RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /23 DU 05 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/00536 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E55R
Décision déférée à la Cour :
ordonnance de référé du Président du tribunal judiciaire de NANCY, R.G. n° 21/00480, en date du 25 janvier 2022,
APPELANTE :
S.A.R.L. SARL LAUSSONVILLE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social [Adresse 2] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Nancy sous le numéro B 813 062 825
Représentée par Me Betty DI ROSA, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
S.C.I. DU BLANC RUXEL, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social [Adresse 1] inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés d'Epinal sous le numéro D 428970 537
Représentée par Me Violaine GUIDOT de la SELARL BGBJ, avocat au barreau d'EPINAL
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 1er Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de Chambre chargé du rapport et Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre,
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.
A l'issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 5 Avril 2023, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 05 Avril 2023, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Patrice BOURQUIN, Président de chambre, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 18 avril 2018, la SCI du Blanc Ruxel a donné à bail commercial à la société Laussonville des locaux situés [Adresse 3] à [Localité 4], composés d'une salle de restaurant, d'une terrasse et d'une cave, aux fins d'y exercer une activité de restaurant, pour une durée de neuf années entières et consécutives commençant à courir le 1er mars 2018, moyennant un loyer mensuel de 950 euros hors taxes, payable mensuellement d'avance.
La SCI du Blanc Ruxel a fait délivrer deux commandements de payer visant la clause résolutoire par actes d'huissier signifiés le 16 juillet 2021 et le 30 juillet 2021, pour le règlement d'arriérés de loyers à hauteur, respectivement, de 7.210 euros et de 9.270 euros.
Par acte d'huissier délivré le 22 octobre 2021, elle a fait assigner la société Laussonville devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nancy.
Par ordonnance du 25 janvier 2022, le président du tribunal judiciaire de Nancy a :
-constaté l'absence d'accord des deux parties pour engager une médiation,
-constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant la SCI du Blanc Ruxel à la société Laussonville à la date du 17 août 2021 et portant sur des locaux situés [Adresse 3] à [Localité 4],
-ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le mois de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de la société Laussonville et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 3] à [Localité 4], avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est,
-dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,
-ordonné le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués dans tel garde-meubles qu'il lui plaira de choisir, aux frais, risques et périls de la société Laussonville,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel une provision d'un montant de 10.300 euros à valoir sur les loyers et charges impayés au 17 août 2021, en deniers ou quittances,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation d'un montant de 1.031 euros à compter du 17 août 2021 et jusqu'à complète libération des lieux,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel une somme provisionnelle d'un euro à valoir sur les clauses pénales contractuelles,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel la somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-condamné la société Laussonville aux entiers dépens, qui comprendront le coût du commandement de payer du 16 juillet 2021, avec recouvrement direct au profit de Mme Violaine Guidot-Mangeot, avocate .
Par déclaration en date du 3 mars 2022, la société Laussonville a interjeté de la décision en en sollicitant l'infirmation en toutes ses dispositions.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 1er juin 2022, la société Laussonville sollicite l'infirmation de la décision entreprise et demande de :
A titre principal,
-constater l'existence de contestations sérieuses ;
En conséquence,
-dire et juger n'y avoir lieu à référé et renvoyer la SCI du Blanc Ruxel à mieux se pourvoir ;
-débouter la SCI du Blanc Ruxel de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
-accorder à la société Laussonville des délais de paiement d'une durée de 24 mois pour s'acquitter du règlement de la provision ;
En conséquence,
-ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire ;
-dire que si la société Laussonville s'acquitte intégralement de ses obligations susmentionnées, la clause résolutoire sera réputée ne jamais avoir produit ses effets ;
En tout état de cause,
-débouter la SCI du Blanc Ruxel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
-rejeter l'appel incident formé par la SCI du Blanc Ruxel ;
-condamner la SCI du Blanc Ruxel à verser à la société Laussonville la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance, et 2 000 euros pour les frais d'appel ;
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 6 décembre 2022, la SCI du Blanc Ruxel forme appel incident et demande à la cour de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
-constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant la SCI du Blanc Ruxel à la société Laussonville à la date du 17 août 2021 et portant sur des locaux situés [Adresse 3] à [Localité 4],
-ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le mois de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la société Laussonville et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 3] à [Localité 4], avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est,
-ordonné le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués dans tel garde-meubles qu'il lui plaira de choisir, aux frais, risques et périls de la société Laussonville,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Ruxel une provision d'un montant de 10.300 euros à valoir sur les loyers et charges impayés au 17 août 2021, en deniers ou quittances,
-rejeté la demande formée par la société Laussonville sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicite la réformation de la décision en ce qu'elle a :
-dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation d'un montant de 1.031 euros à compter du 17 août 2021 et jusqu'à complète libération des lieux,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel une somme provisionnelle d'un euro à valoir sur les clauses pénales contractuelles,
-condamné la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel la somme de 1.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné la société Laussonville aux entiers dépens, qui comprendront le coût du commandement de payer du 16 juillet 2021, dont distraction au profit de Mme Violaine Guidot-Mangeot, avocate aux offres de droit.
