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11/05/2023 | FRANCE | N°22/01382

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 11 mai 2023, 22/01382


ARRÊT N° /2023

PH



DU 11 MAI 2023



N° RG 22/01382 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7YS







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00300

18 mai 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



Madame [S] [R] épouse [G]

[Adresse 1]



[Adresse 1]

Représentée par Me Laurence ANTRIG de la SCP LE ROY DE LA CHOHINIERE - ANTRIG, avocat au barreau de NANCY







INTIMÉE :



Association LES MAISONS HOSPITALIERES pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Fabrice HENON-HILAI...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 11 MAI 2023

N° RG 22/01382 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7YS

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00300

18 mai 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

Madame [S] [R] épouse [G]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Laurence ANTRIG de la SCP LE ROY DE LA CHOHINIERE - ANTRIG, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

Association LES MAISONS HOSPITALIERES pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Fabrice HENON-HILAIRE de la SELARL ELIDE, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseiller : BRUNEAU Dominique,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 23 février 2023 tenue par Raphaël WEISSMANN, Président, et Dominique BRUNEAU, conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Dominique BRUNEAU, Stéphane STANEK, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 04 mai 2023; puis à cette date le délibéré a été prorogé au 11 mai 2023;

Le 11 mai 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [S] [R] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, par l'association Hospitalière [6] de [Localité 4], à compter du 31 juillet 2008, en qualité d'aide-soignante affectée au service de soins infirmiers à domicile.

A compter du 24 décembre 2008 suivant avenant contractuel du 10 décembre, le temps de travail de la salariée a été porté à hauteur de 75%.

A compter du 01 septembre 2010 suivant avenant contractuel du 23 juillet 2010, la salariée est affectée au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, passant à cette occasion en service de nuit.

A compter du 01 janvier 2018, le contrat de travail de Madame [S] [R] a été transféré à l'association LES MAISONS HOSPITALIERES, née de la fusion de l'association Hospitalière [6] de [Localité 4] et de l'association Maison Hospitalière [5] de [Localité 3].

La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie, à compter du 19 décembre 2018 jusqu'au 23 avril 2019.

Par décision du 23 avril 2019 du médecin du travail dans le cadre d'une visite de reprise, la salariée a été déclarée inapte à son poste de travail, avec précision que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par courrier du 30 avril 2019, Madame [S] [R] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 14 mai 2019.

Sur demande de l'employeur, l'association LES MAISONS HOSPITALIERES, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Madame [S] [R] par décision du 05 juillet 2019, du fait de son statut de salariée protégée en qualité d'ancienne déléguée syndicale et ancienne représentante syndicale au comité d'entreprise de l'association.

Par courrier du 29 juillet 2019, la salariée a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par requête du 23 juillet 2020, Madame [S] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

- de dire et juger qu'elle a été victime d'actes de harcèlement moral,

- de condamner l'association à lui payer la somme de 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- de condamner l'association à lui payer les sommes suivantes :

- 461,44 euros bruts au titre des heures de travail effectuées et non payées,

- 46,14 euros bruts au titre des congés payés correspondants,

- 187,59 euros au titre des frais de déplacement restant dus,

- de dire et juger que son licenciement est nul,

- de condamner l'association à lui payer les sommes suivantes :

- 3 487,06 euros bruts, soit l'équivalent de deux mois de salaire, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 348,71 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,

- 26 153,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, soit l'équivalent de 15 mois de salaire,

- 2 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'ordonner la remise par l'association d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi rectifiés conformément au jugement et ce sous astreinte d'un montant de 50,00 euros par jour de retard 8 jours passés la notification de la décision, sous réserves de la liquidation de l'astreinte,

- de condamner l'association aux entiers dépens de l'instance, en y incluant les frais correspondant à une éventuelle exécution forcée.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 18 mai 2022, lequel a :

- dit que le licenciement de Madame [S] [R] est justifié par son inaptitude non professionnelle et l'impossibilité de son reclassement constatées par le médecin du travail,

- rejeté la demande de nullité du licenciement,

- débouté Madame [S] [R] de ses demandes indemnitaires relatives à son licenciement,

