La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2023 | FRANCE | N°22/00630

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 25 mai 2023, 22/00630


ARRÊT N° /2023

PH



DU 25 MAI 2023



N° RG 22/00630 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6DN







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00086

23 février 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANT :



Monsieur [E] [N]

[Adresse 1]
r>[Localité 2]

Comparant, Représenté par Me Laurent BENTZ de la SELARL EPITOGES, avocat au barreau d'EPINAL









INTIMÉE :



Etablissement INSTITUT DE CANCÉROLOGIE DE LORRAINE ICL pris en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Valérie ...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 25 MAI 2023

N° RG 22/00630 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6DN

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00086

23 février 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [E] [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Comparant, Représenté par Me Laurent BENTZ de la SELARL EPITOGES, avocat au barreau d'EPINAL

INTIMÉE :

Etablissement INSTITUT DE CANCÉROLOGIE DE LORRAINE ICL pris en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Valérie BACH-WASSERMANN substitué par Me GENIN, avocats au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 09 Mars 2023 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 25 Mai 2023 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 25 Mai 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [E] [N] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par l'établissement INSTITUT DE CANCEROLOGIE DE LORRAINE (ci-après ICL) à compter du 07 septembre 2006, en qualité de chef d'équipe.

La convention collective nationale des centres de lutte contre le cancer est applicable au contrat de travail.

A compter du 1er septembre 2010, le salarié est passé au statut cadre et a occupé les fonctions de responsable du service bio/nettoyage et manutention.

Du 16 juillet 2018 au 05 août 2018, il a été placé en arrêt de travail pour maladie.

Par courrier du 20 mars 2019, Monsieur [E] [N] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 01 avril 2019.

Par courrier du 05 avril 2019, Monsieur [E] [N] a été licencié pour insuffisance professionnelle, avec dispense de préavis.

Par requête du 26 février 2020, Monsieur [E] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

- de dire et juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement pour insuffisance professionnelle,

- de condamner l'établissement ICL à lui verser les sommes suivantes :

- 36 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 23 février 2022, lequel a :

- dit que la demande de Monsieur [E] [N] est fondée et recevable,

- jugé que le licenciement pour insuffisance professionnelle n'est pas abusif,

- dit et jugé que le licenciement de Monsieur [E] [N] est justifié et que la cause réelle et sérieuse est confirmée,

- débouté Monsieur [E] [N] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Monsieur [E] [N] à verser à l'Institut de Cancérologie de Lorraine la somme de 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chacune des parties la charge de ses dépens respectifs.

Vu l'appel formé par Monsieur [E] [N] le 15 mars 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [E] [N] déposées sur le RPVA le 22 décembre 2022, et celles de l'établissement ICL déposées sur le RPVA le 06 décembre 2022,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 08 février 2023,

Monsieur [E] [N] demande :

- de dire son appel recevable et bien fondé,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit et jugé que le licenciement pour insuffisance professionnelle n'est pas abusif,

- dit et jugé que son licenciement est justifié et que la cause réelle et sérieuse est confirmée,

- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

- l'a condamné à verser à l'Institut de Cancérologie de Lorraine la somme de 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau :

- de dire recevables et bien fondées ses demandes,

- de dire et juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement

- de condamner l'ICL à lui verser les sommes suivantes :

- 36 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- de condamner l'ICL aux entiers dépens.

L'établissement ICL demande :

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 23 février 2022 en son intégralité,

- de débouter Monsieur [E] [N] de l'ensemble de ses demandes,

- de condamner Monsieur [E] [N] au paiement de la somme de 3 800,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [E] [N] aux entiers frais et dépens

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 06 décembre 2022, et en ce qui concerne le salarié le 22 décembre 2022.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement du 05 avril 2019 (pièce 47 de l'employeur) indique :

«  Par la présente, nous faisons suite à l'entretien préalable en date du 1er avril 2019 avec Monsieur [K] [V] (Directeur Général Adjoint) et Madame [D] [B] (Directrice des Ressources Humaines), auquel vous avez été régulièrement convoqué et nous vous notifions votre licenciement pour insuffisance professionnelle.

