pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir et empêcher le harcèlement moral subi Monsieur [N] [O], il sera condamné à lui verser la somme de 5000 euros de dommages et intérêts.

Sur la nullité du licenciement :

Monsieur [N] [O] fait valoir que son inaptitude est en relation avec le harcèlement moral qu'il a subi.

La société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE fait valoir qu'il n'y a pas eu de harcèlement et que les pièces médicales produites ne permettent pas d'établir un quelconque lien entre la dégradation de l'état de santé de Monsieur [N] [O] et ses conditions de travail.

Motivation :

En l'espèce, la dégradation de l'état de santé psychique de Monsieur [N] [O] ayant causé son inaptitude, qui est apparue de façon concomitante aux faits de harcèlement commis à son égard par son employeur, apparaît être la conséquence de ces faits.

Dès lors, en application de l'article de l'article L. 1153-4 du code du travail, le licenciement de Monsieur [N] [O] est nul.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul :

Monsieur [N] [O] fait valoir qu'il n'a pas retrouvé de travail et est toujours inscrit à POLE EMPLOI (pièces n° 23 à 26).

Il réclame la somme de 36 133,20 euros, soit 12 mois de salaire sur la base d'une rémunération moyenne de 3011,10 euros.

La société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE fait valoir que la demande de Monsieur [N] [O] est excessive et non fondée.

Motivation :

Il résulte de l'article L.1235-3-1 du code du travail que lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article et que le salarié de demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte-tenu de la perte de son emploi, de l'ancienneté de Monsieur [N] [O] au moment de son licenciement et de sa situation économique actuelle, l'employeur, qui ne conteste pas que la moyenne du salaire à prendre en compte est de de 3011,10 euros, devra lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur l'indemnité de préavis :

Monsieur [N] [O] fait valoir que l'article 3 paragraphe 3 de la Convention collective applicable prévoit que le préavis en cas de licenciement est d'une durée de 1 mois après 6 mois d'ancienneté dans l'entreprise.

Il réclame en conséquence la somme de 3011,10 euros, outre 301,11 euros au titre des congés-payés y afférent.

L'employeur fait valoir que le licenciement étant fondé, Monsieur [N] [O] devra être débouté de sa demande.

Motivation :

L'inaptitude de Monsieur [N] [O] trouvant sa cause directe dans des actes de harcèlement moral commis par l'employeur, il peut prétendre à l'indemnité compensatrice de préavis.

En conséquence, la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE devra verser à Monsieur [N] [O] les sommes de 3011,10 euros, outre 301,11 euros au titre des congés-payés y afférent.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

Monsieur [N] [O] fait valoir que son employeur a modifié les termes de son contrat de travail en ce qu'il lui a assigné des fonctions de chauffeur alors qu'il avait été embauché sur un poste administratif ; que l'avertissement qui lui a été délivré le 27 mai 2019 est injustifié.

Il demande la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts.

L'employeur fait valoir qu'il n'a fait qu'appliquer le contrat de travail.

Motivation :

L'article 2 du contrat de travail de Monsieur [N] [O] est ainsi rédigé :

« Le salarié exerce les fonctions d'agent de planning. Dans le cadre de sa fonction, il est convenu que le salarié soit amené à assurer l'ensemble des tâches afférentes à son poste de travail, ainsi qu'à toute autre tâche plus étendue nécessaire à la bonne marche du service auprès duquel il exerce sa fonction » (pièce n° 1 de l'appelant).

Comme il l'a été indiqué ci-dessus, Monsieur [N] [O] a été embauché en tant qu'agent de planning, poste administratif. Il résulte des termes mêmes du contrat de travail que les tâches « plus étendues » qui peuvent lui être attribuées sont nécessairement en lien avec l'activité du service au sein duquel il a été affecté, ce qui exclut son affectation à des tâches de conduite de poids-lourds qui sont sans relation avec l'activité de planning.

En outre, comme il l'a été également indiqué ci-dessus, l'avertissement du 21 mai 2019, est relatif à la non-exécution par Monsieur [N] [O] d'une tâche non prévue par le contrat de travail

En conséquence, la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE devra verser à Monsieur [N] [O] la somme de 2000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur l'annulation de l'avertissement du 21 mai 2019 :

L'employeur ne produisant aucune pièce démontrant que Monsieur [N] [O] devait se présenter le 14 mai 2019 à 6H45 sur le site d'[Localité 4], l'avertissement sera annulé.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

La société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE devra verser à Monsieur [N] [O] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et sera déboutée de sa propre demande à ce titre.

La société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE sera condamnée aux dépens.

Sur la communication des documents de fin de contrat :

L'employeur devra remettre à Monsieur [N] [O] les documents de fin de contrat rectifiés en application dudit arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy en ses dispositions soumises à la cour ;

STATUANT A NOUVEAU

Condamne la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à verser à Monsieur [N] [O] :

- la somme de 5000 euros de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

- la somme de 5000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement nul,

- les sommes de 3011,10 euros, outre 301,11 euros au titre des congés-payés y afférent, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- la somme de 2000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

Annule l'avertissement du 21 mai 2019 ;

Y AJOUTANT

Condamne la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE à verser à Monsieur [N] [O] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE aux dépens,

Ordonne la remise des documents de fin de contrat rectifiés en application dudit arrêt,

Ordonne, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par la société S.A.S.U BETONS FEIDT FRANCE des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Monsieur [N] [O] postérieurement à son licenciement, dans la limite de 6 mois.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en treize pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/01618
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;22.01618 ?
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