- débouté Madame [S] [R] de sa demande de remboursement de frais kilométriques,

- acté le fait que l'Association LES MAISONS HOSPITALIERES reconnaît devoir à Madame [S] [R] les sommes de 461,44 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les périodes de janvier 2018 à avril 2018 et d'août 2018 à décembre 2018, outre la somme de 46,14 euros bruts à titre de congés payés,

- fait droit à la demande de rappel de salaire de Madame [S] [G] à hauteur des sommes susvisées,

- débouté Madame [S] [R] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté l'association LES MAISONS HOSPITALIERES de sa demande au titre du même article,

- condamné Madame [S] [R] aux entiers dépens.

Vu l'appel formé par Madame [S] [R] le 15 juin 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Madame [S] [R] déposées sur le RPVA le 14 septembre 2022, et celles de l'association LES MAISONS HOSPITALIERES déposées sur le RPVA le 13 décembre 2022,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 11 janvier 2023,

Madame [S] [R] demande :

- de juger recevable et bien fondé l'appel formé par Madame [S] [R],

- y faisant droit, d'infirmer le jugement rendu par le conseil de Prud'hommes le 18 mai 2022 en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de Madame [S] [R] est justifié par son inaptitude non professionnelle et l'impossibilité de son reclassement constatées par le médecin du travail,

- rejeté la demande de nullité du licenciement,

- débouté Madame [S] [R] de ses demandes visant à :

- dire et juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- de condamner l'association à lui payer la somme de 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- de condamner l'association à lui payer la somme de 187,59 euros au titre des frais de déplacement restant dus,

- de dire et juger que son licenciement est nul,

- de condamner l'association à lui payer les sommes suivantes :

- 3 487,06 euros bruts, soit l'équivalent de deux mois de salaire, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 348,71 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,

- 26 153,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, soit l'équivalent de 15 mois de salaire,

- 2 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'ordonner la remise par l'association d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi rectifiés conformément au jugement et ce sous astreinte d'un montant de 50,00 euros par jour de retard 8 jours passés la notification de la décision, sous réserves de la liquidation de l'astreinte,

- de condamner l'association aux entiers dépens de l'instance.

*

Statuant à nouveau :

- de juger que Madame [S] [R] a été victime d'actes de harcèlement moral,

- de condamner l'association LES MAISONS HOSPITALIERES à payer à Madame [S] [R] la somme de 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- de condamner l'association LES MAISONS HOSPITALIERES à payer à Madame [S] [R] la somme de 187,59 euros au titre des frais de déplacement restant dus,

- de juger que le licenciement prononcé le 29 juillet 2019 par l'association LES MAISONS HOSPITALIERES à l'encontre de Madame [S] [G] est nul,

- de condamner l'association LES MAISONS HOSPITALIERES à payer à Madame [S] [R] les sommes suivantes :

- 3 487,06 euros bruts, soit l'équivalent de 2 mois de salaire au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 348,71 euros bruts au titre des congés payés sur préavis,

- 26 153,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, soit l'équivalent de 15 mois de salaire,

- 2 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

- 2 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- d'ordonner l'édition et la remise par l'association LES MAISONS HOSPITALIERES à Madame [S] [R] d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi rectifiés conformément à l'arrêt et ce sous astreinte d'un montant de 50,00 euros par jour de retard 8 jours passé la notification de la décision,

- de condamner l'association LES MAISONS HOSPITALIERES aux entiers dépens de l'instance.

L'association LES MAISONS HOSPITALIERES demande :

- de déclarer Madame [S] [R] mal fondée en son appel,

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy du 18 mai 2022, ainsi entrepris en toutes ses dispositions, à l'égard de l'ensemble des demandes d'infirmation présentées par Madame [S] [R], fins et prétentions, dans sa déclaration d'appel,

- de condamner Madame [S] [R] au paiement d'une indemnité d'un montant de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner aux entiers frais et dépens.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de Madame [S] [R] déposées sur le RPVA le 14 septembre 2022, et à celles de l'association LES MAISONS HOSPITALIERES déposées sur le RPVA le 13 décembre 2022.

