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29/06/2023 | FRANCE | N°22/01352

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 29 juin 2023, 22/01352


ARRÊT N° /2023

PH



DU 29 JUIN 2023



N° RG 22/01352 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7WJ







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES

F19/00057

25 octobre 2021











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANT :



Monsieur [P] [Y]

[

Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Sabine TOUSSAINT de la SELARL VIBIA, avocat au barreau de NANCY



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/003877 du 31/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)







INTIMÉE :



EURL LA GALLERY prise en la personne de son repr...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 29 JUIN 2023

N° RG 22/01352 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7WJ

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES

F19/00057

25 octobre 2021

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [P] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Sabine TOUSSAINT de la SELARL VIBIA, avocat au barreau de NANCY

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/003877 du 31/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)

INTIMÉE :

EURL LA GALLERY prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Catherine FAIVRE substituée par Me LEMELLE, avocats au barreau d'EPINAL

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats, sans opposition des parties

Président : WEISSMANN Raphaël

Conseiller : STANEK Stéphane

Greffier : RIVORY Laurène (lors des débats)

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 06 Avril 2023 tenue par WEISSMANN Raphaël, Président, et STANEK Stéphane, Conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN et Guerric HENON, présidents, et Stéphane STANEK, conseiller, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 29 Juin 2023 ;

Le 29 Juin 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [P] [Y] a été engagé sous contrat de travail à durée déterminée, par la société E.U.R.L LA GALLERY à compter du 02 février au 02 avril 2019, en qualité de cuisinier.

A compter du 01 avril 2019, la relation contractuelle s'est poursuivie sous contrat à durée indéterminée, en qualité de chef cuisinier.

La convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants s'applique au contrat de travail.

Par courrier du 19 juin 2019, Monsieur [P] [Y] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 28 juin 2019, avec notification de sa mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 02 juillet 2019, Monsieur [P] [Y] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 22 novembre 2019, Monsieur [P] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges aux fins :

- de dire et juger que son licenciement n'est pas fondé sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société E.U.R.L LA GALLERY à lui payer les sommes suivantes :

- 3 000,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 1 013,15 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 101,31 euros de congés payés afférents,

- 1 215,17 euros de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire, outre 121,51 euros de congés payés afférents,

- 940,89 euros de rappels de salaires heures supplémentaires 10%, outre 94,08 euros de congés payés afférents,

- 1 053,15 euros de rappels de salaires heures supplémentaires 20%, outre 105,31 euros de congés payés afférents,

- 11 498,02 euros de rappels de salaires heures supplémentaires 50%, outre 149,80 euros de congés payés afférents,

- 3 446,88 euros pour heures réalisées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires,

- 5 000,00 euros de dommages et intérêts pour non-respect des durées quotidiennes et hebdomadaires du travail,

- 1 800,00 euros au titre de la loi sur l'aide juridictionnelle, outre les dépens.

- d'ordonner la remise des documents, bulletin de paie mentionnant les condamnations susvisées, attestation Pôle Emploi rectifiée, sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard, passé un délai de 14 jours calendaires à compter de la notification du jugement à intervenir,

- d'ordonner l'exécution provisoire.

A titre reconventionnel, la société E.U.R.L LA GALLERY sollicitait le paiement par Monsieur [P] [Y] de la somme de 1 050,00 euros à titre de remboursement d'avances sur salaires, outre le versement d'une somme de 1 800,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges rendu le 25 octobre 2021 lequel a :

- dit et jugé le licenciement pour faute grave de Monsieur [P] [Y] justifié,

En conséquence :

- débouté Monsieur [P] [Y] de la totalité de ses demandes,

- rejeté la demande de Maître [N] [H] relative à l'application de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle,

- ordonné à Monsieur [P] [Y] de restituer à la société E.U.R.L LA GALLERY la somme de 1 050,00 euros au titre des avances sur salaires. La société E.U.R.L LA GALLERY devra établir un bulletin de paie rectifié,

- débouté la société E.U.R.L LA GALLERY du surplus de ses demandes,

- condamné [P] Monsieur [Y] aux entiers dépens.

