ARRET N°
DU 12 MAI 2023
N° RG 22/02266 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FBYD
LA COUR D'APPEL DE NANCY, troisième chambre civile section 1, a rendu l'arrêt suivant :
Saisie d'un appel d'une décision rendue le 20 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de VAL DE BRIEY (18/00248)
APPELANT :
Monsieur [B] [P] [G] [F] [L]
né le 08 Octobre 1992 à [Localité 8]
[Adresse 1]
représenté par Me Hervé MERLINGE de la SCP JOUBERT, DEMAREST & MERLINGE, avocat au barreau de NANCY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/011349 du 03/01/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)
INTIMES :
Madame [X] [Y] [K] [C] [M]
née le 15 Octobre 1995 à [Localité 7]
[Adresse 1]
Défaillante, n'ayant pas constitué avocat, ayant été régulièrement assignée par acte d'huissier en date du 10 novembre 2022 transformé en procès-verbal de recherches infructueuses
Monsieur [U] [E]
né le 02 Juin 1997 à [Localité 4]
[Adresse 2]
représenté par Me Damien L'HOTE, avocat au barreau de NANCY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/009237 du 25/11/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)
MINISTERE PUBLIC, pris en la personne de Monsieur le Procureur Général de la cour d'appel de NANCY, sis
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Madame Béatrice BOSSARD, avocat général près la Cour d'appel de Nancy
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président de Chambre : Madame BOUC,
Conseillères : Madame LEFEBVRE,
Madame WELTER,
Greffier présent aux débats : Monsieur ADJAL, en présence de Madame BARBERI, greffier stagiaire
DEBATS :
Hors la présence du public à l'audience du 03 Mars 2023 ;
Conformément à l'article 804 du Code de Procédure Civile, un rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience de ce jour ;
L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être mis publiquement à disposition au greffe le 12 Mai 2023 ;
Le 12 Mai 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Copie exécutoire le
Copie le
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par requête en date du 22 décembre 2015, Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Briey a saisi la chambre civile de la juridiction aux fins d'ordonner une expertise biologique et de rectifier l'acte de naissance de [R] [M] sur le fondement de l'article 336 du code civil.
Par ordonnance en date du 12 décembre 2016, le juge de la mise en état a radié l'affaire du rôle pour défaut de citation des parties par le procureur de la République.
Par actes d'huissier en date des 13 et 21 décembre 2017, Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Briey a fait assigner Mme [X] [M], M. [B] [L] et M. [U] [E] devant cette juridiction, sur le fondement de l'article 336 du code civil, aux fins de voir :
ordonner une expertise biologique,
rectifier l'acte de naissance de [R] [M] [L], née le 4 septembre 2014 à [Localité 6], conformément à la paternité établie biologiquement.
À1'appui de sa demande, il expose que [R] [M] est née le 4 septembre 2014 à [Localité 6] de [X] [M] qui l'a reconnue par anticipation le 3 juin 2014.
M. [U] [E] l'a reconnue par anticipation le 12 juin 2014.
Or M. [B] [L] a reconnu l'enfant [R] le 6 novembre 2015 à la Mairie d'[Localité 5] alors que la première reconnaissance effectuée par M. [E] n'avait pas été apposée en marge de l'acte de naissance de [R] à défaut d'information de la part du déclarant de la naissance de l'enfant, à savoir le père de Mme [M].
Mme [M] et M. [L] ont souscrit une déclaration conjointe de changement de nom le 16 novembre 2015.
Par conclusions en date du 17 mai 2018, M. [U] [E] demande au tribunal de lui donner acte de ce qu'il ne s'oppose pas à la mesure d'expertise biologique sollicitée par le ministère public.
Mme [X] [M] et M. [B] [L], régulièrement assignés à personne le 21 décembre 2017, n'ont pas constitué avocat dans le délai de quinze jours qui leur été imparti par les articles 752 et 755 du code de procédure civile et n'ont pas comparu à l'audience du 15 mars 2018 à laquelle ils ont été invités.
