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16/03/2023 | FRANCE | N°22/01191

France | France, Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 16 mars 2023, 22/01191


ARRÊT N° /2023

PH



DU 16 MARS 2023



N° RG 22/01191 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7LH







Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

21/00128

06 mai 2022











































COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2













APPELANTE :



Madame [F] [E]

[Adresse 1]

[Lo

calité 3]

Représentée par Me Maxime JOFFROY de la SCP JOFFROY LITAIZE LIPP, substitué par Me LIPP, avocats au barreau de NANCY







INTIMÉE :



S.A.S.U. AUCHAN HYPERMARCHE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Bertrand FOLTZ ...

ARRÊT N° /2023

PH

DU 16 MARS 2023

N° RG 22/01191 - N° Portalis DBVR-V-B7G-E7LH

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANCY

21/00128

06 mai 2022

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

Madame [F] [E]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Maxime JOFFROY de la SCP JOFFROY LITAIZE LIPP, substitué par Me LIPP, avocats au barreau de NANCY

INTIMÉE :

S.A.S.U. AUCHAN HYPERMARCHE prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Bertrand FOLTZ substitué par Me NAUDIN de la SELARL FILOR AVOCATS, avocats au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseiller : STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

Lors du délibéré,

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue en audience publique du 19 janvier 2023 tenue par Raphaël WEISSMANN, Président, et Stéphane STANEK , conseiller, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en ont rendu compte à la Cour composée de Raphaël WEISSMANN, président, Dominique BRUNEAU et Stéphane STANEK, conseillers, dans leur délibéré pour l'arrêt être rendu le 16 mars 2023;

Le 16 mars 2023, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [F] [E] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la société Alsacienne de Supermarché reprise par la société AUCHAN HYPERMARCHE, à compter du 28 juin 1993.

Ce contrat de travail faisait suite à trois contrats à durée déterminée pour les périodes du 10 août 1990 au 13 août 1990, puis du 13 août 1990 au 30 avril 1992 et enfin du 04 décembre 1992 au 14 mars 1993.

Au dernier état de ses fonctions, la salariée occupait le poste d'employée qualifiée libre-service.

La convention collective nationale de commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire s'applique au contrat de travail.

A partir du 10 avril 2019, Madame [F] [E] a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Par décision du 22 janvier 2020 du médecin du travail, la salariée a été déclarée inapte à son poste de travail, avec précision qu'un poste dans le secteur administratif pourrait convenir.

Par courrier du 03 mars 2020, Madame [F] [E] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 10 mars 2020.

Par courrier du 20 mars 2020, Madame [F] [E] a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par requête du 11 mars 2021, Madame [F] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

* A titre principal :

- de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société AUCHAN HYPERMARCHE à lui verser les sommes suivantes :

- 40 205,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulier et exécution fautive du contrat de travail,

- 4 655.33 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus,

- 17 607.80 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 1 828.53 euros au titre de la prime variable individuelle due sur l'exercice 2018/2019,

- 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* A titre subsidiaire,

- de dire et juger que le licenciement de Madame [F] [E] est irrégulier,

- de condamner la société AUCHAN HYPERMARCHE à lui verser les sommes suivantes :

- 2 116,06 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,

- 4 655,33 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus,

- 17 607,81 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 1 828,53 euros au titre de la prime variable individuelle due sur l'exercice 2018/2019,

- 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 06 mai 2022, lequel a :

- dit et jugé que le licenciement de Madame [F] [E] est bien dû à une inaptitude non-professionnelle,

- dit et jugé que le licenciement de Madame [F] [E] est irrégulier,

En conséquence :

- condamné la société AUCHAN HYPERMARCHE à verser à Madame [F] [E] les sommes suivantes :

- 500,00 euros au titre de l'indemnité de licenciement irrégulier,

- 1 828,53 euros au titre du versement de la prime variable individuelle due sur l'exercice 2018- 2019,

- 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Madame [F] [E] du surplus de ses demandes,

- débouté la société AUCHAN HYPERMARCHE de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société AUCHAN HYPERMARCHE aux entiers frais et dépens

Vu l'appel formé par Madame [F] [E] le 18 mai 2022, enregistré sous le n° RG 22/01191 et sous le n° RG 22/01193,