Les raisons qui nous conduisent à prendre une telle décision découlent de carences constatées et répétées dans l'exécution de vos tâches préjudiciables aux intérêts de l'ICL et aux personnels placés sous votre responsabilité.

Vous avez été engagé le 07 septembre 2006 en qualité de Chef d'équipe au sein de l'ICL. A compter du 1er septembre 2010, la responsabilité du service de bio nettoyage et manutention vous a été confiée sous l'autorité du Responsable des services économiques, à savoir Monsieur [C] [U]. Cette responsabilité s'est accompagnée d'un passage sous un statut cadre (cadre 1 ' niveau occupé à ce jour).

Force est de constater que le rendu de vos missions n'est pas au niveau de celui que nous serions en droit d'attendre de la part d'un cadre responsable du service de bio nettoyage et de manutention.

Face à ce constat, nous vous avons proposé plusieurs solutions depuis plusieurs années, ainsi notamment :

· Un accompagnement avec l'aide de la société ACCENTIS intitulé « bilan et diagnostic de carrière » dont l'objectif était de vous permettre de faire le point sur votre carrière et d'analyser de façon réaliste les possibilités d'évolution qui peuvent exister. Cet accompagnement s'est déroulé sur le deuxième semestre 2015.

En 2015, cet accompagnement vous a été proposé en raison de difficultés récurrentes identifiées par Monsieur [C] [U], les personnels du service dont vous avez la responsabilité mais aussi par les différentes instances représentatives de l'ICL (alerte du CHSCT dès 2014). Ce type d'accompagnement étant traditionnellement proposé à la suite de la découverte d'une problématique ou suite à une difficulté rencontrée par un salarié dans l'accomplissement de ses missions.

· Un soutien régulier et continu de Monsieur [C] [U].

· L'appui indirect notamment de cadres de santé dans l'animation de vos équipes, nous citons en dernier lieu l'appui apporté par un cadre de santé dans la résolution de difficultés ressenties par les ASH face à la dégradation rapide de l'état de santé de certains patients des services de médecine.

· L'appui des instances représentatives du personnel qui avec bienveillance et de façon régulière ont essayé de vous sensibiliser sur certaines façons de communiquer, certaines attitudes, certaines maladresses.

· L'appui de la Direction Générale et de la Direction des Ressources Humaines dans la gestion d'un relationnel quelque fois compliqué avec certains de vos collaborateurs (tenue des entretiens annuels notamment, gestion des plannings, retour de maternité, etc.), et surtout sur des sujets propres à la vie des équipes que vous devriez être en mesure de gérer en autonomie.

Ces solutions n'ont pas été suivies d'effets et depuis plusieurs années nous devons répondre à de nombreuses et fréquentes sollicitations de la part de vos collaborateurs, de la part des instances représentatives du personnel, jusqu'à l'intervention des services de l'Inspection du travail le 12 décembre 2017.

A cette date, l'Inspection du travail nous adresse un courrier dans lequel elle fait référence à un écrit émanant de personnels ICL datant du 22 mai 2017 dont nous aurions dû être destinataires et que nous n'avons pas reçu. A ce sujet, une rencontre a été organisée avec l'Inspection du travail le 09 février 2018.

Au début de cet échange, les deux représentants de l'Inspection du travail ont précisé à Madame [D] [B] ' Directrice des Ressources Humaines (représentant la Direction) qu'il s'agissait d'une audition qualifiée de libre car la Direction générale de l'ICL n'avait pas été destinataire du courrier.

Pour mémoire nous vous rappelons que cet entretien aurait pu prendre la forme d'une audition dans le cadre de la responsabilité pénale de l'établissement.

L'Inspection du travail a accepté de nous communiquer ce courrier le 12 février 2018. Il fait état notamment d'agissements répétés de votre part entraînant une dégradation importante et continue des conditions de travail des personnels du Service de Bio nettoyage et de Manutention avec un réel danger pour leur santé physique et mentale.

Face à ces ultimes alertes nous choisissons de confier au cabinet TURKA le soin de mettre en 'uvre un diagnostic portant sur les Risques Psycho Sociaux. Ce diagnostic a été organisé avant l'été 2018 et ses conclusions communiquées courant juillet 2018.