Par jugement avant-dire-droit du 7 juin 2018, le tribunal de grande instance de Val de Briey a ordonné une expertise biologique aux fins de déterminer la filiation de l'enfant.
Le 26 novembre 2018, le laboratoire d'analyse génétique IGNA a établi un rapport de carence.
Par ordonnance en date du 10 mai 2021, le magistrat du contrôle des expertises a ordonné le retour du dossier au laboratoire, les nouvelles adresses de M. [B] [L] et de l'enfant ayant été communiquées.
Le Laboratoire IGNA a déposé son rapport d'expertise le 14 septembre 2021.
Celle-ci a révélé que M. [U] [E] est bien le père biologique de l'enfant [R].
Par avis du 11 octobre 2021, le ministère public a sollicité la rectification de l'acte de naissance de [R] [M] en ce qu'elle est la fille de M. [U] [E] et non de M. [B] [L].
Mme [M] et M. [L], régulièrement convoqués par lettres recommandées avec accusé de réception retournées avec la mention 'inconnu à l'adresse', n'ont pas comparu à l'audience du 9 décembre 2021.
Par jugement réputé contradictoire en date du 20 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Val de Briey a pour l'essentiel :
modifié le nom de famille de [R] [M] [L] en [R] [M] ;
dit que le 4 septembre 2014 est née à [Localité 6] (54), [R], de sexe féminin, de [X] [M], née à [Localité 7] (54)1e 15 octobre 1995 et de [U] [E], né à [Localité 4] (54) le 2 juin 1997;
ordonné la transcription du dit jugement, relativement à la filiation, en marge de l'acte de naissance de [R] [M] (n° 454/2014) ;
rappelé qu'il sera procédé à la transmission de la présente décision par le procureur de la république au dépositaire des actes modifiés conformément aux dispositions de 1'article 1054 du code de procédure civile ;
dit que la présente décision sera notifiée, à la diligence du greffe, au procureur de la république près le tribunal judiciaire de Val-de-Briey ;
Sur la demande reconventionnelle,
condamné solidairement Mme [X] [M] et M. [B] [L] à payer à M. [U] [E] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
condamné solidairement Mme [X] [M] et M. [B] [L] à payer à M. [U] [E] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe en date du 10 octobre 2022, M. [L] a interjeté appel de ce jugement dans ses dispositions relatives à la recevabilité des demandes et à sa condamnation solidaire avec Mme [M] à payer des dommages et intérêts.
Par requête déposée au greffe le 21 octobre 2022, M. [B] [L] a sollicité d'être autorisé à assigner à juge fixe.
Par ordonnance en date du 25 octobre 2022, la présidente de la troisième chambre civile, section 1, a donné autorisation à M. [B] [L] d'assigner à jour fixe pour l'audience du 9 janvier 2023, sur le fondement des articles 1055 et 917 du code de procédure civile.
À l'audience du 9 janvier 2023, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 3 mars 2023 pour réquisitions du ministère public.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 9 janvier 2023, M. [B] [L] demande à la cour de :
déclarer l'appel interjeté par M. [L] recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
réformer la décision entreprise,
déclarer la demande irrecevable et subsidiairement, constater que la péremption a été acquise,
débouter M. [E] de ses demandes,
le condamner aux entiers dépens lesquels seront recouvrés comme en matière juridictionnelle.