Vu l'ordonnance de jonction rendue le 05 octobre 2022 laquelle a prononcé la jonction des procédures n° RG 22/01191 et 22/01193,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Madame [F] [E] déposées sur le RPVA le 22 juin 2022, et celles de la société AUCHAN HYPERMARCHE déposées sur le RPVA le 08 novembre 2022,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 07 décembre 2022,

Madame [F] [E] demande :

- de joindre les instances enregistrées sous les n° RG 22/01191 et 22/01193,

- de déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté ,

- de confirmer le jugement rendu le 06 mai 2022 par le conseil de prud'hommes de Nancy en ce qu'il a :

- dit et jugé que son licenciement est irrégulier,

- condamné la société AUCHAN HYPERMARCHE à lui verser les sommes suivantes :

- 1 828,53 euros au titre du versement de la prime variable individuelle due sur l'exercice 2018- 2019,

- 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'infirmer le jugement entrepris pour le surplus,

*

Statuant à nouveau :

** A titre principal :

- de juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de condamner la société AUCHAN HYPERMARCHE à lui verser la somme de 40 205,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulier et exécution fautive du contrat de travail,

**A titre subsidiaire :

- de condamner la société AUCHAN HYPERMARCHE à lui verser la somme de 2 116,06 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,

*

En tout état de cause :

- de condamner la société AUCHAN HYPERMARCHE à lui verser les sommes suivantes :

- 4 655,33 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus,

- 17 607,81 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- de débouter la société AUCHAN de toutes ses demandes,

- de condamner la société AUCHAN HYPERMARCHE aux entiers dépens, y compris les frais de signification et d'exécution forcée à venir.

La société AUCHAN HYPERMARCHE demande :

- de déclarer l'appel interjeté par Madame [E] recevable mais mal fondé,

- de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte sur la jonction des deux procédures d'appel initiées par Madame [F] [E],

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame [E] de ses demandes, souhaitant voir déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que les demandes indemnités y afférentes,

- d'infirmer le jugement entrepris pour le surplus, concernant les demandes relatives à la rémunération variable et au dommage et intérêts pour la procédure irrégulière ainsi que l'article 700 du code de procédure civile,

*

En conséquence :

- de débouter Madame [F] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner Madame [F] [E] à lui verser la somme de 3 000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de laisser les entiers frais et dépens à la charge de Madame [F] [E].

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu'elles ont déposées sur le RPVA, s'agissant de l'employeur le 08 novembre 2022, et en ce qui concerne la salariée le 22 juin 2022.

Sur la demande de jonction

La jonction des deux procédures ayant déjà été effectuée par ordonnance du 05 octobre 2022, la demande est sans objet.

Sur le licenciement

Mme [F] [E] fait valoir qu'en 2019, elle s'est vue confier, en plus de ses fonctions de responsable du rayon boucherie, celles de fabrication de sandwichs sur un stand dédié, se trouvant à l'entrée du magasin, et à l'opposé du rayon boucherie.

Elle précise que sa charge de travail au rayon boucherie n'a pas diminué, et que seulement 12 heures de travail hebdomadaires lui ont été retirées du rayon boucherie.

L'appelante indique qu'elle ne cessait de courir entre les deux rayons.

Mme [F] [E] indique avoir dû accomplir des heures supplémentaires, sans les consigner, pour pouvoir assumer ses tâches ; à de nombreuses reprises, elle n'a pas pu bénéficier des pauses prévues dans son planning.

Elle explique qu'outre l'état de fatigue généré par cette organisation, elle n'a pas supporté de devoir « rogner » sur la qualité de ses prestations et la tenue de son rayon boucherie.

Mme [F] [E] expose s'être vue diagnostiquer un syndrome dépressif sévère associé à un syndrome d'épuisement professionnel dont l'ensemble des médecins s'accordent à dire que ces pathologies sont directement liées aux conditions de travail et ont mené au prononcé d'une inaptitude.

L'appelante explique que la baisse du chiffre d'affaires du rayon boucherie, invoqué par l'employeur, n'implique pas une réduction du travail, dans la mesure où, les flux de ventes étant moins importants les manipulations induites par les dates de péremption, dates courtes et autres contraintes sanitaires telle que la prise de température quotidienne des produits, se multiplient.