Vu l'appel formé par Monsieur [P] [Y] le 09 juin 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [P] [Y] déposées sur le RPVA le 10 août 2022, et celles de la société E.U.R.L LA GALLERY déposées sur le RPVA le 08 novembre 2022,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 01 mars 2022,

Monsieur [P] [Y] demande :

- d'infirmer le jugement entrepris dans son intégralité,

Statuant à nouveau :

- de juger qu'il a réalisé des heures supplémentaires impayées par la société E.U.R.L LA GALLERY,

- de juger qu'il n'a commis aucune faute grave,

- de juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société E.U.R.L LA GALLERY à lui payer les sommes suivantes :

- 940,89 euros de rappels de salaires heures supplémentaires 10%,

- 94,08 euros de congés payés afférents,

- 1 053,15 euros de rappels de salaires heures supplémentaires 20%,

- 105,31 euros de congés payés afférents,

- 11 498,02 euros de rappels de salaires heures supplémentaires 50%,

- 1149,80 euros de congés payés afférents,

- 3 446,88 euros pour heures réalisées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires,

- 344,68 euros au titre des congés payés afférents,

- 5 000,00 euros de dommages et intérêts pour non-respect des durées quotidiennes et hebdomadaires du travail,

- 1 215,17 euros de rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire,

- 121,51 euros de congés payés afférents,

- 1 013,15 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 101,31 euros de congés payés afférents,

- 2 026,31 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- d'appliquer les intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,

- de débouter la société E.U.R.L LA GALLERY de l'intégralité de ses demandes, fins et moyens contraires,

- d'ordonner à la société E..U.R.L LA GALLERY de lui remettre les documents de fin de contrat, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard, passé ce délia

- de condamner la société E.U.R.L LA GALLERY à verser à Maître [N] [H] une somme de 1 800,00 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

- de condamner la société E.U.R.L LA GALLERY aux entiers frais et dépens, tant de première instance que d'appel.

La société E.U.R.L LA GALLERY demande :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relatives au rejet de la demande au titre de la procédure abusive et de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter Monsieur [P] [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

*

Statuant de nouveau sur le surplus pour lequel l'infirmation est demandée :

- de condamner Monsieur [P] [Y] à verser à la société E.U.R.L LA GALLERY une somme de 1 800,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- de condamner Monsieur [P] [Y] à lui verser la somme de 2 500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

- de condamner Monsieur [P] [Y] à lui verser la somme de 2 500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de Cour,

- de condamner Monsieur [P] [Y] aux entiers dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 08 novembre 2022, et en ce qui concerne le salarié le 10 août 2022.

Sur la condamnation au remboursement d'avances sur salaire

Ni l'une ni l'autre des parties ne conclut sur ce point.

Dès lors, en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement du 02 juillet 2019 ( pièce 2-2 du salarié) indique :

« Monsieur [Y],

Suite à notre entretien préalable du vendredi 28/06/2019 auquel nous vous avions convoqué en date du 19/06/2019, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Conformément aux dispositions légales en vigueur, la rupture de votre contrat de travail prend effet dès l'envoi de cette lettre, soit le 02/07/2019.

En ce qui concerne les motifs de licenciement, il s'agit de ceux évoqués lors de notre entretien précité du 28/06/2019.

Les motifs de ce licenciement sont énoncés ci-après.