Statuant à nouveau :
-assortir la décision d'expulsion d'une astreinte définitive de 150,00 euros par jour de retard ;
-condamner la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation ;
' d'un montant de 1.030,00 euros depuis le 16 août 2021 jusqu'au 28 février 2022,
' d'un montant de 1.062,84 euros du 1er mars 2022 à la libération effective des lieux;
-condamner à titre provisionnel la société Laussonville au paiement au profit de la SCI du Blanc Ruxel des sommes suivantes à valoir sur les clauses pénales contractuelles :
' 2.060,00 euros correspondant à 20% des loyers échus à la date de résiliation du bail (16 août 2021)
' 206,00 euros par mois depuis le 16 août 2021 jusqu'au 28 février 2022 puis 212,57 euros par mois du 1er mars 2022 à la libération effective des lieux correspondant à 20% de l'indemnité d'occupation ;
-prononcer la condamnation en quittances ou deniers ;
-déclarer la société Laussonville mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions;
-condamner la société Laussonville à verser à la SCI du Blanc Ruxel une indemnité de 1.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance et celle de 2.500,00 euros au titre de la procédure d'appel;
-condamner la société Laussonville aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût des commandements en date des 16 et 30 juillet 2021, dont distraction au profit de Mme Violaine Guidot-mangeot, avocat aux offres de droit.
En application de l' article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions précédemment visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Sur la contestation sérieuse invoquée par la société Laussonville
1.1 - Sur l'exception d'inexécution
En application des articles 1217 et 1219 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter l'obligation contractuellement mise à sa charge, alors même que celle-ci est exigible, si son contractant n'exécute pas l'obligation, dont il est réciproquement tenu et si cette inexécution est suffisamment grave.
La Sarl Laussonville fait valoir qu'elle s'est retrouvée dans l'impossibilité d'exploiter les locaux, à la suite des fermetures administratives liées à l'épidémie de Covid 19.
Sur ce point le premier juge a retenu que le preneur ne discute et ne conteste pas que les locaux à elle remis par la société du Blanc Ruxel en exécution du bail les liant lui permettent d'exercer l'activité à laquelle ils sont contractuellement destinés et que le trouble de jouissance, dont elle se prévaut du fait de la fermeture administrative de son commerce imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre la propagation de l'épidémie de la Covid-19, n'est pas garanti par la bailleresse, qu'ainsi le preneur n'est pas fondé à exciper, au soutien de sa demande de reconnaissance de l'existence d'une contestation sérieuse de l'inexécution par la SCI du Blanc Ruxel, pendant cette même période, de ses obligations de délivrer les locaux loués et de garantir leur jouissance paisible à sa locataire.
L'appelant fait valoir que la cause de l'inexécution est indifférente, l'absence de faute du bailleur n'empêchant pas l'inexécution, caractérisée par la seule défaillance dans la délivrance du résultat convenu et ce quand bien même cette inexécution serait due à la force majeure ou serait le fruit d'une cause étrangère.
Toutefois, la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n'était pas constitutive d'une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance et l'existence d'une contestation sérieuse sur ce point ne pouvant être retenue, la décision entreprise sera confirmée sur ce point.
