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05/05/2023 | FRANCE | N°22/01148

France | France, Cour d'appel de Nancy, Première présidence, 05 mai 2023, 22/01148


COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

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N° RG 22/01148 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7IE

du 05 Mai 2023



Minute : /2023







REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



A l'audience du 17 Mars 2023, présidée par M. JEAN-TALON, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY en date du 9 décembre 2022, assisté de Madame RIVORY,

greffier et statuant sur la requête, enregistrée au Secrétariat de la Première Présidence le 16 Mai 2022 sous le numéro N° RG 22/01148 - N° Portalis...

COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

--------------------------------------

N° RG 22/01148 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7IE

du 05 Mai 2023

Minute : /2023

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

A l'audience du 17 Mars 2023, présidée par M. JEAN-TALON, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY en date du 9 décembre 2022, assisté de Madame RIVORY, greffier et statuant sur la requête, enregistrée au Secrétariat de la Première Présidence le 16 Mai 2022 sous le numéro N° RG 22/01148 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7IE, conformément aux dispositions de l'article 149-2 du Code de Procédure Pénale et formée par :

Monsieur [V] [I]

né le [Date naissance 1] 1990 à [Localité 2]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

ayant pour avocat Me Alexandre REAL, avocat au barreau de NANCY

L'agent judiciaire de l'État étant représenté par Me Nathalie DEVARENNE ODAERT de la SELAS [3], substituée par Me Charlotte JACQUENET, avocates au barreau de Nancy.

Le ministère public étant représenté aux débats par M. Philippe RENZI, avocat général.

***

Vu la requête déposée le 13 mai 2022 par Maître [W] [T] au nom de M. [V] [I] et ses conclusions ultérieures notifiées par lettres recommandées avec avis de réception les 23 mai 2022 et 5 septembre 2022 ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'État notifiées par lettre recommandée avec avis de réception le 2 août 2022 ;

Vu les conclusions du procureur général près la cour d'appel de Nancy, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception le 23 décembre 2022 ;

Vu l'avis de fixation à l'audience du 17 mars 2023 ;

Vu les articles 149 à 150, R. 26 à R. 40-22 du code de procédure pénale ;

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [V] [I] a été mis en examen et placé en détention provisoire le 16 février 2017 pour avoir commis dans la nuit du 18 au 19 janvier 2017 l'infraction de destruction d'immeuble par incendie ayant entraîné la mort et une incapacité de travail n'excédant pas huit jours.

Remis en liberté sous contrôle judiciaire selon arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy le 5 mai 2020, il a de nouveau été placé en détention le 29 mai 2020, après révocation du contrôle judiciaire, par le juge des libertés et de la détention de Nancy.

Par arrêt du 18 novembre 2021, la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle l'a acquitté des faits reprochés.

M. [V] [I] a ainsi fait l'objet d'un titre de détention provisoire durant 1.714 jours (1.175 +539) ou 4 ans et 254 jours.

*****

Suivant requête, parvenue au secrétariat de la première présidence le 13 mai 2022, M. [V] [I] a sollicité l'indemnisation de sa détention provisoire à hauteur de la somme de 511.000 euros en réparation de son préjudice moral, outre celle de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

À l'appui de sa demande, il a en particulier fait valoir son jeune âge lors de l'incarcération, la longue durée de celle-ci, les refus de mise en liberté alors qu'il savait encourir une longue peine pour un crime qu'il n'avait pas commis, la perte de chance liée à l'impossibilité d'obtenir un aménagement des trois courtes peines d'emprisonnement purgées durant le temps de son incarcération et son état psychologique affecté de manière importante par la privation de liberté.

Aux termes de ses écritures, l'agent judiciaire de l'État a sollicité à titre principal le sursis à statuer en l'absence de production de la fiche pénale actualisée du requérant. Il a subsidiairement offert de réparer le préjudice subi par le versement de la somme de 95.000 euros. Il a enfin sollicité la réduction à de plus justes proportions des demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général près cette cour a soutenu le caractère satisfactoire des sommes offertes par l'agent judiciaire de l'Etat au titre du préjudice moral et a conclu à la réduction à de plus justes proportions de la demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Lors des débats, tenus à l'audience du 17 mars 2023, les parties ont été représentées et maintenu, chacune, la position développée dans leurs écritures.

Le demandeur a eu la parole en dernier.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande aux fins de sursis à statuer

La fiche pénale de M. [I] a été produite par le ministère public, déposée au dossier et communiquée à l'audience aux parties, qui ont été mises en mesure de la consulter et de formuler toutes observations.

Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer.

Les éléments résultant de cette pièce ne contredisent au surplus pas ceux qui étaient déjà en possession des parties.

Sur la recevabilité de la requête

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel direct et certain que lui a causé cette détention.

En l'espèce, M. [V] [I] a bénéficié d'une décision d'acquittement devenue définitive en l'absence de recours diligenté dans le délai légal, a présenté sa requête dans le délai de six mois fixé par l'article 149-2 du code de procédure pénale et n'apparaît pas se trouver dans l'un des cas d'exclusion prévus par l'article 149 précité.