Les principaux éléments concernent des insuffisances sur le travailler ensemble, l'équité, la façon d'être managé, l'écoute et la reconnaissance.

A la suite de ce diagnostic, vous avez à nouveau commis de nouvelles maladresses/erreurs et des collaborateurs sollicitent directement le cabinet TURKA afin de se plaindre d'une pression et de réactions de représailles de la part du management vis à vis des personnels qui se sont exprimés. A cette époque déjà, vous ne prenez pas la mesure de la gravité de la situation.

Un audit, nous permettant d'avoir une évaluation neutre et précise de ce qui ne fonctionne pas, est organisé et des entretiens individuels et collectifs sont programmés du 29 novembre

2018 au 15 janvier 2019.

Mi-janvier 2019, à la fin de ces entretiens, le cabinet TURKA nous alerte sur la nécessité d'engager d'ores et déjà une réflexion et un plan d'actions portant sur quatre axes prioritaires:

L'organisation du temps de travail,

La gestion des plannings,

La gestion de l'absentéisme,

La gestion logistique des locaux et des chariots.

Cette démarche est notamment justifiée par la nécessité de prévoir une organisation afin de palier à la démission des deux animatrices à effet du 1er février 2019 (démissions dont vous aviez connaissance depuis plusieurs semaines).

Vous avez été associé à cette réflexion et nous avons sollicité de votre part le 12 février 2019 un premier plan d'action pour le 15 mars 2019.

Un rendez-vous est sollicité par vos soins auprès du secrétariat de Direction afin de nous présenter ce plan d'actions. Le 11 mars 2019, sont présents Messieurs [K] [V] et [C] [U] et Madame [D] [B]. A cette occasion, vous ne faites aucune proposition concrète et vous vous présentez sans avoir préparé le moindre document d'analyse ou de synthèse afin de vous permettre de présenter des options pour améliorer la situation.

Sur le sujet de l'organisation des temps de travail, Monsieur [K] [V] sollicite un état du besoin notamment sur l'équipe du matin afin d'analyser un possible démarrage à partir de 6 ou 7 heures. Vous n'avez préparé aucun élément chiffré et ne répondez pas à sa demande, un laps de temps vous est laissé jusqu'au 18 mars 2019. Aucun élément n'est transmis dans le temps imparti. Une nouvelle fois vous démontrez une totale incapacité à vous remettre en question.

Le 20 mars 2019, lors de la restitution programmée avec les équipes du cabinet TURKA de l'analyse de l'audit à laquelle vous participez, alors que le sujet de votre management et de votre positionnement est largement évoqué, remis en cause, vous continuez à affirmer que tout va bien.

Vous percevez positivement vos actions et pensez être à la hauteur des attendus alors que l'ensemble des acteurs interviewés relèvent des dysfonctionnements notoires dans la communication, l'organisation du service, l'animation et le management de l'équipe.

Au-delà de ces éléments, alors que le sujet de la transmission des plannings fait partie des sujets remontés par le Cabinet TURKA comme devant être explicité, nous constatons qu'à la date du 18 mars 2019 vous n'avez toujours pas communiqué les plannings d'avril 2019 alors qu'ils doivent l'être pour le 15 de chaque mois au plus tard comme dans tout l'établissement.

Certains personnels ont d'ailleurs contacté le cabinet TURKA pour s'en plaindre.

Interrogé sur la raison de cette communication tardive, vous vous contentez d'indiquer que vous avez commis une erreur !

Alors que nous attendons de votre part, une présence et une implication active dans l'animation de votre service, nous déplorons votre attentisme, le peu de réunions de service, votre absence opérationnelle auprès des équipes ...

Nous citons également votre incapacité à mettre en 'uvre les objectifs de progrès définis dans le cadre de votre mission lors de vos Entretiens Annuels d'Appréciation (harmonisation pratiques bio nettoyage, mise en place d'indicateurs d'activité / baromètre, etc.).

Votre incapacité à assumer correctement vos fonctions impacte péjorativement et met en cause la bonne marche du service de bio nettoyage et de manutention.

