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01/06/2023 | FRANCE | N°21/02689

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 01 juin 2023, 21/02689


ARRÊT N° /2023

PH



DU 01 er JUIN 2023



N° RG 21/02689 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E32F







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES

F20/00025

13 octobre 2021











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



S.A.S. ILCREE prise e

n la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Denis JEANNEL de la SELARL ALINEA LEX, avocat au barreau d'EPINAL









INTIMÉE :



Madame [I] [E]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Eric FILLIATRE de la SELARL FILOR AVO...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 01 er JUIN 2023

N° RG 21/02689 - N° Portalis DBVR-V-B7F-E32F

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT DIE DES VOSGES

F20/00025

13 octobre 2021

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A.S. ILCREE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Denis JEANNEL de la SELARL ALINEA LEX, avocat au barreau d'EPINAL

INTIMÉE :

Madame [I] [E]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Eric FILLIATRE de la SELARL FILOR AVOCATS, substitué par Me Céline CLEMENT- ELLES, avocats au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 09 Mars 2023 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 25 Mai 2023 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 01er Juin 2023;

Le 01er Juin 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [I] [E] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société S.A.S ILCREE à compter du 17 septembre 2018, en qualité de dessinatrice économiste.

A compter du 27 février 2020, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie, prolongé de façon continue.

Par décision du 15 juin 2020 de la médecine du travail rendue dans le cadre d'une visite de reprise, Madame [I] [E] a été déclarée inapte à son poste de travail, avec précision que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par courrier du 09 juillet 2020, Madame [I] [E] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, auquel elle ne s'est pas présentée.

Par courrier du 15 juillet 2020, Madame [I] [E] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par requête du 27 août 2020, Madame [I] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges aux fins :

- de dire et juger que la société S.A.S ILCREE a manqué à son obligation de sécurité,

- de dire et juger que son inaptitude a pour origine les manquements de la société S.A.S ILCREE,

A titre principal :

- de dire et juger que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est nul,

- de condamner la société S.A.S ILCREE à lui verser la somme de 13 950,00 euros (l'équivalent de 6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

*

A titre subsidiaire :

- de dire et juger que son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société S.A.S ILCREE à lui verser la somme de 13 950,00 euros (l'équivalent de 6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société S.A.S ILCREE à lui verser les sommes suivantes :

- 3 107,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 310.70 euros à titre de congés payés afférents,

- 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, et à tout le moins pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 3 000,00 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi,

- de réserver ses droits en matière de prime exceptionnelle, prime de fin d'année, et autres gratifications salariales,

- 3 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens,

- d'ordonner la remise par la société S.AS. ILCREE des documents de fin de contrat rectifiés,

- de prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir sur le fondement des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges rendu le 13 octobre 2021, lequel a :

- dit et jugé le licenciement de Madame [I] [E] nul,

- dit et jugé que l'employeur n'a pas rempli son obligation de sécurité,

- condamné la société S.A.S ILCREE à verser à Madame [I] [E] les sommes suivantes :

- 13 950,00 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 107,00 euros brut à titre d'indemnité de préavis,

- 310,70 euros brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

- 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la remise par la société S.A.S ILCREE à Madame [I] [E] des documents rectifiés suivants :

- attestation Pôle Emploi,

- bulletin de salaire,

- solde de tout compte,

- certificat de travail,

- débouté Madame [I] [E] du surplus de ses demandes,

- débouté Madame [I] [E] de sa demande d'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté la société S.A.S ILCREE de sa demande reconventionnelle,

- rappelé qu'en application des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire dans la limité maximum de neuf mois de salaire pour les sommes visées à l'article R.1454-14 du code du travail, calculés sur la moyenne des trois derniers mois fixée à la somme de : 2 325,13 euros,

- condamné la société S.A.S ILCREE aux entiers dépens.