Vous étiez responsable du service du soir le 14/06/2019. A mon arrivée vers 11h le jour suivant, soit le 15/06/2019, j'ai appris que vous aviez dormi sur place au restaurant et vous sembliez alcoolisé. J'ai également constaté les points détaillés ci-après :

-Manquements graves à l'hygiène :

Lors de votre service la marchandise n'a pas été reconditionnée au frais. La cuisine n'était pas nettoyée, ni le plan de travail- Un mégot ainsi que diverses -bouteilles- de boissons vides ont été retrouvés près du bain-marie. La plonge n'était ni faite, ni vidangée, et les murs et le sol en étaient crépis de sauce. La salle n'était pas nettoyée. Enfin au bar, lui-aussi non nettoyé, la machine à café était sale et la caisse de verre n'était pas vidée. Vous n'êtes pas sans savoir les répercussions pénales que nous pouvons rencontrer en cas de manques à l'hygiène et nous ne pouvons les accepter et mettre en péril notre entreprise.

-Détériorations du matériel :

Durant la nuit du vendredi 14/06 au samedi 15/06/2019 nous ne savons ce qui s'est passé, mais une partie du matériel du restaurant a été retrouvé endommagé. Dans la réserve, la trancheuse était tombée au sol, tandis le côté du four à pizza situé dans la cuisine est enfoncé. A cela s'ajoutent tous les éléments listés ci-après définitivement brisés : bac trois tiroirs, bac de pommes de terre, bac plastique, divers éléments de vaisselle. Dans la salle du restaurant, même constat : une table était retournée et fissurée, le téléphone fixe s'est avéré hors d'usage, un verre, une salière et trois poivrières étaient brisés.

-Ecart dans la caisse

J'ai pu constater ensuite qu'entre le relevé de caisse du midi du 14/06/2019 et celui du soir il manquait 50 € de fonds de caisse, alors qu'aucun encaissement n'était constaté. Hors une carte bleue a été effectuée le soir.

-Non encaissement des consommations des clients

Dans la soirée 2 clients sont venus au bar ainsi que 4 autres au restaurant. S'y sont ajoutés 6 ou 7 clients connus de notre entreprise, car travaillant chez l'usine Renault : aucun de ces clients n'a été encaissé. Pour preuve, les clients travaillant chez Renault sont venus payer leurs consommations le dimanche pour un total de 221.10 E. Pour les autres, pas d'encaissements, ce qui constitue une perte sèche pour notre restaurant.

-Comportement irrespectueux

Ce samedi 15/06/2019, lors de la découverte de ces faits, votre attitude a été irrespectueuse voire à la limite de l'insulte. Vous vous êtes mis à hurler alors que je vous adressais calmement la parole. Une personne tierce a du intervenir face à la violence de votre réaction pour vous demander de quitter les lieux. Ce comportement ne peut être excusé.

Par conséquent, au regard de tous ces motifs nous vous confirmons que nous ne pouvons pas poursuivre notre collaboration, puisque les faits que nous avons constatés constituent une faute grave justifiant ainsi votre licenciement sans indemnités ni préavis. (...) »

L'employeur renvoie à plusieurs pièces (attestations et photographies) pour justifier les griefs relatifs aux manquements à l'hygiène et aux dégradations.

L'entreprise explique, quant aux erreurs de caisse, que M. [P] [Y] a donné la consigne à Mme [L] de ne pas « typer » une table sur la caisse ; qu'il n'a pas encaissé certains clients qui avaient consommé des boissons au bar ; qu'il n'a pas non plus encaissé une table de six personnes pour un montant de 221,10 euros ; qu'il a également procédé à des annulations durant la soirée du 14 juin 2019, pour un montant total de 369,30 euros.

La société précise que la gérante a pu établir une facture à la main à partir de tickets de commande retrouvés dans les poubelles.

L'employeur expose que M. [P] [Y] s'est montré agressif envers la gérante lorsqu'elle l'a interrogé pour comprendre ce qui s'était passé ; elle a porté plainte pour les dégradations constatées dans le restaurant.

La société LA GALLERY ajoute qu'il résulte de ses pièces 6 à 10 que M. [P] [Y] passait de nombreux appels personnels depuis le téléphone de la société ; disposant des clés, il se rendait au restaurant à n'importe quel moment, souvent pour y consommer de l'alcool. Il y dormait également, alors qu'il n'a pas été autorisé à le faire.