Nous citons notamment :

Des salariés en souffrance passive ou en revendication active,

Des animatrices démissionnaires,

Une rupture de confiance entre vous et votre responsable hiérarchique,

Une Direction / Direction des Ressources Humaines qui doit intervenir en support direct des équipes,

Des Instances Représentatives du Personnel en attente de solutions rapides, L'Inspection du travail en attente d'actions de la part de la Direction.

L'ensemble de ces éléments confirment les insuffisances professionnelles qui vous sont reprochées. Lors de l'entretien susvisé, vous n'avez fourni aucun élément de nature à nous faire espérer un quelconque changement et de modifier notre appréciation à ce sujet.

Votre préavis d'une durée de trois (3) mois, que nous vous dispensons d'effectuer, débutera à la date de première présentation de ce courrier. A son issue vous cesserez de faire partie de nos effectifs (...)».

L'ICL explique qu'en février et mars 2015, un ensemble de courriers anonymes dénonçaient les insuffisances managériales de M. [E] [N] et leurs effets sur les équipes du service qu'il dirigeait ; il renvoie à sa pièce 7.

Il souligne que ces lettres font état de faits précis et concordants.

Il indique que ces faits ont été confirmés par le diagnostic de carrière réalisé par la société Accentis en 2015 ; il renvoie à ses pièces 8 et 9.

L'employeur fait ensuite état des deux rappels à l'ordre  des 23 mars 2018 et 04 juillet 2018 : le premier pour ne pas avoir assuré la mise en place d'une salle de réunion devant accueillir le conseil d'administration, estimant que même si cette tâche avait été déléguée par le salarié à un manutentionnaire, ce qu'il ne démontre pas, il lui appartenait de contrôler le travail fait; le second notamment pour avoir été absent à une réunion de cadres.

L'ICL expose que le 19 septembre 2014, le CHSCT rapportait les premiers dysfonctionnements constatés au service bio-nettoyage sous la responsabilité de M. [E] [N] ; il renvoie à sa pièce 5.

Il estime qu'à la lecture des compte-rendus successifs, seul le conflit du service de M.[E] [N] apparaît comme un conflit continu et prolongé dans le temps.

Il indique que le 25 février 2015 et le 05 mars 2015, deux personnes ont alerté le CHSCT d'un mal-être des ASH à l'égard de M. [E] [N]; il renvoie à sa pièce 7.

L'ICL explique que ce son notamment les compte-rendus du CHSCT qui ont conduit la direction à solliciter l'intervention des cabinets Accentis et Turka.

Il estime qu'il n'y a que M. [E] [N] pour critiquer le comportement de M.[U], et renvoie à plusieurs pièces.

Sur le grief relatif au niveau de rendu des missions du salarié, l'ICL explique que ses carences managériales ont été identifiées dès 2014, comme en atteste le compte rendu du CHSCT du 19 septembre 2014; l'employeur précise que si aucune sanction n'a été prise c'est en raison du choix de la direction de l'aider à surmonter ses difficultés, en faisant appel au cabinet Accentis en juillet 2015.

Il renvoie à ses pièces 5, 6, 8 et 9.

Sur le grief relatif à l'intervention de l'inspection du travail en raison de risques psycho-sociaux relevés au sein du service de bio-nettoyage et de manutention, l'ICL indique que la mise en cause de M. [E] [N] par les membres de son équipe dans le courrier du 22 mai 2017 adressé à l'inspection du travail est explicite. Il précise que le choix a été fait de ne pas le sanctionner, mais de l'accompagner par un plan d'action suivi par l'inspection du travail et par le CHSCT; il renvoie à ses pièces 14 à 21, 24 et 29.

Il ajoute que le salarié n'a pas été capable de répondre à la demande d'un plan d'action, sur quatre axes, proposé par l'audit du cabinet Turka en février 2019. L'ICL renvoie à ses pièces 41 et 42.

L'intimé indique que la consultante du cabinet Turka a alerté la direction sur les pressions subies par le personnel s'étant exprimé sur ses conditions de travail ; que deux alertes ont été transmises en août 2018. L'intimé renvoie à sa pièce 34.