Vu l'appel formé par la société ILCREE le 09 novembre 2021,

Vu l'appel incident formé par Madame [I] [E] le 22 mars 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la société ILCREE déposées sur le RPVA le 10 janvier 2023, et celles de Madame [I] [E] déposées sur le RPVA le 17 janvier 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 08 février 2023,

La société ILCREE demande :

- de recevoir la société S.A.S ILCREE en son appel et le déclarer bien fondé,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le licenciement de Madame [I] [E] était nul et que l'employeur n'avait pas rempli son obligation de sécurité, ainsi que sur les condamnations prononcées au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, indemnité de préavis et congés payés afférents et article 700 du code de procédure civile,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [I] [E] du surplus de ses demandes,

- de constater que la société S.A.S ILCREE n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

- de dire et juger que la société S.A.S ILCREE a régulièrement et légitimement licencié Madame [I] [E] pour inaptitude et impossibilité de reclassement,

- de condamner Madame [I] [E] à payer à la société S.A.S ILCREE la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Madame [I] [E] en tous les dépens d'instance et d'appel.

Madame [I] [E] demande :

- de confirmer le jugement entrepris rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges le 13 octobre 2021 en ce qu'il a dit et jugé nul le licenciement de Madame [I] [E], dit et jugé que la société S.A.S ILCREE n'a pas rempli sons obligation de sécurité et l'a condamné à verser à Madame [E] les sommes suivantes :

- 13 950,00 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 107,00 euros brut à titre d'indemnité de préavis,

- 310,70 euros brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

- 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de confirmer le jugement entrepris rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges le 13 octobre 2021 en ce qu'il a ordonné à la société S.A.S ILCREE la remise à Madame [I] [E] de ses documents de fin de contrat rectifiés et débouté la société S.A.S ILCREE de sa demande reconventionnelle,

*

A titre incident :

- de recevoir Madame [I] [E] en son appel incident,

- en conséquence, d'infirmer le jugement entrepris rendu par le conseil de prud'hommes de Saint-Dié-des-Vosges le 13 octobre 2021 en ce qu'il a débouté Madame [I] [E] du surplus de ses demandes,

Statut à nouveau :

- de condamner la société S.A.S ILCREE à verser à Madame [I] [E] la somme de 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, et à tout le moins pour exécution déloyale du contrat de travail,

- de condamner la société S.A.S ILCREE à verser à Madame [E] la somme de 3 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi,

En tout état de cause :

- de condamner la société S.A.S ILCREE à verser à Madame [I] [E] la somme de 4 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société S.A.S ILCREE aux entiers frais et dépens de l'instance.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de la société ILCREE déposées sur le RPVA le 10 janvier 2023, et de celles de Madame [I] [E] déposées sur le RPVA le 17 janvier 2023.

Sur les faits de harcèlement moral :

Dans un document côté en pièce n° 28, Madame [I] [E] fait valoir que Monsieur [D], économiste de construction, n'a eu de cesse, dès son embauche, de mettre en cause ses compétences, de la rabaisser et de la dénigrer auprès des autres salariés ; qu'il a toujours refusé de répondre à ses questions sur le travail, alors qu'il devait l'aider dans ses débuts ; qu'il a eu un comportement agressif et lui a tenu des propos déplacés et racistes ; qu'une autre salariée, Madame [F] s'est liguée avec Monsieur [D] ; qu'elle a monté un « guet-apens » contre elle en devenant sa confidente ; que Monsieur [Z], président de la société, l'appelait à des heures indues, ivre, et lui tenait des propos déplacés ; qu'il l'a convoquée dans son bureau pour lui montrer ses abonnements à des sites pornographiques ; qu'il a refusé de prendre en compte ses alertes sur le comportement de Monsieur [D] ; que Monsieur [N], directeur, lui criait dessus et l'avait menacée de violences sans raison valable ; qu'il tenait des propos misogynes à son égard ; qu'il était aussi violent avec d'autres salariés  ; que ces faits avaient eu des répercussions nombreuses sur son état de santé, notamment des troubles cardiaques, et entrainé son inaptitude ; qu'elle a déposé une plainte pénale et alerté l'inspection du travail.

L'employeur indique qu'à la suite des accusations de Madame [I] [E] contre Monsieur [D], il a confié une enquête à Madame [O] en sa qualité de déléguée du personnel et que cette enquête n'avait rien donné ; que d'une manière générale Madame [I] [E] n'apporte aucun élément à l'appui de ses accusations.