La société LA GALLERY critique également son comportement général.

M. [P] [Y] fait valoir que :

- s'agissant du grief de manque d'hygiène, que l'on ne sait pas quelles marchandises auraient dû être reconditionnées ; il ajoute qu'à l'heure où ont été prises les photographies, il est fréquent de trouver de tels ingrédients sortis pour le service ; qu'aucun élément ne permet d'établir que ces marchandises auraient été sorties pour le service du 14 juin 2019 au soir, et qu'elles n'auraient pas été reconditionnées jusqu'au lendemain midi ; il ajoute qu'il n'était pas responsable de la plonge et du nettoyage en salle

- en ce qui concerne les dégradations reprochées : M. [P] [Y] fait valoir que les photographies ne justifient pas des dégradations mentionnées dans la lettre de licenciement ; qu'il n'est pas justifié de l'état antérieur du four à pizza et du téléphone ; que rien n'établit que ces détériorations auraient été commises durant la soirée du 14 juin 2019 et de les lui imputer.

- en ce qui concerne les erreurs d'encaissement, il fait valoir que la gestion des encaissements ne lui incombait pas ; il conteste les annulations de facturation qui lui sont imputées, en soulignant que la plupart ont été faites soit avant 22 heures, soit quand la serveuse était encore présente en salle, soit le lendemain soir du 15 juin ; il fait valoir les mêmes observations pour les 50 euros manquants dans la caisse, et l'absence d'encaissement d'une table de six personnes

- en ce qui concerne le grief sur le comportement, le salarié remet en cause la fiabilité de l'attestation de M. [F] qui est celui qui l'a remplacé dans ses fonctions ; il ajoute qu'il ressort des propres sms produits aux débats par la société LA GALLERY qu'il entretenait de bonnes relations avec la gérante de l'entreprise.

Motivation

Aux termes de l'article L1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. C'est à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, M. [U] [F] atteste en pièces 24 et 35 de la société LA GALLERY (attestation de M. [U] [F], rédigée sous la dictée de ce dernier par Mme [E] [K] parce qu'il a des difficultés à écrire) être arrivé au restaurant le samedi 15 juin à 10h30, « le cuisinier descendait les escaliers de la remise dans un état « second ». Je lui ai demandé 3 fois ce qu'il s'était passé. Je n'ai eu qu'une réponse « je vais t'expliquer ». » Il explique avoir constaté une table renversée, un verre cassé par terre, avec couverts et serviette, « une multitude de bouteilles vides », le téléphone fixe cassé ; « dans la cuisine (') pommes de terre par terre, les sauces lancées sur les murs, le four enfoncé (') quelques minutes plus tard [R] la patronne arrive, choquée par la vue de l'état de son établissement. (') Elle lui demande « Que s'est-il passé ' », s'il y avait eu un différend avec les clients de la veille, ce dernier était seul responsable avec une serveuse, si elle devait s'attendre à avoir les gendarmes et à ce moment depuis le silence et sans explications ce dernier est rentré dans une rage folle envers la patronne, la serveuse s'est écartée d'eux, m'a regardé et je suis intervenu car je l'ai vu s'approcher sa tête près d'elle en criant (comme un coq). Je suis intervenu car de la manière et le comportement agressif j'ai eu peur qu'il soit violent envers elle. Je lui ai demandé de [se] calmer et quitter les lieux. (...) »

Les pièces 51 de l'employeur (photographies horodatées du samedi 15 juin 2019 au dimanche 16 juin 2019) confirment notamment les débris de verre au sol de la salle de restauration, la table renversée, le téléphone cassé ; et dans la cuisine une paroi du four enfoncée, des taches de sauces sur les murs et les rangements, des bacs de sauces à l'air libre.

La pièce 42 de la société LA GALLERY est l'attestation de Mme [V] [L], qui explique avoir pris son poste le vendredi 14 juin 2019 à 18h30 ; « la gérante n'était pas présente ce soir-là, elle m'en avait informé à l'avance. Je devais apprendre à gérer le service seule, sous la responsabilité du chef cuisinier. » ; elle explique ensuite être partie vers 23h15, la compagne du chef étant venue entre temps reprendre le service ; il y avait encore des clients.