Sur la restitution du plan d'actions, l'ICL indique qu'à la restitution de l'avant-projet de rapport d'audit du cabinet Turka, M. [E] [N] a été invité à bâtir un plan d'actions en quatre axes dès le 12 février 2019, avec une date de restitution au 15 mars 2019 ; que M.[E] [N] n'a présenté aucun plan ; il renvoie à ses pièces 41 et 42.

L'employeur conteste la valeur probante de la pièce transmise par M. [E] [N] après son licenciement.

Sur la tardiveté de la transmission des plannings d'avril 2019, l'ICL souligne qu'il s'agissait d'un des quatre axes prioritaire au plan d'actions à bâtir.

Sur l'incapacité de l'appelant à assurer correctement ses fonctions, l'ICL indique produire les supports d'entretien professionnel des années 2015 à 2018.

M. [E] [N] fait valoir avoir toujours travaillé avec sérieux et compétence, allant au-delà des attentes exigées par ses fonctions ; il indique notamment avoir mis en place un partenariat avec un lycée professionnel, et avoir reçu les félicitations de l'un des consultants suite à un audit.

Il conteste l'affirmation de la lettre de licenciement selon laquelle il a reçu divers soutiens.

Il indique que le bilan effectué par la société Accentis a été présenté comme un simple accompagnement à la prise de parole en public, alors qu'en réalité il s'agissait d'un entretien d'évaluation professionnelle dont l'objectif était de chercher des erreurs dans son travail. Il ajoute que sur certains points ce bilan se contredit.

Il indique également que son supérieur hiérarchique, M. [C] [U], ne l'épaulait pas dans ses fonctions mais mettait tout en 'uvre pour aboutir à la dégradation de ses conditions de travail; il renvoie à la pièce adverse 51.

Il affirme enfin avoir coopéré avec les institutions représentatives du personnel.

M. [E] [N] ajoute qu'une formation relative à la communication en institution lui a été refusée en 2018, alors qu'il aurait pu y acquérir de nouveaux outils de management, et explique qu'un employeur ne peut licencier un salarié pour insuffisance professionnelle s'il a manqué à son obligation de formation.

L'appelant expose ne jamais avoir été l'objet d'aucune remarque négative sur son travail, jusqu'à deux rappels à l'ordre du 23 mars et du 04 juillet 2018, et son licenciement.

Au sujet des alertes de salariés évoquées dans la lettre de licenciement, M. [E] [N] explique que les conditions de travail étaient extrêmement difficiles au sein de l'ICL, y compris pour lui.

Il cite un compte-rendu du CHSCT du 19 septembre 2014, et renvoie à la pièce adverse 5 ; il affirme que « ces compte-rendus démontrent que les risques psycho-sociaux sont présents dans de nombreux services de l'ICL et ne relèvent donc en rien d'une carence managériale [de sa part] ».

Il note que le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 16 juin 2015 fait état d'alertes quant aux risques psycho-sociaux et aux conditions de travail dans de nombreux services de l'ICL, et souligne que dans le compte-rendu du 08 décembre 2017 il est félicité par le CHSCT pour son implication. Il estime que cela démontre qu'il n'est pas la cause de ces dysfonctionnements mais qu'à son poste il les réglait.

M. [E] [N] estime que les courriers anonymes dont fait état l'ICL sont vagues ou subjectifs, et qu'en tout état de cause il n'est pas la personne décrite dans ces courriers.

En ce qui concerne les « nouvelles maladresses ou erreurs », M. [E] [N] fait valoir que dans les alertes adressées à Mme [B], la DRH, aucune précision n'est donnée sur le supposé auteur ; il renvoie à la pièce adverse 34.

Il considère que les questionnaires qui sont adressés dans le cadre de l'audit Turka sont des questionnaires par groupe de salariés, et non individuels, avec des questions orientées.

S'agissant de la restitution du compte-rendu de l'audit Turka, le salarié affirme avoir présenté oralement un plan d'action, qu'il a ensuite adressé par écrit le 05 avril 2019.

