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11/05/2023 | FRANCE | N°22/00929

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 11 mai 2023, 22/00929


ARRÊT N° /2023

PH



DU 11 MAI 2023



N° RG 22/00929 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6YH







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00465

18 mars 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2









APPELANT :



Monsieur [V] [K]

[Adresse 1]

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INTIMÉE :



S.A.S. URBINOS pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Valérie JANDZINSKI, avocat au bar...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 11 MAI 2023

N° RG 22/00929 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6YH

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

20/00465

18 mars 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANT :

Monsieur [V] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Chloé BLANDIN substituée par Me GROSSET de la SELARL GUITTON GROSSET BLANDIN, avocats au barreau de NANCY

INTIMÉE :

S.A.S. URBINOS pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Valérie JANDZINSKI, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseiller : STANEK Stéphane

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 02 mars 2023 tenue par Raphaël WEISSMANN, Président, et Stéphane STANEK conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Dominique BRUNEAU, Stéphane STANEK, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 11 mai 2023;

Le 11 mai 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Monsieur [V] [K] a été engagé sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société S.A.S URBINOS, appartenant au groupe PRET A PARTIR-SADAP, à compter du 04 mars 2019, en qualité d'agent d'exploitation.

La convention collective nationale des transports routiers de voyageurs s'applique au contrat de travail.

A compter du 01 octobre 2019, le salarié a occupé les fonctions de chargé de mission mobilité.

Par courrier du 20 décembre 2019, Monsieur [V] [K] a été convoqué à un entretien préalable à sanction disciplinaire fixé au 08 janvier 2020.

Par courrier du 21 janvier 2020, il est convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 30 janvier 2020.

Par courrier du 07 février 2020, Monsieur [V] [K] a été licencié pour faute grave.

Par requête du 01 décembre 2020, Monsieur [V] [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

- de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de dire qu'il n'a commis aucune faute grave,

- de condamner la société URBINOS à lui verser les sommes suivantes :

- 2 000,00 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 500,00 euros d'indemnité de licenciement,

- 2 000,00 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 200,00 euros de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

- 5 000,00 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice discriminatoire,

- 1 500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 18 mars 2022, lequel a :

- dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Monsieur [V] [K] est bien fondé,

- débouté Monsieur [V] [K] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Monsieur [V] [K] aux entiers dépens.

Vu l'appel formé par Monsieur [V] [K] le 19 avril 2022,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Monsieur [V] [K] déposées sur le RPVA le 25 janvier 2023, et celles de la société S.A.S URBINOS déposées sur le RPVA le 20 janvier 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 25 janvier 2023,

Monsieur [V] [K] demande :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nancy le 18 mars 2022,

- en conséquence, de dire que le licenciement de Monsieur [V] [K] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

- de dire que Monsieur [V] [K] n'a commis aucune faute grave,

- de condamner la société S.A.S URBINOS au paiement des sommes suivantes :

- 2 000,00 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 500,00 euros d'indemnité de licenciement,

- 2 000,00 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 200,00 euros de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

- 5 000,00 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice discriminatoire,

- 1 500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de première instance,

- de condamner la société S.A.S URBINOS au paiement de la somme de 1 500,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel,

- de débouter la société S.A.S URBINOS de toutes demandes plus amples ou contraires.

La société S.A.S URBINOS demande :

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy du 18 mars 2022,

- de débouter Monsieur [V] [K] de l'ensemble de ses demandes,

- de condamner Monsieur [V] [K] à verser à la société S.A.S URBINOS la somme de 1 500,00 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Monsieur [V] [K] aux entiers frais et dépens d'instance et d'exécution éventuelle.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières conclusions de Monsieur [V] [K] déposées sur le RPVA le 25 janvier 2023, et de celles de la société S.A.S URBINOS déposées sur le RPVA le 20 janvier 2023.

Sur le licenciement pour faute grave :

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

« Vous avez été convoqué dans le cadre d'un entretien préalable à licenciement, le 31 Janvier 2020, relatif à la mesure de licenciement que nous envisagions de prendre à votre encontre.

Vous vous êtes présenté à cet entretien, assisté de Monsieur [S] [O], conseiller du salarié.

Les explications recueillies au cours de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Par conséquent, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave reposant sur les faits suivants :

Depuis le 27 Novembre 2019, date de communication du Dossier de Consultation Entreprise par le pouvoir adjudicateur, plusieurs collaborateurs se sont affairés sur le dossier d'appel offres intitulé « Exécution de services réguliers de transport scolaire réservé aux élèves et étudiants en situation de handicap ».

