RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° /23 DU 29 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/00993 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E64W
Décision déférée à la Cour :
Jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de NANCY, R.G. n° 20/01108 en date du 06 avril 2022,
APPELANTE :
La S.C.I. LECLERC 81,
immatriculée au RCS de NANCY sous le numéro 402.962.237 dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
Madame [D] [T]
née le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 5], sans profession, domiciliée [Adresse 3]
Représentée par Me Catherine BERNEZ de l'AARPI CLAUDE THOMAS CATHERINE BERNEZ OLIVIER NUNGE, avocat au barreau de NANCY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/4524 du 31/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 01 Juin 2023, en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,
Madame Nathalie ABEL, conseillère, chargée du rapport
Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère,
qui en ont délibéré ;
Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;
A l'issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 29 Juin 2023, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 29 Juin 2023, par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat du 13 mai 2015, la SCI Leclerc 81 a donné à bail à Mme [D] [T] un appartement à usage d'habitation situé [Adresse 3] à [Localité 4] pour un loyer mensuel initial de 535 euros outre 50 euros de provisions sur charges.
L'état des lieux de sortie a été établi par huissier le 27 mai 2020.
Par jugement du 6 avril 2022, le tribunal judiciaire de Nancy a :
- condamné la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] les sommes de :
- 2 500 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait de l'indécence du logement avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- 2 000 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait des manquements du bailleur à compter du 10 avril 2020 avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- 300 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive avec intérêts légaux à compter du jugement,
- condamné la société Leclerc 81 à payer, pour troubles de jouissance du fait des manquements du bailleur à compter du 10 avril 2020, à Mme [T] en qualité de représentante légale de :
- sa fille [P] [Y] la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait des manquements du bailleur à compter du 10 avril 2020 avec intérêts légaux à compter du jugement,
- sa fille [P] [M] la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts,
- débouté Mme [T] de sa demande de restitution du dépôt de garantie avec majorations de retard,
- condamné Mme [T] à payer à la société Leclerc 81, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, les sommes de :
- 1 235 euros au titre des dégradations locatives,
- 465,97 euros au titre de l'échéance locative de mai 2020,
- 192 euros au titre de la moitié des frais d'huissier pour l'établissement d'un constat des lieux de sortie,
- ordonné la compensation des sommes dues entre Mme [T] et la société Leclerc 81 jusqu'à due concurrence,
- condamné la société Leclerc 81aux dépens ainsi qu'à devoir payer à Mme [T] 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société Leclerc 81 de sa demande au titre de l'article 700 et de ses demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration enregistrée le 27 avril 2022, la société Leclerc 81 a interjeté appel du jugement précité, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande de restitution du dépôt de garantie et en ce qu'il a ordonné la compensation des sommes dues entre les parties.
Par conclusions déposées le 19 janvier 2023, la société Leclerc 81 demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [T] la somme de 2 500 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait de l'indécence du logement, l'a condamnée à payer à Mme [T] la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait des manquements du bailleurs à compter du 10 avril 2020, l'a condamnée à payer à Mme [T] en qualité de représentante légale de sa fille [P] [Y] la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait des manquements du bailleur à compter du 10 avril 2020, l'a condamnée à payer à Mme [T] en qualité de représentante légale de sa fille [P] [M] la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait des manquements du bailleur à compter du 10 avril 2020, l'a condamnée à payer à Mme [T] la somme de 300 euros au titre de la résistance abusive, a condamné Mme [T] à payer à la société Leclerc 81 la somme de 1 235 euros au titre des dégradations locatives, a condamné Mme [T] à payer la somme de 465,97 euros au titre de l'échéance locative correspondant au mois de mai 2020, a condamné la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté la société Leclerc 81 de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné la société Leclerc 81 aux dépens,
Statuant à nouveau :
- débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes,
- déclarer les demandes de Mme [T] pour le compte de ses enfants irrecevables, pour défaut de qualité à agir,
- condamner Mme [T] au titre des réparations locatives à la somme de 20 317,87 euros,
- condamner Mme [T] à verser le loyer du mois de mai 2020 pour un montant de 641 euros,
A titre infiniment subsidiaire, si la cour entendait confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Leclerc 81 au paiement de certaines sommes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la compensation des sommes dues entre Mme [T] et la société Leclerc 81 jusqu'à due concurrence,
En tout état de cause,
- condamner Mme [T] à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions déposées le 6 février 2023, Mme [T] demande à la cour de :
- infirmer le jugement uniquement en ce qu'il a limité le quantum de l'indemnisation du préjudice subi par Mme [T] du fait de la non décence des lieux loués à une somme de 2 500 euros,
Statuant à nouveau sur ce seul point,
- condamner la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] une somme de 6 000 euros à titre d'indemnisation pour le trouble de jouissance découlant de l'état d'indécence du logement donné à bail,
- confirmer pour le surplus le jugement en toutes ses dispositions,
- débouter la société Leclerc 81 de son appel, celui-ci étant irrecevable et dénué de fondement,
Y ajoutant, condamner la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions visées ci-dessus, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 avril 2023.