Il souligne que le 05 février 2019 le cabinet Turka fait état de ses premières préconisations, mais que cela n'est pas un rapport ; qu'il lui est laissé jusqu'au 15 mars pour établir un premier plan ; qu'il ne s'agissait que d'un premier jet mettant en exergue les axes prioritaires, un plan d'action nécessitant un peu plus de temps, alors même que le rapport d'audit n'est pas déposé ; que pourtant dès le 20 mars 2019 il est convoqué à un entretien préalable à licenciement.

Sur la transmission des plannings, M. [E] [N] fait valoir qu'ils ont été distribués le mardi 19 mars 2019 au lieu du vendredi 15 mars afin de rectifier trois petites erreurs et éviter ainsi la communication de plusieurs plannings, source d'incompréhension pour le personnel.

Sur l'animation du service, il fait valoir que depuis son départ, l'absentéisme n'a pas diminué, et que les plannings semblent être très souvent modifiés ; il renvoie à ses pièces 43 et 44.

Il estime que « ce sont bien des dysfonctionnements systémiques de l'ICL qui entraînent des difficultés au sein des différents services ».

M. [E] [N] note avoir obtenu de son employeur le 24 juillet 2017 la validation des acquis professionnels ; il renvoie à sa pièce 46.

Il indique également que pendant plusieurs années, ses compte-rendus professionnels ont mis en avant ses qualités professionnelles, dont le management de son équipe ; il renvoie à ses pièces 18 à 25.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, l'employeur produit notamment:

- en pièces 7, des lettres anonymes, qui visent nommément M. [E] [N], lui reprochant par exemple de traiter de manière différente les personnels de son service, d'appeler à son domicile la femme de ménage pour savoir si elle n'a pas jeté tel planning ou tel document à la poubelle, d'imposer des changements de service sans prendre en compte les contraintes des personnels, de ne pas prévenir de changements de planning etc.

Se trouvent également dans ces pièces 7 des mails d'infirmières ou de représentante du personnel, relatant les difficultés rencontrées par les ASH ; ces documents sont datés de février et mars 2015.

- en pièce 22, la lettre de « rappel à l'ordre » de la direction, en date du 22 mars 2018, pour ne pas avoir assuré la préparation de la salle dans laquelle devait se tenir le conseil d'administration du 21 mars 2018 ;

- en pièce 23, la réponse de M. [E] [N] par lettre du 25 avril 2018, dans laquelle il explique avoir transmis les consignes aux manutentionnaires, mais que le manutentionnaire en charge de la préparation de la salle l'a oubliée.

- en pièce 31, la lettre du 04 juillet 2018 adressée par la direction à M. [E] [N], lui reprochant son absence à une réunion du 02 juillet, relative à des travaux de forage, et lui reprochant également d'avoir qualifié, dans sa réponse écrite aux questions de la DRH, les questions émanant des représentants du personnel de diffamatoires.

- en pièce 5, le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 19 septembre 2014 : il est indiqué en « questions diverses » que « le CHSCT a alerté l'encadrement du service sur des souffrances au travail exprimées à des élus. Une pression importante, des relations hiérarchiques tendues et des contraintes de plannings sont désignées comme causes. Un groupe planning a été créé mais ne semble pas toujours consulté. »

Compte-rendu du CHSCT du 16 juin 2015 : « Le CHSCT a été interpellé par des salariés (individuellement ou en groupes) des services 1er gallé, TSPM, UASM, Bionettoyage, USC, Oncologues, secrétaires, anesthésie pour des problèmes divers de conditions de travail et de RPS » (p3 du compte-rendu ; paragraphe surligné par l'ICL)

compte-rendu du CHSCT du 28 juin 2016 (en page 1 surligné par l'intimé) : « Bionettoyage : une lettre anonyme signée « les ASH » a été adressée à la Direction avec copie au CHSCT »

- en pièce 51 : attestation de M. [C] [U], supérieur hiérarchique de M. [E] [N], exposant sur plusieurs pages des griefs quant à la qualité du travail de l'appelant

- en pièce 53, attestation de M. [H] [X], responsable restauration, qui explique « à plusieurs reprises, j'ai pu constater un comportement et un savoir être inapproprié de la part de M. [N] envers M. [U] dans le bureau de ce dernier (tutoiement, vocabulaire non conforme envers son N+1). J'ai également connaissance de mails à l'encontre de M. [U] de la part de M. [N] remettant en cause les objectifs définis. »

