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05/05/2023 | FRANCE | N°22/00690

France | France, Cour d'appel de Nancy, Première présidence, 05 mai 2023, 22/00690


COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

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N° RG 22/00690 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6H4

du 05 Mai 2023



Minute : /2023







REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



A l'audience du 17 Mars 2023, présidée par M. JEAN-TALON, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY en date du 9 décembre 2022, assisté de Madame RIVORY,

greffier et statuant sur la requête, enregistrée au Secrétariat de la Première Présidence le 22 Mars 2022 sous le numéro N° RG 22/00690 - N° Portali...

COUR D'APPEL DE NANCY

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Requête en indemnisation à raison

d'une détention provisoire

--------------------------------------

N° RG 22/00690 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6H4

du 05 Mai 2023

Minute : /2023

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

A l'audience du 17 Mars 2023, présidée par M. JEAN-TALON, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de NANCY en date du 9 décembre 2022, assisté de Madame RIVORY, greffier et statuant sur la requête, enregistrée au Secrétariat de la Première Présidence le 22 Mars 2022 sous le numéro N° RG 22/00690 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E6H4, conformément aux dispositions de l'article 149-2 du Code de Procédure Pénale et formée par :

Monsieur [O] [P]

né le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 7] (TURQUIE)

de nationalité turque

[Adresse 1]

[Localité 6]

ayant pour avocat Me Rojde KOCABEY, avocat au barreau d'EPINAL

L'agent judiciaire de l'État étant représenté par Me Nathalie DEVARENNE de la SELAS [3] substituée par Me Charlotte JACQUENET, avocates au barreau de Nancy.

Le ministère public étant représenté aux débats par M. Philippe RENZI, avocat général.

***

Vu notre ordonnance en date du 20 janvier 2023, à laquelle il conviendra de se référer expressément pour ce qui concerne l'exposé initial des faits et de la procédure, ordonnant la poursuite des débats à l'audience du 17 mars 2023 et invitant le ministère public à produire et communiquer préalablement aux conseils des parties la fiche pénale relative à la détention provisoire de M. [P] et le casier judiciaire de celui-ci,

A l'audience du 17 mars 2023, le conseil de l'agent judiciaire de l'Etat a fait valoir qu'il n'avait pas reçu communication des pièces évoquées par l'ordonnance du 9 décembre 2022.

Le ministère public a indiqué que ces pièces avaient été déposées au dossier de la procédure.

Le président a invité les conseils des parties à en prendre connaissance en tant que de besoin.

Le requérant, l'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public ont maintenu, chacun, la position développée dans leurs écritures.

Le demandeur a eu la parole en dernier.

*****

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande aux fins de sursis à statuer

La fiche pénale et le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [P] ont été produits par le ministère public, déposés au dossier et communiqués à l'audience aux parties, qui ont été mises en mesure de formuler toutes observations.

Il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer.

Les éléments résultant de ces pièces ne contredisent au surplus pas ceux qui étaient en possession des parties dès lors que la fiche pénale n'évoque aucun autre titre de détention de M. [P] entre le 2 février 2016 et le 4 juillet 2016 et que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M.[P] ne comporte qu'une mention ayant fait l'objet d'une réhabilitation de plein droit.

Sur la recevabilité de la requête

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel direct et certain que lui a causé cette détention.

En l'espèce, M. [O] [P] a bénéficié d'une décision d'acquittement rendue le 21 octobre 2021 par la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle, devenue définitive en l'absence de recours diligenté dans le délai légal, a présenté sa requête dans le délai de six mois fixé par l'article 149-2 du code de procédure pénale et n'apparaît pas se trouver dans l'un des cas d'exclusion prévus par l'article 149 précité.

Sa requête est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la requête

M. [P] a été placé en détention provisoire du 2 février 2016 au 4 juillet 2016, soit durant 154 jours.

S'agissant du préjudice moral

Pour déterminer l'existence et l'étendue du préjudice moral, il doit être tenu compte de l'âge de la personne détenue, de sa situation familiale et des répercussions que la détention a pu avoir sur sa santé physique ou mentale.

En l'espèce, M. [P] a nécessairement subi un préjudice moral résultant du choc carcéral ressenti par toute personne brutalement et injustement privée de liberté durant plus de 5 mois.