MOTIFS
Sur les troubles de jouissance subis par la locataire
Le premier juge a estimé que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrer un logement décent en relevant que ce dernier présentait un caractère vétuste et a en conséquence condamné la SCI Leclerc 81 à payer à Mme [T] une somme de 2 500 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance. Le premier juge a en outre estimé que le bailleur avait également manqué à son obligation de fournir un logement décent en coupant le chauffage et l'eau chaude à compter du 10 avril 2020. Il a en conséquence condamné la SCI Leclerc 81 à payer en réparation du préjudice de jouissance une somme de 2 000 euros à Mme [T] en son nom personnel outre les sommes de 1 000 euros en sa qualité de représentante légale de chacune de ses deux filles.
Selon l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent.
Cette disposition est reprise à l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 aux termes duquel, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risque manifeste pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'insectes nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. Le bailleur est en outre obligé de délivrer au locataire le logement en bon état d'usage et de réparation, d'assurer au locataire la jouissance paisible du logement et d'entretenir les locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat.
L'article 2 du décret du 30 janvier 2002 dispose que le logement doit notamment satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires :
- disposer de dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que des garde-corps des fenêtres, dans un état conforme à leur usage ;
- être doté de branchements d'électricité et de gaz ainsi que des équipements de chauffage et de production d'eau chaude en bon état d'usage et de fonctionnement ;
- permettre une aération suffisante.
L'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le locataire est quant à lui notamment obligé de :
- répondre des dégradations et pertes qui surviennent pendant la durée du contrat dans les locaux dont il a la jouissance exclusive à moins qu'il ne prouve qu'ils ont lieu pour cas de force majeure, par la faute du bailleur, par le fait d'un tiers qu'il n'a pas introduit dans le logement,
- prendre à sa charge l'entretien courant du logement, les équipements mentionnés au contrat et des réparations ainsi que l'ensemble des réparations locatives sauf si elles sont occasionnées par vétusté, malfaçons, vices de construction, cas fortuit ou force majeure,
- permettre l'accès aux lieux loués notamment pour la préparation et l'exécution des travaux nécessaires au maintien en état ou à l'entretien normal des lieux loués.
Par ailleurs aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Sur le caractère vétuste du logement
Il ressort du rapport établi le 21 février 2019 par le CAL (organisme mandaté par la CAF) que le logement est non-décent au regard du décret précité du 30 janvier 2002 concernant :
- le bâti : menuiseries en mauvais état avec fenêtre de salle de bains bois simple vitrage;
- l'habitabilité, le confort, l'entretien : garde corps extérieur arrière rez-de-chaussée non conforme et absence de main courante sur escalier accès cave ; portes de la cave avec un seul gond, man'uvres difficiles, risque de chute du vantail ; risque de chute pour les trois fenêtres (séjour et deux chambres) ; allège à 0,80 m du sol insuffisante ;
- les équipements électriques et de chauffage : absence de ventilation basse (risque d'intoxication au CO2 lié aux appareils à combustion) ; fileries électriques non protégées au droit du hublot de la cage d'escalier ; tableau électrique des communs non protégé ; installations électriques non sécurisées avec quelques prises de courant arrachées du mur par la locataire ;
- les sanitaires, l'humidité et l'aération : présence d'humidité ponctuelle en bas des murs, plafonds, hauts des murs dans le séjour, une chambre et la salle de bains ; ventilation par balayage insuffisante dans la salle d'eau et les wc ; absence de ventilation dans la salle de bains et local toilettes ; détalonnage des bas-de-porte intérieurs insuffisant.
Ce rapport du CAL conclut à la nécessité de travaux à réaliser par le bailleur et par le locataire.