- en pièce 56, attestation de Mme [M] [J], « C'est en tant que représentante syndicale puis déléguée syndicale que j'ai été sollicitée par [E] [N] à plusieurs reprises en 2014 et 2015, il n'acceptait pas de devoir réaliser les objectifs fixés par son N+1 lors des entretiens annuels. (') Aidée d'une collègue (') nous lui avons expliqué à plusieurs reprises l'importance de se consacrer à ses objectifs (') Cependant [E] [N] se sentait toujours en difficulté, malgré de nombreux échanges, toutes les explications données, le soutien et l'écoute apportés, et il ne souhaitait pas s'y consacrer. Il exprimait ne pas avoir à se justifier, avoir trop de diplômes pour son emploi, et disait régulièrement souhaiter un autre poste. J'ai également été sollicitée par G. [U] pour servir de médiateur, afin que chacun puisse s'exprimer de manière libre (')

En tant qu'élue déléguée du personnel, et étant donné la proximité entre mon bureau et celui d'[E] [N], j'ai souvent été amenée à rencontrer des ASH, un bon nombre d'entre elles se plaignaient de son comportement, cependant certaines l'appréciaient. Lors des réunions DP le problème du bio nettoyage était souvent évoqué, problèmes de favoritisme envers certaines et d'équité dans les plannings ; le management était pointé du doigt par les ASH (') Des missions d'appui avaient été mises en place par la direction avec un organisme extérieur dans un but d'accompagnement mais [E] [N] disait ne pas en avoir besoin. (...) »

- en pièce 14 : lettre de la DIRECCTE à l'ICL en date du 12 décembre 2017 : « A plusieurs reprises nos services ont été saisis des conditions de travail ressenties comme dégradées de certains membres du personnel de votre structure. Vous avez été informé de ces situations notamment par un courrier émanant de membres de votre personnel du 22 mai 2017. A sa lecture, ce courrier vous alerte d'une situation qualifiée de souffrance ressenti au travail dans le service bio nettoyage. Après avoir entendu un certain nombre de salariés de votre structure, nous souhaiterions désormais vous rencontrer pour nous entretenir sur ce sujet. Nous voudrions notamment évoquer certaines thématiques pouvant concourir à la situation dénoncée :

- Méthode de gestion du personnel

- Mode de promotion

- Actions de formation en gestion du personnels

- Organisation du travail, attribution des tâches et communication des plannings

- Charge de travail et effectifs

- Prise en compte des restrictions médicales (') »

- en pïèce 17, un mail de Mme [D] [B], DRH de l'ICL, notamment à M.[R] [Y], directeur, faisant suite à la réunion qu'elle a eu avec la DIRECCTE, à la suite du courrier en pièce 14 ; elle précise que la lettre du 22 mai 2017 dont fait état la DIRECCTE n'a pas été reçue par l'ICL, et que « Le courrier en question daté du 19 avril 2017 reçu par l'IT le 22 mai 2017 m'a été montré (') il traite de : - attaques sur les gestes professionnels ' ironie verbale ' isolement de personnel ' favoritisme sur la fixation des congés pour les personnels qui collabore avec « encadrement » (...) »

- en pièce 18, la copie de cette lettre du 19 avril 2017.

- en pièce 41, la lettre de l'ICL à M. [E] [N] en date du 05 février 2019, lui demandant de présenter pour le 15 mars son plan d'action sur les quatre axes « prioritaires et urgents », détaillés dans la lettre, dégagés à la suite du travail du cabinet Turka, qui finalise ses conclusions.

M. [E] [N] produit notamment :

- en pièce 13, le plan d'action qu'il indique avoir exposé oralement le 11 mars 2019, puis adressé à son employeur sur support papier.

Ainsi que le fait observer l'ICL, le quart de ce document, sur feuille A4, expose les axes prioritaires définis par le diagnostic du cabinet TURKA.