Sa requête est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la requête

M. [V] [I] a fait l'objet d'un titre de détention provisoire durant 1.714 jours (1.175 + 539) ou 4 ans et 254 jours.

Il résulte toutefois de l'article 149 du code de procédure pénale qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.

Or, à l'examen de la fiche pénale produite aux débats, M. [I] a purgé durant le temps de sa détention provisoire les peines suivantes :

- Du 22 mars 2017 au 4 mai 2017, soit 44 jours, la peine de 2 mois d'emprisonnement prononcée le 6 octobre 2016 par le tribunal correctionnel de Nancy,

- Du 7 décembre 2017 au 24 janvier 2018, soit 49 jours, la peine de 2 mois d'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel de Nancy le 2 juillet 2012,

- Du 29 mars 2018 au 4 juin 2018, soit 68 jours, la peine de 3 mois d'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel de Nancy le 17 mars 2017.

La durée de la détention provisoire subie par M. [I] est donc de 1.553 jours ou 4 ans et 93 jours.

S'agissant du préjudice moral

Pour déterminer l'existence et l'étendue du préjudice moral, il doit être tenu compte de l'âge de la personne détenue, de sa situation familiale et des répercussions que la détention a pu avoir sur sa santé physique ou mentale.

En l'espèce, M. [V] [I], âgé de 26 ans lors de son incarcération, a nécessairement subi un préjudice moral résultant du choc carcéral et de la souffrance psychologique ressentis par toute personne brutalement, injustement et durablement privée de liberté durant, au total, plus de quatre années.

La circonstance que le requérant a déjà été incarcéré antérieurement à son placement en détention provisoire doit tout d'abord être analysée comme un facteur justifiant une minoration du choc carcéral subi. En l'espèce M. [I] avait déjà été condamné à 13 reprises à raison de faits commis avant son entrée en détention le 16 février 2017, dont 12 fois entre le 1er juin 2012 et le 17 mars 2017 à des peines d'emprisonnement ferme d'une durée totale de 44 mois. Il a ainsi été incarcéré en 2013, en 2014, en 2015 et en 2016 avant son placement en détention provisoire le 16 février 2017. Il ne peut alors prétendre qu'à un choc carcéral et une souffrance psychologique modérés.

Seul le préjudice moral résultant directement de la détention peut être indemnisé. Les dénégations de l'intéressé au cours de la procédure pénale, la nature des infractions reprochées, la peine encourue et le sentiment qu'il a pu éprouver de n'avoir pu se faire entendre des juges, malgré ses protestations d'innocence, sont des circonstances qui ne découlent pas directement de la détention et qui ne peuvent être prises en considération dans l'appréciation du préjudice moral résultant de celle-ci.

Par ailleurs, il n'est pas démontré de conditions particulièrement difficiles de détention ni un état de souffrance psychologique excédant la souffrance psychologique déjà évoquée ci-avant, la seule mention au rapport d'expertise psychiatrique d'une humeur maussade, au surplus susceptible de se rapporter à d'autres causes, étant insuffisante à cet effet.

M. [I] sollicite qu'il soit tenu compte de la perte de chance liée à la possibilité d'obtenir un aménagement des trois courtes peines d'emprisonnement purgées durant le temps de son incarcération. Toutefois, si l'impossibilité de présenter une requête aux fins d'aménagement de ces peines peut constituer un facteur d'aggravation du préjudice moral, c'est à la condition que le requérant justifie d'éléments favorables de nature à permettre le prononcé des aménagements. Or M. [I] ne produit aucune pièce de nature à apporter une telle preuve, de sorte qu'il ne sera pas retenu de facteur d'aggravation de ce chef.

En revanche, constituent un facteur d'aggravation du préjudice le jeune âge du requérant, âgé de 26 ans lors de son incarcération et la durée substantielle de la détention.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'allocation de la somme de 100.000 euros réparera intégralement le préjudice moral subi par M. [V] [I] du fait de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet.

S'agissant des frais non compris dans les dépens

Il serait inéquitable que M. [V] [I] conserve la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'il a déboursés du fait de la présente instance. En l'absence de justificatif d'une dépense plus ample, la somme de 1.800 euros lui sera en conséquence accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Disons n'y avoir lieu à sursis à statuer ;

Déclarons recevable en la forme la requête de M. [V] [I] ;

Lui allouons, en indemnisation de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet, la somme de 100.000 euros (cent mille euros) ;

Lui allouons en outre la somme de 1.800 euros (mille huit cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus de la demande ;

Rappelons qu'en application de l'article R. 40 du code de procédure pénale, la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Laissons les frais à la charge de l'État.

Ainsi fait, jugé et prononcé par M. JEAN-TALON, Premier Président, conformément aux dispositions de l'article 149-1 du Code de Procédure Pénale le 05 mai 2023, assisté de madame Laurène RIVORY, greffier

Le greffier Le premier président

Laurène RIVORY Marc JEAN-TALON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 22/01148
Date de la décision : 05/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-05;22.01148 ?
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