Sur le harcèlement moral :

Madame [S] [R] fait valoir que l'employeur a régulièrement commis des erreurs dans les décomptes de ses heures de travail l'obligeant ainsi à les vérifier elle-même, ce qui lui prenait du temps et lui causait un stress important ; qu'il s'écoulait plusieurs mois pour que son temps de travail soit effectivement établi ; que certaines de ses heures de travail ne lui ont jamais été payées ; que l'amplitude maximale de ses journées de travail n'était pas toujours respectée ; qu'elle n'a pas été destinataire du courrier adressé à ses collègues les informant de la revalorisation de leur coefficient et qu'elle n'a bénéficié de cette revalorisation qu'avec retard ; que la direction n'a donné aucune suite à une agression dont elle a été victime de la part d'un patient ; que son employeur a tenté de la licencier pour faute grave avec mise à pied conservatoire, licenciement non autorisé par l'inspection du travail ; que l'ensemble de ces faits ont entrainé un état dépressif et une prise en charge médicale depuis le 19 décembre 2018 ; que son employeur l'a dénigrée auprès de ses collègues en faisant peser la responsabilité de l'absence d'octroi d'un jour supplémentaire de repos.

L'employeur dément tout fait de harcèlement.

Motivation :

Aux termes des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

Sur la matérialité des faits :

- s'agissant des erreurs de décompte du temps de travail, il résulte des pièces produites par Madame [S] [R] que les calculs de son temps de travail et de délégation syndicale ont été régulièrement erronés et qu'elle a dû effectuer elle-même les vérifications et les corrections de ces décomptes et les signaler à son employeur (pièces n° 21, 22, 25, 28 à 42, 45, 49 à 51.

L'employeur ne conteste pas dans ces écritures l'existence de ces erreurs de décompte.

La matérialité de ce fait est donc établie.

- s'agissant de la tentative de licencier Madame [S] [R] pour une faute grave non établie, il résulte des pièces produites par Madame [S] [R] que son licenciement n'a pas été autorisé par l'inspection du travail par décision du 25 juin 2018 au motif qu'aucune faute n'est démontrée et qu'« est mis en évidence le lien entre les mandats détenus par la salariée et la présente demande » (pièces n° 89 et 59).

L'employeur ne répond pas sur ce point dans ses conclusions.

La matérialité de ce fait est donc établie.

- s'agissant du dépassement des durées maximales de la durée du travail, il résulte de la pièce n° 59 produite par Madame [S] [R] que ce dépassement a été constaté par l'inspection du travail pour la période de janvier 2017 à 2018.

Dans ses conclusions, l'employeur ne conteste pas l'existence de ces dépassements, indiquant que le courrier de l'inspection du travail a été pris en compte pour que cela ne se renouvelle pas.

La matérialité de ce fait est donc établie.

- s'agissant de l'absence d'information sur la suite donnée au signalement d'une agression subie par Madame [S] [R], il résulte de sa pièce n° 58, qu'elle a adressé à la direction une fiche d'incident relatant cette éventuelle agression, le 26 juin 2017 ; qu'il n'en a été accusé réception que le 19 juillet 2017 ; qu'il lui a été indiqué qu'il serait procédé à un complément d'information (pièce n° 58 ; qu'elle n'a plus eu de nouvelles).

L'employeur ne donne aucune indication sur la raison du délai d'accusé de réception, ni sur l'existence de suites qui ont été données à la fiche de signalement.

La matérialité de ce fait est donc établie.

-S'agissant de la mise en cause de la responsabilité de Madame [S] [R] pour la perte d'un jour de congé par les salariés, elle produit un courrier du 5 février 2019, adressé aux membres du personnel concernés, dans lequel l'employeur explique la suppression d'un jour de repos supplémentaire décidé par un accord d'entreprise du 7 décembre 2018, par l'absence volontaire de Madame [S] [R], représentante du syndicat majoritaire, lors de la séance de renégociation de l'accord, le 31 janvier 2019 (pièce n° 74).