Elle souligne qu'il ressort du questionnaire soumis par la CPAM à la société AUCHAN que les missions qui lui étaient imparties au rayon boucherie n'ont pas changé mais doivent être réalisées en 4 heures alors qu'elle disposait auparavant de 7 heures.

La salariée estime que les investigations de la CPAM ont été minimalistes.

Mme [F] [E] estime que son inaptitude a pour origine un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

La société AUCHAN fait valoir que les heures effectuées par Mme [F] [E] ont été déduites de ses heures de travail au rayon boucherie et que, sauf la semaine du 18 février, elle n'a pas effectué d'heures supplémentaires.

Elle indique que le chiffre d'affaires du rayon boucherie ayant baissé, elle mettait moins de marchandise en rayon, ce qui avait pour conséquence que Mme [F] [E] avait moins de manutention à effectuer pour mettre ou enlever les barquettes du rayon ; l'intimée fait valoir que la salariée n'apporte aucun élément de preuve qui viendrait étayer que son activité au sein du rayon boucherie n'aurait pas diminué.

La société AUCHAN précise que Mme [F] [E] n'a été affectée au rayon snacking qu'entre le 1er mars 2019 et le 19 avril 2019, soit un mois et demi d'activité.

L'entreprise affirme que les deux rayons étaient proches l'un de l'autre; elle ajoute qu'à aucun moment Mme [F] [E] n'a fait part d'une quelconque difficulté du fait de cette réorganisation, qu'elle a acceptée; elle précise que ce n'est qu'après le licenciement, précisément le 25 mai 2020, qu'elle sera informée de la demande de reconnaissance de sa maladie en maladie professionnelle.

La société AUCHAN estime dans ces conditions que la salariée ne peut soutenir que son employeur avait connaissance d'un risque sur la santé et qu'il n'aurait rien fait.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

- 1° des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L 4161-1 ;

- 2° des actions d'information et de formation ;

- 3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce, il ressort des déclarations de l'employeur dans le formulaire d'enquête adressé par la CPAM à la suite de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle (pièce 47 de Mme [F] [E]) que les tâches de Mme [F] [E] sont les suivantes:

« Arrivée au poste à (') 6h.

La boucherie Négoce LS représente 6 linéaires verticaux à double porte à proximité directe avec la chambre froide commune où sont stockés les produits.

La salariée retire les périmés du rayon et les passe à la casse via la TIM.

Elle sticke ce qui arrive en date.

Elle contrôle les stocks négatifs.

Elle nettoie selon le planning de nettoyage existant et remplit l'enregistrement (papier) et elle relève les températures sur la feuille prévue à cet effet avec un thermomètre à sonde des linéaires.

Elle amène et passe le stock présent en chambre froide (appelé J+1).

Elle passe les commandes pour le lendemain avec la TIM.

La logistique lui apporte l'arrivage du jour (la première palette). Si autre palette, elle est stockée au frais dans la chambre commune à environ 10 m de ses linéaires.

Elle traite l'arrivage du jour (temps colis maximal 3h).

Elle vérifie que les balisages sont fonctionnels et laisse bien apparaître les prix.

Elle réalise une belle ravance pour les clients pour 8h30.

Elle prend sa pause de 20 min.

Elle traite le reste de l'arrivage et range les produits restants sur une palette J+1.

Avant le 1er mars 2019 : Elle aide ses collègues, elle fait de la ravance , Elle conseille le client.

Après le 1er mars 2019 :

Elle aide ses collaborateurs en Snacking en arrière stand pour la cuisson extemporanée des steaks hachés rentrant dans la composition des sandwichs dits « américain » et elle prépare les frites.

Sortie du poste à 12h20 ou 13h20 (à partir du 1er mars) »

Mme [F] [E] produit en pièce 44 l'attestation de Mme [F] [O], collègue de travail : « (') Au mois de mars 2019, on lui imposera de diminuer son temps de travail à son rayon pour aller effectuer 3 H par jour dans un autre rayon « sandwich ». (') Pendant ce mois-là, ma collègue a changé complètement de comportement dû à son surcroît de travail. Très fatiguée, énervée, anxieuse et très soucieuse de ne pouvoir faire son travail correctement. Le 9 avril 2019, c'est là que j'ai vu passer ma collègue devant mon rayon pour rejoindre donc son 2ème poste, en larme et complètement déboussolée. (...) ».