Madame [I] [E] produit des courriels échangés avec Monsieur [N], faisant allusion à ses accusations contre Monsieur [D] ; ces courriels, assez confus dans leurs formulations, ne comportent aucune accusation contre Monsieur [N] ; les réponses données par Monsieur [N] le sont en des termes courtois, rappelant à Madame [I] [E] les nombreux entretiens qu'il lui a accordé, ses accès de colère et l'absence de substance de ses accusations (pièce n° 17).

Elle produit une main courante déposée le 10 juillet 2017 par Madame [K], secrétaire, faisant état de menaces de violence de la part de Monsieur [N] au sein de l'entreprise ILCREE (pièce n° 20).

Madame [I] [E] produit une série de courriels échangés avec Madame [K] dans lesquels elle réitère ses accusations et reçoit le soutien de cette dernière (pièce n° 21).

Elle produit également la copie de son audition par les services de police, dans laquelle elle réitère ses accusations contre Monsieur [D] et met en cause Messieurs [Z] et [N] en ce qu'ils avaient pris parti contre elle. Elle indique également que Monsieur [N] était très agressif avec le personnel et le qualifie de « brute ».

Madame [I] [E] produit également le compte-rendu des enquêteurs concluant, après auditions des salariés, à l'existence d'une ambiance délétère dans l'entreprise due à des situations de favoritisme, notamment dans la distribution des primes, à l'alcoolisation récurrente de Monsieur [Z], au manque de considération et à la direction « agressive » de Monsieur [N] (pièce n° 47).

Les enquêteurs ne confirment pas le comportement harcelant de Monsieur [D], dont ils indiquent que ce dernier estimait que Madame [I] [E] n'avait pas les qualités nécessaires pour son poste, et le décrivent comme voulant bien faire son travail et se tenant à l'écart des conflits dans l'entreprise, ils soulignent la fragilité psychologique de Madame [I] [E] (pièce n° 47).

Il résulte des auditions par les services de police de salariés et d'anciens salariés que le management de Messieurs [N] et [Z] a poussé plusieurs employés à quitter l'entreprise et à deux d'entre eux déposer à leur tour plainte pour harcèlement.

Ainsi, Madame [K] indique qu'au sein de la société, qu'elle a quitté en 2017, « il y avait des clans et des histoires de coucherie ('.). [H] ([Z]) ' dont elle a été la compagne - n'a aucune empathie envers les employés ; que Monsieur [N] est misogyne, rabaisse les femmes », « dénigre » ses subalternes. A propos de Madame [I] [E], qu'elle dit « intègre et fragile », elle indique que : « travailler à l'ILCREE n'a pas dû lui faire du bien. Le comportement de chacun dans cette société est incompatible avec une personne saine et droite. En général les personnes les plus sérieuses sont parties » (pièce n° 54).

[P] [M], dessinateur projeteur, indique qu'« il y a un petit groupe autour de la direction qui bénéficie d'un traitement de faveur » (pièce n° 55).

Madame [G] [O], ancienne déléguée du personnel, témoigne avoir vu Monsieur [Z] crier sur Madame [I] [E] en raison d'un travail mal fait et l'avoir vue ensuite en pleurs. Sur question des enquêteurs, elle cite Monsieur [M], Madame [R] et Madame [W] comme ayant souffert au sein de l'entreprise ; elle indique également que dans le cadre de ses fonctions de déléguée du personnel, elle avait assisté Madame [I] [E] lors d'un entretien avec Monsieur [N] et qu'ayant refusé de noter faussement que Madame [I] [E] avait insulté ce dernier, il lui avait fait « un bras d'honneur » et lui avait dit qu'elle n'aurait plus d'augmentation. Elle indiquait également que Messieurs [Z] et [N] lui tenaient des propos sexistes, dénigraient son travail et l'avaient « mise au placard » (pièce n° 56).

Dans la synthèse de leur enquête, les policiers indiquent que Monsieur [L], que Monsieur [D] avait remplacé, a fait état de l'ambiance de clan autour de la direction, de favoritisme, de l'alcoolisme de Monsieur [D], du comportement « incisif » de Monsieur [N] ; ils indiquent également que Madame [W], ancienne comptable, a évoqué le manque de considération et de de communication de la direction, ainsi que les problèmes d'alcool de Monsieur [Z] et qu'en raison de ce climat elle avait fini par demander une rupture conventionnelle (pièce n° 47).