L'employeur ne conteste pas l'existence de ce courrier, et l'explique par la nécessité de répondre aux questions des salariés.

Cependant, l'employeur ne conteste pas l'argument de Madame [S] [R] selon lequel la réunion de négociation aurait pu être aisément reportée ; il apparaît en conséquence que le but de ce courrier est bien de mettre Madame [S] [R] dans l'embarras vis-à-vis de ses collègues.

La matérialité de ce fait est donc établie.

- S'agissant des heures de travail qui n'auraient pas été rémunérées, Madame [S] [R] ne produit pas d'éléments suffisamment précis, et notamment pas de tableau récapitulatif, quant aux heures non payées qu'elle prétend avoir accomplies.

La matérialité de ce fait n'est donc pas établie.

- Madame [S] [R] fait valoir qu'elle n'a été informée que le 14 septembre 2017 de l'augmentation du coefficient servant à déterminer sa rémunération à compter d'août 2017, alors que ses collègues de travail en avaient été informées dès le 22 juin 2017 ; que cette revalorisation n'avait pas été prise en compte sur le salaire d'août, ce qui a donné lieu à une rectification en novembre (pièces n° 56 et 57).

L'employeur fait valoir que Madame [S] [R] a été informée de cette revalorisation lors de l'envoi de sa fiche de salaire du mois de juin 2017 et que le courrier l'informant qu'elle n'a pas bénéficié de cette revalorisation était erroné, cette revalorisation ayant bien eu lieu dès sa date d'effectivité, en août 2017 ; qu'ainsi elle n'a subi aucun retard de paiement.

La pièce n° 31 produite par l'employeur est une photocopie des bulletins de salaire de juillet et août 2017 desquels il ressort que le nouveau coefficient a bien été appliqué à la rémunération du mois d'août.

Dès lors la matérialité du retard de l'application du nouveau coefficient n'est pas établie.

Madame [S] [R] produit enfin plusieurs ordonnances d'antidépresseurs établies par son médecin psychiatre (pièce n° 79), les arrêts de travail délivrés par ce dernier faisant état d'un « syndrome anxio-dépressif (pièces 69 et 70), un certificat médical rédigé par ce praticien indiquant que Madame [S] [R] souffre d'une « dépression caractérisée, évoluant depuis le début de l'année 2018 » qui nécessite un traitement médicamenteux s'alourdissant (de 20 à 60mg/jour de Prozac) et une prise en charge psychothérapique (pièce n° 71).

Les éléments établis, pris dans leur ensemble, sont de nature à créer pour Madame [S] [R] un sentiment général d'insécurité et d'anxiété au sein de l'association, attesté par les pièces médicales figurant au dossier et permettent donc de supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

- Sur la preuve par l'employeur que ses agissements sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement :

S'agissant des erreurs dans les décomptes des heures de travail, l'employeur fait valoir que son mode de fonctionnement consiste à faire établir pour chaque salarié des décomptes horaires détaillés établis manuellement par un salarié de l'association et que compte tenu de son activité spécifique, il existe un décalage obligé entre le recueil des informations et la régularisation des heures ; qu'en conséquence les décomptes manuels ainsi établis sont soumis au contrôle et à l'approbation de chaque salarié qui peut procéder à des modifications ou ajouts éventuels tenant compte de certains événements, absences ou remplacements ; que cette gestion concerne tous les salariés, le cas de Madame [S] [R] n'étant à cet égard pas singulier.

En application de de l'article L. 3171-2, alinéa 1 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, il revient au seul employeur d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Le mode de gestion mis en place dans l'association équivaut ainsi à une coresponsabilité, dans l'établissement des décomptes des temps de travail, de l'employeur et des salariés, faisant, in fine, reposer sur ses derniers le contrôle des calculs des heures travaillées et donc du montant de leur rémunération ; cette responsabilité attribuée aux salariés, alors qu'il apparaît, au vu des pièces produites par Madame [S] [R], que les erreurs de calculs sont nombreuses, est de nature à susciter un sentiment d'insécurité et d'angoisse, compte-tenu de leur incertitude permanente quant à l'exactitude des décomptes, angoisse attestée, en ce qui concerne Madame [S] [R], par la pathologie dont elle souffre.