1.2 - Sur l'exigence de bonne foi
L'appelante fait valoir qu'il appartenait à la SCI du Blanc Ruxel, compte tenu des circonstances exceptionnelles, d'entrer en voie de négociation pour trouver une solution adaptée aux difficultés qu'elle rencontrait et qu'en refusant catégoriquement de renégocier le contrat, au profit d'une application stricte du bail, elle a manqué à son obligation de bonne foi.
Le principe d'exécution de bonne foi des contrats résultant de l'article 1104 du code civil n'oblige toutefois pas l'autre partie à renégocier, la sollicitation du preneur ne pouvant avoir aucun caractère contraignant.
Il n'existe donc aucune contestation sérieuse et ce moyen sera écarté.
1.3 - Sur la perte partielle de la chose louée
L'appelante fait valoir qu'elle a été durant plusieurs mois, privée de la possibilité d'ouvrir ses locaux au public, qu'ainsi elle n'a pu jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, de sorte qu'elle a subi une perte partielle de la chose louée.
Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public a été décidée aux seules fins de garantir la santé publique et l'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut donc être assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.
Sur ce point également, il n'existe également pas de contestation sérieuse et l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a constaté que la clause résolutoire était acquise.
2- Sur la demande en paiement des loyers
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions sur ce point, non contestées.
3 - Sur la demande de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire
Selon l'alinéa 2 de l'article L 145-41 du code de commerce les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Il n'est pas contesté que la société Laussonville a toujours honoré le paiement de ses loyers avant la crise sanitaire et a ensuite repris le versement.
Elle fait ainsi preuve de sa bonne foi, et il lui sera accordé des délais de paiement à hauteur de 18 mois, les effets de la clause résolutoire étant suspendus durant le délai accordé dans les conditions prévues au dispositif de la présente décision.
Par ailleurs, le montant de l'indemnité d'occupation sera modifié et sera porté à la somme de 1062,84€, à compter du 1er mars 2022.
Enfin, la décision d'expulsion, en cas de non respect des délais accordés n'a pas lieu d'être assortie d'une astreinte.
4-Sur l'application de la clause pénale insérée au contrat
Par des motifs que le cour adopte, le premier juge a alloué à l'intimée une provision à hauteur de 1€.
5- Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions sur ce point et il sera alloué à la SCI du Blanc Ruxel la somme de 1500€ au même titre à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
CONFIRME l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a fixé le montant de l'indemnité d'occupation et a ordonné l'expulsion de la société Laussonville ainsi que le transport et la séquestration des meubles,
Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,
SUSPEND les effets de la clause résolutoire constatée à la date du 17 août 2021 et dit que cette clause sera réputée n'avoir jamais joué si l'échéancier ci-après accordé est respecté,
AUTORISE la société Laussonville à se libérer du montant des loyers impayés en 18 versements égaux avant le 10 de chaque mois à compter de la signification de la présente décision,
DIT qu'à défaut de paiement d'une seule échéance ou d'un terme de loyer courant à son échéance :
-la totalité de la dette redeviendra immédiatement exigible,
-la clause résolutoire reprendra ses effets,
-il sera procédé , à défaut de restitution volontaire des lieux ,à l'expulsion de la société Laussonville et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 3] à [Localité 4], avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est,
- le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués aura lieu dans tel garde-meubles qu'il plaira de choisir à la SCI du Blanc Ruxel, aux frais, risques et périls de la société Laussonville,
-la société Laussonville sera tenue de payer une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation d'un montant de 1.030,00 euros depuis le 16 août 2021 jusqu'au 28 février 2022 et d'un montant de 1.062,84 euros du 1er mars 2022 à la libération effective des lieux, en deniers ou quittances,
CONDAMNE la société Laussonville à payer à la SCI du Blanc Ruxel la somme de 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Laussonville aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût des commandements de payer de 16 et 30 juillet 2021, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Valérie GUIDOT-MANGEOT, avocat.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrice BOURQUIN Président de Chambre, à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Minute en huit pages.