Le bailleur doit ainsi réaliser des travaux :
- sur le bâtiment : remplacement de la fenêtre de la salle de bains type abattante avec poignées latérales de commande ; protection des fileries sur le hublot cage d'escalier ; remplissage et réhausse du garde corps rez-de-chaussée ; pose main courante le long de l'escalier accès cave ; remise en état porte métallique extérieure cave ; mise en sécurité du local chaufferie (porte coupe-feu, ventilation, sécurité du local, pose cache-fusibles sur tableau électrique des communs) ;
- dans le logement : création d'une ventilation basse dans la cuisine ; création d'une ventilation haute dans la salle de bain et le local toilettes et création d'un évent sur canalisations eaux usées pour les odeurs ; fourniture et pose de protections sur les trois fenêtres du logement ; mise aux normes de sécurité du garde-corps terrasse (pose, remplissage et rehausse protection) ; pose de crochets supports lumineux dans chaque pièce ; détalonnage des pas-de-porte entre locaux chauffés sur 15 mm minimum.
La locataire doit quant à elle réaliser les travaux suivants : maintien en bon état d'entretien (sols, murs et plafonds) ; nettoyage régulier des entrées d'air sur les fenêtres et des bouches dans les pièces humides ; repose du détecteur de fumée ; refixation des prises de courant arrachées et du radiateur ; suppression de l'aquarium non utilisé pour réduire le taux d'humidité du séjour, la locataire devant également contacter son assurance pour une déclaration de sinistre concernant la cabine de douche endommagée ainsi que le remplacement du vitrage cassé de la porte-fenêtre cuisine.
Il ressort d'un courriel de la CAF du 10 août 2022 que la société Leclerc 81 n'a entrepris les travaux demandés aux fins de rendre le logement décent qu'en juillet 2020, soit près de 18 mois après avoir été avisée de la nécessité de ces travaux, à une période où il n'y avait pas de confinement, étant rappelé que le bailleur est tenu de délivrer au locataire un logement décent dès son entrée dans les lieux, et ce même en l'absence de réclamation formulée antérieurement.
Mme [T] a ainsi vécu pendant les cinq années de la location dans un logement ne présentant pas les caractéristiques attendues en matière de décence, l'absence de garde-corps et de barres d'appui étant particulièrement dangereuse pour la locataire qui vivait dans les lieux avec ses deux jeunes enfants. Ce préjudice sera justement indemnisé par un montant correspondant à 10 % des loyers perçus par le bailleur pendant les cinq années du bail, soit par une somme de 3 210 euros (12 x 5 x 53,5).
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement de ce chef.
Sur la coupure d'eau chaude et de chauffage
Mme [T] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Leclerc 81 à l'indemniser du préjudice de jouissance subi par elle et ses deux filles à la suite de la coupure d'eau chaude et de chauffage à compter du 10 avril 2020.
La société Leclerc 81 soulève pour la première fois à hauteur d'appel l'irrecevabilité, pour défaut de qualité à agir, de la demande formée par Mme [T] en sa qualité de représentante légale de ses deux filles. Il ressort effectivement de la lecture de l'acte d'assignation du 4 novembre 2020 qu'il a été délivré « à la requête de Mme [T] » agissant en son nom personnel, l'acte ne précisant pas qu'elle a agi en qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs. Toutefois, l'intervention volontaire devant un tribunal est toujours recevable dès lors qu'elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant, ce qui est indéniablement le cas s'agissant de la demande d'indemnités formée par Mme [T] pour le compte de ses deux enfants mineurs. L'intervention volontaire de Mme [T], en qualité de représentante légale de ses deux enfants mineurs, en cours d'instance devant le tribunal, est donc recevable.
Aux termes de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, lorsqu'il émane du locataire, le délai de préavis applicable au congé est de trois mois sauf si le locataire souhaite bénéficier d'un délai réduit d'un mois auquel cas il doit préciser le motif invoqué et en justifier au moment de l'envoi de la lettre de congé, le délai applicable à défaut étant de trois mois.
Il est constant que le courrier de préavis, adressé par courrier recommandé de Mme [T], a été distribué le 11 mars 2020 et qu'il ne comporte aucune demande quelconque de préavis réduit ni de justificatif susceptible de le motiver.
Le préavis applicable en l'espèce est dès lors de trois mois, de telle sorte que le bail n'est venu à échéance que le 10 juin 2020 et que le bailleur se devait jusqu'à cette date d'assurer à sa locataire la jouissance paisible d'un logement décent comportant notamment des équipements de chauffage et de production d'eau chaude en bon état de fonctionnement.
Le bailleur ne conteste pas la réalité de cette privation d'eau chaude et de chauffage à compter du 10 avril 2020 tout en faisant valoir que Mme [T] avait vraisemblablement quitté les lieux mi-avril et qu'elle se trouvait redevable d'un « montant colossal » (sic) d'arriéré locatif.