Ce dossier revêt un caractère prioritaire dans la mesure ou il permet à l'entreprise de s'implanter en Moselle et également parce qu'il s'articule autour des marchés de lignes régulières et de dessertes scolaires Mosellanes, permettant ainsi une optimisation des moyens humains, matériels et par conséquent des cours.

Sur ce dossier, vous aviez en charge, notamment, le dépôt de l'offre via Internet, comme il en ressort sur le retroplanning ou il est expressément indiqué dépôt du dossier par « [V][K] » abréviations de [V] [K].

Ce dépôt devait être opéré impérativement, en dernier lieu, avant le 18 Décembre 2019 à 16 heures.

Or, ce jour-là, aux alentours de midi, vous avez quitté le bureau et pris l'initiative conjointe, avec [A] [T], de partir pour effectuer du repérage sur le secteur de [Localité 4], pour un dossier d'appel d'offres à venir, mais ... non encore sorti.

Ce choix de partir, alors même que le dossier d'appel d'offres de Moselle n'était ni déposé, ni même finalisé puisque vous étiez en attente d'éléments, est incompréhensible.

En effet, à 11h24, vous avez adressé un mail à notre consultant externe afin que ce dernier valide avant 12h30 la version modifiée du dossier.

A 14h20, après relecture des éléments, ce dernier vous a demandé d'apporter quelques modifications.

Faute de réseau assez conséquent, à 15h13, depuis la voiture, vous avez sollicité votre collègue de bureau, Monsieur [G] [C], pour qu'Il opère les dernières modifications avant que vous effectuiez la remise de l'offre.

Ce dernier vous a confirmé, par mail, à 15h32, avoir effectué les changements demandés.

Au bord de la route nationale, arrêté warning allumés, vous avez tenté de déposer le dossier sur le site dédié. Sans succès, en l'absence de connexion Internet.

Vous avez tenté de joindre l'assistante de Direction, Madame [W] [Z], sans succès également, cette dernière étant en déplacement extérieur.

Vous vous êtes alors retourné auprès de vos collègues de la cellule d'appel d'offres. Tant bien que mal, vous avez joint Monsieur [F] [J]. La liaison téléphonique était si mauvaise que vous avez été interrompus plusieurs fois. Vous avez tenté d'expliquer le process d'envoi à votre collègue, présent seulement depuis à peine plus d'un mois au sein du service.

Ce dernier ne s'étant jamais connecté au site AWS-Achat, une mise à jour Java s'est opérée bloquant la possibilité de tout envol pendant cette procédure.

Monsieur [J] ne disposait d'aucune autre alternative à l'envoi de l'offre, En effet l'utilisation de votre ordinateur n'a pas été possible puisque vous l'aviez emporté avec vous afin d'opérer vous-même le dépôt.

Une fois la mise à jour effectuée, Monsieur [F] [J] a eu toutes les peines à trouver les pièces constitutives du dossier à transmettre tant l'archivage et ['intitulé des pièces étalent décousus et non ordonnés.

Au final, le dossier n'a pas pu être déposé à temps !.

Tant de travail et de personnes mobilisées pour rien.

Quelle image renvoyons-nous au client qui étudie nos offres sur des dossiers en cours d'instruction.

Au cours de l'entretien vous avez tenté de minimiser votre responsabilité.

Vous avez argué du fait que le dépôt de ce dossier avait été confié, par vos soins, le matin même, à l'assistante de Direction.

Face à cette allégation, nous avons dû organiser une confrontation entre Madame [Z] et vous-même.

SI Madame [Z] confirme bien que vous lui avait demandé de déposer le dossier le matin du 18 Décembre, cette dernière a précisé avoir accepté seulement de procéder à la signature du dossier.

Elle affirme qu'elle a refusé, sans ambiguïté, de procéder à l'opération d'envoi, procédure qu'elle ne maîtrise pas et qu'elle ne se sentait pas capable de faire au vu de l'importance du dossier.

Cet échange s'est déroulé en présence des membres de la cellule, Messieurs [C] et [J].

Pour preuves de ses dires, Madame [Z] nous a communiqué un mail qu'elle vous a adressé, à 12h00, et vous indiquant u je viens de signer le dossier de candidature et les AE de l'offre tu peux le déposer ».