A l'issue de ces investigations, Messieurs [N] et [Z] étaient convoqués devant le tribunal correctionnel d'Epinal pour des faits de harcèlement moral à l'égard de deux salariées, Mesdames [U] et [T] épouse [O] (pièces n° 45 et 46).

L'inspection du travail, à qui l'enquête pénale a été transmise, a mis en demeure le 8 septembre 2020, la société ILCREE de prendre, dans un délai de trois mois, les mesures nécessaires pour protéger son personnel des risques psycho-sociaux, ayant relevé l'existence d'une souffrance au travail de plusieurs salariés, dont l'employeur a eu connaissance mais a manqué à son obligation de mise en 'uvre des principes de prévention édictés par le code du travail (pièce n° 48).

Dans un courrier du 22 octobre 2020, l'inspection du travail a rappelé à l'employeur qu'il aurait dû procéder lui-même, ou par un de ses représentant, à une enquête à la suite des plaintes de Madame [I] [E] et ne pouvait en aucun cas confier cette enquête à Madame [O] en sa qualité de déléguée du personnel.

Il rappelle également à l'employeur son obligation de fixer des critères objectifs et vérifiables pour l'attribution des primes (pièce n° 50).

Madame [I] [E] produit enfin plusieurs pièces relatives à son état de santé :

- une expertise psychologique réalisée à la demande du procureur de la République d'Epinal, concluant que « les comportements répétés qu'elle dénonce ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé mentale » et à la nécessité d'une prise en charge psychologique (pièce n° 51) ;

- ses arrêts de travail du 27 février 2020 au 10 juin 2020 (pièce n° 4) ;

- un certificat médical indiquant que ces arrêts de travail délivrés jusqu'au 17 mars étaient dus « à un état de stress accompagné de céphalées rebelles, de sensations vertigineuses, d'asthénie marquée » et qu'à partir du 18 mars 2020 ils étaient justifiés par un « COVID aigu durant trois semaines, puis par « un syndrome post-covid sévère » (pièce n° 33) ;

- un certificat médical du 17 mars 2020 d'un cardiologue indiquant une « dysrythmie actuellement exarcerbée » et « une augmentation importante du poids »

- un certificat rédigé par une psychologue, travaillant pour une association d'aide aux victimes intervenant dans le cadre de la procédure pénale, indiquant suivre Madame [I] [E] depuis le 1er octobre 2020 (pièce n° 29).

L'employeur fait valoir que les pièces produites par Madame [I] [E] ne démontrent aucunement la réalité des accusations qu'elle porte contre Messieurs [D], [Z] et [N].

Il produit la page de conclusion de l'enquête qu'il a confiée à Madame [O], mais signée par la déléguée suppléante, Madame [A], selon laquelle « il ressort des éléments de l'enquête que l'incompréhension et le malaise durable entre les salariés a conduit à cette situation. Mais aucune preuve, suite à ces entretiens - avec Madame [I] [E], Monsieur [D] et Madame [F] ' ne permet de statuer sur la présence de harcèlement moral ou autres » (pièce n° 5).

L'employeur produit un avis d'arrêt de travail de Madame [I] [E], du 30 mars 2020, mentionnant un « syndrome anxio-dépressif réactionnel au COVID 19 » (pièce n°17).

Il produit également un diagnostic du 24 mars 2021 des risques psychosociaux (RPS) au sein de l'entreprise concluant à l'absence de « contexte de RPS avéré dans l'entreprise » et indiquant que « les cas de souffrance de certains collaborateurs ont été traités en parallèle de la démarche » par un accompagnement individuel. Le diagnostic préconise notamment la mise en place d'un règlement intérieur, d'une « formation management / communication par le corps managérial », la désignation et la formation d'un référent harcèlement sexuel et agissement sexiste », « la mise en place d'un livret d'entreprise avec les valeurs d'entreprise » (pièce n° 6).