Les attestations de Mme [G] (pièce 46) et de Mme [P] (pièce 28), collègues de travail, produites par Mme [F] [E], font également état d'une surcharge de travail.

Les pièces médicales de Mme [F] [E] relient son problème médical, d'où découle l'inaptitude, aux conditions de travail :

- courrier du Docteur [H] du 06 mai 2019 (pièce 9): « Cher confrère, Mme [E] présente un Sd d'épuisement par le travail. Troubles du sommeil qui répondent bien à Xanax. Mais persistance de crises d'angoisse ou panique, en journée, lorsqu'elle pense au travail. (...) »

- le courrier du Docteur [I], médecin du travail, au Docteur [R], du 27 novembre 2019 (pièce 12) : « Cher confrère, vous allez recevoir Madame [E] [F] (') Cette salariée est en arrêt de travail depuis le 11 avril 2019 en raison d'une souffrance psychique confinant au burn-out. Il s'agit d'une personne employée au rayon boucherie, très investie dans son travail, et qui ne supporte plus la charge de travail et le peu de considération qu'elle ressent de la part de sa hiérarchie. Elle s'est vue retirer 12 h de son rayon pour travailler en sandwicherie, ce qui lui semble insurmontable. (...) »

- l'examen psychiatrique du Docteur [R] du 07 décembre 2019 (pièce 14) : « (') Si les plaintes et doléances de formulées par Madame [E] [F] relatives aux circonstances qu'elle définit et avoir perçues comme négatives, hostiles et défavorables, auxquelles elle aurait été confrontée lors des modifications de son poste de travail, plaident en faveur de l'évolution d'un syndrome d'épuisement professionnel, autrement dit d'un burnout, à l'origine du malaise qu'elle aurait présenté ayant déterminé la prescription de cet arrêt de travail toujours contemporain inauguré le 11 avril 2019, il apparaît aussi et surtout que l'évolution actuelle et contemporaine de son état psychique sont en faveur du développement d'un état dépressif et anxieux. (...) »

Si par sa pièce 5 (badgeage horoquartz) l'employeur tend à démontrer que Mme [F] [E] n'aurait pas effectué d'heures supplémentaires entre 1er mars 2019, date de sa modification de poste, et la date de son arrêt de travail, cette pièce n'est pas de nature à démontrer que la charge de travail de Mme [F] [E] n'a pas augmenté, alors qu'ainsi qu'elle le fait valoir, une baisse des volumes des ventes, même si elle entraîne une baisse des volumes commandés et mis en rayon, n'implique pas nécessairement que les tâches décrites pour le rayon boucherie par la société AUCHAN, dans la pièce 47 précitée de la salariée, soient réduites : contrôle des températures des linéaires, nettoyage des linéaires, commandes, réception des palettes '

Sont ainsi démontrés l'accroissement de la charge de travail de Mme [F] [E], à la suite de la réorganisation de son poste par l'employeur, et les répercussions négatives sur son état de santé.

La société AUCHAN ni ne soutient ni n'établit avoir pris des mesures pour s'assurer que l'accroissement de la charge de travail de Mme [F] [E] n'aurait pas d'impact sur sa santé mentale.

Dans ces conditions, il est établi que la société AUCHAN a manqué à son obligation de sécurité.

Il résulte des conclusions et pièces des parties que le syndrome réactionnel décrit supra est à l'origine de la déclaration d'inaptitude de Mme [F] [E].

Le licenciement prononcé pour inaptitude ayant donc pour origine un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, la rupture sera déclarée sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera réformé sur ce point.

Sur les conséquences financières du licenciement

- Mme [F] [E] réclame 40 205 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 4655,33 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.

A défaut de contestation subsidiaire de la société AUCHAN sur les quantum de ces demandes, il y sera fait droit.

- Mme [F] [E] réclame en outre 17 607,81 euros au titre du reliquat d'indemnité spéciale de licenciement.

Elle fait valoir que la société AUCHAN a été informée par lettre recommandée du 04 mars 2020 de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle.

La société AUCHAN affirme qu'elle ignorait l'existence d'une demande aux fins de reconnaissance de maladie professionnelle au moment du licenciement, et fait également valoir que la CPAM a refusé de prendre en charge la maladie de la salariée au titre des maladies professionnelles.

Motivation

Il convient de rappeler que la juridiction prud'homale n'est pas tenue par les décisions de la CPAM quant à la reconnaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude.