Au surplus, et comme déjà indiqué, le rétroplanning de ce dossier prévoyait, dès son origine, le dépôt de l'offre par vos soins.

Ensuite, vous avez estimé que la responsabilité en revenait à vos collègues de la cellule, lesquels n'ont fait que pester lors de votre appel téléphonique pour les guider dans le dépôt du dossier, ce qui a retardé l'envoi.

Vous ne manquez pas d'aplomb.

A moins de vingt minutes de l'échéance, vous avez sollicité vos collègues dans la précipitation la plus complète, sur un process qu'ils ne maîtrisaient pas.

On connaît le résultat.

Déjà lors de la remise de précédents appels d'offres, vous avez « joué avec le feu » en déposant en dernière minute les dossiers. Ainsi lors du dépôt du dossier CC2T Concession de service public pour le transport urbain, non-urbain, interurbain et scolaire sur le ressort territorial de Terres Touioises, le PDG du Groupe, Monsieur [Y], avait dû vous relancer pour s'assurer que tout était en bon ordre.

Le dossier a été déposé finalement 11 minutes et 20 secondes avant l'heure limite.

Sur ce, Monsieur [Y] vous a fait remarquer par retour mail « J'ai eu très très peur. Il ne faut pas faire peur à son patron, c'est dangereux » (sic).

Egalement le 17 Décembre 2019, vous avez déposé le dossier Services Scolaires réseau Fluo Grand Est à 15 :51 :44 soit 8 minutes et 16 secondes avant la clôture du dépôt.

Aussi, lors de l'entretien, pour vous exonérer davantage, vous avez cru opportun de rappeler qu'il s'agissait d'un dossier relativement modeste, de l'ordre de 1 M euros sur 7 ans, qui plus est, en position offensive.

Le caractère prioritaire de ce dossier a déjà été évoqué.

Contrairement à ce que vous avez avancé ce dossier représente un montant total de 2.334.000 euros, sur un marché renouvelable pour une durée maximale de 36 mois.

Le jour du dépôt, Monsieur [Y] s'était étonné d'apprendre que vous étiez en route pour [Localité 4], en pleine remise d'appel d'offres, et était également interloqué de votre absence au repas de Noel de l'entreprise, repas ou serait présentée la nouvelle Responsable de la cellule Appel d'offres.

Votre attitude est Intolérable.

Vous savez pourtant pertinemment que Monsieur [Y] s'est personnellement engagé dans une politique de démarche de valorisation du droit à l'erreur.

Selon l'élocution latine Errare humanum est, perseverare diabolicum, « L'erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique ».

Vous n'avez pas su faire preuve d'humilité, de responsabilité en assumant votre faute.

Au contraire, votre attitude, et vos allégations lors du premier entretien disciplinaire du 08 Janvier 2020, nous ont conduit à pousser nos Investigations, à entendre les collaborateurs que vous avez mis en accusation et dont nous aurions pu mettre en cause le professionnalisme. Au vu des auditions et de la découverte de faits nouveaux, s'en est suivi une convocation a entretien préalable à licenciement.

Vous avez persisté dans vos accusations pour vous dédouaner de vos responsabilités.

De retour de votre déplacement Montluçonnais vous vous êtes renfermé sur vous-même, ne parlant plus à vos collègues [F] et [G], pendant plus de deux semaines.

Votre défense accusatoire à l'égard de l'assistante de Direction et de vos deux collègues de la cellule d'appels d'offres a laissé des traces Indélébiles qui nuisent au bon fonctionnement de l'entreprise, ces derniers ne souhaitant plus collaborer avec vous.

Au regard de ces faits, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible compte tenu de leur gravité.

Votre licenciement pour faute grave prend effet Immédiatement, ce jour, et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans Indemnité de préavis, ni de licenciement. »

L'employeur indique que Monsieur [V] [K] a occupé la fonction de « Chargé de Mission Mobilité » à compter du 1er octobre 2019 ; que dans ce cadre, lui a été affecté un dossier d'appel d'offres intitulé « Exécution de services réguliers de transport scolaire réservé
aux élèves et étudiants en situation de handicap » ; qu'il avait en charge de préparer et de déposer l'offre via une plate-forme internet avant le 18 décembre à 14 heures.