Selon arrêté préfectoral du 21 avril 2020, la société Leclerc 81 a été mise en demeure, dans le délai de cinq jours, de mettre en place un dispositif fonctionnel d'alimentation en eau chaude et de chauffage, en relevant que selon courriel du 17 avril 2020, le responsable sécurité de la mairie de [Localité 4] avait constaté l'absence d'alimentation en eau chaude et en chauffage fonctionnel dans le logement litigieux. Or le bailleur n'a aucunement remédié à ce grave dysfonctionnement ainsi qu'il ressort d'un courriel du 15 mai 2020 émanant du responsable du pôle 'habitat indigne' de la préfecture de [Localité 6] mentionnant qu'il a dû être procédé à l'ouverture forcée de la porte d'accès à la chaufferie pour rétablir l'eau chaude (réouverture de vannes) et du chauffage (intervention sur l'installation de chauffage dans la cave), le service préfectoral soulignant à cette occasion que les faits étaient susceptibles de revêtir une qualification pénale.
Il est ainsi établi que le bailleur a délibérément laissé la locataire et ses deux enfants mineurs sans eau chaude ni chauffage pendant plus d'un mois, ce qui caractérise un manquement particulièrement grave à l'obligation de fournir un logement décent.
Le préjudice a, compte tenu de la période de l'année, essentiellement été constitué par la privation d'eau chaude pour Mme [T] et ses deux enfants qui ont ainsi été privés de la possibilité de se laver et de jouir de conditions normales d'hygiène. Ce préjudice sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 2 000 euros pour Mme [T] et de 1 000 euros pour chacune de ses deux filles mineures, de telle sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dégradations locatives
Mme [T] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu l'existence de dégradations locatives pour un montant de 1 770 euros duquel il a déduit le montant du dépôt de garantie de 535 euros et a en conséquence condamné Mme [T] à payer à ce titre à la société Leclerc 81 la somme de 1 235 euros.
La société Leclerc 81 sollicite l'infirmation de ce chef et la condamnation de Mme [T] à lui payer une somme totale de 20'317,87 euros.
Selon l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est tenu de répondre des dégradations et pertes qui surviennent pendant la durée du contrat dans les locaux dont il a la jouissance exclusive, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu par cas de force majeure, par la faute du bailleur ou par le fait d'un tiers qu'il n'a pas introduit dans le logement. Le locataire a l'obligation de prendre à sa charge l'entretien courant du logement, des équipements mentionnés au contrat et des menues réparations ainsi que l'ensemble des réparations locatives sauf si elles sont occasionnées par vétusté, vice de construction, cas fortuit ou force majeure.
L'article 1353 du code civil précise que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, l'état des lieux d'entrée établi amiablement le 13 mai 2015 (en trois pages succinctes) décrit un logement dans un état globalement moyen. Seuls sont décrits en bon état les plafonds de l'entrée et du séjour, le parquet de l'entrée et d'une des trois chambres, les radiateurs du séjour et d'une des chambres, le papier peint du séjour ainsi que la douche de la salle de bains.
L'état des lieux de sortie, dressé par huissier de justice le 27 mai 2020, soit cinq années plus tard (en 11 pages détaillées) décrit un logement globalement vétuste et très sale, cet état de saleté étant décrit comme « repoussant » dans la salle de bains où le receveur de douche est très dégradé, et la cuisine où la porte-fenêtre comporte un carreau cassé.
La société Leclerc 81 sollicite une somme globale de 20 317,87 euros, en précisant que cela comprend la réfection de la salle de bains (pour un montant de 2 196,43 euros), le coût d'une cuisine équipée (pour une somme de 1 079 euros), la réfection de l'électricité et du parquet (pour un montant de 4 659,70 euros) et le coût de la main-d''uvre (8 000 euros ).
Si la comparaison des états des lieux fait ressortir un défaut d'entretien locatif imputable à la locataire, la bailleresse n'est cependant pas fondée à solliciter la condamnation de Mme [T] à prendre en charge la remise à neuf complète d'un logement vétuste ni la remise aux normes du réseau électrique, la plupart des devis et factures versées aux débats par la société Leclerc 81 ne comportant de surcroît aucune mention permettant de les rattacher au logement litigieux.
Il en ressort que la société Leclerc 81 est bien-fondée à solliciter la condamnation de Mme [T] à lui payer, au titre des réparations locatives, les sommes de :
- 70 euros au titre du remplacement du carreau cassé de la porte-fenêtre ;
- 632,57 euros pour la réfection de la douche ;
- 1 400 euros au titre de la réfection des planchers de l'une des chambres et de l'entrée ;
- 1 000 euros pour un nettoyage approfondi de l'ensemble du logement.