À l'appui de son appel, M. [L] fait valoir les moyens suivants :
la requête du ministère public serait irrecevable, l'enfant n'ayant pas été attrait dans la procédure et aucune demande d'annulation de sa reconnaissance n'a été demandée. Or il ne pourrait y avoir rectification de l'acte d'état civil sans annulation de la reconnaissance,
plus de deux années s'étant écoulées entre le jugement ordonnant l'expertise et le rapport d'expertise, il y aurait péremption de la procédure,
aucun fondement ne permet de condamner M. [L] solidairement avec Mme [M],
M. [L] a fait sa reconnaissance sur les dires de la mère qui lui a affirmé qu'il était le père,
les services d'état civil ont accepté la reconnaissance de M. [L] alors qu'une reconnaissance avait déjà eu lieu, M. [L] ne pouvait pas le savoir,
s'il y a faute, c'est de la part de la mère et des services de l'état civil et non de la part de M. [L],
M. [L] est dans l'incapacité de régler quelque somme que ce soit,
M. [E] n'a pas subi de préjudice.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 janvier 2023, M. [E] demande à la cour de :
débouter M. [L] de son moyen d'irrecevabilité de la demande,
dire et juger irrecevable, et subsidiairement mal fondé, le moyen de M. [L] tiré de la péremption de la procédure de première instance,
en tout état de cause :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
et y ajoutant :
condamner M. [L] aux dépens, qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
À l'appui de ses demandes, M. [E] fait valoir les moyens suivants :
M. [L] savait parfaitement que Mme [M] vivait avec M. [E] au moment de la conception de l'enfant,
s'agissant d'une procédure en rectification d'acte d'état civil, la mise en cause de l'enfant n'est pas nécessaire et ne saurait par ailleurs emporter irrecevabilité de la requête,
l'annulation préalable de la reconnaissance de paternité de M. [B] [L] ne serait pas nécessaire puisqu'elle n'a jamais, de par l'effet de la loi, pu produire le moindre effet sur la filiation de l'enfant. Il ne s'agirait pas d'une contestation de paternité mais de la mise en conformité d'un acte d'état civil avec la filiation légalement établie,
la fin de non-recevoir tirée de la péremption serait irrecevable en ce qu'elle n'a pas été demandée ou opposée avant tout autre moyen conformément à l'article 388 du code de procédure civile, en l'espèce le moyen de l'irrégularité de la procédure pour absence de mise en cause de l'enfant,
il y aurait eu des diligences effectuées entre le jugement avant dire droit ordonnant une expertise et le dépôt du rapport d'expertise,
quand M. [L] et Mme [M] ont effectué les démarches de reconnaissance de paternité, M. [E] avait déjà engagé des actions judiciaires pour se voir reconnaître des droits sur l'enfant,
M. [B] [L] s'est volontairement rendu complice, par l'établissement d'une fausse reconnaissance de paternité, d'une tentative de la mère de soustraire l'enfant aux droits de son véritable père,
M. [L] n'a jamais établi aucun contact avec l'enfant, ce qui démontre qu'il ne s'est jamais considéré comme son père,
M. [E] a subi un préjudice important puisque, du fait des man'uvres conjointes de M. [L] et de Mme [M], sa paternité a été remise en cause, il n'a pas pu obtenir la résidence de l'enfant, il a souffert de voir son enfant porter le nom d'une personne qui n'est pas le sien et il a souffert d'avoir du supporter une longue et difficile procédure pour se voir rétabli dans ses droits et faire rectifier l'état civil de l'enfant.
Aux termes de ses conclusions en date du 1er février 2023, le procureur général requiert qu'il plaise à la cour d'appel de confirmer le jugement entrepris en première instance dans toutes ses dispositions.
Bien que la déclaration d'appel ait été signifiée par acte d'huissier par procès-verbal de recherches infructueuses en date du 10 novembre 2022, Mme [M] n'a pas constitué avocat.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'irrecevabilité de la demande tirée de l'absence de mise en cause de l'enfant
Si l'action en contestation de paternité doit être engagée à l'encontre de l'enfant et de l'auteur de la reconnaissance contestée, tel n'est pas le cas lorsque le procureur de la République saisit le tribunal judiciaire d'un conflit entre 2 titres de paternité dans le cadre de l'article 336-1 du code civil, dont relève la présente procédure et non de l'article 336 du code civil comme visé dans la requête du parquet et le jugement de première instance.