Cette attestation confirme que M. [P] [Y] est resté seul au restaurant pour la fin du service.

La pièce 26 est l'échange de sms entre Mme [R] [S], gérante, et la compagne de M. [P] [Y], le 15 juin 2019, vers 10h45. Mme [S] envoie son message sur le téléphone de son salarié : « Bonjour Chef est-ce que tu es sur la route je n'arrive pas à appeler le restaurant à tout de suite » ; la réponse est la suivante : « Bonjour, [P] est au restaurant. Dans quel état je ne sais pas. J'ai fait de mon mieux. Bonne journée. »

M. [P] [Y] renvoie à la pièce 20 adverse pour soutenir qu'il « était tout à fait normal et en pleine possession de ses moyens lors de cette soirée » ; or cette pièce 20 de la société LA GALLERY est un document des sapeurs pompiers « décharge de responsabilité » pour une intervention qui a concerné l'appelant le 02 avril 2019, qui ne correspond pas à la date des faits reprochés dans la lettre de licenciement, soit la nuit du 14 juin au 15 juin 2019.

Les autres pièces auxquelles il renvoie, qui sont des pièces de l'employeur, sont visées par lui à l'appui de ses arguments selon lesquels il avait de bonnes relations avec la gérante du restaurant, et pour critiquer le comportement de M. [A], qui atteste contre lui. Ces pièces ne se rapportent pas aux faits reprochés.

Il résulte de ces éléments que :

- les dégradations et entorses à l'hygiène dans le restaurant sont établies

- M. [P] [Y] était seul dans le restaurant dans la nuit du 14 au 15 juin 2019, avec des clients, donc seul responsable de la tenue du restaurant le soir des faits reprochés

- qu'au départ de la serveuse il n'y avait pas d'incident

- qu'il a eu un comportement violent, par paroles et attitude, envers son employeur, le 15 juin 2019.

Les griefs de manquement à l'hygiène, détérioration du matériel et comportement irrespectueux sont établis ; ils justifient la sanction prononcée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs développés dans la lettre de licenciement.

En conséquence, M. [P] [Y] sera débouté de sa demande de voir dire le licenciement sans cause et sérieuse, et de ses demandes subséquentes.

Le jugement sera confirmé sur ces points.

Sur les demandes au titre des heures supplémentaires

M. [P] [Y] réclame des rappels de salaires pour heures supplémentaires , à des taux de 10, 20 et 50 %.

Il indique produire un calendrier et des tableaux en pièce 6 et 6.2.

L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu' en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction.

Il ressort de cette règle que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties mais que le salarié doit appuyer sa demande en paiement d'heures supplémentaires par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

M. [P] [Y] verse en pièce 6.1 un calendrier 2019, renseigné avec des horaires du 1er février au 15 juin, en pièce 6.2 un tableau de décompte et valorisation des heures supplémentaires, et en pièce 6.3 un décompte des heures au-delà du contingent d'heures supplémentaires.

Ces pièces sont suffisamment précises pour permettre à l'employeur d'y répondre.

En réponse, la société LA GALLERY fait valoir que les pièces produites par M. [P] [Y] ont été établies par lui-même, qu'elles ne sont pas cohérentes avec les propres messages du salarié, et qu'un système de contrôle du temps de travail avait été mis en place, mais que M. [P] [Y] a refusé de s'y soumettre.

La société LA GALLERY estime qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir sanctionné à ce titre M. [P] [Y], le contrat de travail n'ayant duré que 5 mois, et que ce dernier n'a jamais fait de demande au titre d'heures supplémentaires.

La société LA GALLERY ajoute que c'est la gérante et non M. [P] [Y] qui gérait le restaurant et les fournisseurs.