Mme [F] [E] produit en pièce 21 sa lettre du 04 mars 2020 et l'accusé de réception par la société AUCHAN du 06 mars, par laquelle elle informait l'employeur de ce qu'elle avait déposé devant la caisse d'assurance maladie un dossier de reconnaissance de maladie professionnelle ; elle établit ainsi la connaissance au moins partielle par l'employeur, de l'origine professionnelle de son inaptitude avant le licenciement.

En conséquence, le droit à l'application des dispositions de l'article L1226-14 du code du travail est établi.

Il sera donc fait droit à la demande à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier

Mme [F] [E] explique qu'elle n'a pas bénéficié du délai de 5 jours prévu par l'article L1232-2 du code du travail, entre sa convocation et le jour de l'entretien préalable.

La société AUCHAN fait valoir que la salariée a pu être assistée par un délégué syndical lors de son entretien préalable, et qu'elle ne justifie pas d'un préjudice.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article L1235-2 alinéa 5 du code du travail, lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Il résulte de ces dispositions qu'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement peut être accordée uniquement si le licenciement est fondé.

En l'espèce, le licenciement de Mme [F] [E] étant abusif, la salariée sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur la demande au titre d'une rémunération variable

La société AUCHAN fait valoir que Mme [F] [E] n'a pas fait l'objet d'un entretien annuel avant son arrêt maladie, entretien d'évaluation qui pouvait entraîner le versement d'une prime selon les résultats. Elle indique par ailleurs que la salariée ne justifie pas ses calculs.

Mme [F] [E] fait valoir que la société AUCHAN dispose de tous les éléments pour procéder au versement de sa prime ; elle précise que compte-tenu de son arrêt maladie, l'entretien qui porte sur la période mai 2018 ' avril 2019 n'a pu se tenir ; elle indique également que pour l'exercice précédent, sa prime a été de 1662,30 euros.

Motivation

Aux termes des dispositions de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, Mme [F] [E] produit en pièce 56 l'accord d'entreprise relatif à la gestion du développement individuel des employés, en date du 13 avril 2012, traitant en son article 3 de la « rémunération variable individualisée » ; cet accord ne dit rien sur la situation précise de Mme [F] [E], prévoyant simplement le report de l'entretien en cas d'absence de plus d'un mois.

La société AUCHAN n'indique pas les fondements de l'impossibilité du versement de la prime de Mme [F] [E].

La société AUCHAN ne conteste pas disposer des éléments permettant d'évaluer le travail de Mme [F] [E].

Elle ne conteste pas le montant de la prime variable de la salariée pour le précédent exercice.

Dans ces conditions, et à défaut pour la société AUCHAN de démontrer qu'elle n'est pas tenue, pour le dernier exercice, de payer à Mme [F] [E] la prime variable qu'elle réclame, il sera fait droit à la demande de l'appelante, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant à l'instance, la société AUCHAN sera condamnée aux dépens.

Les dispositions de l'article L111-8 du Code des procédures civiles d'exécution fixent la répartition des frais d'exécution forcée et de recouvrement entre le créancier et le débiteur, et prévoient dans certaines hypothèses le recours au juge de l'exécution; il n'appartient donc pas au juge du fond de statuer sur la demande, au demeurant prématurée, portant sur les frais d'exécution éventuels du présent arrêt.

L'intimée sera également condamnée à payer 2000 euros à Mme [F] [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et sera déboutée de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nancy le 06 mai 2022, en ce qu'il a :

- condamné la société AUCHAN HYPERMARCHE à verser à Madame [F] [E] les sommes suivantes :

- 1 828,53 euros au titre du versement de la prime variable individuelle due sur l'exercice 2018- 2019,

- 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société AUCHAN HYPERMARCHE aux entiers frais et dépens ;

L'infirme pour le surplus ;

statuant à nouveau dans ces limites,

Dit que le licenciement de Mme [F] [E] est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société AUCHAN à payer à Mme [F] [E] :

- 40 205,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 4 655,33 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, congés payés inclus,

- 17 607,81 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société AUCHAN à payer à Mme [F] [E] 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société AUCHAN aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

Minute en onze pages


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Formation : Chambre sociale-2ème sect
Numéro d'arrêt : 22/01191
Date de la décision : 16/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-16;22.01191 ?
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