Son action n'est pas dirigée contre l'enfant mais contre les 2 auteurs des reconnaissances de paternité.
Par ailleurs, la mère de l'enfant a été attraite dans la procédure, représentante légale de l'enfant, aux fins de lui déclarer la procédure commune.
Le fait que l'annulation de la reconnaissance de M. [L] n'ait pas été sollicitée suite à l'expertise biologique établissant la paternité de M. [E] n'est pas un moyen d'irrecevabilité.
Dans ces conditions, ce premier chef d'irrecevabilité sera rejeté.
Sur la péremption
Selon l'article 388 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, la péremption doit être demandée ou opposée avant tout autre moyen.
Ainsi, l'intéressé est irrecevable s'il invoque préalablement à la péremption, une fin de non-recevoir ou toute exception de procédure.
En l'espèce, M. [L] invoque la péremption à titre subsidiaire après avoir soulevé l'irrégularité de la procédure pour absence de mise en cause du mineur.
Dès lors, il est irrecevable à invoquer la péremption.
Sur la condamnation à des dommages et intérêts
En vertu de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, M. [L] ne peut affirmer avoir cru aux dires de la mère de l'enfant qu'il aurait été le père de l'enfant alors qu'une procédure d'assistance éducative était ouverte, que seul M. [E] était partie à cette procédure et bénéficiait de droits de visite. M. [L] n'a jamais saisi un juge aux affaires familiales pour faire reconnaître ses droits de père contrairement à M. [E]. Il ne pouvait ignorer les revendications de M. [E] de sa qualité de père. Au moment de la reconnaissance par M. [L], l'enfant avait été retirée à sa mère et était placée.
M. [L], bien que régulièrement assigné par acte d'huissier délivré à personne le 21 décembre 2017, n'a pas comparu devant le tribunal judiciaire et ne s'est pas présenté aux opérations d'expertise biologique.
Ce comportement démontre qu'il ne pouvait ignorer les doutes qui pesaient sur sa paternité et qu'il a agi avec une légèreté blâmable en accordant crédit aux dires de la mère.
Il ne peut mettre en cause la responsabilité des services d'état civil, l'absence de transcription de la reconnaissance pré-natale sur l'acte de naissance de l'enfant relevant de la seule responsabilité du déclarant de la naissance, à savoir le grand-père maternel de l'enfant qui était opposé à cette relation amoureuse.
Cela ne saurait le dédouaner de sa responsabilité d'avoir agi ainsi.
Le préjudice moral de M. [E] est indéniable en ce que sa paternité a été remise en cause, que ses efforts pour assumer cette paternité malgré ses propres difficultés se retrouvaient anéantis, ne pouvant plus prétendre à ses droits de père, avant l'aboutissement de la présente procédure à laquelle il a participé activement.
M. [L], par sa légèreté blâmable, a contribué au préjudice subi par M. [E].
Le tribunal a, à juste titre, chiffré ce préjudice à 3 000 euros et condamné solidairement M. [L] et Mme [M].
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens
Partie perdante, M. [L] sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, par arrêt rendu par défaut, publiquement, après débats en chambre du conseil, et par mise à disposition au greffe,
Rejette l'exception d'irrecevabilité de la demande soulevée par M. [B] [L],
Déclare M. [B] [L] irrecevable en son moyen tiré de la péremption,
Confirme le jugement rendu le 20 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Val de Briey en ce qui concerne la condamnation solidaire de M. [L] à des dommages et intérêts,
Y ajoutant,
Condamne M. [B] [L] aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les règles de l'aide juridictionnelles.
L'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au Greffe de la Cour le douze Mai deux mille vingt trois, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Et Madame la Présidente a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.
Signé : I. FOURNIER.- Signé : C. BOUC.-
Minute en neuf pages.