Motivation

Si la société LA GALLERY justifie par ses pièces 37 à 40 que les employées Mme [B] [G] et Mme [I] [C] remplissaient un relevé d'heures, elle ne justifie pas de ce que, comme elle l'indique, M. [P] [Y] aurait refusé de se soumettre au décompte de ses heures selon le système mis en place par l'employeur.

Dès lors un tel refus ne peut être opposé aux pièces de M. [P] [Y].

L'employeur ne produit aucun décompte des heures travaillées de l'appelant.

La société LA GALLERY produit en pièce 22 des échanges de sms entre M. [P] [Y] et la gérante de la société, et affirme que les pièces du salarié ne sont pas cohérentes avec ses messages.

De la lecture de ces messages, il ressort des différences entre les heures de début et fin de travail indiquées par M. [P] [Y] dans ses pièces, et ses heures d'arrivée au travail ou de fin de service qu'il annonce à son employeur dans ses messages. A titre d'exemples, pour le 23 février, l'heure de début de travail indiquée dans son calendrier ne correspond pas à l'heure à laquelle il dit qu'il va arriver au travail par sms ; il en va de même pour le 25 février, ou le 15 mars ; pour le 27 février, ses heures de début et de fin de travail ne correspondent pas à ce qu'il annonce dans ses sms.

En pièce 63, la société LA GALLERY produit le message qu'elle a posté sur le compte Facebook du restaurant annonçant sa fermeture pour congés du 03 mai au 15 mai 2019.

M. [P] [Y] réclame sur cette période des heures supplémentaires dans sa pièce 6.1, même si son décompte est à zéro pour la période du 06 au 12 mai dans sa pièce 6.2.

Compte tenu de ces éléments, la cour est en mesure d'évaluer le rappel dû à la somme de 7 000 euros au titre des heures supplémentaires, outre 700 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents ; il sera par ailleurs débouté de sa demande au titre du dépassement du contingent d'heures supplémentaires, compte tenu de ces mêmes éléments.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect des durées de travail quotidienne et hebdomadaire

M. [P] [Y] rappelle les durées maximales de travail fixées par l'article 19.2 de l'avenant du 05 février 2007 à la convention collective applicable, et fait valoir qu'il a travaillé à plusieurs reprises au-delà de ces durées.

La société LA GALLERY fait valoir que le salarié ne précise ni la nature ni l'étendue de son préjudice.

Motivation

Compte tenu des éléments pris en compte au développement précédent, dont il découle que M. [P] [Y] a pu travailler au-delà des durées légales de travail posées par la convention collective, il sera fait droit à sa demande à hauteur de 700 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

La société LA GALLERY motive sa demande par le fait que les prétentions de M.[P] [Y] seraient fantaisistes et abusives.

M. [P] [Y] ne conclut pas sur ce point.

Motivation

Les demandes de M. [P] [Y] étant au moins en partie accueillies, son action n'était dès lors pas abusive.

En conséquence, la société LA GALLERY sera déboutée de sa demande.

Sur la demande de documents de fin de contrat

En application des articles L1234-19 et R1234-9 du Code du travail, il sera fait droit à la demande, à l'exception de la demande d'astreinte, celle-ci n'apparaissant pas justifiée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant à l'instance, la société LA GALLERY sera condamnée aux dépens, et au paiement de 1500 euros à Maître [N] [H] au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saint Dié des Vosges, en ce qu'il a débouté M. [P] [Y] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et l'a condamné aux dépens ;

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau dans ces limites,

Condamne la société LA GALLERY à payer à M. [P] [Y]:

- 7000 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires

- 700 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents

- 700 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des durées de travail ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Y ajoutant,

Condamne la société LA GALLERY à remettre à M. [P] [Y] les documents de fin de contrat en conformité avec le présent arrêt ;

Condamne la société LA GALLERY à payer 1500 euros à Maître [N] [H] au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Condamne la société LA GALLERY aux dépens de première instance et d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en onze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/01352
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;22.01352 ?
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