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20/03/2023 | FRANCE | N°22/01700

France | France, Cour d'appel de Nancy, 1ère chambre, 20 mars 2023, 22/01700


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile



ARRÊT N° /2023 DU 20 MARS 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/01700 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FAPY

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du Président du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 22/00104, en date du 08 juillet 2022,



APPELANTS :

Madame [I] [M]

née le 26 avril 1986 à [Localité 7] (60)

d

omiciliée [Adresse 1]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/007472 du 30/09/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)

Re...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

------------------------------------

COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2023 DU 20 MARS 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/01700 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FAPY

Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du Président du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n° 22/00104, en date du 08 juillet 2022,

APPELANTS :

Madame [I] [M]

née le 26 avril 1986 à [Localité 7] (60)

domiciliée [Adresse 1]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/007472 du 30/09/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)

Représentée par Me Elyane POLESE-PERSON, avocat au barreau de NANCY

Monsieur [K] [G]

né le 09 septembre 1985 à [Localité 8] (60)

actuellement incarcéré au Centre Pénitentiaire de [Adresse 3] -

[Adresse 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/007419 du 30/09/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY)

Représenté par Me Elyane POLESE-PERSON, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

COMMUNE DE [Localité 6], représentée par son maire en exercice, [P] [S], agissant au nom et pour le compte de ladite commune, pour ce domicilié [Adresse 4]

Représentée par Me Virginie BARBOSA de la SCP TERTIO AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

PARTIE INTERVENANTE :

MINISTERE PUBLIC

[Adresse 2]

Représenté à l'audience par Madame Béatrice BOSSARD, avocat général près la Cour d'appel de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, Présidente d'audience et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire, chargée du rapport,

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,

selon ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 4 janvier 2023,

A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 20 Mars 2023, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 20 Mars 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame BUQUANT, Conseiller, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

Par décision du 20 janvier 2022, l'officier d'état civil de la commune de [Localité 6] a refusé d'enregistrer la déclaration conjointe remise par Madame [M] et Monsieur [G] en vue de l'enregistrement d'un pacte civil de solidarité (PACS) au motif que les intéressés ne menaient pas de vie commune. En effet, Monsieur [G] est incarcéré au centre pénitentiaire de [Localité 5] depuis le 1er janvier 2006.

Par acte d'huissier délivré le 1er mars 2022, Madame [M] et Monsieur [G] ont fait assigner le service d'état-civil de la mairie de [Localité 6] devant le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond aux fins de voir :

- ordonner l'enregistrement du pacte civil de solidarité par l'officier d'état-civil de la Ville de [Localité 6] sous un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- condamner la Ville de [Localité 6] aux entiers dépens et à verser la somme de 1500 euros aux deux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle à charge pour eux de renoncer à ladite aide.

Par ordonnance contradictoire du 8 juillet 2022, le président du tribunal judiciaire de Nancy a :

- débouté Madame [I] [M] et Monsieur [K] [G] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné solidairement Madame [I] [M] et Monsieur [K] [G] à verser à la Ville de [Localité 6] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Madame [M] et Monsieur [G] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le président du tribunal a relevé que la conclusion d'un pacte civil de solidarité était soumise à la condition qu'il existe une vie commune. Or, la situation de détention de Monsieur [G] y fait obstacle. De plus, l'interdiction pour Madame [M] de rendre visite à Monsieur [G] restreignait encore leur possibilité de se prévaloir d'une telle communauté de vie. Le président du tribunal a écarté l'application de l'article 12 de la CESDH invoqué par Madame [M] et Monsieur [G], en considérant que si ce texte consacre le droit au mariage sans que la détention constitue un empêchement à l'exercice de ce droit, ce texte ne concerne pas le contrat de PACS.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 21 juillet 2022, Madame [M] et Monsieur [G] ont relevé appel de cette ordonnance.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 18 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Madame [M] et Monsieur [G] demandent à la cour, au visa des articles 8 et 12 de la CESDH et des articles 515-3 et suivants du code civil, de :

- dire leur recours recevable et bien fondé,

Y faire droit,

En conséquence,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle :

* les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes,

* les a condamnés solidairement à verser à la Ville de [Localité 6] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

Et statuant à nouveau,

- ordonner l'enregistrement du pacte civil de solidarité par l'officier d'état-civil de la Ville de [Localité 6] sous un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- condamner la Ville de [Localité 6] aux entiers dépens et à verser la somme de 1500 euros aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle à charge de renoncer à ladite aide,

- débouter la Ville de [Localité 6] de toutes ses demandes.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 25 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la Ville de [Localité 6] - en réalité la commune, seule entité à disposer de la personnalité morale - demande à la cour, au visa des articles 515-1 et suivants du code civil, de :

- confirmer l'ordonnance rendue le 8 juillet 2022 par le président du tribunal judiciaire de Nancy et par conséquent,

- débouter Madame [M] et Monsieur [G] de leurs demandes d'enregistrement d'un PACS,

- condamner solidairement les demandeurs à lui verser la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'à hauteur de cour.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 5 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, le procureur général requiert la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a débouté Madame [M] et Monsieur [G] de leur recours contre la décision de l'officier d'état-civil de la mairie de [Localité 6] de refus d'enregistrement de PACS pour défaut de vie commune.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 5 décembre 2022.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 17 janvier 2023 et le délibéré au 20 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 12 de la Convention européenne des Droits de l'Homme dispose que : ' À partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. '

L'article 14 de la même Convention définit le principe de non discrimination en ces termes : ' La jouissance des droits et libertés reconnues par la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.'