Il convient également de souligner que dans la partie « plan d'action » les « réponses nouvelles » reprennent en grande partie les « réponses actuelles » inscrites sur ce document ; les deux parties sont donc redondantes. La partie « mise en oeuvre » liste simplement plusieurs thématiques : « support explicatif avec infos de la charte », « planning à l'année proposition en réunion, essai d'un premier planning » ; « l'absentéisme (quoi et comment) information avec support explicatif » (').

Ce document, très succinct et rédigé en termes généraux, ne peut être considéré comme un plan d'action, tel que demandé par l'employeur, alors que ce dernier développait de manière précise les axes présentés dans sa lettre en pièce 13.

- en pièce 49 le document communiqué le 05 avril 2019 à l'ICL, soit postérieurement à son entretien préalable ; il ne peut dès lors être considéré comme répondant aux attentes de l'employeur dans les délais qu'il fixait.

- en pièce 48, en ce qui concerne sa formation refusée, les mails échangés avec M. [U] ; l'intitulé de la formation est « la communication en institution et les nouvelles technologies » ; il ne donne aucune indication sur son contenu précis ; il indique lui-même dans son mail du 06 mars 2018 que cette formation n'est effectivement pas prioritaire.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que :

- la gestion du personnel et des emplois du temps de M. [E] [N] engendrait un mal être important de la part de ses subordonnés

- que malgré l'assistance qui lui était apportée et proposée (mission Accentis et appui de son supérieur hiérarchique) la situation ne s'est pas améliorée

- M. [E] [N] n'a pas proposé de plan d'action dans les délais qui lui ont été impartis, à la suite de l'intervention du cabinet TURKA.

M. [E] [N] produit en pièces 18 à 25 des extraits de ses entretiens annuels (entretiens de 2010 à 2017, le dernier ayant été réalisé le 31 mars 2017) ; il en ressort que si M. [E] [N] n'a jamais fait l'objet de remarques négatives avant 2016, les deux derniers commentaires de l'évaluateur dans la « synthèse » de l'entretien, en 2016 et 2017, mentionnent des points de faiblesse : « le bilan de l'année écoulée est assez mitigé ; une amélioration des différents points évalués sur ces deniers mois avec un meilleur positionnement constaté » (entretien du 02 mai 2016) ; « L'année écoulée a été riche en événements pas toujours agréables et parfois sources d'incompréhension. (Restitution du suivi de la formation, non validation de la VAP). Gageons que les échanges parfois « virils » auront permis une meilleurs compréhension, ce qui semble se dessiner par la prise en main active et efficace du plan d'action VAP qui a permis de concrétiser (sous réserve de sa validation prochaine) un projet maintes fois reporté. On peut encore améliorer la fluidité dans les échanges ».

Concernant ce dernier entretien :

- dans la grille « bilan de la période écoulée » M. [E] [N] est évalué niveau 3, sauf pour le « respect des échéances données » où il est évalué niveau 2. Il n'y a que 4 niveaux ; le niveau 3 signifie « Maîtrise attendue. Réalisation globale de la mission », et le niveau 2 signifié « Maîtrise partielle. La personne a besoin d'être aidée régulièrement ».

- dans la grille « évaluation des objectifs de l'année écoulée », M. [E] [N] est évalué entre 0,4 et 0,6 pour l'atteinte des différents objectifs (1 correspondant au maximum), ce qui lui donne, après application de coefficients de pondération, un « taux d'atteinte des objectifs » de 0,52.

Ces appréciations, mitigées sur les deux dernières années, ne permettent pas à M. [E] [N] de s'en prévaloir pour contester l'insuffisance professionnelle reprochée aux termes de la lettre de licenciement, et objectivée par les pièces précitées produites par l'employeur.

Au terme de ce qui précède, M. [E] [N] sera débouté de sa demande de voir dire le licenciement abusif, et de sa demande indemnitaire subséquente.

Le jugement sera donc confirmé sur ces points.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant à l'instance, M. [E] [N] sera condamné, pour la procédure en appel, aux dépens, ainsi qu'à la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera confirmé sur ses condamnations à ces titres.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nancy le 23 février 2022 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne M. [E] [N] à payer à l'ICL 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en appel ;

Condamne M. [E] [N] aux dépens d'appel.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en onze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/00630
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;22.00630 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award