Le montant des réparations locatives s'élève ainsi à la somme totale de 3 102,57 euros, de laquelle il convient de déduire le dépôt de garantie d'un montant de 535 euros.
Il en résulte qu'il convient de condamner Mme [T] à payer à la société Leclerc 81, au titre des dégradations locatives, la somme de 2 567,57 euros.
Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.
Sur l'arriéré locatif
Aux termes de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.
Par ailleurs, conformément à l'article 1353 du code civil, il appartient à Mme [T] de rapporter la preuve de ce qu'elle s'est bien acquittée de cette obligation.
Ainsi qu'il a été vu précédemment, le bail n'est venu à échéance que le 10 juin 2020, de telle sorte que Mme [T] se trouve redevable du loyer et des charges jusqu'à cette date, et ce même si elle a quitté les lieux quelques jours plus tôt.
Il ressort par ailleurs du courrier de la CAF du 4 décembre 2020 qu'à la suite de la mise en conformité du logement par la bailleresse, l'allocation logement (qui avait fait l'objet d'une mesure de conservation à compter du 1er mai 2019) lui a été versée, notamment en mai 2020 pour un montant de 268,26 euros.
Mme [T] ne démontre pas s'être acquittée d'une quelconque somme au titre du loyer de mai 2020.
Il en résulte que Mme [T] se trouve redevable d'une somme de 372,74 euros (641 - 268,26) au titre du loyer et charges de mai 2020.
Il convient dès lors de condamner Mme [T] à payer à la société Leclerc 81 cette somme de 372,74 euros au titre de son arriéré locatif.
Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.
Sur la résistance abusive
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné il y a lieu au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce, force est de constater l'importante inertie du bailleur qui a laissé sans suite la mise en demeure qui lui avait été faite par arrêté préfectoral de rétablir l'eau chaude et le chauffage et qui n'a entrepris les travaux requis pour rendre le logement décent que près de 18 mois après en avoir été avisé.
C'est dès lors à bon droit que le premier juge a condamné la société Leclerc 81 à indemniser le préjudice moral subi par Mme [T] du fait de cette résistance abusive à hauteur de 300 euros.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement de ce chef.
Sur la restitution du dépôt de garantie, sur les frais de l'état des lieux de sortie et sur la compensation
Les deux parties demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a :
- débouté Mme [T] de sa demande de restitution du dépôt de garantie ;
- condamné Mme [T] à payer à la société Leclerc 81 la somme de 192 euros au titre de la moitié des frais d'huissier pour l'établissement d'un état des lieux de sortie ;
- ordonné la compensation des sommes dues entre Mme [T] et la société Leclerc 81 jusqu'à due concurrence.
Il convient dès lors de constater le caractère définitif de ces dispositions et de confirmer en conséquence le jugement de ces chefs.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu de l'issue du litige, la société Leclerc 81 sera condamnée aux entiers dépens. Concernant l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité commande de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Leclerc 81 au paiement d'une somme de 1 500 euros et de dire n'y avoir pas lieu à application de cet article à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
- condamné la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] en son nom personnel la somme de 2 000 euros et à Mme [T] en qualité de représentante légale de ses deux filles [P] [Y] et [P] [M] la somme de 1 000 euros chacune, à titre de dommages et intérêts pour trouble de jouissance du fait des manquements du bailleur à compter du 10 avril 2000 avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- débouté Mme [T] de sa demande de restitution du dépôt de garantie ;
- condamné Mme [T] à payer à la société Leclerc 81 la somme de 192 euros au titre de la moitié des frais d'huissier pour l'établissement d'un état de sortie, avec intérêts légaux à compter du jugement ;
- condamné la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] la somme de 300 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive avec intérêts légaux à compter du jugement,
- ordonné la compensation des sommes dues entre Mme [T] et la société Leclerc 81 jusqu'à due concurrence ;
- condamné la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société Leclerc 81 de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Leclerc 81 aux dépens ;
L'infirme pour le surplus ;
Stautuant à nouveau et ajoutant,
Condamne la société Leclerc 81 à payer à Mme [T] la somme de 3 210 euros au titre du trouble de jouissance résultant de la non-décence du logement constaté par le CAL le 23 janvier 2019 ;
Condamne Mme [T] à payer à la société Leclerc 81 la somme de 2 567,57 euros au titre des dégradations locatives ;
Condamne Mme [T] à payer à la société Leclerc 81 la somme de 372,74 euros au titre du loyer de mai 2020 ;
Rejette les demandes formées tant par Mme [T] que par la société Leclerc 81 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Leclerc 81 aux entiers dépens ;
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en douze pages.