L'employeur indique que ce jour-là, Monsieur [V] [K] est parti en déplacement professionnel avec un collègue, [A] [T], pour un dossier d'appel d'offre non urgent, déplacement au cour duquel il avait l'intention d'assister à un match de football, avant d'avoir procédé à l'envoi de l'offre ; qu'il a voulu procéder à cet envoi via son ordinateur professionnel portable depuis une bande d'arrêt d'urgence, vingt minutes avant l'heures d'expiration du délai de dépôt ; qu'il n'y est pas parvenu, compte tenu d'un réseau insuffisant et du volume du dossier ; qu'il a en vain tenté de demander par téléphone à un collègue, [F] [J], de procéder à l'envoi, ce dernier ne connaissant pas le logiciel ad hoc ; qu'en conséquence l'entreprise n'a pu soumettre son appel d'offre.

L'employeur fait ainsi valoir qu'en raison du comportement de Monsieur [V] [K], qui est délibérément parti « en balade » plutôt que de veiller à déposer l'offre, comme il en avait la responsabilité, l'entreprise a perdu la chance d'obtenir un marché d'une valeur de plusieurs millions d'euros.

Monsieur [V] [K] fait valoir que son déplacement était autorisé et qu'avant de partir il a « tout mis en 'uvre pour que le dossier soit envoyé en temps et en heure par ses collègues du fait de ce déplacement professionnel ».

Il indique à cet égard, que c'était l'assistante de direction, Madame [W] [Z], à qui l'employeur avait confié les clés électroniques de signature, qui avait la charge de signer les dossiers d'appel d'offre et d'en faire le dépôt ; que le matin du 18 décembre il l'a informée oralement de l'importance du dépôt de ce dossier, qui était prêt dans l'attente du retour de Monsieur [B], le consultant Marchés Publics.

Il fait en outre valoir que plusieurs salariés travaillent de concert sur chaque appel d'offre, même si un responsable est désigné, et que ces derniers connaissent tous le fonctionnement du logiciel permettant la soumission des offres.

Monsieur [V] [K] précise que « chaque marché fait l'objet d'un travail jusqu'à la dernière minute » et qu'en conséquence les offres sont déposées à la limite du temps imparti.

Motivation :

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Il n'est pas contesté que le dossier répondant à un appel d'offre du département de la Moselle pour « l'exécution de services réguliers de transport scolaire réservé aux élèves et étudiants en situation de handicap » devait être transmis au plus tard le 18 décembre 2019 à 16 heures (pièce n° 1 de l'intimée).

Il résulte de la pièce n° 3 de l'intimée, qui n'est pas arguée de faux, que le planning concernant ce dossier prévoyait l'intervention de deux salariés, désignés par leurs initiales, [V] [K] et [A] [T] et que la tâche de déposer le dossier d'appel d'offre avait été affectée à Monsieur [V] [K].

L'employeur produit l'attestation de [F] [J], agent mobilité transport, qui confirme que Messieurs [V] [K] et [T] avaient en charge le dossier concernant le transport des élèves et étudiants handicapés et indique que lui-même était affecté à un autre dossier de soumission à appel d'offre.

Il ressort de cette attestation qu'il avait été rappelé, le 18 décembre au matin, à Messieurs [V] [K] et [T], la nécessité de transmettre leur dossier de préférence avant leur départ, mais que ces derniers avaient répondu qu'il ne leur manquait qu'une seule information pour procéder à l'envoi et qu'ils le feraient en chemin depuis une station-service disposant du wifi.

Il en ressort également qu'à 15h40, Monsieur [T] a appelé Monsieur [F] [J], paniqué, parce-que Monsieur [V] [K] et lui-même ne parvenaient pas à envoyer le dossier sur la plate-forme idoine, pour lui demander de procéder lui-même à cet envoi, ce qu'il n'avait pu faire par manque de connaissance technique (pièce n° 12 de l'intimée).

L'employeur produit également l'attestation de Madame [W] [Z], agent administratif et non assistante de direction, qui indique qu'elle avait la responsabilité d'apposer les signatures électroniques sur les documents du dossier d'appel d'offre, avant son dépôt, mais que le dépôt lui-même était de la responsabilité de Monsieur [V] [K], raison pour laquelle elle avait refusé de procéder à ce dépôt, malgré la demande de ce dernier avant son départ en mission (pièce n° 13 de l'intimée).

Monsieur [V] [K] produit quant à lui des courriels échangés avec Monsieur [B], « consultant marchés publics », desquels il résulte qu'il avait demandé à ce dernier de lui transmettre le dernier document manquant au dossier d'appel d'offre « si possible avant 12h30 » ; que Monsieur [B] avait répondu « plutôt 13 heures » et que finalement le document avait été transmis à 15h28 (pièce n°6).