Le guide sur l'article 12 publié par la Cour européenne des Droits de l'Homme, précise aux points 33 à 37 relatifs aux détenus que la détention ne constitue pas un empêchement à l'exercice du droit au mariage. Si les législations nationales peuvent prévoir des restrictions au droit au mariage, en particulier pour des considérations d'intérêt public, elles ne peuvent qu'être limitées dans le temps et ne doivent pas se fonder sur une appréciation de la qualité de la relation entre le détenu et la personne avec laquelle il souhaite se marier.

Le mariage et le pacte civil de solidarité ne sont pas de même nature et n'entraînent pas les mêmes obligations, celles découlant du PACS étant notablement plus réduites.

Cependant, ces deux institutions ont pour objet identique d'organiser la vie commune entre les époux ou les partenaires. Ainsi, dès lors que l'absence de possibilité effective de vie commune du fait de la détention ne constitue pas un obstacle général au droit de se marier, il ne peut par analogie qu'en être de même pour les personnes qui souhaitent conclure un PACS et ce sans qu'il y ait lieu d'examiner la nature, la qualité, le sérieux des liens existants entre les futurs partenaires. Les arguments développés par les parties sur ce point sont dès lors inopérants.

Il y a lieu de relever en outre que n'est pas supportée par les textes en vigueur l'exigence d'une vie commune antérieure à la conclusion du pacte ou déjà existante à cette date. L'article 515-4 du code civil dispose en effet que les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'engagent à une communauté de vie.

Le non respect de cette obligation n'entre pas dans les causes de nullité absolue du pacte telles qu'énoncées à l'article 515-2 du même code, mais constitue une faute justifiant la résiliation dudit pacte aux torts du partenaire fautif.

Il n'entre dès lors pas dans les pouvoirs de l'officier d'état civil de refuser d'enregistrer un tel pacte civil faute d'une vie commune.

L'article 515 -3 du code civil dans sa rédaction issue de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, est ainsi libellé : ' Les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe devant l'officier d'état civil de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune ou, en cas d'empêchement grave à la fixation de celle-ci, devant l'officier de l'état civil de la commune où se trouve la résidence de l'une des parties.'

En incluant dans la loi pénitentiaire cette disposition concernant l'empêchement grave à la fixation de la résidence commune, le législateur français a clairement entendu permettre aux détenus de conclure un pacs nonobstant la privation de liberté qui entraîne de facto et à l'évidence l'impossibilité de vie commune.

La notion de vie commune telle qu'elle résulte de la décision du Conseil Constitutionnel du 9 novembre 1999, à savoir qu' 'elle ne couvre pas seulement une communauté d'intérêts et ne se limite pas à une simple cohabitation entre deux personnes ; la vie commune suppose une résidence commune et une vie de couple qui seule justifie que le législateur ait prévu des causes de nullité du pacte qui, soit reprennent les empêchements à mariage visant à prévenir l'inceste, soit évitent une violation de l'obligation de fidélité découlant du mariage' ne se trouve pas remise en cause ici dans sa généralité, la vie commune ainsi définie en correspondance avec celle résultant du mariage, se trouvant seulement suspendue pendant le temps de la détention du fait de la modification législative intervenue postérieurement à cette décision.

Force est de constater enfin qu'aucun texte ne vient limiter la possibilité pour un détenu de conclure un pacte civil de solidarité pour des considérations de maintien ou de protection de l'ordre public autres que les causes de nullité prévues à l'article 515-2 du code civil. En particulier, ni la nature des infractions sanctionnées, ni la durée de la peine restant à purger au moment de la conclusion du pacte ne peuvent en l'état fonder un refus d'enregistrement.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer la décision contestée et d'enjoindre à l'officier d'état civil de la Ville de [Localité 6] de procéder à l'enregistrement du pacte civil de solidarité en cause dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

La commune de [Localité 6] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Aucune considération tirée de l'équité ou de la situation économique des parties ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Infirme l'ordonnance rendue le 8 juillet 2022 par le président du tribunal judiciaire de Nancy en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Ordonne à l'officier d'état civil de [Localité 6] de procéder à l'enregistrement du pacte civil de solidarité conclu entre Madame [I] [M] et Monsieur [K] [G] dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

Condamne la commune de [Localité 6] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame BUQUANT, Conseiller à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : M. BUQUANT.-

Minute en six pages.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/01700
Date de la décision : 20/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-20;22.01700 ?
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