La cour constate que le diagnostic a consisté en des entretiens « semi-collectifs », par services, avec les salariés que leur restitution est faite uniquement sous forme de « camemberts » thématiques avec indication des pourcentages de « pas du tout d'accord », « pas d'accord », « d'accord », « tout à fait d'accord ».

En outre, au moment de la réalisation de ce diagnostic, les salariés entendus par la police et ayant exprimé des critiques ne faisaient plus partie du personnel, à l'exception de Madame [R] (pièce n° 18).

Motivation :

Aux termes des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

Il ressort des éléments produits par Madame [I] [E] que régnait dans l'entreprise un climat de harcèlement moral dû au management de la direction, se caractérisant par un manque de considération à l'égard de certains salariés et de propos agressifs tenus à leur encontre, et notamment à l'égard de Madame [I] [E], par Messieurs [Z] et [N], une politique de favoritisme dans la distribution des primes, des problèmes d'alcool de l'un des dirigeants. En outre, l'absence de mécanisme de prévention et de traitement des situations de harcèlement ayant eu pour effet de laisser Madame [I] [E] sans réponse face à l'attitude perçue par elle comme hostile de la part de Monsieur [D].

Dès lors, ces éléments pris dans leur ensemble, ainsi que les pièces médicales présentées par la salariée, permettent de laisser présumer une situation de harcèlement moral.

L'employeur ne conteste pas, s'agissant de la prévention du risque de harcèlement et de traitement de ce type de fait, l'absence de mise en place d'une politique d'entreprise, jusqu'à l'intervention du diagnostic de risque psychosocial en 2020.

Il conteste en revanche tout fait de harcèlement, s'appuyant notamment sur ce diagnostic qui conclut à l'absence de risques psychosociaux dans l'entreprise ; cependant, outre que le diagnostic a été réalisé après le départ de Madame [I] [E] et des salariés ayant dénoncé leurs conditions de travail, la méthode avec laquelle il a été réalisée, s'appuyant sur des entretiens collectifs avec les salariés, alors que dans une entreprise de moins de 50 personnes, des entretiens individuels auraient pu être réalisés, et leur restitution sous forme de graphiques et de pourcentages, est rien moins que convaincante.

En conséquence, la situation de harcèlement moral subi Madame [I] [E] apparaît caractérisée et l'entreprise ILCREE devra lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement du conseil de prud'hommes étant infirmé sur ce point.

Sur le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement :

Madame [I] [E] fait valoir que son licenciement est nul en ce que son inaptitude trouve son origine dans le harcèlement moral qu'elle a subi.

Elle réclame en conséquence les sommes de 3107 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 13 950 euros, équivalent à 6 mois de salaires, à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

L'employeur fait valoir que le licenciement est licite. Il ne conclut pas à titre subsidiaire sur le quantum des sommes demandée.

Motivation :

Il ressort des pièces médicales produites par Madame [I] [E], que son inaptitude est due au moins partiellement au harcèlement moral qu'elle a subi (pièces n° 29, 33 et 51).

En conséquence, le licenciement sera annulé et l'employeur devra verser les sommes demandées, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé.

Sur la demande de 3000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral :

Madame [I] [E] demande la somme de 3000 euros de dommages et intérêts « au titre du préjudice subi », sans préciser de quel préjudice il s'agit et en quoi il est distinct du préjudice subi en raison du harcèlement moral.

Elle sera donc déboutée de sa demande.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

La société ILCREE sera condamnée à verser à Madame [I] [E] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et sera déboutée de sa propre demande.

La société ILCREE sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Die-des-Vosges du 13 octobre 2021, en ce qu'il a débouté Madame [I] [E] de sa demande de dommages intérêts au titre du harcèlement moral,

CONFIRME pour le surplus le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Die-des-Vosges du 13 octobre 2021 ;

SATUANT A NOUVEAU

Condamne la société ILCREE à verser à Madame [I] [E] la somme de 10 000 euros de dommages et intérêt au titre du harcèlement moral qu'elle a subi ;

Y AJOUTANT

Condamne la société ILCREE à verser à Madame [I] [E] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société ILCREE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société ILCREE aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en dix pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 21/02689
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;21.02689 ?
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