Ainsi, Monsieur [V] [K] avait la charge du dépôt du dossier d'appel d'offre ; à cet égard, il ne produit aucune pièce à l'appui de son assertion selon laquelle cette responsabilité appartenait à Madame [Z], étant relevé que la charge d'apposer des signatures électroniques sur les documents constituant le dossier n'implique pas la charge de déposer ce dossier, dernière étape du processus de soumission.

En outre, le fait que Monsieur [V] [K] aurait pu donner pour instruction à Madame [Z] de procéder au dépôt du dossier, démontre qu'il en avait bien la responsabilité.

En outre, Monsieur [V] [K] ne prétend pas avoir reçu pour instruction de sa hiérarchie d'effectuer un déplacement professionnel le 18 décembre, ni ne contredit l'employeur sur le caractère non urgent de ce déplacement.

Enfin, si Monsieur [V] [K] indique qu'il avait déjà déposer un dossier à la dernière minute, il résulte d'un courriel adressé par son employeur que ce dernier n'appréciait pas cette pratique (pièce n° 4 de l'intimée).

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que Monsieur [V] [K] n'a volontairement pas pris les mesures nécessaires pour s'assurer que le dossier d'appel d'offres dont il avait la charge soit déposé avant la date et l'heure fixées par le département de la Moselle, allant jusqu'à prendre la route quelques heures avant l'heure limite sans être certain de pouvoir techniquement procéder au dépôt.

Compte-tenu également de l'importance financière du marché perdu par son employeur, ce comportement constitue une faute grave qui justifie le licenciement.

En conséquence, Monsieur [V] [K] sera débouté de ses demandes au titre de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférant, d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ces points.

Sur les faits de discrimination :

Monsieur [V] [K] indique qu'il a subi des remarques racistes, notamment de la part de son employeur qui lui aurait notamment dit « ça c'est une manière africaine d'écrire » et, en réponse à une demande d'entretien, « je ne suis pas là pour garder la merde ». 

Il produit en outre une photo postée en ligne sur laquelle apparaissent [A] [T], [G] [C] et lui-même, avec un commentaire de l'employeur indiquant : « en noir et blancs » (pièce n° 7).

Monsieur [V] [K] fait valoir qu'il a fait l'objet d'une distinction systématique d'avec ses collègues qui s'est finalement traduite par le fait qu'il a été le seul sanctionné, alors que la responsabilité du retard du dépôt de l'appel d'offres incombait à d'autres salariés.

Il réclame la somme de cinq mille euros « de dommages et intérêts en réparation du préjudice discriminatoire ».

L'employeur nie tout fait de discrimination raciste, insistant notamment sur le fait qu'il a lui-même sollicité Monsieur [V] [K] via le réseau Linkedin pour qu'il vienne travailler dans son entreprise (pièce n° 5).

S'agissant de son commentaire sous la photographie produite par le salarié, l'employeur lui dénie tout caractère raciste.

Motivation :

La cour constate que Monsieur [V] [K] ne demande, ni dans le corps de ses conclusions, ni dans leur dispositif, que son licenciement soit annulé en raison de son caractère discriminatoire, mais demande d'une part des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'autre part des dommages-intérêts « en réparation du préjudice discriminatoire ».

Il résulte des dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son appartenance physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

En application de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, Monsieur [V] [K] ne produit aucune pièce relative aux remarques verbales racistes que son employeur ou ses collègues auraient proférées à son endroit.

Le commentaire par son employeur de la photo, qui le représente avec deux autres collègues de peau blanche, tous trois souriant largement, ne présente pas de caractère raciste, en ce qu'il ne postule aucune hiérarchie basée sur la couleur de peau, ni ne présente de caractère méprisant envers Monsieur [V] [K].

Enfin, il ressort des éléments examinés ci-dessus que Monsieur [V] [K] était le seul responsable du dépôt du dossier d'appel d'offre et donc le seul susceptible d'être sanctionné.

Dès lors, Monsieur [V] [K] ne présente pas d'éléments de fait, qui pris dans leur ensemble, laisseraient supposer l'existence d'une discrimination.

En conséquence, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour « préjudice discriminatoire », le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.

Monsieur [V] [K] sera condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy en ses dispositions soumises à la cour,

Y AJOUTANT

Déboute Monsieur [V] [K] et la société S.A.S. URBINO de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur [V] [K] aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en douze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/00929
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;22.00929 ?
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