Il soutient avoir particulièrement souffert de la détention, s'agissant de sa première incarcération, n'avoir pu recevoir la visite de sa famille, avoir subi les conséquences de la barrière de la langue et n'avoir cessé de clamer son innocence.

Seul le préjudice moral résultant directement de la détention peut toutefois être indemnisé. Les dénégations de l'intéressé au cours de la procédure pénale et le sentiment qu'il a pu éprouver de n'avoir pu se faire entendre des juges, malgré ses protestations d'innocence, sont des circonstances qui ne découlent pas directement de la détention et qui ne peuvent être prises en considération dans l'appréciation du préjudice moral résultant de celle-ci. Le préjudice qu'affirme avoir souffert l'épouse de M. [P] ne peut recevoir indemnisation dans le cadre de la présente procédure, engagée par le seul requérant.

Par ailleurs, il n'est pas démontré de conditions particulièrement difficiles de détention, ainsi qu'en justifie l'examen psychiatrique (Bb31), les difficultés de communication de M. [P] en français ne peuvent être retenues dès lors qu'il se trouve en France depuis 2007, qu'il y travaille régulièrement et que certains des actes d'instruction ont pu être effectués sans interprète, et, si le choc carcéral peut être minoré du fait d'incarcérations antérieures, il n'a pas à être majoré lors d'une première incarcération.

En revanche, constituent des facteurs d'aggravation du préjudice l'éloignement familial, du fait de l'incarcération à la maison d'arrêt d'[Localité 5] alors que la résidence familiale se trouvait à [Localité 6], la limitation de ses contacts avec ses enfants et la souffrance de n'avoir pu apporter l'aide nécessaire à ceux-ci.

En définitive, l'allocation de la somme de 15.000 euros réparera intégralement le préjudice moral subi par M. [O] [P] du fait de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet.

S'agissant du préjudice matériel

1. Sur la perte de revenus

M. [P] justifie qu'il travaillait depuis le 1er juin 2008 en qualité d'enduiseur au service de la société [4]. Il a été privé de son emploi durant la période de détention provisoire et réclame à titre d'indemnité le montant de son salaire brut (1.536,69 euros) durant 5 mois et 3 jours, soit 7.837,12 euros au total.

L'indemnité qui répare la perte de revenu étant de nature à remettre le requérant dans la situation où il se serait trouvé s'il n'avait pas été incarcéré, M. [P] ne peut recevoir que le montant du salaire net, éventuellement augmenté des points retraite au titre d'un régime complémentaire et des congés payés.

En l'espèce, le salaire net versé au mois de décembre 2015 s'élevait à la somme de 1.281,88 euros. Il ne sera pas tenu compte, comme demandé par l'agent judiciaire de l'Etat, du salaire de janvier 2016 qui était amputé d'heures d'absence. Les pièces versées ne permettent pas de déterminer la réalité d'éventuelles pertes au titre de la retraite complémentaire ou des congés payés.

L'indemnisation du requérant à ce titre sera fixée à la perte de salaire net, soit (1.281,88 x 5,1) 6.537,59 euros

S'agissant des frais non compris dans les dépens

Il serait inéquitable que M. [P] conserve la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'il a déboursés du fait de la présente instance. En l'absence de toute justification d'une dépense plus ample, la somme de 1.800 euros lui sera en conséquence accordée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Disons n'y avoir lieu à surseoir à statuer ;

Déclarons recevable en la forme la requête de M. [O] [P] ;

Lui allouons, en indemnisation de la détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet, les sommes de :

6.537,59 euros (six mille cinq cent trente sept euros et cinquante neuf centimes) au titre de son préjudice matériel,

15.000 euros (quinze mille euros) en réparation de son préjudice moral,

1.800 euros (mille huit cents euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus de la demande ;

Rappelons qu'en application de l'article R. 40 du code de procédure pénale, la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Laissons les frais à la charge de l'État.

Ainsi fait, jugé et prononcé par M. JEAN-TALON, Premier Président, conformément aux dispositions de l'article 149-1 du Code de Procédure Pénale le 05 mai 2023, assisté de madame Laurène RIVORY, greffier.

Le greffier Le premier président

Laurène RIVORY Marc JEAN-TALON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Première présidence
Numéro d'arrêt : 22/00690
Date de la décision : 05/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-05;22.00690 ?
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