L'employeur n'apporte, non plus, aucun fait objectif justifiant la tentative de licencier Madame [S] [R] pour faute grave, ni sa mise en cause auprès de ses collègues dans le courrier du 5 février 2019.

Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que Madame [S] [R] a fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de son employeur.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :

Madame [S] [R] demande la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

L'employeur ne conteste pas à titre subsidiaire le montant ainsi réclamé.

Il devra donc verser à Madame [S] [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêt.

Sur la nullité du licenciement :

Madame [S] [R] fait valoir que son inaptitude est en lien avec le harcèlement moral qu'elle a subi et qu'en conséquence son licenciement est nul.

L'employeur fait valoir que la salariée n'établit aucun lien entre son inaptitude et ses conditions de travail ; que le médecin du travail n'a pas dit que l'inaptitude a une origine professionnelle ; que le licenciement a été autorisé par l'inspection du travail.

Motivation :

L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. Il appartient au juge judiciaire, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité du licenciement ainsi que d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage.

En l'espèce, la dégradation de l'état de santé de Madame [S] [R] ayant causé son inaptitude, résulte du harcèlement moral qu'elle a subi de la part de son employeur.

Dès lors, en application de l'article de l'article L. 1153-4 du code du travail, le licenciement de Madame [S] [R] est nul.

Sur les conséquences financières de la nullité du licenciement :

Madame [S] [R], sur la base d'un salaire moyen de 1743,53 euros, demande une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 3487,06 euros, outre 348,71 euros bruts au titre des congés payés correspondants.

Elle demande également la somme de 26 153 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

L'employeur ne contestant pas à titre subsidiaire les montants réclamés par Madame [S] [R], il sera condamné à lui verser les sommes de 3487,06 euros, outre 348,71 euros de congés payés y afférant, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 26 153 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur les frais de déplacement :

Madame [S] [R] fait valoir que l'intégralité de ses frais de déplacement, dont elle produit des justificatifs (pièce n° 86) ne lui ont pas été versés. Elle réclame la somme de 187,59 euros à ce titre (pièce n° 91).

L'employeur fait valoir que Madame [S] [R] a été réglée de l'intégralité de ses frais professionnels.

Motivation :

C'est par une juste appréciation du fait et du droit, que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a débouté Madame [S] [R] de sa demande.

Sur la demande de remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation POLE EMPLOI rectifiés, sous astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard :

Compte-tenu de la décision à venir sur la nullité du licenciement, l'employeur devra remettre à Madame [S] [R] les documents demandés rectifiés, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

L'association Les Maisons Hospitalières devra verser à Madame [S] [R] les sommes de 1000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel. Elle sera déboutée de sa propre demande à ce titre.

L'association Les Maisons Hospitalières sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy du 18 mai 2022 en ce qu'il a débouté Madame [S] [R] de sa demande de remboursement de frais de déplacement,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy du 18 mai 2022 pour le surplus ;

STATUANT A NOUVEAU

ANNULE le licenciement de Madame [S] [R],

Condamne l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES à verser à Madame [S] [R] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Condamne l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES à verser à Madame [S] [R] la somme de 3 487,06 euros au titre de l'indemnité compensatrice, ainsi que 348,71 euros au titre des congés payés sur préavis,

Condamne l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES à verser à Madame [S] [R] la somme de 26 153 euros à titre d'indemnisation pour licenciement nul,

Condamne l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES à verser à Madame [S] [R] la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,

Condamne l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES aux dépens de première instance ;

Y AJOUTANT

Condamne l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES à verser à Madame [S] [R] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel,

Déboute l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES de sa demande au titre des frais irrépétibles,

Ordonne à l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES de transmettre un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation POLE EMPLOI rectifiés au vu du présent arrêt,

Condamne l'association LES MAISONS HOSPITALIÈRES aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en onze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/01382
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;22.01382 ?
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